Commission d'enquête Concessions autoroutières

Réunion du 16 juillet 2020 à 9h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Eric Jeansannetas

Nous poursuivons nos auditions sur les concessions autoroutières en entendant M. Bruno Le Maire, en sa double qualité de ministre de l'économie, des finances et de la relance, et d'ancien directeur de cabinet de M. Dominique de Villepin, Premier ministre, de 2006 à 2007, au moment de la privatisation des sociétés d'autoroutes.

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle est également ouverte à la presse et fera l'objet d'un compte rendu publié.

Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal et je vous vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité : levez la main droite et dites : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Bruno Le Maire prête serment.

Avant passer la parole à notre rapporteur, Vincent Delahaye, ainsi qu'aux membres de la commission d'enquête, je vous propose de nous présenter, à titre liminaire, le rôle que vous avez joué lors de la privatisation des sociétés d'autoroutes en 2006, votre appréciation sur ce choix et la façon dont vous voyez l'équilibre des relations entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroutes (SCA), ainsi que l'avenir de la gestion du réseau autoroutier.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire, Premier ministre, de 2006 à 2007

ministre de l'économie, des finances et de la relance et ancien directeur de cabinet de M. Dominique de Villepin, Premier ministre, de 2006 à 2007. - C'est avec plaisir que je viens défendre devant vous des choix qui restent cohérents avec ma vision de la politique économique et du rôle de l'État dans l'économie.

Il y a quinze ans, le Premier ministre Dominique de Villepin, dont j'étais le directeur de cabinet, décidait, sous l'autorité du Président de la République Jacques Chirac, de mener à son terme le processus de cession des parts publiques dans les sociétés concessionnaires d'autoroutes.

L'objet de votre commission d'enquête est d'éclairer ce choix et ses conséquences, ainsi que les moyens à la disposition de l'État pour préserver ses intérêts vis-à-vis des sociétés autoroutières et préparer l'avenir. Avant que nous n'entrions dans le vif du sujet, je voudrais répondre à quatre questions qui me paraissent essentielles.

Première question : pourquoi avons-nous réalisé cette cession ? Dominique de Villepin vous a déjà répondu précisément. Pour ma part, je considère que cette décision s'explique par trois raisons principales qui m'ont également amené, il y a quelques mois, à défendre les projets de privatisation de la Française des jeux (FDJ) et d'Aéroports de Paris (ADP).

En premier lieu, il s'agit d'une clarification du rôle de l'État dans notre économie. C'est un enjeu encore essentiel aujourd'hui. L'État était à la fois actionnaire et concédant, un mélange des rôles ni sain ni efficace pour la bonne gestion de l'entreprise et la défense des intérêts publics. L'État devait se concentrer sur son rôle de concédant, - et je continue à le penser pour d'autres infrastructures - : le rôle de l'État n'est pas de gérer des autoroutes ou des péages. Le rôle de l'État, c'était de construire les autoroutes - il l'a fait -, de moderniser les infrastructures - il l'a fait - et de garantir la bonne circulation des marchandises et des personnes pour industrialiser la France, accélérer les échanges et relier les Français entre eux - il l'a fait et doit continuer à le faire. Hier, c'était les autoroutes, aujourd'hui c'est la 5G et la fibre optique. C'est exactement le même rôle de l'État, auquel je suis profondément attaché, car il garantit la bonne circulation des biens et des personnes, mais aussi des informations et des données à travers tout le territoire. Mais gérer des autoroutes, veiller au bon entretien des bandes d'arrêt d'urgence, ce n'est pas le rôle de l'État.

Ce faisant, nous n'avons fait que nous inscrire dans la continuité de la politique menée par Lionel Jospin, en conduisant à son terme un processus engagé à partir de 2002. Notre seule décision politique a été de céder la gestion pleine et entière de tout le réseau autoroutier à des entreprises privées, mieux équipées pour gérer et moderniser ce réseau.

En deuxième lieu, nous avons conservé la propriété de l'État - de la même façon que nous l'avons prévu pour la privatisation d'ADP. L'État n'est pas lésé : il reste propriétaire des autoroutes. Nous n'avons fait que céder les parts de l'État dans les sociétés chargées d'exploiter les concessions autoroutières. À la fin des concessions - elles arriveront à leur terme pour les sociétés autoroutières historiques entre 2027 et 2050 -, l'État pourra, s'il le souhaite, récupérer la gestion de ces infrastructures stratégiques ou choisir de la déléguer à nouveau. Entretemps, ces infrastructures auront été entretenues et modernisées, sur la base d'un cahier des charges.

