La téléconférence est ouverte à 10 h 30.
Nous recevons ce matin M. Jérémie Pellet, directeur général d'Expertise France. Nous l'entendrons notamment sur le nouveau contrat d'objectifs et de moyens de son agence, qui fédère l'expertise internationale de la France.
Monsieur le directeur général, vous connaissez l'attention bienveillante que notre commission porte à votre agence depuis la création de celle-ci, sur notre initiative, par la loi de 2014 relative à la politique de développement et de solidarité internationale, dont j'ai eu l'honneur d'être co-rapporteur. Il s'agissait de mettre fin à l'atomisation de l'expertise française en nous dotant, à l'instar de nombre de pays voisins, d'un opérateur unique et puissant, capable de projeter le savoir-faire de nos experts dans le monde entier.
Avant de prendre la tête d'Expertise France, en novembre 2018, vous avez été directeur général délégué de l'Agence française de développement (AFD), chargé des relations avec les collectivités locales, les entreprises publiques, le secteur privé et les ONG, dont vous avez coordonné la stratégie, la communication, les partenariats, la recherche et l'innovation.
Depuis sa création, Expertise France connaît une croissance rapide de son activité : alors que, en 2014, les opérateurs d'expertise réalisaient un chiffre d'affaires de seulement 105 millions d'euros, celui de l'agence issue de leur regroupement avoisine aujourd'hui 230 millions d'euros - plus du double.
Monsieur le directeur général, vous avez reçu pour mission, d'une part, de consolider une agence qui s'est développée très rapidement, essentiellement sur fonds européens, et qui, comme toute entité créée sui generis, a eu quelques difficultés à trouver son équilibre économique. Vous nous présenterez le dispositif prévu par le contrat d'objectifs et de moyens pour assurer un soutien financier de l'État à certains de vos projets stratégiques, et ainsi combler l'écart entre vos produits et vos charges. Cet enjeu de l'équilibre économique est essentiel pour l'avenir d'Expertise France, et il importe que l'État fournisse l'effort budgétaire nécessaire à la poursuite et au développement de vos importantes missions.
D'autre part, vous avez été chargé de mener à bien l'intégration d'Expertise France au sein du groupe AFD. Vous savez quelles inquiétudes, pour ne pas dire quelles réticences, nous a inspirées cette perspective, censée résoudre toutes les difficultés de votre agence. L'intégration nous paraissait peut-être prématurée, en tout cas de nature à menacer votre capacité à entrer directement en relation avec les bailleurs internationaux et à poursuivre vos missions dans le domaine de la sécurité et du développement. Où en est aujourd'hui ce regroupement ? Comment l'AFD associe-t-elle Expertise France aux projets qu'elle finance ? Bref, comment se développe la relation entre vos deux entités ?
Enfin, vous voudrez bien nous présenter brièvement l'action d'Expertise France face à la crise du coronavirus ; je sais que vous avez développé rapidement des réponses aussi bien économiques que sanitaires.
Votre propos introductif, monsieur le président, montre à quel point vous-même et votre assemblée connaissez bien Expertise France, née, en effet, d'un amendement sénatorial, défendu par vous-même et Jacques Berthou.
Vous me donnez l'occasion de saluer notre ancien collègue, qui est, en effet, pour beaucoup dans la création d'Expertise France.
Nous avons la chance de compter M. Berthou au sein de notre conseil d'administration.
De longue date, sénateurs et députés poussaient à la modernisation de notre dispositif de coopération technique - même si l'on en parle un peu moins que du financement du développement. Ces dernières années, notre dispositif s'est largement renouvelé, grâce à vous, autour de la création d'Expertise France.
Après avoir dressé un bilan rapide des premières années d'activité de l'agence, je vous présenterai notre contrat d'objectifs et de moyens et la stratégie dont il procède ; enfin, je dirai quelques mots des conséquences du Covid-19 pour nous et, surtout, pour nos pays partenaires.
D'abord, un constat - pas si évident qu'il pourrait sembler au vu de l'histoire récente : on ne peut travailler pour le développement sans coopération ni sans expertise publique. Alors que la France a longtemps manqué d'agences interministérielles porteuses de cette ambition, la création d'Expertise France, somme toute récente, a répondu à un besoin impérieux, dans un contexte où les moyens de la coopération technique s'étaient beaucoup réduits. De fait, de près de 30 000 en 1980, le nombre des coopérants techniques est tombé à 4 000 au moment de la réforme de la coopération de 1998, puis à moins de 500 en 2015 - dont 250 ont été transférés à Expertise France.
La part de l'aide publique au développement consacrée à la coopération technique a suivi le même chemin, passant de 70 % dans les années soixante-dix à moins de 15 % aujourd'hui, pour des raisons naturelles : la fin de la substitution et la montée en compétences de nos pays partenaires.
Pour Expertise France, cette part correspond à la commande publique de l'État, c'est-à-dire aux projets que celui-ci nous demande de mettre en oeuvre pour son compte. Ces projets relèvent essentiellement du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, un peu du ministère de l'Économie et des Finances - qui nous consacrera peut-être des moyens supplémentaires dans les prochaines années - mais aussi d'autres ministères.
Au total, ces moyens représentent environ 60 millions d'euros, sur un chiffre d'affaires qui s'est établi l'année dernière à près de 230 millions d'euros. La commande publique est donc une composante importante, mais minoritaire de notre chiffre d'affaires, ce qui distingue Expertise France de ses homologues européennes : la GIZ (Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit) bénéficie d'une commande publique de l'État allemand à hauteur de 2,5 milliards d'euros, tandis que la Belgique et le Luxembourg consacrent respectivement 200 millions et 100 millions d'euros à leur agence de coopération.
Nos missions pour le compte de l'État concernent principalement la gestion des experts techniques internationaux, qui jouent dans un certain nombre de pays un rôle dont vous connaissez l'importance, et les moyens que l'État consacre à la santé, en particulier à la lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose, en appui au Fonds mondial : nous gérons en effet l'initiative 5 %, c'est-à-dire les crédits bilatéraux destinés à soutenir l'action de ce fonds dans les pays prioritaires de la France.
