Commission d'enquête Concessions autoroutières

Réunion du 15 juillet 2020 à 16h35

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • SCA
  • clause
  • economie
  • négociation
  • protocole
  • sociétés
  • sociétés d'autoroutes
  • époque
  • équilibré

La réunion

Source

Debut de section - PermalienPhoto de Eric Jeansannetas

Nous poursuivons nos auditions sur les concessions autoroutières en entendant M. Alexis Kohler, qui fut l'un des protagonistes de la négociation du protocole signé en 2015 entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroutes, dans le cadre du plan de relance autoroutier.

M. Kohler a en effet conduit les négociations avec les sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA), alors qu'il était directeur de cabinet du ministre de l'économie, M. Emmanuel Macron, aux côtés de Mme Élisabeth Borne, alors directrice de cabinet de Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle est également ouverte à la presse et fera l'objet d'un compte rendu publié.

Monsieur le secrétaire général, je vous remercie de vous être rendu à notre convocation. Après vous avoir rappelé qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Alexis Kohler prête serment.

Avant passer la parole à notre rapporteur, Vincent Delahaye et aux membres de la commission d'enquête, je vous propose de nous présenter, à titre liminaire, le contexte et le mandat de votre intervention en 2014-2015.

Debut de section - Permalien
Alexis Kohler, de l'industrie et du numérique, de 2014 à 2016

directeur du cabinet de M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, de 2014 à 2016. - Comme vous le savez, le principe de séparation des pouvoirs ne me permet pas de répondre aux questions qui porteraient sur l'exercice, auprès du chef de l'État, de mon mandat actuel de secrétaire général de la présidence de la République. Mais, bien évidemment, je suis à votre entière disposition pour répondre aux questions relatives à mes fonctions antérieures de directeur de cabinet du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique dans la période comprise entre la fin du mois d'août 2014 et la fin du mois d'août 2016.

Votre commission d'enquête a eu l'occasion d'auditionner la ministre de la transition écologique et solidaire. Elle a présenté de manière détaillée les circonstances et les conditions dans lesquelles l'État a remis à plat les relations avec les SCA dans le cadre des négociations contractuelles aussi bien que dans le cadre du projet de loi voté par le Parlement au mois d'août 2015. Je tiens au préalable à souligner que je souscris en tout point aux déclarations de la ministre.

Entre 2014 et 2016, le ministère de l'économie est intervenu au côté et en soutien au ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie dans ses travaux.

Trois raisons, en particulier, expliquent cette implication.

Premièrement, alors que le ministère de l'économie n'intervient traditionnellement pas dans les négociations avec les SCA, son implication se justifiait par ses compétences au titre de l'homologation des tarifs et de contresignataire des décrets approuvant les contrats de concession, et ce sachant qu'il n'est pas signataire des contrats eux-mêmes.

Deuxièmement, la Cour des comptes, qui estimait que les relations entre l'État et les SCA étaient déséquilibrées, recommandait pour cette raison, et eu égard à l'ampleur des enjeux financiers, une implication plus forte du ministère de l'économie. C'est dans ces conditions que le gouvernement de l'époque avait souhaité que le ministre et ses services apportent leur expertise économique et financière et participent de manière plus directe aux négociations en cours.

Troisièmement, enfin, s'agissant plus largement du cadre de la régulation des SCA, le ministre de l'économie avait voulu porter, dans un projet de loi dit « Croissance », une réforme inédite et de grande ampleur du cadre de régulation, en s'appuyant sur les travaux de l'Autorité de la concurrence.

Au moment de ma prise de fonctions, les relations entre l'État et les SCA étaient particulièrement dégradées. Alors que le Président de la République de l'époque avait voulu engager dès le début de son mandat un plan de relance autoroutier, trois événements ont suscité des tensions croissantes entre l'État et les SCA.

Tout d'abord, l'État avait décidé de doubler la redevance domaniale en 2013, dont les SCA avaient demandé la compensation intégrale par voie contentieuse. Ce contentieux apparaissait mal engagé sur le plan juridique compte tenu de son impact sur l'équilibre économique des concessions au regard des jurisprudences du Conseil d'État en la matière.

Ensuite, le débat sur le modèle des SCA lancé par la Cour des comptes en 2013, puis par l'Autorité de la concurrence en 2014, qui concernait initialement le niveau de rentabilité des SCA, s'était porté sur un débat éminemment politique et polémique, remettant en cause le modèle même des concessions, avec une possible dénonciation des contrats en cours, voire une nationalisation des SCA.

Enfin, en décembre 2014, la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie a annoncé de manière unilatérale un gel des tarifs à compter du 1er février 2015, ce qui s'est traduit par l'ouverture d'une nouvelle procédure contentieuse.

C'est donc dans un contexte très dégradé que le gouvernement a souhaité engager une négociation tandis que l'Assemblée nationale décidait de son côté de mettre en place un groupe de travail. La décision d'engager cette négociation a été prise après une analyse approfondie du scénario de résiliation unilatérale qui aurait exposé l'État à un triple risque financier, juridique et politique. Celle-ci a été conduite par les ministères de l'économie et de l'écologie, sous l'autorité du Premier ministre et de son cabinet. L'enjeu était de remettre à plat l'ensemble des questions et contentieux et, bien évidemment, de défendre au mieux les intérêts de l'État dans un contexte au départ défavorable.