En troisième lieu, il s'agit d'un changement dans la stratégie de l'État actionnaire : nous voulions que les produits de cession soient utilisés pour investir dans l'avenir et désendetter l'État, comme cela a aussi été prévu s'agissant de la FDJ et d'ADP. Dominique de Villepin, avec son ministre des finances Thierry Breton, a ainsi réussi à désendetter massivement le pays.

Deuxième question : avons-nous réussi cette opération financière ? La réponse est oui. La méthode n'est pas critiquable : la procédure suivie a été stricte et rigoureuse. Nous avons procédé à une mise en concurrence par appel d'offres, organisée par l'Agence des participations de l'État, sous le contrôle de la commission des participations et des transferts. Dix-huit entités se sont portées candidates et nous avons obtenu un meilleur prix - 14,8 milliards d'euros - qu'avec une procédure de gré à gré.

Dans un rapport de 2009, la Cour des comptes a critiqué les conditions de cette cession et estimé que ses produits auraient pu être supérieurs, mais je conteste ces critiques, comme je conteste les critiques de la Cour sur la mise en place d'un fonds pour l'innovation dont je défends la pertinence. Il y a d'abord un malentendu sur les chiffres : la Cour estimait que la valeur globale des 7 000 kilomètres d'autoroute était de 24 milliards d'euros, alors que ces 24 milliards correspondent à 100 % des parts des trois sociétés concessionnaires et non à la valeur des seules parts détenues par l'État. Je conteste aussi les critiques relatives à la procédure : celle-ci a été strictement respectée.

Troisième question : quel bilan pouvons-nous en tirer ? Il est pour l'instant impossible de faire un bilan exhaustif de la rentabilité des sociétés autoroutières avant la fin des concessions. Il y a trop de crises imprévisibles - la crise des « gilets jaunes » ou de la covid-19 l'ont montré. À l'heure actuelle, le montant total actualisé des dividendes sur la période 2007-2018 est inférieur au prix total d'acquisition de 14,8 milliards d'euros. Mais cela ne préjuge pas de ce que sera la situation à la fin des concessions.

En termes de qualité de service pour les usagers, il est indéniable que le réseau concédé est en meilleur état - en 2017, 83 % de ce réseau était considéré comme en bon ou très bon état - que le réseau non concédé - 12 % seulement -, car l'État n'est pas outillé pour moderniser, réparer et adapter un réseau autoroutier. Le télépéage a été développé, la signalisation en temps réel a progressé, l'impact environnemental a été réduit et 400 aires d'autoroute ont été réaménagées pour les rendre accessibles aux personnes à mobilité réduite : au total, depuis 2006, les sociétés autoroutières ont ainsi réalisé 22 milliards d'euros d'investissement. Ces investissements sont suivis par l'État grâce à des indicateurs chiffrés dont le non-respect peut entraîner des sanctions financières. Nous pouvons donc être fiers d'avoir l'un des réseaux les plus modernes et les plus performants au monde : cela sera très utile le jour où nous ferons circuler des véhicules autonomes.

Reste la question des tarifs : les tarifs ont-ils augmenté ? Oui. L'autoroute est-elle chère pour beaucoup de nos compatriotes ? Oui. Mais les tarifs se sont-ils envolés ? Non, ils ont progressé à un rythme proche de celui de l'inflation et conforme aux règles prévues dans les contrats.

Nous pouvons néanmoins améliorer la régulation. Il n'était pas possible d'établir des hypothèses de trafic sérieuses - la crise des « gilets jaunes » et celle de la covid-19 n'étaient pas anticipables -, mais nos hypothèses n'avaient pas non plus prévu la très forte baisse des taux d'intérêt qui a permis aux sociétés d'autoroutes de réduire leurs frais financiers en refinançant leur dette à des conditions financières beaucoup plus favorables. Plutôt que de s'attarder sur de faux sujets, le véritable enseignement que nous devons tirer concerne cette baisse des taux d'intérêt.

L'État a essayé de corriger ce problème en signant avec les sociétés d'autoroute, en 2015, un protocole - dont une clause limite les surprofits - et en renforçant les prérogatives de l'Autorité de régulation des transports (ART). Mais cette correction n'est pas suffisante. Si nous poursuivons le recours à des concessions, nous devons renforcer la régulation, avec des points d'étapes réguliers. C'est ce que nous avions proposé pour ADP, avec une clause de rendez-vous tous les cinq ans afin de réévaluer les tarifs et de suivre les investissements et les prévisions de trafic, l'ART se prononçant à échéances régulières sur le coût moyen pondéré du capital.