La France a besoin de conserver une capacité d'action forte et directe en matière de coopération internationale et, pour cela, elle a besoin d'une agence qui mette en oeuvre concrètement et directement les projets sur le terrain ; c'est ce qu'Expertise France a réussi à faire, sous la direction de Sébastien Mosneron-Dupin puis la mienne.
Nous jouons un rôle d'ensemblier en mobilisant les compétences de toute l'expertise technique française, issue bien sûr de l'État - notre origine -, mais aussi des collectivités locales, des ONG, des établissements publics et du secteur privé, au service d'un objectif : renforcer nos capacités à accompagner et à appuyer les politiques publiques de nos pays partenaires.
Pour mener cette mission, nous mobilisons les ressources d'autres bailleurs que l'État, à commencer par l'Union européenne, qui finance 60 % de notre activité : Expertise France est ainsi une agence européenne autant, voire davantage, que nationale. D'autres bailleurs internationaux nous font également confiance : la Banque mondiale et les Nations unies, mais aussi les Américains, les Anglais ou Unitaid.
Ces bailleurs internationaux recherchent l'expertise française, très reconnue - l' « envie de France » n'a de limite que notre capacité à y répondre -, ainsi que notre capacité à être présents dans des pays fragiles, comme au Sahel ou dans des pays comme la République Centrafricaine, la République démocratique du Congo, la Libye, le Liban ou des zones encore plus complexes, comme le nord de l'Irak.
Au nombre de nos réussites emblématiques je mentionnerai la mise en oeuvre du programme d'appui de l'Union européenne à la force G5 Sahel, pour 82 millions d'euros dans la première tranche ; dans le cadre de la deuxième, 100 millions d'euros sur 120 millions nous sont confiés par l'Union européenne, ce qui témoigne de la confiance qu'elle nous porte. Je pense aussi à la sécurisation des camps de la Minusma, à l'assistance technique de l'ensemble des pays de l'Union européenne en matière de protection sociale et d'emploi, à nos actions d'accompagnement dans les domaines de la biodiversité ou de la lutte contre le cancer du col de l'utérus, ou encore à l'appui à l'innovation et à l'emploi, notamment en Libye.
Ces activités nous ont permis de nous développer fortement : notre chiffre d'affaires, qui a déjà doublé, devrait atteindre 300 millions d'euros en 2021-2022, ce qui marquera un triplement par rapport à 2015. De surcroît, cette progression est réalisée d'une manière assez économe des moyens de l'État, puisque notre effet de levier, c'est-à-dire le rapport entre les fonds publics qui nous sont confiés et les financements que nous mobilisons, qui était de 6,7 en 2015, est aujourd'hui à plus de 20 - ce qui sera sans doute sa limite.
Des difficultés se posent aussi, notamment parce que les projets menés au sein de l'Union européenne connaissent un niveau de marge très encadré et peu négociable. D'autre part, les cofinancements de l'État sont parfois limités, ce qui a pesé sur notre équilibre financier - le nouveau contrat d'objectifs et de moyens vise à régler ce problème -, mais aussi sur le climat social au sein de l'agence, que je m'efforce d'apaiser à travers un dialogue constructif sur tous les enjeux, y compris la modernisation de notre ressource humaine.
J'ai également entrepris de renforcer encore notre position interministérielle et les liens que nous entretenons avec l'ensemble des ministères, y compris ceux avec lesquels les rapports ont été au début plus compliqués.
Le Sénat a poussé à l'intégration d'autres opérateurs avant que nous-mêmes ne soyons intégrés à l'AFD. Finalement, nous accueillerons bien nos collègues de Justice Coopération Internationale (JCI) à la fin de l'année, tandis que certains opérateurs de l'agriculture seront rattachés à des structures plus importantes du ministère de l'Agriculture. Ce paysage institutionnel clarifié est un atout majeur pour l'ensemble de l'équipe France.
Notre nouveau contrat d'objectifs et de moyens marque un nouveau départ, autour de quatre axes.
D'abord, un cadre stratégique clarifié, visant à renforcer l'action et l'influence d'Expertise France dans les géographies et sur les thématiques prioritaires de la politique française de développement, c'est-à-dire en Afrique, dans les pays fragiles et sur l'ensemble des priorités thématiques définies par le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) de 2018, qui reste notre référence - nous verrons quelles conséquences aura le Covid-19 sur la stratégie française de développement.
Ensuite, nous prévoyons de stabiliser l'activité de l'agence, ce qui est très important après la phase de croissance exponentielle que nous avons connue. Notre objectif est d'atteindre un palier autour de 300 millions d'euros de chiffre d'affaires, hors offres intégrées, et de trouver un meilleur équilibre entre la commande publique de l'État, les financements de l'AFD, qui augmentent beaucoup, et les financements multilatéraux et européens. Cet équilibre nous permettra de stabiliser notre modèle économique, l'activité réalisée en France étant à l'équilibre dans le cadre normal des frais de gestion ; en ce qui concerne nos activités européennes, la subvention d'équilibre versée par l'État sera remplacée par une compensation des pertes sur les projets non rentables, qui renforcera le contrôle et la visibilité de l'État.
Le contrat d'objectifs et de moyens fixe l'objectif ambitieux d'un équilibre atteint dès 2021. En dépit des probables conséquences de la crise du Covid-19, cet objectif de moyen terme reste dans notre trajectoire. C'est pourquoi l'État et nous-mêmes n'avons pas souhaité modifier ce contrat, rédigé avant la crise ; nous considérons qu'il reste valable, même si certaines adaptations seront nécessaires.
Le troisième axe du contrat d'objectifs et de moyens est l'achèvement de la consolidation et de la structuration de l'agence par le renforcement des politiques de ressources humaines et du dialogue social, en vue notamment de fidéliser et de « sénioriser » nos équipes.
