Intervention de Jérémie Pellet

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 13 mai 2020 : 1ère réunion
Audition de M. Jérémie Pellet directeur général d'expertise france en téléconférence

Jérémie Pellet, directeur général d'Expertise France :

Ces questions précises témoignent d'une connaissance très fine de nos activités.

Commençons par les grands secteurs d'activité de l'agence. Nous avons beaucoup d'ambition, mais nous nous concentrons sur quatre grandes expertises : la paix, la sécurité et la stabilité - actions d'appui aux pays fragiles, de stabilisation et, avec Civipol Conseil, de sécurité - ; la gouvernance - démocratie, justice et droits de l'homme, d'une part, et gouvernance économique et financière, de l'autre - ; le capital humain - éducation, emploi, santé - ; et le domaine, en forte croissance, du développement durable - climat et agriculture, d'une part, et biodiversité, de l'autre.

Notre activité est très « africaine », puisque ce continent représente, en incluant l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient, 80 % de notre activité, mais elle ne se concentre pas que sur l'Afrique francophone. Nous agissons sur l'ensemble du continent - nous accentuons par exemple nos actions en Éthiopie et en Angola - et, de ce point de vue, notre intégration au sein de l'AFD sera très utile. Cela dit, nous restons concentrés sur la priorité que nous a donnée le Gouvernement : agir dans les pays prioritaires pour le développement ou pour l'action extérieure de la France.

En ce qui concerne les pays fragiles, je présenterai trois cas de figure : au Sahel, nous menons une action en réponse à la crise du Burkina Faso, pour créer de l'emploi via une formation professionnelle très opérationnelle ; nous sommes également présents au Liban, avec la lutte contre la corruption, programme crucial pour la reconstruction de ce pays ; enfin, à Haïti, nous agissons en faveur de la rénovation urbaine.

La stabilisation d'Expertise France n'est pas contradictoire avec les ambitions de la France en matière d'aide publique au développement. Elle est nécessaire, car le chiffre d'affaires de l'agence a été multiplié par trois en six ans. Cette phase est donc attendue par tous et elle est nécessaire pour la bonne intégration au sein de l'AFD.

Cela dit, l'ambition de la France en la matière demeurant très importante, quand nous aurons achevé la stabilisation de l'agence, nous continuerons de croître pour atteindre une dimension comparable à celle des grandes agences européennes - Allemagne, Espagne ou Belgique. En outre, notre rythme de croissance demeure élevé.

Pour ce qui concerne l'intégration d'Expertise France au sein de l'AFD, l'État a opté pour une filialisation. Notre agence ne sera donc pas absorbée par l'établissement public, elle en deviendra une filiale, sous la forme d'une société anonyme à capitaux 100 % publics, à l'instar de la société Promotion et participation pour la coopération économique (Proparco). Ce mode d'intégration est important pour nous permettre de mobiliser des ressources externes.

J'en viens au paysage institutionnel et à nos relations avec les autres opérateurs. Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, notre administratrice, l'a rappelé, l'État a décidé d'intégré le groupement d'intérêt public Justice coopération internationale (JCI) et Expertise France ; c'est positif. Nous n'avons pas été consultés sur le rattachement des deux opérateurs du ministère de l'agriculture au sein d'autres structures, pas plus que sur l'intégration de JCI, mais cela ne nous empêchera pas de continuer de travailler avec ce ministère, qui est, du reste, représenté à notre conseil d'administration.

Quant au lien entre la crise alimentaire et les modèles agricoles, la crise de la Covid 19 montre à quel point les sujets de dépendance agricole sont essentiels et démontre la nécessite de développer des filières agricoles locales et durables. C'est ce que à quoi nous contribuons, au travers de notre appui à la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) et à d'autres organismes régionaux d'Afrique de l'Ouest, afin de concilier la lutte contre le changement climatique et l'agriculture.

Nos relations avec la société Civipol Conseil, l'opérateur chargé des sujets de sécurité intérieure sous l'égide du ministère de l'Intérieur, sont bonnes. Nous avons des projets en commun avec cet organisme au Sahel.

C'est vrai, le Sahel représente 40 % de notre activité. La coordination des projets est cruciale. Nous sommes un opérateur chargé de la mise en oeuvre des programmes, donc la coordination doit d'abord être assurée à l'échelon des bailleurs de fonds : AFD, Union européenne, Banque mondiale. Toutefois, cette bonne coordination doit se refléter dans l'exécution ; c'est tout l'enjeu de notre action sur le terrain. Nous militons donc en faveur d'une plus grande intégration des agences dans la programmation de l'Union européenne et d'une coordination le plus en amont possible, afin que les projets soient plus efficaces.

Enfin, nous travaillons avec le secteur privé, qui est également représenté au sein de notre conseil d'administration et qui est rassuré sur la nature d'Expertise France.

