ministre de l'économie, des finances et de la relance et ancien directeur de cabinet de M. Dominique de Villepin, Premier ministre, de 2006 à 2007. - C'est avec plaisir que je viens défendre devant vous des choix qui restent cohérents avec ma vision de la politique économique et du rôle de l'État dans l'économie.
Il y a quinze ans, le Premier ministre Dominique de Villepin, dont j'étais le directeur de cabinet, décidait, sous l'autorité du Président de la République Jacques Chirac, de mener à son terme le processus de cession des parts publiques dans les sociétés concessionnaires d'autoroutes.
L'objet de votre commission d'enquête est d'éclairer ce choix et ses conséquences, ainsi que les moyens à la disposition de l'État pour préserver ses intérêts vis-à-vis des sociétés autoroutières et préparer l'avenir. Avant que nous n'entrions dans le vif du sujet, je voudrais répondre à quatre questions qui me paraissent essentielles.
Première question : pourquoi avons-nous réalisé cette cession ? Dominique de Villepin vous a déjà répondu précisément. Pour ma part, je considère que cette décision s'explique par trois raisons principales qui m'ont également amené, il y a quelques mois, à défendre les projets de privatisation de la Française des jeux (FDJ) et d'Aéroports de Paris (ADP).
En premier lieu, il s'agit d'une clarification du rôle de l'État dans notre économie. C'est un enjeu encore essentiel aujourd'hui. L'État était à la fois actionnaire et concédant, un mélange des rôles ni sain ni efficace pour la bonne gestion de l'entreprise et la défense des intérêts publics. L'État devait se concentrer sur son rôle de concédant, - et je continue à le penser pour d'autres infrastructures - : le rôle de l'État n'est pas de gérer des autoroutes ou des péages. Le rôle de l'État, c'était de construire les autoroutes - il l'a fait -, de moderniser les infrastructures - il l'a fait - et de garantir la bonne circulation des marchandises et des personnes pour industrialiser la France, accélérer les échanges et relier les Français entre eux - il l'a fait et doit continuer à le faire. Hier, c'était les autoroutes, aujourd'hui c'est la 5G et la fibre optique. C'est exactement le même rôle de l'État, auquel je suis profondément attaché, car il garantit la bonne circulation des biens et des personnes, mais aussi des informations et des données à travers tout le territoire. Mais gérer des autoroutes, veiller au bon entretien des bandes d'arrêt d'urgence, ce n'est pas le rôle de l'État.
Ce faisant, nous n'avons fait que nous inscrire dans la continuité de la politique menée par Lionel Jospin, en conduisant à son terme un processus engagé à partir de 2002. Notre seule décision politique a été de céder la gestion pleine et entière de tout le réseau autoroutier à des entreprises privées, mieux équipées pour gérer et moderniser ce réseau.
En deuxième lieu, nous avons conservé la propriété de l'État - de la même façon que nous l'avons prévu pour la privatisation d'ADP. L'État n'est pas lésé : il reste propriétaire des autoroutes. Nous n'avons fait que céder les parts de l'État dans les sociétés chargées d'exploiter les concessions autoroutières. À la fin des concessions - elles arriveront à leur terme pour les sociétés autoroutières historiques entre 2027 et 2050 -, l'État pourra, s'il le souhaite, récupérer la gestion de ces infrastructures stratégiques ou choisir de la déléguer à nouveau. Entretemps, ces infrastructures auront été entretenues et modernisées, sur la base d'un cahier des charges.
En troisième lieu, il s'agit d'un changement dans la stratégie de l'État actionnaire : nous voulions que les produits de cession soient utilisés pour investir dans l'avenir et désendetter l'État, comme cela a aussi été prévu s'agissant de la FDJ et d'ADP. Dominique de Villepin, avec son ministre des finances Thierry Breton, a ainsi réussi à désendetter massivement le pays.
Deuxième question : avons-nous réussi cette opération financière ? La réponse est oui. La méthode n'est pas critiquable : la procédure suivie a été stricte et rigoureuse. Nous avons procédé à une mise en concurrence par appel d'offres, organisée par l'Agence des participations de l'État, sous le contrôle de la commission des participations et des transferts. Dix-huit entités se sont portées candidates et nous avons obtenu un meilleur prix - 14,8 milliards d'euros - qu'avec une procédure de gré à gré.
