directeur du cabinet de M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, de 2014 à 2016. - Comme vous le savez, le principe de séparation des pouvoirs ne me permet pas de répondre aux questions qui porteraient sur l'exercice, auprès du chef de l'État, de mon mandat actuel de secrétaire général de la présidence de la République. Mais, bien évidemment, je suis à votre entière disposition pour répondre aux questions relatives à mes fonctions antérieures de directeur de cabinet du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique dans la période comprise entre la fin du mois d'août 2014 et la fin du mois d'août 2016.
Votre commission d'enquête a eu l'occasion d'auditionner la ministre de la transition écologique et solidaire. Elle a présenté de manière détaillée les circonstances et les conditions dans lesquelles l'État a remis à plat les relations avec les SCA dans le cadre des négociations contractuelles aussi bien que dans le cadre du projet de loi voté par le Parlement au mois d'août 2015. Je tiens au préalable à souligner que je souscris en tout point aux déclarations de la ministre.
Entre 2014 et 2016, le ministère de l'économie est intervenu au côté et en soutien au ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie dans ses travaux.
Trois raisons, en particulier, expliquent cette implication.
Premièrement, alors que le ministère de l'économie n'intervient traditionnellement pas dans les négociations avec les SCA, son implication se justifiait par ses compétences au titre de l'homologation des tarifs et de contresignataire des décrets approuvant les contrats de concession, et ce sachant qu'il n'est pas signataire des contrats eux-mêmes.
Deuxièmement, la Cour des comptes, qui estimait que les relations entre l'État et les SCA étaient déséquilibrées, recommandait pour cette raison, et eu égard à l'ampleur des enjeux financiers, une implication plus forte du ministère de l'économie. C'est dans ces conditions que le gouvernement de l'époque avait souhaité que le ministre et ses services apportent leur expertise économique et financière et participent de manière plus directe aux négociations en cours.
Troisièmement, enfin, s'agissant plus largement du cadre de la régulation des SCA, le ministre de l'économie avait voulu porter, dans un projet de loi dit « Croissance », une réforme inédite et de grande ampleur du cadre de régulation, en s'appuyant sur les travaux de l'Autorité de la concurrence.
Au moment de ma prise de fonctions, les relations entre l'État et les SCA étaient particulièrement dégradées. Alors que le Président de la République de l'époque avait voulu engager dès le début de son mandat un plan de relance autoroutier, trois événements ont suscité des tensions croissantes entre l'État et les SCA.
Tout d'abord, l'État avait décidé de doubler la redevance domaniale en 2013, dont les SCA avaient demandé la compensation intégrale par voie contentieuse. Ce contentieux apparaissait mal engagé sur le plan juridique compte tenu de son impact sur l'équilibre économique des concessions au regard des jurisprudences du Conseil d'État en la matière.
Ensuite, le débat sur le modèle des SCA lancé par la Cour des comptes en 2013, puis par l'Autorité de la concurrence en 2014, qui concernait initialement le niveau de rentabilité des SCA, s'était porté sur un débat éminemment politique et polémique, remettant en cause le modèle même des concessions, avec une possible dénonciation des contrats en cours, voire une nationalisation des SCA.
Enfin, en décembre 2014, la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie a annoncé de manière unilatérale un gel des tarifs à compter du 1er février 2015, ce qui s'est traduit par l'ouverture d'une nouvelle procédure contentieuse.
C'est donc dans un contexte très dégradé que le gouvernement a souhaité engager une négociation tandis que l'Assemblée nationale décidait de son côté de mettre en place un groupe de travail. La décision d'engager cette négociation a été prise après une analyse approfondie du scénario de résiliation unilatérale qui aurait exposé l'État à un triple risque financier, juridique et politique. Celle-ci a été conduite par les ministères de l'économie et de l'écologie, sous l'autorité du Premier ministre et de son cabinet. L'enjeu était de remettre à plat l'ensemble des questions et contentieux et, bien évidemment, de défendre au mieux les intérêts de l'État dans un contexte au départ défavorable.