Nous pouvons avoir une action dans nos territoires d'outre-mer, au travers de programmes régionaux. Notre vocation est de projeter l'expertise française à l'étranger, mais nous pouvons participer à des projets dans des zones incluant des territoires français - je pense à la zone caraïbe ou à l'océan Indien -, en particulier dans des programmes relatifs au réchauffement climatique et à la biodiversité.

En outre, les autorités françaises veulent qu'Expertise France soit plus présente en Asie, par exemple en matière de sécurité maritime, et nous avons obtenu la confiance de la Commission européenne pour mettre en place un projet de ce type en Asie.

En ce qui concerne le climat social au sein de l'agence, une réflexion est en cours sur la mise en place d'un cadre statutaire commun à l'ensemble des collaborateurs du groupe. Notre objectif est de faciliter la mobilité de ces derniers, dans les deux sens, et d'offrir des parcours professionnels au sein du groupe, ce qui requiert une certaine cohérence statutaire.

La gestion déléguée est le mode le plus commun de contractualisation avec l'Union européenne : elle représente 75 % des montants que nous percevons de l'Union. Il est donc crucial, pour nous, de rester parmi les quarante agences accréditées à la gestion de fonds européens. Les critères d'accréditation sont de plus en plus exigeants. Nous avons prévu un audit blanc cet été et, même si rien n'est jamais gagné en la matière, je pense que nous obtiendrons une nouvelle accréditation.

C'est d'autant plus important pour nous que les mécanismes de compensation de l'État reposent sur cette accréditation. Nous aurons, avec les représentants des ministères de tutelle, une discussion relative à nos prévisions d'activité en partenariat avec l'Union européenne pour définir les projets prioritaires.

J'en arrive à la réponse apportée à la crise de la Covid 19 en Afrique. Oui, il y a de nombreux acteurs et énormément d'argent pour répondre à cette crise. C'est pour cela que nous souhaitons que notre appui se concentre là où nous pouvons être efficaces, dans les pays où nous sommes déjà présents auprès des ministères de la Santé, où les acteurs nous connaissent.

Notre appui ne doit pas se substituer à l'action des États ni à l'action multilatérale, mais il faut pouvoir absorber ces fonds importants, émanant des bailleurs de fonds, et mettre en place les plans d'action. Là est toute la difficulté. Nous nous coordonnons avec les autres États européens, sous la houlette de la Commission européenne, pour que chacun agisse dans les zones les plus pertinentes pour lui.

Cela ne nous empêche pas de poursuivre nos programmes relatifs aux autres maladies : je pense au projet de prévention du risque infectieux et sécurité en milieu de soins (Prisms) ou à l'initiative dite « 5 % » de lutte contre le SIDA, le palu et la tuberculose. Nous pouvons réorienter 10 % à 15 % des crédits de ces projets vers la lutte contre la Covid 19.

D'ailleurs, il y a souvent un lien entre les maladies et la Covid 19. Nous travaillons avec les instituts Pasteur locaux pour lutter contre la tuberculose et nous constatons des co-pathologies. Nos actions sur les autres maladies apportent donc des réponses à la Covid 19. La lutte contre cette maladie ne doit pas se substituer à la lutte contre les autres pathologies, car les dommages de celles-ci perdureront, mais notre action vise à renforcer les systèmes de santé, ce qui rend plus facile ensuite la lutte contre toutes les maladies.

Dans la mesure où l'Union européenne arrive en période de fin de programmation, elle ne crée plus d'enveloppe nouvelle. Par conséquent, elle redistribue ses enveloppes pour apporter une réponse à la Covid 19. Cela affecte notre activité.

De manière générale, tous nos projets actuels comportent un volet de riposte à la Covid et c'est effectivement le cas de notre projet de sécurité portuaire d'Afrique centrale et occidentale, Western and Central Africa Port Security (WeCAPS). Notre action en la matière consiste à faire en sorte que les mesures sanitaires puissent être appliquées dans ces ports, qui sont clef du redémarrage de l'économie dans cette zone.

Nous avons une coopération avec la Chine et nous souhaitons continuer de travailler avec l'ensemble des pays du monde dont les priorités politiques rejoignent celles de la France et de l'Union européenne. Nous avons besoin de partenariats forts pour faire face aux enjeux globaux : climat, diversité. Nous avons très peu d'activités avec les États-Unis, dont l'action internationale est suivie de près par le Congrès, et celles-ci ne sont pas modifiées pour l'instant.

Enfin, ni l'AFD ni Expertise France ne sont présentes au Yémen ; cette question concerne plus le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, qui doit déterminer la place que la France veut occuper dans la reconstruction de ce pays. Bien entendu, nous pouvons être sollicités ensuite.

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