Le quatrième axe est l'intégration de JCI d'ici à la fin de l'année, suivie de notre propre filialisation au sein du groupe AFD à l'horizon de janvier 2021. Nous espérons que ce calendrier sera tenu : une disposition législative étant nécessaire, qui sans doute sera inscrite dans le projet de loi relatif au développement, nous espérons que ce texte trouvera place dans un calendrier législatif forcément bouleversé par la crise en cours.
Nous avons bâti notre projet d'intégration à l'AFD en tenant compte des remarques formulées par le Sénat, pour tirer le meilleur parti de cette évolution tout en conservant notre capacité d'action. Il s'agit de développer des synergies sur le terrain pour construire une offre groupe qui n'existe dans aucun autre pays et à laquelle nos partenaires seront très sensibles : une offre complète de financement et de mise en oeuvre de projets publics et privés, sur un champ très large - puisque l'action d'Expertise France ne se limite ni au développement ni aux pays en développement.
D'ores et déjà, les activités de l'AFD exercées par Expertise France sont en forte croissance : l'année dernière, l'AFD nous a confié 130 millions d'euros de nouveaux projets pour les deux prochaines années, contre seulement 30 millions d'euros l'année précédente.
Au sein de l'AFD, Expertise France sera une filiale, mais conservera une certaine autonomie : sa gouvernance sera paritaire État-AFD, et nous conserverons des liens extrêmement forts avec l'État et l'ensemble des ministères. Nous souhaitons rester la plateforme de mobilisation de l'expertise publique pour l'ensemble du groupe.
Le document stratégique que je vous présente est cohérent, tire les leçons du premier contrat d'objectifs et de moyens et met l'accent sur l'efficacité et la redevabilité.
Dans la situation exceptionnelle que nous traversons, nous télétravaillons à 100 % depuis deux mois, ce qui ne nous a pas empêchés de continuer à mener nos projets, dans un contexte évidemment difficile : il n'y a plus de vols internationaux, et tous les pays ou presque sont en confinement, comme nos experts. En revanche, les plus de 600 experts que nous avons sur le terrain sont quasiment tous restés dans leur pays de résidence, où ils poursuivent leur mission. Si nous avons dû adapter nos projets et notre fonctionnement, nous avons aussi développé de nouveaux projets et réfléchi à la suite.
Notre chiffre d'affaires pour 2020 devrait être inférieur de 20 % à la prévision, ce qui correspondrait en fait à une stabilité par rapport à l'année dernière. Quant aux perspectives pour 2021-2022, elles restent bonnes.
Nous mobilisons notre réseau d'experts pour appuyer nos pays partenaires dans leur réponse à la crise, en liaison avec le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères et dans le cadre de l'action de l'AFD et de l'Union européenne.
La santé étant une dimension forte de notre action d'expertise technique, nous avons mis en place une plateforme d'assistance pour un certain nombre de pays d'Afrique subsaharienne : Guinée, Côte d'Ivoire, Mali, Niger, Burkina-Faso, Tchad, République Centrafricaine, République démocratique du Congo, Burundi. Il s'agit d'appuyer les politiques menées par les ministères de la santé et les autorités sanitaires et de permettre à ces pays d'accéder plus facilement aux ressources du Fonds mondial, mais aussi d'appliquer les directives de l'Organisation mondiale de la santé.
En outre, nous appuyons un certain nombre de pays, notamment d'Afrique francophone, pour gérer les conséquences économiques et financières de la crise. Celle-ci se traduira par des moratoires de dette, peut-être des annulations, mais aussi par une baisse de l'activité économique et une forte montée des vulnérabilités dans des pays déjà très fragiles. Dans ce contexte, nous devons soutenir tout ce qui peut atténuer les effets de la crise sur les populations.
Ainsi, dans le cadre de cette crise, nous nous sommes efforcés de prouver notre réactivité et notre capacité à nous coordonner.
Expertise France est aujourd'hui un outil repensé, qui s'inscrit dans un groupe élargi intégrant financement et coopération technique ; un outil fort d'équipes extrêmement riches, à Paris comme sur le terrain, et de la confiance très solide de ses bailleurs, qui se traduit par des sollicitations toujours plus nombreuses. Si notre agence commence à être connue, elle reste sans doute un peu sous-utilisée. Nous n'en continuerons que davantage à nous renforcer, afin d'être au rendez-vous de l'ambition de la France en matière d'aide publique au développement.
De très nombreux acteurs sont impliqués dans la lutte contre le coronavirus en Afrique : systèmes de santé nationaux, laboratoires, tels les instituts Pasteur, ONG, agences de développement et d'expertise de nombreux pays du Nord, institutions africaines, comme le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies, grands bailleurs multilatéraux. Chacun y va de son propre plan de gestion et promeut ses réponses. Si toutes les bonnes volontés sont bienvenues, n'y a-t-il pas un risque d'insuffisante coordination ?
Ne voyez-vous pas une contradiction à supprimer des postes d'experts techniques internationaux en Afrique, comme on l'a fait tout récemment avec les instituts Pasteur, et à vouloir ensuite mener une action forte en période de crise ?
Un responsable d'une grande ONG nous a signalé que la réorientation des fonds des bailleurs vers la lutte contre le Covid-19 risquait d'entraîner des retards, voire des annulations, de programmes décidés antérieurement. Or, en Afrique, le Covid-19 n'est qu'une menace parmi d'autres, et il y a de nombreuses autres urgences, notamment alimentaires et sanitaires. Les partenaires auxquels vous demandez de réaffecter certains financements ne risquent-ils pas de se trouver devant cette difficulté ?
Enfin, sur quels financements nouveaux s'appuie la réponse d'Expertise France au Covid-19 ? Je pense aux fonds de l'Union européenne, mais aussi à ceux apportés par la France dans le cadre de l'enveloppe de 1,2 milliard d'euros.
Ma première question sera financière : pouvez-vous nous fournir plus de détails sur le mécanisme de financement supplémentaire des projets stratégiques par l'État, destiné à améliorer l'équilibre économique d'Expertise France ?
