Merci pour votre bienveillance à mon égard s'agissant de mes souvenirs quant aux notes qui ont été rédigées à l'époque. J'abuserai d'ailleurs de cette bienveillance pour répondre à votre première question. J'ai demandé aux services de l'État s'ils avaient souvenir ou trace d'un bleu, et n'ai pas eu de réponse positive. Je ne sais pas s'il faut en conclure qu'il n'y a pas de bleu, en tout cas je peux vous informer que je ne l'ai pas trouvé et qu'on ne m'en a pas fait part !
À l'époque, pour ce qui me concernait, je tenais le cabinet du Premier ministre régulièrement informé de l'évolution des discussions. Je le faisais à la fois parce que le contexte politique sur le sujet était très sensible, d'une actualité brûlante, et parce que les engagements du Président de la République et du Premier ministre faisaient que cette négociation était suivie avec un certain intérêt.
Je partage entièrement votre point de vue sur le constat que l'expertise était insuffisamment équilibrée entre l'État et les sociétés concessionnaires. C'est d'ailleurs ce qui ressort du rapport de la Cour des comptes de 2013, raison pour laquelle celle-ci recommandait que Bercy renforce la dimension économique et financière de l'expertise du côté de l'État.
Vous avez raison de rappeler que cette expertise constitue le coeur de métier des entreprises, alors que, pour l'État, cette négociation intervient à mesure que les contrats arrivent à échéance. Il me semble cependant assez naturel que l'État devrait disposer d'une compétence forte en matière de gestion contractuelle et de gestion de concessions, d'autant que le Gouvernement de l'époque avait la volonté de développer les partenariats public-privé de manière générale. Dans ces conditions, il me semble indispensable que l'État se dote de cette expertise, et, lorsqu'il n'en dispose pas, qu'il n'hésite pas à recourir à des conseils extérieurs - même si je suis le premier à dire qu'il est important qu'il en dispose lui-même.
Cette expertise doit en outre recouvrir plusieurs dimensions : le coeur de métier, la gestion des grandes infrastructures, ainsi que les points de vue économique et juridique. C'est crucial. C'est au moment de la négociation d'un contrat et de ses avenants que les choses se cristallisent. Quand on s'inscrit dans un cadre contractuel, il est légitime que le contrat puisse prévaloir. Cette sécurité juridique est essentielle dans un État de droit, en particulier dans un pays comme le nôtre qui souhaite encourager l'initiative privée, utiliser de grands opérateurs pour développer ses propres infrastructures et, le cas échéant, attirer des investisseurs étrangers. Il semble donc logique que cette sécurité juridique puisse être garantie. La négociation du contrat revêt donc une importance cruciale, puisque les choses se cristallisent ensuite dans la durée, d'autant que la jurisprudence du Conseil d'État est extrêmement protectrice du cocontractant de l'État. Lorsque l'on s'inscrit dans un contrat d'une durée de plusieurs dizaines d'années, les enjeux sont évidemment considérables.
C'est la raison pour laquelle le ministre de l'économie de l'époque, sur la base des rapports produits par la Cour des comptes et l'Autorité de la concurrence, a jugé logique de mettre en place un cadre de régulation. Je précise à ce propos que, si le rapport de l'Autorité de la concurrence semble avoir fait consensus à l'époque sur la question de la régulation, il a été légèrement plus polémique, et même fortement contesté, sur la question financière. Le représentant de cette Autorité que vous avez auditionné a d'ailleurs lui-même reconnu que les interprétations du rapport étaient peut-être erronées à l'époque.
Pour instaurer un cadre de régulation, il fallait définir un régulateur. Il en existait un dans presque tous les grands secteurs des infrastructures, mais pas pour les autoroutes. Il est alors apparu logique de s'appuyer sur l'expérience d'une régulation - en l'espèce, ferroviaire - pour disposer d'un début d'expertise, et pour mettre en place une autorité spécialisée susceptible de développer une expertise de long terme et de s'impliquer dans toutes les délégations de service public ou concessions autoroutières. Rétrospectivement, j'ai le sentiment que cela a été bénéfique pour l'État. Le travail de l'ART est plutôt reconnu. Cela mérite d'être suivi et poursuivi.
J'en viens à ce que vous appelez le bouclier fiscal, et que l'on avait vu à l'époque comme une clause de « paysage fiscal ».
Sans vouloir parler à la place des représentants des sociétés concessionnaires, je pense que leur objectif était très probablement de pouvoir disposer d'une forme de bouclier fiscal. Du point de vue de l'État, l'idée était plutôt de donner un peu de visibilité quant à l'évolution du paysage fiscal, sachant que la jurisprudence du Conseil d'État est assez protectrice pour ces sociétés. Ce point faisait partie de l'équilibre de la négociation. J'ai le souvenir qu'il était très important aux yeux des sociétés concessionnaires, au regard de l'historique des décisions unilatérales annoncées ou prises par l'État au cours des trois années précédentes. Nous pouvons le regretter, mais compte tenu du contexte juridique et de la succession d'annonces sur la redevance domaniale, les intérêts d'emprunt ou les tarifs, il n'est pas étonnant que ces sociétés aient été un peu échaudées.