Dans un rapport de 2009, la Cour des comptes a critiqué les conditions de cette cession et estimé que ses produits auraient pu être supérieurs, mais je conteste ces critiques, comme je conteste les critiques de la Cour sur la mise en place d'un fonds pour l'innovation dont je défends la pertinence. Il y a d'abord un malentendu sur les chiffres : la Cour estimait que la valeur globale des 7 000 kilomètres d'autoroute était de 24 milliards d'euros, alors que ces 24 milliards correspondent à 100 % des parts des trois sociétés concessionnaires et non à la valeur des seules parts détenues par l'État. Je conteste aussi les critiques relatives à la procédure : celle-ci a été strictement respectée.
Troisième question : quel bilan pouvons-nous en tirer ? Il est pour l'instant impossible de faire un bilan exhaustif de la rentabilité des sociétés autoroutières avant la fin des concessions. Il y a trop de crises imprévisibles - la crise des « gilets jaunes » ou de la covid-19 l'ont montré. À l'heure actuelle, le montant total actualisé des dividendes sur la période 2007-2018 est inférieur au prix total d'acquisition de 14,8 milliards d'euros. Mais cela ne préjuge pas de ce que sera la situation à la fin des concessions.
En termes de qualité de service pour les usagers, il est indéniable que le réseau concédé est en meilleur état - en 2017, 83 % de ce réseau était considéré comme en bon ou très bon état - que le réseau non concédé - 12 % seulement -, car l'État n'est pas outillé pour moderniser, réparer et adapter un réseau autoroutier. Le télépéage a été développé, la signalisation en temps réel a progressé, l'impact environnemental a été réduit et 400 aires d'autoroute ont été réaménagées pour les rendre accessibles aux personnes à mobilité réduite : au total, depuis 2006, les sociétés autoroutières ont ainsi réalisé 22 milliards d'euros d'investissement. Ces investissements sont suivis par l'État grâce à des indicateurs chiffrés dont le non-respect peut entraîner des sanctions financières. Nous pouvons donc être fiers d'avoir l'un des réseaux les plus modernes et les plus performants au monde : cela sera très utile le jour où nous ferons circuler des véhicules autonomes.
Reste la question des tarifs : les tarifs ont-ils augmenté ? Oui. L'autoroute est-elle chère pour beaucoup de nos compatriotes ? Oui. Mais les tarifs se sont-ils envolés ? Non, ils ont progressé à un rythme proche de celui de l'inflation et conforme aux règles prévues dans les contrats.
Nous pouvons néanmoins améliorer la régulation. Il n'était pas possible d'établir des hypothèses de trafic sérieuses - la crise des « gilets jaunes » et celle de la covid-19 n'étaient pas anticipables -, mais nos hypothèses n'avaient pas non plus prévu la très forte baisse des taux d'intérêt qui a permis aux sociétés d'autoroutes de réduire leurs frais financiers en refinançant leur dette à des conditions financières beaucoup plus favorables. Plutôt que de s'attarder sur de faux sujets, le véritable enseignement que nous devons tirer concerne cette baisse des taux d'intérêt.
L'État a essayé de corriger ce problème en signant avec les sociétés d'autoroute, en 2015, un protocole - dont une clause limite les surprofits - et en renforçant les prérogatives de l'Autorité de régulation des transports (ART). Mais cette correction n'est pas suffisante. Si nous poursuivons le recours à des concessions, nous devons renforcer la régulation, avec des points d'étapes réguliers. C'est ce que nous avions proposé pour ADP, avec une clause de rendez-vous tous les cinq ans afin de réévaluer les tarifs et de suivre les investissements et les prévisions de trafic, l'ART se prononçant à échéances régulières sur le coût moyen pondéré du capital.
La nature des contrats et des risques qui y sont adossés doit évoluer. Il n'y a plus de risque construction, mais d'autres enjeux ont émergé - transition écologique, nouvelles mobilités - qui constituent des risques moins importants.
Toute renationalisation serait inopportune, car son coût serait considérable pour les finances publiques - de l'ordre de 45 à 50 milliards d'euros. Ce serait un très mauvais investissement alors que nous avons besoin d'argent pour investir dans l'innovation, la recherche et la souveraineté technologique de notre pays.
Le modèle de délégation de service public à des entreprises privées a donc fait ses preuves, à condition que la régulation soit améliorée.