Intervention de Bertrand Baillif

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 4 juin 2020 : 1ère réunion
Étude sur l'urgence économique outre-mer à la suite de la crise du covid-19 — Table ronde sur l'agriculture et la pêche

Bertrand Baillif, président du Comité régional des pêches maritimes et des élevages marins (CRPMEM) de La Réunion :

Le président de la commission DOM vient de s'exprimer à l'instant, j'ai été très attentif à ce qu'il disait. Cela fait longtemps que nous répétons la même chose. Je fais 11 000 kilomètres pour faire remonter les doléances des comités des pêches de mes mandants à Paris, on nous écoute, mais on ne nous entend pas.

Je vais revenir sur le point évoqué par M. Olivier Marie-Reine sur les exonérations de charges. Pour nous, c'est aujourd'hui un fléau pour l'accès aux aides, et demain cela causera un problème pour le renouvellement de la flotte évoqué par l'État et la Commission européenne. La majorité des pêcheurs ne sont pas à jour des cotisations sociales et fiscales. Je les comprends très bien, étant moi-même pêcheur.

La Réunion est victime de « deux poids, deux mesures ». Dans nos eaux, des pêcheurs de la pêche semi-industrielle ont recours à la main-d'oeuvre étrangère, concurrençant la pêche locale en inondant le marché local de ses productions. Cette pêche semi-industrielle fait rentrer sur le marché du poisson en provenance de Madagascar, sans traçabilité, sans respect des règles de l'Union européenne. Les pouvoirs publics doivent véritablement agir, au lieu de nous répéter que nous sommes entendus.

Je reviens sur la question de Mme Nassimah Dindar : la petite pêche aujourd'hui est en effet en danger. Il sera trop tard demain si nous n'arrivons pas à en faire dès maintenant un poumon économique. L'Europe envoie de l'argent aux outre-mer, mais à qui envoie-t-elle cet argent ? En 2016, sur 4 millions d'aides, seuls 9 petits pêcheurs ont touché 56 000 euros d'aide. La petite pêche a déjà sombré : nous recensions 400 pêcheurs en 2009 contre 180 aujourd'hui.

L'arrivée du fléau de l'URSSAF en 2009 a causé un effondrement. La plupart des pêcheurs ne sont pas à jour de leurs cotisations. Dans vingt ans, quand la majorité des pêcheurs arrivera à l'âge de la retraite, ils s'apercevront qu'ils n'auront que dix ans de cotisations car ils ont dû « se débarquer » pour faire face à ces charges sociales et que ce sont des petits travailleurs indépendants.

Quand Mme Annick Girardin est venue rencontrer les gilets jaunes à La Réunion, elle a affirmé qu'elle ferait le nécessaire pour que les petites entreprises soient exonérées de charges fiscales. Deux ans se sont écoulés et rien ne s'est passé.

Moi-même en tant que pêcheur je dois être à jour des cotisations fiscales et sociales pour finalement ne pas toucher un euro d'aides d'État, je trouve cela scandaleux. Il s'agit d'une crise exceptionnelle : une crise sanitaire, une crise économique... De tels critères ne devraient pas être exigés. Les pêcheurs qui en ont le plus besoin n'ont rien car ils ne sont pas à jour de leurs cotisations. Et reporter les charges revient seulement à reporter le problème. Comment la France peut-elle dire que je dois être à jour de mes cotisations alors que devant moi, des dizaines de personnes, venant de Madagascar et ne payant pas de charges, ont un salaire décent en travaillant pour des pêcheurs semi-industriels ?

Tout le monde a subi cette crise, mais nous n'avons pas fermé nos portes car nos mandants avaient besoin d'aide. Nous avons besoin de vous.

Demain, se posera la question du renouvellement de la flotte, mais commençons à traiter des sujets qui nous pénalisent aujourd'hui : la main-d'oeuvre, la concurrence déloyale... L'Europe doit être exigeante et ne doit pas tolérer ce genre de comportements. Quand on laisse rentrer du poisson sur le marché local, c'est une menace sanitaire et une menace pour les revenus des petits pêcheurs. La grande distribution revend ensuite le poisson de Madagascar à moitié prix.

Nous avons besoin de visibilité pour l'avenir de nos métiers, pour nos jeunes... Il faut un contexte sain. Nous avons rédigé un plan d'avenir pour les perspectives de la pêche réunionnaise, pour ne plus dépendre uniquement des aides. Nous avons besoin d'unités de contrôle pour vérifier le poisson qui arrive chez nous. Nous sommes aujourd'hui 190 pêcheurs pour 2 000 plaisanciers, le poisson arrive de n'importe quelle façon sur le territoire. J'espère être écouté et entendu. Je vous remercie Monsieur le président.

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