La négociation a commencé en décembre 2014 et s'est conclue en avril 2015 après que le Président de la République a souhaité publiquement, en février 2015, « un règlement global et définitif afin de pouvoir engager et lancer rapidement un plan d'investissement autoroutier ».

À la suite de la conclusion du protocole d'accord, le ministère de l'écologie en a décliné les termes par SCA dans le cadre d'avenants aux contrats de concession, en particulier la prolongation de la durée des concessions de 3 à 4 ans.

Ces contrats de plan permettaient de finaliser le plan de relance autoroutier. Il s'agissait ensuite de définir la trajectoire des tarifs autoroutiers et des hausses tarifaires compensant le gel de 2015. Enfin, il convenait de mettre en oeuvre les engagements réciproques parmi lesquels le versement par les SCA d'une contribution volontaire de 1 milliard d'euros à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afift), d'une contribution de 100 millions à destination d'un fonds pour le financement d'infrastructures, la mise en place de mesures commerciales ciblées, l'insertion d'une clause de plafonnement de la rentabilité, le renoncement au contentieux d'indemnisation, la non-compensation de la contribution à l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer).

Pour ce qui concerne le ministère de l'économie, les travaux se sont concentrés sur la réforme du cadre de régulation des SCA par la loi 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite loi Macron. Cette loi a créé l'Arafer à partir de l'Autorité de régulation des transports ferroviaires (ARAF), depuis lors appelée Autorité de régulation des transports (ART).

La loi donne trois grandes compétences au régulateur.

Premièrement, elle permet la régulation des tarifs des péages, par un avis sur les projets de contrats de concession et leurs avenants. Le régulateur est aussi consulté sur tout nouveau projet de délégation et il assure un suivi annuel des taux de rentabilité interne de chaque concession, qui est la mesure pertinente de leur profitabilité. Il établit également un rapport annuel public sur l'économie générale des concessions et un rapport annuel également public sur les comptes des sociétés concessionnaires.

Deuxièmement, la loi introduit un contrôle des procédures de passation et d'exécution des marchés de travaux, fournitures et services des concessionnaires. Pour ce faire, l'ART veille à l'exercice d'une concurrence effective et loyale lors de la passation des marchés passés par un concessionnaire d'autoroutes pour les besoins de la concession.

Troisièmement, la loi prévoit un contrôle des procédures de passation des contrats d'exploitation des installations annexes sur les aires d'autoroutes.

J'insiste sur le fait que cette loi renforce l'information parlementaire, avec la transmission d'un rapport quinquennal sur l'économie générale des conventions de délégation et d'un rapport annuel sur les comptes des sociétés concessionnaires. Elle renforce également le contrôle parlementaire des SCA puisque, désormais, toute extension de la durée des concessions est soumise à une autorisation du Parlement, ce qui est inédit. Enfin, elle prévoit des dispositions concernant le transfert au secteur privé de sociétés concessionnaires d'infrastructures de transport autoroutières dans le cadre d'une concession accordée par l'État, qui, là encore, doit désormais être autorisé par la loi.

La loi Macron marque donc un tournant dans l'histoire mouvementée des relations entre l'État et les sociétés concessionnaires. Je crois pouvoir dire qu'il y a eu un avant et un après 2015 en matière de transparence et de régulation des marchés autoroutiers, d'autant qu'elle a prévu l'application de nouvelles règles, y compris aux contrats de concession en cours à compter de son entrée en vigueur. Cela a conduit à un rééquilibrage des relations entre l'État concédant et les SCA, que la Cour des comptes, l'Autorité de la concurrence et le Parlement appelaient de leurs voeux.

Ces négociations se sont déroulées dans un cadre contractuel, impliquant des concessions réciproques. Elles ont permis à l'État d'éviter des procédures contentieuses qui lui auraient immanquablement été défavorables et coûteuses, tout en atteignant les objectifs que le Gouvernement s'était assignés en matière de relance des investissements et de fixation des tarifs. La loi a remis à plat le cadre de régulation, me semble-t-il, de manière inédite et pérenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Vous indiquez que les négociations ont été menées de concert avec le ministère de l'écologie. M. Vidalies, alors ministre chargé des transports, a refusé de signer le protocole, et M. Eckert, chargé des comptes publics, a déclaré avoir été écarté des discussions. Pourquoi seuls deux ministères ont participé à ces négociations ? Pourquoi M. Eckert, qui souhaitait aborder tous les aspects fiscaux, notamment la déductibilité des intérêts des emprunts, a-t-il été évincé ?

Debut de section - Permalien
Alexis Kohler, de l'industrie et du numérique, de 2014 à 2016

Comme je vous l'indiquais dans mon propos introductif, le cadre dans lequel se sont inscrites les négociations entre l'État concédant et les SCA a été défini par le Premier ministre. Les négociations ont donc été suivies au fil de l'eau par le cabinet du Premier ministre.