Le quatrième comité interministériel de la transformation publique, qui s'est tenu le 15 novembre dernier, a décidé le rattachement de Justice Coopération Internationale à Expertise France ; ayant préconisé cette intégration, nous nous en félicitons. Le même comité a décidé le rattachement de France Vétérinaire International à VetAgro Sup et celui d'Adecia à FranceAgriMer. Quelle a été votre position dans cette négociation ? Votre agence poursuit-elle des opérations en liaison avec le ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation, comme nous l'espérons ?
J'en viens au climat social au sein d'Expertise France : est-il envisagé de rapprocher le statut des salariés de l'agence de celui des salariés de l'AFD ?
Quelle part de votre chiffre d'affaires est-elle réalisée dans le cadre de votre accréditation pour la gestion déléguée des fonds de l'Union européenne ? Êtes-vous assurés d'obtenir le renouvellement de cette accréditation lors de l'audit prévu en fin d'année ?
En Afrique, il est essentiel de s'appuyer au maximum sur les administrations et les acteurs locaux, pour ne pas affaiblir les capacités de résilience sur place et éviter une déstructuration supplémentaire des services de santé. La plateforme d'appui technique mise en place par Expertise France dans le cadre du Covid-19 s'appuie soit sur le ministère de la Santé du pays concerné, soit, en vertu du règlement sanitaire international, sur l'OMS. Quelle est la situation dans les principaux pays francophones d'Afrique de l'ouest et du Sahel ? Êtes-vous en mesure de travailler directement avec les ministères de la Santé de ces pays ?
En complément de cette présentation du contrat d'objectifs et de moyens pour 2020-2022, je souhaiterais des éclairages sur trois points.
L'aide publique au développement est, autant qu'un outil de résolution de crise, un véritable levier d'influence diplomatique. À l'heure où la concurrence est rude et nos finances publiques très dégradées, la France doit non seulement se maintenir dans la course, mais aussi se positionner sur de nouveaux projets. Or nous craignons que les efforts déployés pour gérer les problèmes de gouvernance et les changements de cap n'altèrent les capacités et les performances d'Expertise France. Nous espérons, monsieur le directeur général, que votre expérience et votre connaissance de tous les étages de la « maison Développement » bénéficieront enfin à Expertise France. Au sein du groupe AFD, il est important que les relations entre les entités soient claires et motivées par la seule ambition de faire gagner la France sur la scène internationale du développement.
L'alimentation du monde reste le défi majeur à l'heure du bouleversement climatique et de la raréfaction des terres arables, qui amplifient les mouvements migratoires et fragilisent encore plus des zones déjà frappées par des crises systémiques et plurielles. Comment Expertise France se positionne-t-elle vis-à-vis des autres établissements du secteur agricole ? De même, quel est votre point de vue sur le rapprochement de Civipol avec une société privée belge ? Jusqu'à maintenant, le ministère de l'Intérieur refusait l'intégration de cette agence à Expertise France, estimant qu'elle relevait du régalien. Qu'en est-il aujourd'hui, à l'aune des nouveaux éléments ?
Vous réalisez 40 % de votre activité au Sahel, une zone définie comme prioritaire par la France. Expertise France y est un leader au service de notre approche, fondée sur les « trois D » : défense, diplomatie, développement. Néanmoins, certaines ONG déplorent un manque de coordination. Que proposez-vous pour améliorer la situation ?
Faisant partie du conseil d'administration de l'AFD, je pense qu'il n'y a aucune difficulté entre elle et Expertise France.
Nous avons appris de la bouche du ministre des Affaires étrangères que 1,2 milliard d'euros allaient être redirigés vers la lutte contre le coronavirus en Afrique. Dans quelle mesure Expertise France prendra-t-elle part à cette action ? Ce redéploiement ne va-t-il pas nuire à la mise en oeuvre de projets déjà engagés, au risque de faire bénéficier des puissances étrangères de secteurs intéressants en Afrique ? Je m'inquiète en particulier pour le projet d'amélioration de la sécurité des ports en Afrique de l'ouest et du centre, un beau projet financé par l'Union européenne et mis en oeuvre par Expertise France.
Une des stratégies d'influence de la Chine dans le Pacifique consiste à financer des missions de développement dans les petites îles exposées à des risques climatiques et environnementaux, ainsi qu'à l'insuffisance énergétique et alimentaire. Quelle place France Expertise et l'AFD comptent-elles donner aux projets de développement en Océanie, pour aider au développement de nombreuses villes très fragiles économiquement, contrer l'influence chinoise dans cette zone et accroître l'influence de la France ?
Nous devons être présents pour répondre aux enjeux climatiques et environnementaux auxquels les îles du Pacifique sont particulièrement exposées : montée des eaux, graves sécheresses et incendies, besoin d'autonomie énergétique et alimentaire en raison de l'insularité.
Quelles sont à l'heure actuelle les relations d'Expertise France avec les collectivités du Pacifique ? Si elles restent faibles, comment comptez-vous les renforcer ?
Quelle forme juridique votre intégration au sein de l'AFD prendra-t-elle ? Ferez-vous partie de cet établissement ou conserverez-vous une certaine autonomie ? Il s'agit, au demeurant, d'une excellente évolution, qui permettra à la France d'aborder les différents projets avec une offre globale en termes de financements et de ressources humaines.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la répartition entre dons et prêts ? Le contrat d'objectifs et de moyens prévoit une augmentation de la part des premiers.
Par ailleurs, si vous intervenez à peu près dans tous les domaines, quels sont vos principaux secteurs d'action, ceux dans lesquels vous êtes spécialisés ?
Enfin, intervenez-vous en Afrique anglophone, ce qui était, je crois, une des orientations du Président de la République ? Et travaillez-vous avec le secteur privé ?
Le quinquennat a démarré avec l'annonce d'une très forte ambition en matière d'aide publique au développement. Aujourd'hui, nous ne savons pas ce qu'il adviendra de la loi de programmation, et vous-même parlez d'une stabilisation de votre activité. N'est-on pas loin des moyens et de l'ambition nécessaires pour faire face à vos missions ?