La négociation a commencé en décembre 2014 et s'est conclue en avril 2015 après que le Président de la République a souhaité publiquement, en février 2015, « un règlement global et définitif afin de pouvoir engager et lancer rapidement un plan d'investissement autoroutier ».
À la suite de la conclusion du protocole d'accord, le ministère de l'écologie en a décliné les termes par SCA dans le cadre d'avenants aux contrats de concession, en particulier la prolongation de la durée des concessions de 3 à 4 ans.
Ces contrats de plan permettaient de finaliser le plan de relance autoroutier. Il s'agissait ensuite de définir la trajectoire des tarifs autoroutiers et des hausses tarifaires compensant le gel de 2015. Enfin, il convenait de mettre en oeuvre les engagements réciproques parmi lesquels le versement par les SCA d'une contribution volontaire de 1 milliard d'euros à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afift), d'une contribution de 100 millions à destination d'un fonds pour le financement d'infrastructures, la mise en place de mesures commerciales ciblées, l'insertion d'une clause de plafonnement de la rentabilité, le renoncement au contentieux d'indemnisation, la non-compensation de la contribution à l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer).
Pour ce qui concerne le ministère de l'économie, les travaux se sont concentrés sur la réforme du cadre de régulation des SCA par la loi 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite loi Macron. Cette loi a créé l'Arafer à partir de l'Autorité de régulation des transports ferroviaires (ARAF), depuis lors appelée Autorité de régulation des transports (ART).
La loi donne trois grandes compétences au régulateur.
Premièrement, elle permet la régulation des tarifs des péages, par un avis sur les projets de contrats de concession et leurs avenants. Le régulateur est aussi consulté sur tout nouveau projet de délégation et il assure un suivi annuel des taux de rentabilité interne de chaque concession, qui est la mesure pertinente de leur profitabilité. Il établit également un rapport annuel public sur l'économie générale des concessions et un rapport annuel également public sur les comptes des sociétés concessionnaires.
Deuxièmement, la loi introduit un contrôle des procédures de passation et d'exécution des marchés de travaux, fournitures et services des concessionnaires. Pour ce faire, l'ART veille à l'exercice d'une concurrence effective et loyale lors de la passation des marchés passés par un concessionnaire d'autoroutes pour les besoins de la concession.
Troisièmement, la loi prévoit un contrôle des procédures de passation des contrats d'exploitation des installations annexes sur les aires d'autoroutes.
J'insiste sur le fait que cette loi renforce l'information parlementaire, avec la transmission d'un rapport quinquennal sur l'économie générale des conventions de délégation et d'un rapport annuel sur les comptes des sociétés concessionnaires. Elle renforce également le contrôle parlementaire des SCA puisque, désormais, toute extension de la durée des concessions est soumise à une autorisation du Parlement, ce qui est inédit. Enfin, elle prévoit des dispositions concernant le transfert au secteur privé de sociétés concessionnaires d'infrastructures de transport autoroutières dans le cadre d'une concession accordée par l'État, qui, là encore, doit désormais être autorisé par la loi.
La loi Macron marque donc un tournant dans l'histoire mouvementée des relations entre l'État et les sociétés concessionnaires. Je crois pouvoir dire qu'il y a eu un avant et un après 2015 en matière de transparence et de régulation des marchés autoroutiers, d'autant qu'elle a prévu l'application de nouvelles règles, y compris aux contrats de concession en cours à compter de son entrée en vigueur. Cela a conduit à un rééquilibrage des relations entre l'État concédant et les SCA, que la Cour des comptes, l'Autorité de la concurrence et le Parlement appelaient de leurs voeux.
Ces négociations se sont déroulées dans un cadre contractuel, impliquant des concessions réciproques. Elles ont permis à l'État d'éviter des procédures contentieuses qui lui auraient immanquablement été défavorables et coûteuses, tout en atteignant les objectifs que le Gouvernement s'était assignés en matière de relance des investissements et de fixation des tarifs. La loi a remis à plat le cadre de régulation, me semble-t-il, de manière inédite et pérenne.