Très concrètement, la question des SCA relève prioritairement du ministère des transports et donc, à l'époque, de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Et je puis vous confirmer que c'est bien la ministre qui a suivi ces négociations ; je n'ai pas de commentaire particulier à faire sur la manière dont elle a souhaité répartir l'exercice de ses compétences entre elle-même et son secrétaire d'État, M. Vidalies.

Debut de section - Permalien
Alexis Kohler, de l'industrie et du numérique, de 2014 à 2016

Je ne saurais vous dire si M. Eckert, alors secrétaire d'État, a été impliqué ou non. Il revient au Premier ministre d'organiser l'interministérialité, si je puis dire. Au sein l'ensemble Bercy, il est clair que la question des SCA relève plutôt du ministère de l'économie. Le ministre de l'économie dispose en effet de compétences propres à deux titres : d'une part, l'homologation des tarifs et, d'autre part, le contreseing des décrets qui approuvent les contrats de concession et leurs avenants, mais pas des contrats eux-mêmes, qui relèvent de la seule compétence, à ma connaissance, du ministère chargé des transports.

S'agissant des négociations qui ont des enjeux économiques et financiers très importants mais d'équation financière pluriannuelle, l'expertise financière revient plutôt au ministère de l'économie qu'au ministère du budget.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Vous avez donc négocié au nom du ministre de l'économie de l'époque, Emmanuel Macron, et Élisabeth Borne au nom de la ministre Ségolène Royal. Une fois que vous vous êtes mis d'accord sur le protocole, avez-vous rédigé une note à destination des ministres avant qu'ils ne signent le protocole ?

Debut de section - Permalien
Alexis Kohler, de l'industrie et du numérique, de 2014 à 2016

Je ne peux vous répondre que pour ce qui me concerne.

Debut de section - Permalien
Alexis Kohler, de l'industrie et du numérique, de 2014 à 2016

Pour être très honnête, je n'ai pas de souvenir précis. En tout cas, je puis vous dire que la fonction de directeur de cabinet n'est pas exactement une profession libérale. À ce titre, il est de la responsabilité du directeur de cabinet d'informer régulièrement le ministre auprès duquel il est placé de l'évolution des dossiers, a fortiori lorsqu'une négociation s'inscrit dans un contexte politique assez sensible.

J'ai donc informé régulièrement le ministre de l'économie de l'époque ; je n'ai aucun doute sur le fait que mon homologue au ministère de l'écologie en faisait de même avec la ministre de l'époque - c'est ce qu'elle a, me semble-t-il, confirmé lors de son audition. Je crois pouvoir dire que les deux ministres avaient le même niveau d'information et, de même, nous faisions aussi bien entendu des comptes rendus réguliers au cabinet du Premier ministre.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Une note de synthèse a tout de même été donnée au ministre avant la signature ?...

Debut de section - Permalien
Alexis Kohler, de l'industrie et du numérique, de 2014 à 2016

Je pense, oui.

Debut de section - Permalien
Alexis Kohler, de l'industrie et du numérique, de 2014 à 2016

Au sein du cabinet du ministre, une conseillère travaillait sur ce sujet, et il est probable qu'elle ait rédigé, en liaison avec les services concernés, une note récapitulant le bilan de la négociation.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Quelles ont été les relations, si elles ont existé, entre vous et Élisabeth Borne, d'une part, et le groupe de travail composé de députés et de sénateurs mise en place en décembre 2014, d'autre part ?

Debut de section - Permalien
Alexis Kohler, de l'industrie et du numérique, de 2014 à 2016

J'ai le souvenir d'avoir assisté à une réunion avec le président de la commission du développement durable et quelques parlementaires, au cours de laquelle nous avons débattu du cadre général des discussions entre l'État et les SCA, notamment sur la question qui, à l'époque, faisait débat, de la possible résiliation des contrats de concession et des différentes options pouvant être envisagées, allant même jusqu'à la nationalisation des sociétés elles-mêmes. Sauf erreur de ma part, le rapporteur de ce groupe de travail a pris position pour la résiliation de ces concessions au profit d'un portage de ces concessions par un établissement public industriel et commercial (EPIC) créé à cet effet.

Nous avions envisagé tous les scénarios, en concertation avec un conseil financier, et avons présenté au cours d'une réunion - je ne me souviens malheureusement pas de la date - non seulement les enjeux juridiques au regard du droit des contrats et de l'existence ou non d'un motif d'intérêt général, mais également les conséquences financières, à la fois indemnitaires dans l'hypothèse d'une résiliation, budgétaires dans celle d'une nationalisation, et transactionnelles si une concession venait à être rachetée à un prix inférieur à celui auquel elle serait revendue. Les conséquences économiques ont également été abordées s'agissant des actionnaires et des investisseurs étrangers des sociétés concernées, ainsi que, bien évidemment, les conséquences potentielles pour les usagers.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Estimez-vous que le protocole de 2015 était équilibré ? Si tel est le cas - j'ai cru le comprendre de vos propos liminaires -, y a-t-il des points sur lesquels vous n'étiez pas forcément en accord et sur lesquels vous avez dû céder ?