Par ailleurs, pourriez-vous dresser un panorama synthétique de vos priorités stratégiques en Afrique et nous donner quelques exemples de pays que vous considérez comme fragiles et où vous ambitionnez d'intervenir davantage ?
Le projet Prisms, lancé au Burkina Faso à la suite de la propagation d'Ebola, vise à améliorer l'hygiène hospitalière et la sécurité des soins. Aujourd'hui, le contexte du Covid-19 confirme l'extrême importance de connaître et de respecter les règles d'hygiène. L'hygiène hospitalière s'améliore-t-elle en Afrique, et quelles mesures sont-elles prises ou envisagées pour la renforcer ?
Des actions sont menées en Chine en matière de partage d'expériences, de planification, de pilotage et de financement de la sécurité sociale et des dispositifs d'aide aux plus démunis. Or le coronavirus a fait apparaître plusieurs failles dans le régime chinois, la plus sérieuse étant le manque de transparence envers la population locale et le monde entier. Allez-vous faire évoluer votre approche vis-à-vis des projets en Chine ? Les nouvelles tensions géopolitiques avec les États-Unis affecteront-elles les opérations en cours et à venir ?
Enfin, l'Arabie Saoudite a annoncé la suspension des opérations au Yémen en raison du Covid-19. Comment la France, à travers Expertise France et l'AFD, pourrait-elle contribuer à la reconstruction et à l'instauration d'une paix durable dans ce pays ?
Ces questions précises témoignent d'une connaissance très fine de nos activités.
Commençons par les grands secteurs d'activité de l'agence. Nous avons beaucoup d'ambition, mais nous nous concentrons sur quatre grandes expertises : la paix, la sécurité et la stabilité - actions d'appui aux pays fragiles, de stabilisation et, avec Civipol Conseil, de sécurité - ; la gouvernance - démocratie, justice et droits de l'homme, d'une part, et gouvernance économique et financière, de l'autre - ; le capital humain - éducation, emploi, santé - ; et le domaine, en forte croissance, du développement durable - climat et agriculture, d'une part, et biodiversité, de l'autre.
Notre activité est très « africaine », puisque ce continent représente, en incluant l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient, 80 % de notre activité, mais elle ne se concentre pas que sur l'Afrique francophone. Nous agissons sur l'ensemble du continent - nous accentuons par exemple nos actions en Éthiopie et en Angola - et, de ce point de vue, notre intégration au sein de l'AFD sera très utile. Cela dit, nous restons concentrés sur la priorité que nous a donnée le Gouvernement : agir dans les pays prioritaires pour le développement ou pour l'action extérieure de la France.
En ce qui concerne les pays fragiles, je présenterai trois cas de figure : au Sahel, nous menons une action en réponse à la crise du Burkina Faso, pour créer de l'emploi via une formation professionnelle très opérationnelle ; nous sommes également présents au Liban, avec la lutte contre la corruption, programme crucial pour la reconstruction de ce pays ; enfin, à Haïti, nous agissons en faveur de la rénovation urbaine.
La stabilisation d'Expertise France n'est pas contradictoire avec les ambitions de la France en matière d'aide publique au développement. Elle est nécessaire, car le chiffre d'affaires de l'agence a été multiplié par trois en six ans. Cette phase est donc attendue par tous et elle est nécessaire pour la bonne intégration au sein de l'AFD.
Cela dit, l'ambition de la France en la matière demeurant très importante, quand nous aurons achevé la stabilisation de l'agence, nous continuerons de croître pour atteindre une dimension comparable à celle des grandes agences européennes - Allemagne, Espagne ou Belgique. En outre, notre rythme de croissance demeure élevé.
Pour ce qui concerne l'intégration d'Expertise France au sein de l'AFD, l'État a opté pour une filialisation. Notre agence ne sera donc pas absorbée par l'établissement public, elle en deviendra une filiale, sous la forme d'une société anonyme à capitaux 100 % publics, à l'instar de la société Promotion et participation pour la coopération économique (Proparco). Ce mode d'intégration est important pour nous permettre de mobiliser des ressources externes.
J'en viens au paysage institutionnel et à nos relations avec les autres opérateurs. Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, notre administratrice, l'a rappelé, l'État a décidé d'intégré le groupement d'intérêt public Justice coopération internationale (JCI) et Expertise France ; c'est positif. Nous n'avons pas été consultés sur le rattachement des deux opérateurs du ministère de l'agriculture au sein d'autres structures, pas plus que sur l'intégration de JCI, mais cela ne nous empêchera pas de continuer de travailler avec ce ministère, qui est, du reste, représenté à notre conseil d'administration.
Quant au lien entre la crise alimentaire et les modèles agricoles, la crise de la Covid 19 montre à quel point les sujets de dépendance agricole sont essentiels et démontre la nécessite de développer des filières agricoles locales et durables. C'est ce que à quoi nous contribuons, au travers de notre appui à la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) et à d'autres organismes régionaux d'Afrique de l'Ouest, afin de concilier la lutte contre le changement climatique et l'agriculture.
Nos relations avec la société Civipol Conseil, l'opérateur chargé des sujets de sécurité intérieure sous l'égide du ministère de l'Intérieur, sont bonnes. Nous avons des projets en commun avec cet organisme au Sahel.
C'est vrai, le Sahel représente 40 % de notre activité. La coordination des projets est cruciale. Nous sommes un opérateur chargé de la mise en oeuvre des programmes, donc la coordination doit d'abord être assurée à l'échelon des bailleurs de fonds : AFD, Union européenne, Banque mondiale. Toutefois, cette bonne coordination doit se refléter dans l'exécution ; c'est tout l'enjeu de notre action sur le terrain. Nous militons donc en faveur d'une plus grande intégration des agences dans la programmation de l'Union européenne et d'une coordination le plus en amont possible, afin que les projets soient plus efficaces.
Enfin, nous travaillons avec le secteur privé, qui est également représenté au sein de notre conseil d'administration et qui est rassuré sur la nature d'Expertise France.