La nature des contrats et des risques qui y sont adossés doit évoluer. Il n'y a plus de risque construction, mais d'autres enjeux ont émergé - transition écologique, nouvelles mobilités - qui constituent des risques moins importants.

Toute renationalisation serait inopportune, car son coût serait considérable pour les finances publiques - de l'ordre de 45 à 50 milliards d'euros. Ce serait un très mauvais investissement alors que nous avons besoin d'argent pour investir dans l'innovation, la recherche et la souveraineté technologique de notre pays.

Le modèle de délégation de service public à des entreprises privées a donc fait ses preuves, à condition que la régulation soit améliorée.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Je vous remercie pour ces propos liminaires qui ne s'écartent que très peu de ceux que M. de Villepin a tenus devant nous.

Les 24 milliards d'euros évoqués par la Cour des comptes correspondent à la somme totale dépensée par les sociétés d'autoroute pour acquérir progressivement les 100 % initialement détenus par l'État avant 2002. Lionel Jospin avait en effet enclenché le mouvement d'ouverture du capital en 2002 ; Jean-Pierre Raffarin l'a poursuivi mais s'est opposé à toute privatisation, avant que Dominique de Villepin ne relance le processus. Il y a donc bien un écart entre les 15 et les 24 milliards d'euros.

La crise des « gilets jaunes » n'a finalement eu que très peu de conséquences sur les taux de rentabilité de 2018 et 2019 des sociétés autoroutières, dont la rentabilité est en hausse continuelle. La crise sanitaire de la covid-19 risque de provoquer une diminution de leur chiffre d'affaires de 25 %, mais, en dépit d'une moindre rentabilité, elles devraient néanmoins dégager des bénéfices en 2020 : toutes les entreprises françaises ne pourront pas en dire autant !

Pourquoi n'a-t-on pas modifié les contrats à l'époque avant de céder les actions ? Ces contrats étaient déjà anciens et ne prévoyaient pas de points d'étape. Par précipitation ou manque de temps ?

Il faudra attendre les années 2031 à 2036 pour constater la rentabilité finale. Cela n'est pas très satisfaisant, car nous n'avons pas de points d'étape - c'est un sujet qui revient régulièrement dans nos auditions - : comment évaluer cette rentabilité dans le temps et la comparer avec ce qui avait été prévu au départ ?

Les sociétés concessionnaires se plaignent du poids d'un État - Bercy, mais aussi la Cour des comptes et le Conseil d'État - trop puissant, qui les contrôle excessivement : comment améliorer la régulation d'ici la fin des contrats, dans 11 à 16 ans, afin de contrôler non pas plus souvent, mais mieux ? Il faut plus d'efficacité que d'exhaustivité.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire, ministre

Je connais bien cette rengaine sur le fait que Bercy serait trop puissant, venant de la part d'entreprises qui se portent pourtant très bien. C'est le rôle de l'État de défendre un équilibre économique : l'État n'est pas trop puissant. La crise actuelle nous montre combien nous avons besoin d'un État, notamment d'un ministère de l'économie et des finances puissant, pour faire face à la crise.

Nous devons revoir la régulation avant la fin des concessions et tirer les leçons des erreurs commises. Nous sommes cependant soumis au régime des contrats : il n'est pas possible de les modifier unilatéralement, sauf à le payer très cher. Le gel tarifaire décidé unilatéralement en 2015 a certes été très populaire en son temps, mais c'était une décision totalement irresponsable, car elle a conduit à un rattrapage tarifaire coûteux pour les usagers deux ou trois ans plus tard : on laisse la note au successeur ! Ce n'est pas ma conception de la responsabilité politique. Toute modification unilatérale des contrats est une erreur.

S'agissant de la rentabilité des sociétés, l'ART évalue le taux de retour sur investissement. L'État peut activer les clauses de sur rentabilité prévues dans le protocole de 2015, avec la possibilité d'une réduction de la durée des contrats. Mais, à ma connaissance, cette clause n'a jamais été activée. Quoi qu'il en soit, il faut rester dans le cadre du contrat.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Cette clause trouverait à s'appliquer si on observait un dépassement de 30 % du chiffre d'affaires par rapport aux estimations de 2006. Cette clause a certes le mérite d'exister, mais elle sera difficile à faire jouer.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire, ministre

Je partage totalement votre avis. Cette clause est difficile à déclencher.