Comment avez-vous défini l'équilibre financier des contrats ? A-t-il été respecté ? Qui a décidé que le protocole d'accord entre l'État et les SCA devait rester secret, même si des bribes d'information ont été communiquées au travers les avenants approuvés par décrets. Et pour quelles raisons ?

Debut de section - Permalien
Alexis Kohler, de l'industrie et du numérique, de 2014 à 2016

Au bout du compte, le protocole d'accord est équilibré au sens où il reflète l'équilibre entre les protagonistes de la discussion. Comme je vous l'ai indiqué tout à l'heure, cette négociation est intervenue dans un cadre contractuel. Le droit des contrats, en France, est extrêmement protecteur des parties, en l'espèce des SCA, puisque la jurisprudence du Conseil d'État lui garantit un droit à l'équilibre économique et à une compensation s'il est bouleversé. C'est pourquoi les SCA avaient engagé des contentieux sur la redevance domaniale et sur le gel des tarifs.

À l'époque, lorsque cette discussion s'est engagée, existait en arrière-plan le risque contentieux pour l'État. Et tout laissait à penser que ces contentieux étaient mal engagés pour l'État - c'était tout du moins l'avis tant de la direction juridique du ministère de l'économie, du secrétariat général du Gouvernement que du Conseil d'État.

Par ailleurs, lorsqu'on engage une négociation de quelque nature que ce soit dans un cadre contractuel, il importe de toujours préserver la qualité de la signature de l'État : l'État doit respecter les contrats qu'il a signés. Cette qualité a une valeur y compris pour l'État emprunteur. Il en est de même pour tout concédant.

J'ajoute que, au-delà de ces considérations juridiques, l'État était également demandeur d'un certain nombre d'avancées, ce qui était affirmé publiquement par les plus hautes autorités. Je pense en particulier au souhait du Président de la République et du gouvernement d'alors de pouvoir conclure un plan de relance autoroutier, notamment en engageant les 3,2 milliards de travaux, qui, par la suite, ont été lancés, puis le plan d'investissement autoroutier. Il y avait donc une forme d'injonction à conclure un accord avec les SCA de façon à remettre à plat autant les questions contentieuses que les questions économiques et d'investissement.

Je note les avancées fortes de ce protocole, qui a débouché sur le vote d'une loi inédite qui a totalement renouvelé le cadre de la régulation des concessions autoroutières, qu'il s'agisse des tarifs, de la durée des contrats de concession, des marchés de travaux et des sous-concessions.

Pour ce qui concerne le secret du protocole, les SCA ont fait valoir, à l'issue des négociations, qu'un certain nombre d'éléments engageaient le secret des affaires. Il revenait d'ailleurs à chacune d'entre elles d'informer leurs actionnaires. Du point de vue de l'État, tous les éléments économiques devaient être retranscrits dans les avenants aux contrats de concession, et faire l'objet, à ce titre, d'un décret en Conseil d' État, puis publiés. In fine, toute l'information avait vocation à être publique.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Selon vous, il était donc normal que l'État n'ait pas voulu communiquer.

Debut de section - Permalien
Alexis Kohler, de l'industrie et du numérique, de 2014 à 2016

Mais, in fine, tout a été rendu public.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

J'ai bien entendu, mais nous avons eu les informations de façon parcellaire. Au nom de l'information du contribuable et de l'usager, il n'est pas anormal d'avoir droit à une transparence, en faisant savoir que l'accord est considéré comme équilibré. Je suis quelque peu surpris par cette position.

Quelle est votre définition de l'équilibre financier des contrats ? Le doublement de la redevance domaniale était-il vraiment de nature à remettre en cause l'équilibre économique du contrat ? Si tel est le cas, cela veut dire que cet équilibre avait été défini. Dès lors, pourquoi avoir accepté dans le protocole une clause précisant que toute nouvelle imposition décidée par l'État sur les SCA devrait être compensée ?

Debut de section - Permalien
Alexis Kohler, de l'industrie et du numérique, de 2014 à 2016

Je me garderai bien de vous donner une définition de l'équilibre économique, qui fait probablement l'objet de nombreuses publications. J'apporterai néanmoins deux éléments.

Avant d'engager cette discussion, nous avions demandé aux experts juridiques une évaluation du risque contentieux pour l'État pour savoir si, oui ou non, les décisions prises de manière unilatérale par l'État étaient de nature à être considérées par le Conseil d'État comme bouleversant cet équilibre économique, et donc ouvrant droit à indemnisation.

Debut de section - Permalien
Alexis Kohler, de l'industrie et du numérique, de 2014 à 2016

De l'ensemble du Gouvernement, chaque ministère ayant ses experts juridiques, avec pour chef de file le ministère des transports.

Il nous avait été indiqué que le contentieux sur la redevance domaniale - les redevances avaient doublé, passant de 180 à 350 millions d'euros, ce qui n'est pas négligeable - était de nature à conduire l'État à devoir indemniser les sociétés.

En outre, les SCA avaient été marquées par trois débats : la redevance domaniale, la question du plafonnement ou non des intérêts au titre de l'assiette fiscale, et la question des tarifs.