Nous pouvons avoir une action dans nos territoires d'outre-mer, au travers de programmes régionaux. Notre vocation est de projeter l'expertise française à l'étranger, mais nous pouvons participer à des projets dans des zones incluant des territoires français - je pense à la zone caraïbe ou à l'océan Indien -, en particulier dans des programmes relatifs au réchauffement climatique et à la biodiversité.
En outre, les autorités françaises veulent qu'Expertise France soit plus présente en Asie, par exemple en matière de sécurité maritime, et nous avons obtenu la confiance de la Commission européenne pour mettre en place un projet de ce type en Asie.
En ce qui concerne le climat social au sein de l'agence, une réflexion est en cours sur la mise en place d'un cadre statutaire commun à l'ensemble des collaborateurs du groupe. Notre objectif est de faciliter la mobilité de ces derniers, dans les deux sens, et d'offrir des parcours professionnels au sein du groupe, ce qui requiert une certaine cohérence statutaire.
La gestion déléguée est le mode le plus commun de contractualisation avec l'Union européenne : elle représente 75 % des montants que nous percevons de l'Union. Il est donc crucial, pour nous, de rester parmi les quarante agences accréditées à la gestion de fonds européens. Les critères d'accréditation sont de plus en plus exigeants. Nous avons prévu un audit blanc cet été et, même si rien n'est jamais gagné en la matière, je pense que nous obtiendrons une nouvelle accréditation.
C'est d'autant plus important pour nous que les mécanismes de compensation de l'État reposent sur cette accréditation. Nous aurons, avec les représentants des ministères de tutelle, une discussion relative à nos prévisions d'activité en partenariat avec l'Union européenne pour définir les projets prioritaires.
J'en arrive à la réponse apportée à la crise de la Covid 19 en Afrique. Oui, il y a de nombreux acteurs et énormément d'argent pour répondre à cette crise. C'est pour cela que nous souhaitons que notre appui se concentre là où nous pouvons être efficaces, dans les pays où nous sommes déjà présents auprès des ministères de la Santé, où les acteurs nous connaissent.
Notre appui ne doit pas se substituer à l'action des États ni à l'action multilatérale, mais il faut pouvoir absorber ces fonds importants, émanant des bailleurs de fonds, et mettre en place les plans d'action. Là est toute la difficulté. Nous nous coordonnons avec les autres États européens, sous la houlette de la Commission européenne, pour que chacun agisse dans les zones les plus pertinentes pour lui.
Cela ne nous empêche pas de poursuivre nos programmes relatifs aux autres maladies : je pense au projet de prévention du risque infectieux et sécurité en milieu de soins (Prisms) ou à l'initiative dite « 5 % » de lutte contre le SIDA, le palu et la tuberculose. Nous pouvons réorienter 10 % à 15 % des crédits de ces projets vers la lutte contre la Covid 19.
D'ailleurs, il y a souvent un lien entre les maladies et la Covid 19. Nous travaillons avec les instituts Pasteur locaux pour lutter contre la tuberculose et nous constatons des co-pathologies. Nos actions sur les autres maladies apportent donc des réponses à la Covid 19. La lutte contre cette maladie ne doit pas se substituer à la lutte contre les autres pathologies, car les dommages de celles-ci perdureront, mais notre action vise à renforcer les systèmes de santé, ce qui rend plus facile ensuite la lutte contre toutes les maladies.
Dans la mesure où l'Union européenne arrive en période de fin de programmation, elle ne crée plus d'enveloppe nouvelle. Par conséquent, elle redistribue ses enveloppes pour apporter une réponse à la Covid 19. Cela affecte notre activité.
De manière générale, tous nos projets actuels comportent un volet de riposte à la Covid et c'est effectivement le cas de notre projet de sécurité portuaire d'Afrique centrale et occidentale, Western and Central Africa Port Security (WeCAPS). Notre action en la matière consiste à faire en sorte que les mesures sanitaires puissent être appliquées dans ces ports, qui sont clef du redémarrage de l'économie dans cette zone.
Nous avons une coopération avec la Chine et nous souhaitons continuer de travailler avec l'ensemble des pays du monde dont les priorités politiques rejoignent celles de la France et de l'Union européenne. Nous avons besoin de partenariats forts pour faire face aux enjeux globaux : climat, diversité. Nous avons très peu d'activités avec les États-Unis, dont l'action internationale est suivie de près par le Congrès, et celles-ci ne sont pas modifiées pour l'instant.
Enfin, ni l'AFD ni Expertise France ne sont présentes au Yémen ; cette question concerne plus le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, qui doit déterminer la place que la France veut occuper dans la reconstruction de ce pays. Bien entendu, nous pouvons être sollicités ensuite.
La situation économique du Liban est très inquiétante ; l'inflation y est démesurée, alors que cette économie dépend largement du dollar et des importations. Quelles informations pouvez-vous nous donner sur ce pays, dont la stabilité influe sur la stabilité de la zone ?
Quelles actions conduisez-vous pour fidéliser ou accroître votre vivier d'experts ? Envisagez-vous d'accorder une place plus importante aux collectivités territoriales dans vos programmes de coopération technique ?
Avec la constitution, en 2014, d'un opérateur unique, on a créé une marque nouvelle : Expertise France. Or vous êtes en concurrence pour répondre aux appels d'offres. Existe-t-il, dans le contrat d'objectifs et de moyens, un plan de développement de la notoriété de votre marque ?
Le Liban traverse effectivement une crise très grave et nous devons rester modestes quant à ce que nous pouvons faire. Il s'agit principalement d'un problème de dette et de gestion financière, qui relève largement de la gouvernance du pays. Celui-ci nécessite sans doute un changement majeur de modèle, car son économie reposait beaucoup sur les ressources de sa diaspora.
