Intervention de Frédéric Vienne

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 4 juin 2020 : 1ère réunion
Étude sur l'urgence économique outre-mer à la suite de la crise du covid-19 — Table ronde sur l'agriculture et la pêche

Frédéric Vienne, président de la chambre d'agriculture de La Réunion :

Merci pour avoir organisé cette rencontre très importante. Cette crise sanitaire a su révéler nos forces mais aussi nos faiblesses. La chambre d'agriculture de La Réunion, dès le lendemain du confinement, a mis en place des réunions pour essayer de mieux s'approprier les outils apparus en début de crise. Nous avons subi pendant toute une semaine la fermeture des marchés, nous avons dû trouver rapidement des solutions.

Nous avons ainsi organisé des marchés de producteurs où les fruits d'importation étaient interdits qui ont très bien fonctionné. Nous avons fait les gendarmes, moi-même en tant que président de la chambre d'agriculture, pour faire retirer ces produits si cela n'était pas respecté. Le consommateur a pris conscience que nous pouvions nous en sortir sans les produits d'importation.

Ce n'est pas parce que la population est pauvre qu'elle doit consommer des produits bon marché et bas de gamme. Nous avons fait la démonstration à La Réunion, qu'à quelques centimes près, nous pouvions proposer des produits de qualité aux gens qui ont très peu de moyens. Autant profiter des produits frais de La Réunion, comme c'est possible en métropole.

Sur les produits de dégagement, je rejoins mes collègues. Ces produits sont la pire insulte faite à l'agriculture réunionnaise, c'est considérer le territoire de La Réunion comme un marché de dégagement. Nous devons dénoncer cela. Nous nous attendons à l'arrivée massive de pommes de terre non consommées en France, alors que nous commençons ici la saison de la pomme de terre. Pour nous aider, les politiques doivent faire comprendre aux exportateurs de métropole et aux importateurs de La Réunion, que cette dernière n'est pas une poubelle destinée à accueillir tout ce qui ne se vend pas en métropole. Tous les produits non consommés en métropole ne doivent pas obligatoirement être envoyés vers les outre-mer.

Nous avons vu émerger différents canaux de distribution de fruits et légumes : vente à la ferme, drives fermiers, vrais marchés de producteurs sans produits d'importation, une cellule de veille à la chambre d'agriculture pendant ces huit semaines Cette cellule de veille a notamment permis d'obtenir de la place dans les avions pour les poussins d'un jour, difficulté commune aux outre-mer. Nous importons beaucoup d'oeufs à couver et de poussins, la diminution de la fréquence des avions à trois avions par semaine a rendu la situation très difficile.

Cette crise a notamment souligné nos faiblesses quant aux importations massives de certains produits. Je pense notamment aux épices largement utilisées à La Réunion comme l'oignon ou l'ail. Cela a failli déclencher des émeutes : les gens préféraient avoir des oignons pour faire la cuisine plutôt que des masques pour se protéger ! Nous avons dû nous battre contre ces idées reçues de produits d'importation indispensables. Je n'évoque même pas la spéculation subie autour de ces produits.

La crise a montré notre fragilité dans ce secteur car par ailleurs nous sommes à 70 % autonomes en fruits et légumes et à 100 % en viande. Il nous reste 30 % qui sont facilement atteignables avec un plan d'autonomie alimentaire. Nous pourrions être autonomes en 2030 sur les productions aujourd'hui fortement concurrencées, comme la pomme de terre (alors que nous étions autonomes il y a 10 ans). Aujourd'hui, nous recevons beaucoup de containers de pommes de terre, de carottes en provenance d'Australie et de Chine, d'oignons d'Inde, du Pakistan et de Chine. L'oignon d'Inde au détail est vendu 79 centimes d'euros le kilo. Les importateurs sans scrupule profitent de la misère dans ces pays-là, sans s'inquiéter des conditions de travail des producteurs. Leur but est d'envoyer des produits bon marché à destination de La Réunion sans considération éthique. À la chambre d'agriculture, nous nous sommes donc fixés comme objectif de regagner des parts de marché sur l'importation. À titre d'information, nous sommes descendus à 400 tonnes de production d'oignons et 300 tonnes de production d'ail par an. Nous importons 8 000 tonnes d'oignons et 3 000 tonnes d'ail par an.

Nous sommes accompagnés par le département, notamment pour soutenir tous les petits agriculteurs qui ne bénéficient pas du Poséi, et ont des difficultés d'accès au FEADER. Nous travaillons avec la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane, nous nous félicitons de ce projet commun. Nous avons également un projet pour accompagner la petite agriculture, initié par la chambre d'agriculture de la Martinique et l'Académie de l'agriculture de France. Des petits agriculteurs travaillent et vivent d'un hectare de terre, mais n'ont jamais touché la moindre aide, exceptée une aide du département sur une dizaine de cultures identitaires de La Réunion à l'hectare et à la production. Il y a quatre ans, nous avions 100 dossiers de sollicitations pour ce dispositif, aujourd'hui nous en comptons plus de 660.

Ces initiatives sont départementales, mais il convient de les amplifier. Lors de sa venue en octobre, le Président de la République Emmanuel Macron avait annoncé 5 millions supplémentaires au Conseil interministériel de l'outre-mer (CIOM) à partir de 2020.

Des projets sont développés avec la Guadeloupe et la Martinique, il serait intéressant de vous les présenter une prochaine fois. Ces projets ont pour objectif de conquérir des parts sur l'importation, notamment sur les productions très concurrencées. Nous ne demandons pas nécessairement des subventions, mais des bonnes terres, aujourd'hui en friche, des moyens de travailler, une main-d'oeuvre moins chère à embaucher, et l'accessibilité du public.

Un autre exemple : si aujourd'hui j'ai dix hectares de canne et que je supprime un hectare pour faire des fruits et légumes afin d'être autonome en proposant un produit aux consommateurs moins cher qu'en grande surface (toutes les enquêtes le prouvent), je perds 5 000 euros d'aide.

Quant à la main-d'oeuvre, il nous faut atténuer le coût de l'embauche afin de produire plus si on veut tendre vers plus d'autonomie.

Nous importons 44 000 tonnes de riz, que nous pourrions remplacer par des légumes locaux pour compenser ce qui est importé. Ce riz, qui concurrence nos légumes locaux, bénéficie du Régime spécifique d'approvisionnement (RSA) prévu par l'Union européenne.

Nous disposons d'une multitude de pistes sur lesquelles tous les présidents de chambre sont prêts à travailler. Pour devenir autonome, il faut nous écouter. Aujourd'hui les chambres d'agriculture des outre-mer sont en très grande difficulté financière : beaucoup de nos personnels sont en télétravail, en congé maladie ou en congés. Nous avons sollicité le PGE et le chômage partiel, mais nous n'y avons pas droit. Comment voulez-vous développer une agriculture forte dans les DOM si elle n'est pas accompagnée par une chambre d'agriculture forte elle aussi ?

Nous nous devons de poser ces questions sur l'avenir de l'agriculture, mais aussi sur le rôle des chambres d'agriculture ainsi que sur leurs moyens et leur plan de développement dans les outre-mer.

Je ne veux pas monopoliser la parole. Nous avons travaillé avec l'ODEADOM, nous avons tous les outils en main. Je vous remercie de votre écoute et je vous demande de nous accompagner, de nous entendre sur le développement de l'agriculture en outre-mer.

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