L'équilibre final de l'accord était lié au plan de relance, ainsi qu'aux tarifs, soit du point de vue du gel et des compensations, soit du point de vue des mesures commerciales qu'elles avaient consenties pour le covoiturage, les nouveaux cars libéralisés et les véhicules propres, enfin au versement, dans le cadre global de cet accord, d'1 milliard d'euros à l'Afift. Aussi souhaitaient-elles avoir quelques assurances sur le fait que l'État n'allait pas continuer à prendre d'autres initiatives financières ou fiscales qui viendraient bouleverser l'équilibre économique des concessions.

Comme vous le savez, l'une sociétés bénéficiait ab initio, dans son contrat de concession, d'une clause de « paysage fiscal » assez protectrice, clause qui a inspiré les autres SCA, qui ont demandé que leurs contrats puissent être amendés en ce sens. Cela avait probablement une valeur vis-à-vis de leurs actionnaires : certes, elles faisaient des concessions sur les tarifs, prenaient des mesures commerciales, procédaient à un prélèvement volontaire de 1 milliard d'euros, apportaient leur contribution au fonds d'infrastructures, mais elles apportaient aussi une lisibilité quant à l'avenir.

Debut de section - PermalienPhoto de Eric Jeansannetas

Merci, monsieur le secrétaire général, de vous être livré à ce jeu de questions-réponses interactif avec notre rapporteur. Le format de notre commission nous permet ces échanges vivants.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Bascher

Pour avoir été conseiller à Bercy, je confirme qu'un directeur de cabinet ne peut se souvenir de toutes les notes !

Les décisions prises à l'époque ont sans doute été bleuies, même si l'on avait tendance à dire sous le gouvernement Hollande que les bleus de Matignon étaient inutiles. Pouvez-vous nous confirmer qu'une décision interministérielle a bien été prise sur ce sujet ?

N'avez-vous pas l'impression que le pouvoir de négociation de l'État pour ce type de contrat souffre du manque d'expérience des ministères de l'économie et des transports - ils négocient tous les dix ans -, par comparaison avec des sociétés d'autoroutes dont c'est internationalement le métier ?

Je reviens enfin sur le bouclier fiscal des concessions autoroutières, tant dénoncé par le précédent gouvernement. Je pense notamment à la taxe d'aménagement du territoire, dont chaque augmentation était répercutée sur les tarifs, donc sur l'usager. Cela n'était pas forcément l'idée initiale. Sa réévaluation en fonction de l'inflation a d'ailleurs été oubliée dans la renégociation de 2015 ! Ce point a heureusement été corrigé dans la présente mandature. Ne regrettez-vous pas de ne pas avoir attaqué ce bouclier fiscal ?

Debut de section - Permalien
Alexis Kohler, de l'industrie et du numérique, de 2014 à 2016

Merci pour votre bienveillance à mon égard s'agissant de mes souvenirs quant aux notes qui ont été rédigées à l'époque. J'abuserai d'ailleurs de cette bienveillance pour répondre à votre première question. J'ai demandé aux services de l'État s'ils avaient souvenir ou trace d'un bleu, et n'ai pas eu de réponse positive. Je ne sais pas s'il faut en conclure qu'il n'y a pas de bleu, en tout cas je peux vous informer que je ne l'ai pas trouvé et qu'on ne m'en a pas fait part !

À l'époque, pour ce qui me concernait, je tenais le cabinet du Premier ministre régulièrement informé de l'évolution des discussions. Je le faisais à la fois parce que le contexte politique sur le sujet était très sensible, d'une actualité brûlante, et parce que les engagements du Président de la République et du Premier ministre faisaient que cette négociation était suivie avec un certain intérêt.

Je partage entièrement votre point de vue sur le constat que l'expertise était insuffisamment équilibrée entre l'État et les sociétés concessionnaires. C'est d'ailleurs ce qui ressort du rapport de la Cour des comptes de 2013, raison pour laquelle celle-ci recommandait que Bercy renforce la dimension économique et financière de l'expertise du côté de l'État.

Vous avez raison de rappeler que cette expertise constitue le coeur de métier des entreprises, alors que, pour l'État, cette négociation intervient à mesure que les contrats arrivent à échéance. Il me semble cependant assez naturel que l'État devrait disposer d'une compétence forte en matière de gestion contractuelle et de gestion de concessions, d'autant que le Gouvernement de l'époque avait la volonté de développer les partenariats public-privé de manière générale. Dans ces conditions, il me semble indispensable que l'État se dote de cette expertise, et, lorsqu'il n'en dispose pas, qu'il n'hésite pas à recourir à des conseils extérieurs - même si je suis le premier à dire qu'il est important qu'il en dispose lui-même.

Cette expertise doit en outre recouvrir plusieurs dimensions : le coeur de métier, la gestion des grandes infrastructures, ainsi que les points de vue économique et juridique. C'est crucial. C'est au moment de la négociation d'un contrat et de ses avenants que les choses se cristallisent. Quand on s'inscrit dans un cadre contractuel, il est légitime que le contrat puisse prévaloir. Cette sécurité juridique est essentielle dans un État de droit, en particulier dans un pays comme le nôtre qui souhaite encourager l'initiative privée, utiliser de grands opérateurs pour développer ses propres infrastructures et, le cas échéant, attirer des investisseurs étrangers. Il semble donc logique que cette sécurité juridique puisse être garantie. La négociation du contrat revêt donc une importance cruciale, puisque les choses se cristallisent ensuite dans la durée, d'autant que la jurisprudence du Conseil d'État est extrêmement protectrice du cocontractant de l'État. Lorsque l'on s'inscrit dans un contrat d'une durée de plusieurs dizaines d'années, les enjeux sont évidemment considérables.

