Intervention de Louis Daniel Bertome

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 4 juin 2020 : 1ère réunion
Étude sur l'urgence économique outre-mer à la suite de la crise du covid-19 — Table ronde sur l'agriculture et la pêche

Louis Daniel Bertome, président de la chambre d'agriculture de la Martinique :

M. Arnaud Martrenchar l'a dit au début de son intervention, l'agriculture n'a pas été la plus impactée par la situation que nous connaissons en ce moment. La Martinique a subi une forte sécheresse en 2019 et depuis le début de l'année, nous connaissons à nouveau cette situation. L'agriculture souffre beaucoup de cette sécheresse. Le confinement a aggravé les choses. Les agriculteurs ont dû réviser à la baisse leurs programmes de production.

Nous avons très vite constaté que les débouchés se sont réduits avec le confinement : à titre d'exemple, puisque les écoles étaient fermées, la restauration collective ne fonctionnait pas. De plus, en début de confinement, les consommateurs ont préféré stocker des produits secs (pâtes, riz, lentilles...), importés majoritairement, plutôt que consommer des produits frais.

Dans un premier temps, la production déjà réduite par la sécheresse a eu du mal à trouver preneur dans les circuits de la grande distribution. La chambre d'agriculture a pris des initiatives pour arriver à sortir de cette situation. Des écueils sont apparus dans la mise en place des étals tout en respectant les conditions sanitaires. Nous nous sommes rabattus sur l'organisation de marchés en vente directe, mais beaucoup de producteurs subissaient des difficultés pour s'approvisionner en masques et en gel hydroalcoolique.

Nous avons observé des difficultés pour répondre à la demande des consommateurs en produits agricoles diversifiés sur un même lieu. En définitive, les producteurs ont réduit leur surface de production pour répondre aux difficultés d'approvisionnement en intrants et aux incertitudes d'écoulement. La production agricole s'est réduite avec pour conséquence, une hausse des prix.

Beaucoup de structures et d'organisations de producteurs ont expérimenté la vente directe à tel point que la grande distribution s'est retrouvée confrontée à une quantité insuffisante de fruits et légumes et à un manque d'approvisionnement en produits locaux. Concernant les exportations de produits agricoles, la banane n'a pas subi énormément de difficultés contrairement au melon.

Comme M. Jacques Andrieu l'a rappelé, nous avons aussi rencontré des problèmes liés à la main-d'oeuvre.

Les exportations ont fléchi en raison du coût du fret mais surtout de la raréfaction des vols. Le marché interne n'a pas pu absorber toute la production destinée à l'export. La filière a revu à la baisse les surfaces de production et a arrêté plus tôt ses plantations. La sécheresse a largement impacté la production de melons, dans le Sud de l'île, faute d'approvisionnement en eau d'irrigation.

Le problème du fret aérien a aussi touché les importations, nous l'avons vu pour la volaille.

Concernant les aides de l'État sur l'agroalimentaire, je ne dispose pas de beaucoup d'éléments.

La crise sanitaire a malheureusement confirmé notre analyse sur la fragilité des exploitations agricoles, en particulier les petites exploitations qui - faute de soutien - disparaissent à grande vitesse depuis plusieurs années. Le principal problème est celui de l'offre et des capacités de production.

Contrairement à ce qui souvent avancé, il ne s'agit pas d'un problème d'organisation de l'offre mais d'un problème de production. Le marché interne est peu soutenu alors que la concurrence et les difficultés sanitaires sont de plus en plus importantes. Un petit nombre d'exploitants seulement peut bénéficier des dispositifs de soutien public, dont l'enveloppe est limitée pour les fruits et légumes et l'élevage. La Martinique a perdu trop d'exploitations, entraînant un fort impact négatif sur l'emploi agricole et notre capacité à fournir le marché (taux d'approvisionnement du marché à 20 %). La concentration de la production sur un petit nombre d'exploitations est une tendance à inverser.

À la Martinique, moins de 20 % des agriculteurs sont bénéficiaires des fonds européens. Ces fonds ne jouent pas leur rôle de levier et ne stimulent pas l'agriculture. La très grande majorité des agriculteurs restent en dehors de tout dispositif d'aide européen, la production destinée au marché local est très peu soutenue. Quand elle l'est, elle se voit appliquer une enveloppe plafonnée. Nous avons besoin de moyens supplémentaires.

Concernant les questions de Mme Nassimah Dindar, la crise fait ressurgir des situations déjà connues. La Martinique produisait, au début des années 1980, plus de 60 000 tonnes pour le marché interne, aujourd'hui nous sommes à moins de 30 000 tonnes. Il ne faut pas transformer l'agriculture mais réactiver les unités de production en sous-exploitation : les surfaces agricoles en friche, les capacités de production sous-utilisées faute de moyens...

Le projet d'autonomie alimentaire doit d'abord s'intéresser aux agriculteurs et aux exploitations agricoles avant de parler filière ou produits. L'autonomie alimentaire par la revitalisation des capacités de production ne saurait être atteinte sans un dispositif consolidé d'accompagnement et de conseils aux exploitations agricoles. Or les chambres agricoles d'outre-mer sont dans une incertitude financière et cela est particulièrement vrai en Martinique.

Le prix ne doit pas être la seule valeur vendue au consommateur : la qualité, la proximité, l'identité de la production sont tout autant importantes et recherchées. Les produits qui nous concurrencent le plus souvent ne sont pas comparables. Les conditions et leur coût de production ne sont pas les mêmes, les molécules interdites chez nous sont souvent utilisées par les concurrents de la zone. Il s'agit d'un véritable sujet pour traiter l'autonomie alimentaire.

Je terminerai avec deux constats pour les collectivités locales. D'abord, les collectivités devraient simplifier l'utilisation des produits locaux dans les cantines scolaires par exemple. Ensuite, elles doivent respecter les délais de paiement pour ne pas mettre en péril les producteurs locaux et leurs structures coopératives.

Pour la valeur écologique, à la Martinique et en outre-mer en général, nous avons une agriculture qui utilise des méthodes à coût environnemental et écologique qu'il conviendrait de considérer à sa juste valeur : le concept de l'agriculture agro-écologique de petite échelle que défendent les chambres d'agriculture, repris par l'Académie d'agriculture de France. Nous demandons un dispositif de soutien public adapté à ce type d'agriculture, productrice de biodiversité et non de monoculture.

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