Intervention de Arnaud Martrenchar

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 4 juin 2020 : 1ère réunion
Étude sur l'urgence économique outre-mer à la suite de la crise du covid-19 — Table ronde sur l'agriculture et la pêche

Arnaud Martrenchar, délégué interministériel à la transformation agricole des outre-mer :

Le secteur agricole ultramarin n'a pas été le secteur le plus impacté au niveau du maintien de la production. Il n'a pas eu à subir une fermeture brutale de toutes ses activités mais, au contraire, a été fortement sollicité pour alimenter la population. Néanmoins, il a subi d'importants dommages à la suite de la perte de nombreux débouchés tels que la fermeture des marchés, de l'arrêt de la restauration...

Les agriculteurs ont dû s'adapter. Nous avons pu observer une multitude d'initiatives et d'innovations portées par les agriculteurs. La Guyane a par exemple multiplié les livraisons par internet, les drives, les contacts directs avec les consommateurs... Dans les autres territoires, des démarches similaires ont été mises en place.

Aujourd'hui, nous tentons de chiffrer précisément le niveau de pertes de débouchés observé par filières. Nous commençons à recueillir quelques résultats : une diminution de 7 % sur les abattages en Guyane par rapport à l'année dernière par exemple. À La Réunion, la plupart des productions se sont correctement écoulées malgré quelques exceptions comme l'horticulture (mais ce problème existe aussi bien dans l'Hexagone qu'en outre-mer) ou la vanille (car elle dépend beaucoup de l'activité touristique).

Soulignons d'autres initiatives intéressantes comme des chartes d'entente entre la distribution et les producteurs locaux afin de mettre plus en avant les productions locales. Nous devrons travailler pour faire perdurer ces initiatives par la suite.

Toutes les activités dépendant du fret ont été fortement impactées. Plusieurs secteurs étaient concernés, en particulier la filière avicole. Pour les oeufs, la plupart des outre-mer (à l'exception des Antilles) est auto-suffisante en oeufs mais ne possède pas de reproducteurs. Les reproducteurs doivent venir sous forme d'oeufs à couver ou de poussins d'un jour. Ces produits ne peuvent voyager par bateau et arrivent par le fret aérien. Nous avons été contraints de gérer ces difficultés au jour le jour. Nous avons commencé par gérer l'urgence en portant toutes les demandes au niveau de la cellule interministérielle de crise, afin de trouver des disponibilités sur les avions. Très souvent la priorité se portait sur les produits médicaux, ce que chacun comprendra.

Pour l'export aussi, les filières ont été impactées. À La Réunion, les filières exportatrices de fruits (ananas, fruit de la passion...) ont pu en partie utiliser les filières d'agro-transformation locales.

Cela n'a pas été possible pour tous les territoires : je pense notamment au melon des Antilles, particulièrement de Guadeloupe. Seules environ 1 000 tonnes de melon ont pu être exportées au lieu de 2000 en temps normal. Même s'ils avaient pu les exporter, ces melons n'auraient pas trouvé preneur puisqu'une grande partie de la production est exportée vers l'Italie, où les frontières étaient fermées, mais aussi vers les restaurateurs, fermés eux aussi. Le melon guadeloupéen n'a donc pas manqué à Rungis. Néanmoins, nous avons subi un fort déficit, en train d'être chiffré.

Les secteurs de l'agriculture et de la pêche sont éligibles à l'ensemble des aides mises en place par l'État : le fonds de solidarité, le chômage partiel, le report des charges sociales, le prêt garanti par l'État (PGE). Tout le secteur a pu formuler des demandes sur ces aides. Parallèlement, Bruxelles a considérablement augmenté le plafond pour les aides d'État. Certaines collectivités ont ainsi pu aider des filières en difficulté, la collectivité régionale de Guadeloupe a apporté une aide d'environ 400 000 euros pour la filière melon.

Pour évaluer le redémarrage de l'activité, nous devons attendre d'avoir l'impact précis sur les différentes filières pour penser ce qui peut être mis en place.

Globalement, l'approvisionnement local a été assuré. Aucune rupture dans la distribution n'est à déplorer. Nous devrons être vigilants sur les produits de dégagement. Vous connaissez les mesures de stockage décidées au niveau européen. L'expérience montre que lorsque ces produits doivent être écoulés, plutôt que les vendre à bas prix sur le marché hexagonal (tirant alors le marché prioritaire des producteurs vers le bas), ils sont envoyés à perte sur le marché des outre-mer. Évidemment, les producteurs locaux ne peuvent pas faire concurrence à ces produits-là. Des outils réglementaires peuvent être mobilisés mais il conviendra d'être vigilant.

La « question de la faim » touche surtout la population vivant de l'économie informelle dans certains territoires, principalement à Mayotte et en Guyane. Des mesures ont été mises en place : le mécanisme de l'aide à la restauration scolaire a été adapté par exemple. Nous avons distribué cette prestation directement aux familles pour qu'elles continuent à en bénéficier. Les producteurs locaux se sont également impliqués dans les banques alimentaires, la filière rhum s'est impliquée dans la production de gel hydroalcoolique. Toutes ces initiatives honorent la production agricole outre-mer.