C'est la raison pour laquelle le ministre de l'économie de l'époque, sur la base des rapports produits par la Cour des comptes et l'Autorité de la concurrence, a jugé logique de mettre en place un cadre de régulation. Je précise à ce propos que, si le rapport de l'Autorité de la concurrence semble avoir fait consensus à l'époque sur la question de la régulation, il a été légèrement plus polémique, et même fortement contesté, sur la question financière. Le représentant de cette Autorité que vous avez auditionné a d'ailleurs lui-même reconnu que les interprétations du rapport étaient peut-être erronées à l'époque.

Pour instaurer un cadre de régulation, il fallait définir un régulateur. Il en existait un dans presque tous les grands secteurs des infrastructures, mais pas pour les autoroutes. Il est alors apparu logique de s'appuyer sur l'expérience d'une régulation - en l'espèce, ferroviaire - pour disposer d'un début d'expertise, et pour mettre en place une autorité spécialisée susceptible de développer une expertise de long terme et de s'impliquer dans toutes les délégations de service public ou concessions autoroutières. Rétrospectivement, j'ai le sentiment que cela a été bénéfique pour l'État. Le travail de l'ART est plutôt reconnu. Cela mérite d'être suivi et poursuivi.

J'en viens à ce que vous appelez le bouclier fiscal, et que l'on avait vu à l'époque comme une clause de « paysage fiscal ».

Sans vouloir parler à la place des représentants des sociétés concessionnaires, je pense que leur objectif était très probablement de pouvoir disposer d'une forme de bouclier fiscal. Du point de vue de l'État, l'idée était plutôt de donner un peu de visibilité quant à l'évolution du paysage fiscal, sachant que la jurisprudence du Conseil d'État est assez protectrice pour ces sociétés. Ce point faisait partie de l'équilibre de la négociation. J'ai le souvenir qu'il était très important aux yeux des sociétés concessionnaires, au regard de l'historique des décisions unilatérales annoncées ou prises par l'État au cours des trois années précédentes. Nous pouvons le regretter, mais compte tenu du contexte juridique et de la succession d'annonces sur la redevance domaniale, les intérêts d'emprunt ou les tarifs, il n'est pas étonnant que ces sociétés aient été un peu échaudées.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Elles ne se sentaient donc pas si à l'aise que cela dans leur contentieux ! Dans le cas contraire, la clause du bouclier fiscal n'aurait pas été forcément indispensable. Or elles en ont fait un point de négociation très dur.

Debut de section - Permalien
Alexis Kohler, de l'industrie et du numérique, de 2014 à 2016

Je ne sais pas si les sociétés étaient à l'aise ou non quant à l'issue de leur contentieux. Je peux vous dire ce que l'État en pensait. Il n'était pas nécessairement dans la position la plus favorable à l'époque.

Pour ce qui concerne les sociétés, je ne m'exprimerai pas à leur place. Je pense cependant qu'au regard de l'historique de ces décisions elles souhaitaient pouvoir attester à l'égard de leurs mandants du fait que les décisions ultérieures de l'État auraient vocation à être moins unilatérales. Cela leur apportait un peu de confort.

Debut de section - PermalienPhoto de Christine Lavarde

Vous avez évoqué les liens entre les directions des affaires juridiques (DAJ) du ministère de l'écologie de l'époque et du ministère de l'économie. Qui a eu le dernier mot en définitive entre ces deux DAJ ? Dans mon expérience, les ministères avaient souvent tendance à se référer aux avis de la DAJ de Bercy sur les sujets importants. Pourriez-vous préciser ce point ?

Debut de section - Permalien
Alexis Kohler, de l'industrie et du numérique, de 2014 à 2016

Je ne me lancerai pas dans une analyse comparative des expertises de la DAJ de Bercy et de celle de Roquelaure. Dans mon souvenir, la position des juristes au sein de l'État sur le sujet était assez consensuelle. Je ne crois pas qu'il y ait eu de débat nourri. Je peux me tromper, mais, dans mon souvenir, les avis juridiques étaient assez convergents.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Raymond Hugonet

Merci pour ces informations. Je remercie également notre rapporteur, car ces auditions sont particulièrement intéressantes.

Je ne me lancerai pas sur le volet technique du sujet dont nous parlons. À l'instar de notre rapporteur, j'ai l'honneur et le privilège d'être sénateur de l'Essonne, département sinistré par ce qu'il s'est passé en 2005 et par la création du péage le plus inique de la région Île-de-France situé à Dourdan, pour lequel certains automobilistes payent un trajet qu'ils n'accomplissent pas.

