Je crois que nous pouvons jusqu'à présent être fiers, car nous avons beaucoup travaillé. Nous sommes en pleine session parlementaire. La fin de nos auditions approchant, quelles conclusions et orientations pouvons-nous proposer ? Sachant que les questions des agents de territoire, ou des infrastructures, ont déjà été abordées grâce à plusieurs travaux du Sénat. La plus-value de cette mission consiste à aborder l'illectronisme sous les angles des compétences et de l'accompagnement. Je vois cinq angles à retenir, au sein de nos auditions.
Le premier est de constater que l'inclusion numérique a été négligée par les acteurs privés. Elle a également longtemps été mise de côté par les politiques publiques. Il existait un vide.
Lors de la massification du numérique, ni Microsoft, ni Apple ne se sont intéressés à l'appropriation de leurs produits par les acheteurs. La formation des usagers ne figure pas dans leur modèle économique. Ils vendent des outils informatiques intuitifs ne nécessitant pas d'apprentissage particulier, débouchant d'ailleurs sur une norme sociale culpabilisante.
Depuis vingt ans, l'État paie la massification. En 1999, Lionel Jospin emploie pour la première fois le terme « illectronisme » mais les enseignants n'ont toujours pas l'obligation de se former au numérique. Cependant, dans le plan d'investissement dans les compétences d'avril 2018, si 10 000 formations aux métiers du numérique sont proposées, aucune ne prévoit la formation à l'accompagnement au numérique. L'inclusion au numérique doit devenir une priorité nationale transversale, trop de Français ayant la sensation que le TGV du numérique est lancé et qu'eux, restent au bord du quai.
Le second constat de la mission d'information, est la diversité des fragilités numériques.
La notion d'accessibilité possède trois composantes : la connexion ; l'équipe-ment ; la maîtrise des usages.
Les réponses doivent être diversifiées, car la fragilité numérique des publics se montre variable et évolutive dans le temps. Nous considérons que l'objectif est l'autonomie dans le numérique et pas seulement l'accompagnement. Cet objectif pose des questions de sécurité du numérique et d'autonomie des individus. Sachant que notre identité est de plus en plus numérique, nous ne pouvons pas nous contenter de tels dispositifs, bien que nous sachions que demeurera une irréductible part d'illectronisme.
En troisième conclusion, vient la nécessité d'une coalition des parties prenantes.
Nous devons regrouper toutes les parties prenantes, au prix d'un travail important. Nous avons tous constaté la multiplicité des acteurs : État, collectivités territoriales, public, privé, associations, bénévoles. En vue de mettre en place une politique plus efficace, il semble nécessaire de mettre ces outils en cohérence. La coalition viendra progressivement mais il apparaît nécessaire de l'accélérer.
Quatrièmement, la politique publique de l'inclusion numérique est une oeuvre de très long terme et de masse. Elle nécessite une forte volonté politique. Cette idée est la première déduction que nous avons faite, lorsque nous avons commencé de prendre conscience de ce fléau. Avec la numérisation de l'économie et de la société, l'apprentissage des usagers est nécessaire. Nous constatons une accélération permanente du numérique et éprouvons de la peine à faire décoller l'accompagnement des citoyens devant utiliser le numérique.
A ce stade, nous vous proposerons trois axes de proposition :
En premier lieu, une mobilisation financière d'ampleur, avec environ un milliard d'euros pour abonder un fonds de solidarité numérique, que nous proposons de créer.
En deuxième lieu, une meilleure coordination au niveau des territoires, indispensable en raison du manque de visibilité et des difficultés d'articulation entre les différentes initiatives publiques et privées. L'exemple de Labège nous a conquis, nous montrant que la démarche est possible, grâce à un travail des élus, des bénévoles et du privé. La cohérence opérationnelle doit s'opérer au niveau intercommunal et le Département doit amener les parties à se concerter. Il est possible d'en discuter.
En troisième lieu, la professionnalisation des métiers du numérique, et l'intégration systématique de l'usager de tout site public dès sa conception. Dans le privé, cet élément correspond à l'expérience client. L'usager doit se voir proposer un accès non numérique. La remarque faite par le Défenseur des Droits nous avait tous frappés et nous souhaitons pouvoir la défendre.
En quatrième lieu, la labellisation des lieux de médiation doit être plus rigoureuse. Ces lieux doivent répondre à un cahier des charges exigeant et le numérique doit systématiquement être enseigné à l'école de la République, mobilisant les enseignants en ce début de XXIe siècle dans la lutte contre l'illectronisme. Un parallèle est à faire avec la lutte contre l'illettrisme opérée par les instituteurs à la fin du XIXe siècle.
Vous venez d'entendre les premières réflexions que je vous propose, vues avec le Président. Je pense que chacun peut maintenant s'exprimer.