Nos programmes promeuvent la diversification économique du pays, via le développement du secteur privé - agriculture ou filière bois - pour renforcer le tissu de PME et diminuer les importations. J'ai également cité la lutte contre la corruption et il faudra sans doute soutenir la mise en place de filets étatiques de sécurité sociale, en remplacement des systèmes communautaires. Enfin, nous allons faire de Beyrouth notre plate-forme régionale.
Nous nous appuyons effectivement sur un réseau d'experts. Nous venons de créer une base de données pour animer et développer ce réseau, car l'expertise publique se tarit avec la réduction des moyens de l'administration. Nous mobilisons donc d'autres réseaux d'experts, notamment au sein des collectivités territoriales. Nous avons ainsi un partenariat très efficace avec les administrateurs territoriaux, qui se déploient volontiers à l'étranger. La diversification de notre vivier d'expertise est un enjeu central pour nous.
Enfin, notre marque est bien établie aujourd'hui auprès de nos bailleurs de fonds, notamment européens. Certes, il y a une quarantaine d'agences accréditées, mais ce système permet surtout à la Commission de choisir l'agence avec laquelle elle veut travailler sans passer par un appel d'offres. Elle co-construit donc ses projets avec les agences, ce qui met en valeur la capacité de celles-ci à monter des programmes convaincants. Cette compétence n'existe que dans quelques agences européennes, dont la nôtre. Nous avons construit un lien de confiance très fort avec la Commission. Cela dit, en effet, nous avons tenu compte de la notoriété de notre marque dans le cadre de l'intégration au sein de l'AFD. Nous devons garder notre identité et nous réfléchissons à la manière de valoriser cette marque, car c'est l'expertise technique française que recherchent nos pays partenaires.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
- Présidence de M. Pascal Allizard, vice-président -
Nous allons maintenant entendre l'avis des rapporteurs sur le projet de contrat d'objectifs et de moyens d'Expertise France.
Le projet de contrat d'objectifs et de moyens qui nous est présenté aujourd'hui doit encadrer l'activité d'Expertise France pour la période 2020-2022. Il comporte plusieurs nouveautés importantes et pourrait marquer l'arrivée à maturité de notre opérateur d'expertise internationale.
Je vous présenterai un bilan succinct des cinq premières années d'Expertise France, puis ma collègue co-rapporteure, Marie-Françoise Perol-Dumont, vous présentera les grands enjeux de cet opérateur pour l'avenir.
Expertise France a été créée en 2014, sous l'impulsion de notre commission, en particulier celle de notre président et de notre ancien collègue Jacques Berthou, afin de remédier à une véritable atomisation de l'expertise française internationale entre une multitude d'organismes et de services, généralement de petite taille et disposant de très faibles moyens.
Expertise France s'est développée très rapidement, passant d'un chiffre d'affaires d'environ 105 millions d'euros, tous opérateurs confondus, à plus de 230 millions d'euros en 2019. L'agence a réalisé cette croissance rapide en allant bien au-delà des traditionnels jumelages ministériels, décrochant des contrats auprès de l'Union européenne, qui représentent aujourd'hui la majorité de son chiffre d'affaires.
Elle a également mis en oeuvre d'importantes offres intégrées contenant la fourniture d'équipements, avec des projets emblématiques, comme l'appui à la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), l'appui à la force conjointe du G5 Sahel ou encore le programme d'appui au renforcement de la sécurité dans la région de Mopti et à la gestion des zones frontalières (Parsec).
Elle est ainsi devenue un acteur clef de ce continuum souvent évoqué entre sécurité et développement. Elle a acquis une légitimité, une force de frappe et une réactivité qui lui permettent de se positionner rapidement et avec efficacité dans la lutte contre la crise du coronavirus en Afrique.
Grâce ces succès, Expertise France est aujourd'hui un acteur de dimension européenne, loin encore de la GIZ, mais comparable aux agences d'expertise de nos autres partenaires européens.
Ces succès importants et reconnus n'ont pas empêché Expertise France de rencontrer des difficultés importantes.
Son équilibre économique était fragile, parce que l'État français ne souhaitait pas apporter des financements massifs et parce que les commandes européennes ne permettent pas de dégager une marge significative. L'augmentation du volume moyen des projets, passé de 1,4 million d'euros en 2016 à 2,7 millions d'euros aujourd'hui, a fait exploser le chiffre d'affaires sans pour autant améliorer la rentabilité de l'organisme. De même, le rapprochement avec l'AFD n'a produit à l'origine que très peu de résultats, faute d'une vision stratégique préalable sur ce que pourrait être l'alliance d'une banque de développement et d'une agence d'expertise internationale.
En outre, les relations entre Expertise France et plusieurs ministères ont été marquées par une certaine méfiance. Certaines administrations ont sans doute regretté la perte de leur propre organisme d'expertise internationale et ils ont parfois eu du mal à se reconnaître dans les gros projets mis en oeuvre par l'agence, qui ne sont pas toujours alignés sur leurs propres priorités.
Certains opérateurs ministériels se sont également opposés avec succès à leur intégration à Expertise France. En particulier, la société anonyme Civipol Conseil, proche du ministère de l'intérieur, a défendu son autonomie, en s'appuyant sur le caractère régalien de certaines de ses missions. La coopération entre les deux organismes sur certains projets ne s'est pas faite sans heurts. Il en a été de même des opérateurs agricoles.
Enfin, l'agence a connu une crise de croissance liée à la transformation des missions de ses salariés, qui ont dû devenir des chasseurs de projets sur un marché très concurrentiel et suivre la progression rapide du chiffre d'affaires tout en améliorant leur productivité.
Beaucoup de ces difficultés sont aujourd'hui surmontées, mais il reste un certain nombre de défis, que Marie-Françoise Pérol-Dumont va vous présenter.
Le projet de contrat d'objectifs et de moyens qui nous est présenté comporte un certain nombre d'avancées, dont plusieurs répondent aux préoccupations que notre commission avait déjà exprimées.