Je l'ai dit, la question clé est celle du taux de retour sur investissement qui est prévu dans les contrats, mais qui est calculé sur des durées trop longues, comme je l'ai reconnu lors de nos débats sur ADP - c'est la seule erreur que nous ayons faite et je la reconnais bien volontiers. En fait, nous n'avions pas anticipé la baisse des taux d'intérêt, donc la possibilité pour les sociétés d'autoroutes de refinancer leur dette, ce qui a joué en leur faveur sur le taux de retour sur investissement.

Le coût du financement varie dans le temps ; c'est l'angle mort de la décision que nous avions prise à l'époque. Il est donc impératif pour les prochaines concessions de prévoir de pouvoir réévaluer ce taux de retour pour que le concessionnaire ne bénéficie pas d'une surrentabilité. D'où ma proposition de clause de rendez-vous tous les cinq ans qui permet de réévaluer le taux de retour sur investissement cible. C'est la leçon principale de ce dossier, même si elle paraît très technique.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Est-ce que le Gouvernement envisage un nouveau plan d'investissements autoroutiers ? Des contraintes environnementales seront-elles alors imposées aux sociétés d'autoroutes ?

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire, ministre

Dans le plan de relance, la priorité absolue ira aux mobilités douces, notamment les pistes cyclables et le soutien au vélo - c'est un sujet qui concerne directement les élus locaux, en particulier les maires -, et au transport ferroviaire. Nous n'avons jamais réussi à relancer le fret ferroviaire de manière efficace. Pourtant, ce secteur peut être un atout pour la France en termes de mobilité décarbonée et nous sommes capables d'investir massivement dans ce secteur. L'État y réfléchit avec la SNCF. En tout cas, les investissements autoroutiers ne font pas partie aujourd'hui du plan de relance.

Debut de section - PermalienPhoto de Christine Lavarde

D'importants travaux de modernisation sont en cours sur l'autoroute de Normandie - ils ont été décidés dans le cadre du précédent plan de relance. L'autoroute va donc encore gagner en compétitivité, alors que la ligne ferroviaire correspondante est plutôt vétuste. Comment le fret ferroviaire peut-il espérer être compétitif sur de telles distances, alors que le sillon est de mauvaise qualité, sans compter les coûts de transbordement ?

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire, ministre

Je n'ai pas de réponse à ce stade, car des expertises sont en cours. Je suis moi aussi un usager régulier de l'autoroute A13 et je partage vos propos. D'ailleurs, je prends davantage la voiture que le train pour me rendre dans ma circonscription. La Normandie est la région la plus pénalisée de France en matière ferroviaire, notamment en raison du problème du noeud de Mantes. Je suis favorable à l'amélioration massive de la desserte ferroviaire vers la Normandie, mais les investissements sont très coûteux et nous examinons les choses pour voir si nous pouvons améliorer la situation dans des délais rapides - si nous voulons une relance, il faut que les investissements aient un effet rapide. Nous ne devons pas baisser les bras sur la desserte ferroviaire de la Normandie.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Bascher

Je me souviens bien des discussions de 2006, à l'issue desquelles vous aviez distrait 100 millions d'euros pour le ministère de la culture. Vous avez dit que ce n'était plus à l'État de construire des autoroutes. Pourquoi ne pas avoir poussé ce raisonnement pour certaines routes nationales ? Je pense notamment aux autoroutes de l'Île-de-France, dont le réseau très mal entretenu reste de la compétence de l'État.

Pourquoi ne pas envisager la même chose pour les voies ferrées, pour lesquelles le retard d'entretien et de développement est considérable ? Ne serait-il pas utile de privatiser les voies ferrées au moment où nous ouvrons ce secteur à la concurrence ?

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire, ministre

Il ne doit pas y avoir d'ambiguïté sur mes propos : je considère que ce n'est pas à l'État de gérer les autoroutes, leurs équipements de sécurité, leurs aires de stationnement, leurs bandes d'arrêt d'urgence, etc. Néanmoins, il reste des barreaux à construire qui sont importants pour la vie de nos compatriotes et l'État, comme les régions, ne peut pas se désengager de cette responsabilité.

S'agissant des voies ferrées, l'ouverture à la concurrence concerne la circulation des trains, mais les actifs stratégiques doivent rester dans les mains de l'État.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Dagbert

Votre dernière réponse sur les infrastructures ferroviaires me va très bien.