Il est important pour nous d'avoir votre vision, car il y a ce que vous nous dites, et ce que l'on comprend. Une décision politique a été prise le 22 août 2005. M. de Villepin, auditionné le 9 juillet, a défendu avec la fougue et le talent que nous lui connaissons le choix fait à l'époque par l'État. Au vu de l'état de la partie de voirie dont l'entretien est resté sous la responsabilité de l'État, force est de constater que ce choix était le bon. Son application a, en revanche, posé problème. Je n'arrive pas à croire que personne n'ait été capable de souligner que ce qui avait été fait à l'époque n'était pas bien bordé.

Vous avez retracé votre action : dix ans après, en 2015, lorsqu'il s'est agi de régler la situation, on en arrive à la fumée des cierges ! Il ne fait aucun doute, et je partage votre avis, que l'État aurait perdu ces contentieux, car il doit honorer sa signature. Or des décisions politiques totalement contradictoires, prises au gré des alternances, et des décisions ministérielles que nous pouvons qualifier d'oukases ont placé l'État français dans de grandes difficultés. Il faut résoudre le problème.

Nous avons des comptes à rendre aux populations - l'association « l'A10 gratuite » nous en demande notamment. Comment, de nos jours, l'État pourrait-il mieux border de tels contrats et de telles négociations, pour que des mauvaises langues ou des observateurs assidus ne laissent pas croire qu'une collusion s'est produite entre l'État et des sociétés d'autoroutes ?

Debut de section - Permalien
Alexis Kohler, de l'industrie et du numérique, de 2014 à 2016

Votre question est complexe. Comme vous l'indiquez, en 2015, la privatisation des sociétés d'autoroutes, intervenue dix ans auparavant, était une donnée. Il y avait à l'époque des débats nourris sur l'opportunité ou non de cette privatisation. Il n'en reste pas moins que, en 2015, c'était une donnée. Toutefois, cela ne nous a pas empêchés d'examiner la possibilité de revenir sur ce choix. Il est en effet du devoir de l'État d'examiner tout l'éventail des options disponibles. Cela ne peut en outre que renforcer sa position dans une négociation de cette nature. Il n'en reste pas moins qu'il est important qu'un État comme le nôtre respecte sa signature en toutes circonstances.

Dans ce cadre, je tire deux conclusions.

Au regard de l'équilibre global de la négociation, je n'aurais pas l'immodestie de dire que le résultat est satisfaisant, mais je considère qu'il a permis de renforcer la main de l'État. Effectivement, dix ans après la privatisation, dans un cadre contractuel extrêmement contraint, avec une jurisprudence très protectrice, nous avons pu aboutir à des avancées structurelles y compris dans le cadre des contrats. L'introduction d'une clause de plafonnement de 30 % des surprofits en fait partie. Je ne dis pas que cette clause est idéale, mais, intervenant dans un cadre contractuel, elle ne pouvait être introduite qu'au moyen d'un accord entre les parties. Elle est donc très probablement moins mordante que si elle avait été négociée ab initio, avant la signature de la concession, lorsque la main de l'État était plus forte. Il n'en reste pas moins que des avancées structurelles ont été réalisées dans le cadre des contrats existants.

À cela s'ajoute le nouveau cadre posé par la loi impliquant l'instauration d'un régulateur compétent aussi sur les contrats en cours. D'autres sujets étaient également importants - car en définitive, il revient toujours à l'usager de payer les péages -, notamment celui des marchés conclus par les sociétés concessionnaires et les sous-concessions.

Ma deuxième conclusion est plus fondamentale. Rétrospectivement, il eût été préférable de renforcer le cadre de régulation avant la privatisation plutôt que dans le sens contraire. Cela semble être de l'ordre de l'évidence...

Debut de section - Permalien
Alexis Kohler, de l'industrie et du numérique, de 2014 à 2016

mais je pense que cela fait partie des enseignements que nous pouvons tirer de cette situation.

J'ajoute un troisième point qui me semble important, qui l'était d'ailleurs pour le ministre de l'époque et qui renvoie aussi à votre responsabilité à l'égard de vos électeurs. Il s'agit de la question de l'implication du Parlement. La loi de 2015 a permis une plus forte implication du Parlement à plusieurs titres : au titre de son information, et au titre de la question de l'allongement possible de contrats de concession. Ce dernier point permet de gagner en transparence. Si de nouvelles opérations de cette nature devaient se produire, le Gouvernement devrait s'en expliquer devant la représentation nationale, d'autant que ces contrats sont par construction pluriannuels et engagent la Nation pour une durée assez longue. Le Parlement est également impliqué en cas de privatisation d'une infrastructure de transport. J'ai le souvenir que la question de la privatisation des infrastructures de transport était sensible, notamment à travers un cas très différent de celui des sociétés d'autoroutes, celui de l'aéroport de Toulouse. En effet, cette disposition est intervenue par voie d'amendement en référence à cet exemple. Désormais, de telles infrastructures ne peuvent plus être transférées au secteur privé que par la loi. Cela nous a permis de gagner en transparence et a constitué un progrès en matière d'information et d'implication du Parlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

J'imagine que la clause de plafonnement de rentabilité a été introduite dans le protocole d'accord à l'initiative de l'État et non des sociétés d'autoroutes. L'État l'a-t-il rédigée en totalité et est-il parvenu à l'imposer, ou le pourcentage de 30 % a-t-il été accepté par les sociétés d'autoroutes sachant qu'il serait difficilement atteignable et que cette clause s'avérait plus théorique que réelle ? Ce plafonnement semble en effet tellement élevé que nous avons l'impression que cette clause aura du mal à entrer en application. Par ailleurs, cette clause a-t-elle été introduite pour répondre à une exigence de l'Union européenne ?