Quant aux fonds européens supplémentaires, le budget du cadre financier pluriannuel n'a pas encore été adopté, celui de la PAC non plus, même si la dernière proposition de la Commission européenne, d'environ 391 milliards, est un progrès par rapport aux premières propositions. Aujourd'hui l'enveloppe du Poséi n'est pas remise en cause. Pour l'instant, il est prévu que cette enveloppe soit maintenue.

Par ailleurs, un plan de relance est en cours de discussion avec la Commission européenne mais ne verra pas le jour avant 2021. Aujourd'hui, toutes les filières impactées par cette crise sont susceptibles d'émarger à ce fonds mais il est trop tôt pour en connaître les modalités. La Commission européenne s'est montrée ouverte pour que l'on puisse utiliser le budget disponible. Le revenu des producteurs est constitué par les aides européennes et la vente des produits. Si à cause de la crise, les producteurs n'ont pas pu atteindre le niveau de production souhaité, nous pourrons demander à déclencher le « mécanisme des circonstances exceptionnelles » : le producteur touchera son aide même s'il n'a pas produit ce qu'il souhaitait produire. La Commission européenne s'est montrée favorable à un examen au cas par cas dans le cadre du mécanisme des circonstances exceptionnelles.

La Commission européenne discute en outre d'un nouveau règlement qui permettrait aux autorités de gestion de consacrer 1 % ou 2 % de l'enveloppe régionale du programme de développement rural pour venir en aide directement aux agriculteurs (jusqu'à 5 000 ou 7 000 euros) et aux petites entreprises de l'agroalimentaire (jusqu'à 50 000 euros).

Le Président de la République a annoncé en octobre 2019 qu'il souhaitait un objectif d'autonomie alimentaire des territoires d'ici 2030. Vous le savez, la situation est très différente en fonction des produits et des territoires. Si je prends l'exemple des céréales, compte tenu des problèmes du foncier, de la production inexistante ou presque, aujourd'hui, ce n'est pas un objectif à court terme, mais un objectif lointain. Par contre, pour les fruits et légumes, la Guyane et Mayotte sont quasiment en autosuffisance, La Réunion est à 70 % et les Antilles sont à moins de 50 %. Les fruits et légumes sont donc un secteur pour lequel une autosuffisance peut être envisagée d'ici quelques années. Des missions vont être lancées, confiées à l'AFD, aux inspections générales, pour établir différents scénarios. Ceci devra se faire en lien avec les acteurs locaux : les parlementaires des territoires mais aussi les agriculteurs et leurs représentants.

Le problème du prix compétitif par rapport aux produits importés n'est pas spécifique aux outre-mer. L'Europe continentale souffre elle aussi de l'importation de produits arrivant de pays qui ne répondent pas aux mêmes normes sociales. Une frange non négligeable de la population ultramarine vit de revenus extrêmement faibles, beaucoup de personnes vivent avec 450 euros par mois. Si ces personnes ne disposent pas de produits peu chers, elles ne pourront pas s'approvisionner. Il faut veiller à maintenir une part de produits abordables pour ces populations-là.

Nos soutiens doivent être adaptés à cette réalité. Nous devons analyser les processus de production pour regarder où les aides doivent être apportées pour arriver à un prix abordable. C'était d'ailleurs un des objectifs du programme Développement de l'élevage et des filières des interprofessions (DEFI) à La Réunion.

Toutes les collectivités qui aident le secteur agricole ont été impactées par la crise à travers notamment des taxes non perçues, etc. Par définition, une collectivité en mauvaise santé financière ne peut aider les secteurs de l'agriculture et de la pêche. Le ministère a donc lancé l'initiative « outre-mer en commun » avec l'Agence française de développement. Ce plan possède différents volets : examen du report d'échéances des prêts des collectivités locales de l'AFD sur plusieurs dizaines de millions d'euros, accélération des décaissements pour les financements locaux à hauteur de 250 millions d'euros, accélération de l'instruction des prêts budgétaires annuels des grandes collectivités (250 millions d'euros).

Des prêts d'urgence d'aide à l'investissement sur 20 ans, avec 3 ans de différé et des modalités de déblocage accélérées : 40 % du prêt dès la signature à partir des projets déjà retenus dans les contrats collectivités -État.

Par ailleurs, à la demande du Gouvernement, l'AFD étudiera l'opportunité d'accorder des lignes de refinancement pour les banques locales des outre-mer. Nous avons également évoqué le dispositif de préfinancement du fonds de compensation de la TVA.

Une expérimentation sera lancée dès le second semestre 2020 à Mayotte pour les communes, leur permettant d'amorcer plus facilement leur projet d'investissement avec le soutien financier du ministère des outre-mer. Une extension aux autres territoires sera envisagée en 2021 si les résultats de l'expérience mahoraise sont concluants.

Pour conclure, l'AFD travaille à l'octroi d'une ligne de crédit à l'Association pour le droit à l'initiative économique, pour renforcer les capacités de microcrédit aux TPE ultramarines les plus fragiles.

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