En ce qui concerne les concessions autoroutières, il me semble que la puissance publique doit pouvoir être en capacité d'orienter les choix structurants et, même si l'on accepte l'idée que l'État n'est pas le mieux placé pour gérer directement ce type de secteur dans le temps, il doit tout de même se doter de moyens de régulation suffisants. L'État doit donc conserver en son sein une capacité d'ingénierie technique, juridique, économique et budgétaire pour pouvoir discuter dans des conditions correctes avec des entreprises, dont on connaît par ailleurs la puissance. Il doit notamment garder au moins une partie des référentiels de coûts, y compris en termes d'exploitation du réseau, pour les futurs contrats.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire, ministre

Il existe deux types d'expertise : une ingénierie technique qui relève du ministère des transports et une expertise financière. Il faut garder ces deux ingénieries pour s'assurer que les contrats sont bien exécutés, d'une part, sur le plan opérationnel et en termes de qualité des infrastructures, d'autre part, d'un point de vue financier. Avoir des infrastructures de transport de grande qualité est un atout pour la France.

J'en profite pour dire que la question est la même pour le TGV et le transport ferré de proximité et le déploiement de la 5G. Si nous sommes en avance sur ce sujet, nous serons plus compétitifs au profit de l'emploi, du désenclavement des territoires et de l'installation d'usines dans des communes rurales. Je suis élu de la ruralité et je sais bien que nous ne ferons pas venir une grande entreprise dans ces territoires et que nous ne pourrons maintenir celles qui y sont installées - je pense à GSK à Évreux -, si nous ne leur garantissons pas de pouvoir faire circuler leurs données, y compris les plus lourdes. Si nous ne le faisons pas, nous raterons la réindustrialisation et le développement rural de notre pays. Or je considère que la réindustrialisation est une priorité absolue et qu'elle est à portée de main. Si nous investissons dans les infrastructures, qu'elles soient matérielles ou dématérialisées, nous réussirons cette réindustrialisation. Je ne me résigne pas à ce que l'industrie soit passée en vingt ans en France de 20 % du PIB à 12 %, alors qu'elle est restée à 18 % en Italie et qu'elle est remontée à 20 % en Allemagne.

Pour revenir à votre question, le volet lié à l'expertise financière des concessions ressort de la compétence de la direction générale du Trésor et de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), et il est essentiel de garder une expertise très pointue pour nous assurer qu'il n'y a pas de surrentabilité dans l'exécution des contrats.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Certaines modifications fiscales peuvent bénéficier aux sociétés concessionnaires, qui sont des contribuables importants, par exemple le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) ou la baisse en cours de l'impôt sur les sociétés (IS). Envisagez-vous de leur demander des compensations ?

Par ailleurs, j'ai compris que vous n'étiez pas partisan de revenir sur ces privatisations, ce qui couterait entre 45 et 50 milliards d'euros, et que vous souhaitiez remettre ensuite ces 9 000 kilomètres d'autoroutes en concession. Sur quelle durée pensez-vous qu'il faudrait conclure ces concessions ?

Enfin, nous avons transmis à vos services plusieurs demandes d'information. Certaines datent de plusieurs mois, mais nous n'avons toujours pas de réponse. Où en est le traitement de ces demandes ?

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire, ministre

Monsieur le rapporteur, nous allons naturellement faire diligence pour traiter ces demandes d'information. Vous le savez, cette période a été particulièrement chargée pour les services de mon ministère.

En ce qui concerne la fiscalité, nous avons en effet engagé une baisse de l'IS, dont le taux sera abaissé à 25 % d'ici à 2022 pour toutes les entreprises. Nous ne demandons pas de compensations spécifiques aux entreprises et nous ne posons pas d'exigences particulières pour les sociétés d'autoroutes. C'est une question de compétitivité fiscale de notre pays.

Avec la question du taux de retour sur investissement et de la clause de rendez-vous réguliers, celle de la durée est l'autre sujet essentiel de ce dossier. Je plaide pour une durée plus courte avec une clause de rendez-vous réguliers. S'il n'y a pas besoin d'investissements massifs à court ou moyen terme, une durée de quinze ans avec une clause de rendez-vous tous les cinq ans me paraît raisonnable. Si des investissements plus importants doivent être programmés, la durée devrait naturellement être plus longue pour pouvoir amortir ces investissements.