Premièrement, l'équilibre économique de l'agence n'était jusqu'à présent pas garanti. L'objectif de quasi-autofinancement fixé à l'agence à sa création en 2014 n'était pas soutenable compte tenu de la nature de son activité. Cela nous avait conduits à préconiser, au travers de notre rapport-bilan de 2018 un financement supplémentaire de l'État pour certains projets confiés en gestion déléguée par la Commission européenne à l'agence, projets de caractère souvent stratégique mais n'étant pas assez rémunérateurs, à l'instar de ce que pratiquent déjà l'Allemagne ou la Belgique. Le projet de contrat d'objectifs et de moyens franchit ce pas décisif en prévoyant, enfin, un tel soutien.
Ce contrat indique aussi que les opérations bilatérales financées par la commande publique des ministères seront « rémunérées au juste prix pour permettre à Expertise France de couvrir ses coûts ». Il était temps !
En outre, après un début difficile, les financements dont bénéficie Expertise France en provenance de l'AFD sont désormais beaucoup plus importants, avec 130 millions d'euros de projets financés en 2019 contre moins de 40 millions d'euros en 2018.
Enfin, la commande publique des ministères affiche elle-même une forte hausse, atteignant environ 75 millions d'euros à partir de 2020, une part non négligeable du chiffre d'affaires de l'agence.
Au total, Expertise France pourra continuer sa croissance sur des bases plus saines et plus solides. Nous estimons que l'effort ainsi accompli marque la reconnaissance, par les pouvoirs publics, de la pertinence du modèle de l'agence et de sa forte plus-value pour projeter l'expertise française à l'international. À titre personnel, je regrette que cette reconnaissance n'ait pas eu lieu dès la création de l'agence ; cela aurait évité bien des aléas...
Deuxièmement, le contrat d'objectifs et de moyens prévoit un nouveau dispositif pour améliorer les relations entre Expertise France et les ministères pourvoyeurs d'expertise : la mise en place de comités consultatifs opérationnels rassemblant les représentants des ministères qui mobilisent l'agence. Ces nouvelles instances sont en cours d'installation ; il est donc encore trop tôt pour évaluer cette réforme, qui va néanmoins, nous semble-t-il, dans le bon sens.
Troisièmement, un succès a été obtenu sur le front de l'achèvement du regroupement des opérateurs, prévu par la loi du 7 juillet 2014 d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale, afin de supprimer les doublons et de donner au nouvel opérateur une taille critique. Le comité interministériel de la transformation publique a en effet décidé, le 15 novembre 2019, de rattacher JCI à Expertise France. Nous nous en félicitons, car cette dernière met notamment en oeuvre des projets confiés par l'Union européenne en gestion déléguée dans le champ du renforcement des services judiciaires et de l'amélioration de la chaîne pénale. Cette fusion donnera ainsi davantage de cohérence et d'impact à l'expertise française dans ce domaine et atteste que les préconisations de Jean-Pierre Vial et moi-même n'étaient pas dénuées de fondement.
Quatrièmement, le projet de contrat d'objectifs et de moyens fait clairement de l'Afrique et des pays fragiles une priorité pour Expertise France. Il est ainsi prévu que l'agence signera annuellement 50 % de ses nouveaux contrats en Afrique, et qu'elle contribuera à l'effort de l'État dans les zones de fragilités telles que les bassins de crise du Sahel, du lac Tchad et de la République centrafricaine. Dans ces régions, l'appui aux opérations internationales de sécurité et de maintien de la paix, la stabilisation et le renforcement des États resteront au coeur des activités de l'agence.
Pour finir, je veux indiquer quelques éléments qui nous paraissent moins positifs et quelques interrogations relatives à l'avenir de l'agence.
En premier lieu, le Comité interministériel de la transformation publique du 15 novembre 2019 a décidé que l'opérateur agricole Adecia serait rattaché non à Expertise France mais à FranceAgriMer, l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer, et que France Vétérinaire International serait intégrée à l'école VetAgroSup. Le paysage administratif global est, certes, simplifié mais au détriment de la cohérence de l'expertise internationale française. Nous en prenons acte, mais il est important qu'Expertise France conserve de bonnes relations avec le ministère de l'agriculture et les autres acteurs de l'expertise agricole, car l'agence a plusieurs projets importants en cours dans le domaine de l'agriculture durable, tant en Amérique latine qu'en Afrique de l'Ouest ou encore au Liban.
En second lieu, si un gros travail a été accompli pour intégrer Expertise France au sein du groupe AFD, avec la mutualisation des fonctions supports et la conduite de nombreux projets en commun, certaines zones de flou persistent, que le contrat d'objectifs et de moyens ne dissipe pas. Aboutira-t-on à terme au rapprochement des statuts des salariés de l'un et de l'autre organismes ? Expertise France restera-t-elle autonome au sein du groupe AFD ? Le directeur général nous assure que oui, mais nous n'en avons pas la garantie. Ou sera-t-elle progressivement absorbée, ce qui serait la négation de bien des avancées ?
En tout état de cause, ces questions seront traitées dans le cadre de la future loi d'orientation sur la solidarité internationale et l'aide au développement ; nous devrons donc en examiner attentivement les dispositions.
Enfin, la préservation de l'autonomie d'Expertise France dépendra du renouvellement de l'accréditation à la gestion des fonds européens, qui conditionne la première source de financement de l'agence. La fin de l'année sera décisive à cet égard, avec le résultat de l'audit mené par la Commission.
Ainsi, sous réserve de ces quelques points de vigilance, Jean-Pierre Vial et moi vous proposons de donner un avis favorable au projet de contrat d'objectif et de moyens d'Expertise France pour 2020-2022.
Merci de cet exposé clair.
Je n'ai pas reçu de demande de parole.
Mes chers collègues, il n'y a pas d'observation sur cette communication de nos rapporteurs ? Cet avis est donc approuvé. Par conséquent, je propose de le transmettre aux ministères de tutelle - le ministère de l'économie et des finances et le ministère de l'Europe et des affaires étrangères -, à l'AFD et aux autres membres de la commission.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées autorise la transmission de l'avis sur le contrat d'objectifs et de moyens.
La téléconférence est close à 12 h 10.