Le taux d'actualisation, de 8 %, fait également débat. Les services de l'État préconisaient un taux sensiblement inférieur en 2015. Ce taux avait déjà été utilisé en 2005 au moment de l'ouverture du capital des sociétés concessionnaires d'autoroutes. Or, entre 2005 et 2015, les marchés ont évolué. Cela a-t-il été imposé par les sociétés d'autoroutes ? Le taux d'actualisation constitue un élément important dans le calcul de l'équilibre d'un protocole, d'un avenant ou d'un contrat.

Debut de section - Permalien
Alexis Kohler, de l'industrie et du numérique, de 2014 à 2016

Dans la négociation, rien n'a été imposé par les sociétés d'autoroutes. Le protocole d'accord reflète l'équilibre d'une négociation, avec des concessions réciproques - certains éléments tenant davantage au coeur d'une partie, d'autres à celui de l'autre partie.

Dans mon souvenir, la clause de plafonnement n'était pas liée à une recommandation européenne. L'État avait la volonté d'introduire une clause dite « de surprofit ». C'était assez logique, car le coeur de la discussion à l'époque n'était pas la redevance domaniale ni même la question des tarifs, intervenue par la suite avec l'annonce unilatérale de la ministre. Cette question des tarifs est intervenue en réalité comme une forme de réponse politique à la problématique du surprofit, qui était au coeur de la polémique politique qui s'en est suivie, et de la réponse que l'État devait y apporter. Il était naturel pour lui de faire de l'introduction d'une clause de cette nature un objectif de la négociation.

Il s'agissait par ailleurs d'une innovation. Dans les contrats conclus précédemment, il n'existait pas de clause de ce type. Le simple fait d'introduire une clause de plafonnement me semble être une avancée utile pour les contrats en cours et pour les suivants. Comme je le disais, plus une clause est ajoutée tôt dans la négociation, au moment de la conclusion du contrat de concession, plus elle peut être mordante au regard de l'équilibre contractuel. En l'espèce, le seuil de 30 % reflète l'équilibre de la négociation. Si nous nous étions situés au début des concessions, l'État aurait probablement obtenu une clause plus mordante. Nous pouvons en tout cas l'espérer.

Cette clause était dans mon souvenir particulièrement contestée par l'autre partie, qui l'aurait souhaitée symétrique. Nous nous situions quelques années après une crise économique importante durant laquelle le trafic routier, notamment de poids lourds, avait fortement diminué. L'autre partie s'appuyait donc sur cet élément pour justifier la possibilité d'une clause protectrice en cas de sous-profit. Comme vous pouvez le constater, il n'existe pas de clause de cette nature. C'est le fruit d'une négociation, mais c'est aussi illustratif d'une forme d'asymétrie pour le coup en faveur de l'État.

J'en viens au taux de rentabilité interne (TRI). Ce taux est représentatif du taux de rentabilité attendu au regard d'un taux sans risque - il a diminué entre-temps, raison pour laquelle le taux de 8 % peut paraître élevé - et d'une prime de risque liée à la volatilité de l'activité. Cette prime est généralement plutôt faible dans un secteur comme celui des infrastructures d'ordinaire assez résilient à la conjoncture économique. Il est toutefois vrai que la baisse du trafic des années précédentes a suscité des débats sur ce point.

Le taux de 8 % apparaissait alors dans la fourchette de ce qui était acceptable, qui allait, dans mon souvenir, d'un taux bien inférieur à un taux légèrement supérieur.

Dans le plan de relance négocié préalablement à partir de 2012 figurait en outre un TRI autour de 8 %. Ce TRI lié au plan de relance et qui venait tout juste d'être négocié par les services de l'État a servi de base à la discussion. Je le dis d'autant plus librement que je n'étais pas impliqué dans cette négociation. Le plan de relance a été validé par la Commission européenne. Implicitement, celle-ci a considéré qu'il n'emportait pas d'aide d'État et n'était pas surestimé. La négociation a donc démarré sur la base d'un TRI négocié par l'État pour un plan de relance validé par la Commission européenne et situé à l'intérieur d'une fourchette. Il aurait évidemment été dans l'intérêt de l'État que ce taux soit plus bas, et dans celui des sociétés d'autoroutes qu'il soit plus élevé, celles-ci arguant qu'au moment de la privatisation le taux était estimé à cette hauteur, voire à des niveaux supérieurs. Les services de l'État ont indiqué qu'il n'y avait pas, de leur point de vue, de surprofit.

Je ne vous dirai pas que ce TRI est idéal, mais, au regard de l'équilibre de la négociation, il me semble convenable.

Debut de section - PermalienPhoto de Eric Jeansannetas

Merci, monsieur le secrétaire général.

La réunion est close à 17 h 50.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.