La question de la relocalisation se pose peu dans le domaine de la défense, puisque plus de 90 % de l'emploi des grands programmes français d'export est en France. Le reste relève souvent de la coopération souhaitée par les pays acheteurs, qui favorise la vente et donc l'emploi en France.
Le sujet de la dualité est bien plus compliqué. La problématique de relocalisation impose d'identifier ce qui est stratégique. On ne peut pas dépendre de fabrications en Chine pour nos matériels de défense. Mais nous ne vendons nos matériels dans le domaine civil que si nous sommes compétitifs. Airbus fait face à la compétition de Boeing et fera un jour face à celle de la Chine.
Les États-Unis soutiennent leur industrie, mais portent un contentieux contre Airbus devant l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
Dans la guerre commerciale entre l'Europe, les États-Unis et la Chine, l'Europe doit se doter des moyens d'assurer sa souveraineté stratégique. Pour ce faire, il faut payer pour le développement en technologie et ne pas demander de l'autofinancement, qui, de facto, fragilise le domaine civil, puisqu'il faut bien amortir ces développements. Ni les Américains ni les Chinois ne le font jamais ! Quand il y a regroupement de sociétés stratégiques qui tentent de survivre face à la concurrence internationale, l'Europe ne doit pas opposer une problématique de compétition intracommunautaire.
Je reprends l'exemple des masques. Ils sont stratégiques, mais il faut que dans un an, quand ils coûteront deux fois plus cher en France qu'en Chine, on continue à les acheter quand même en France. Les États doivent être capables de soutenir les filières considérées comme stratégiques. C'est en partie le cas pour le nucléaire, qui motorisera peut-être un jour le futur porte-avions.
La problématique du programme SCAF, c'est que tous les pays européens, ou presque tous, y compris des pays qui ont l'Eurofighter, achètent américain. Presque tous ont acheté des F-35, avec quasiment 100 % d'emploi et de technologie aux États-Unis, puisqu'on ne peut contribuer au programme F-35 que si l'on est compétitif, ce qui n'est pas possible pour les Européens. Tout cela est un habillage pour payer le parapluie américain qui protège l'Europe.
Les Allemands n'ont plus d'avions de combat américains, mais des Tornado et des Eurofighter. Un sujet reste stratégique : certains des pays de l'OTAN se sont engagés à porter l'arme nucléaire américaine dans des missions dites « OTAN ». Pour ce faire, des autorisations d'emport de ces bombes sur des Tornado ont été données. Maintenant, les Américains disent qu'elles doivent être portées sur des avions américains. Ils ont une stratégie d'intégration dans leur modèle économique. C'est simple : tout doit aller ensemble.
L'idéal eut été que l'Allemagne achète des Typhoon, qu'elle produit sur son sol. Or, en raison de l'interdiction de monter la bombe nucléaire américaine sur des avions allemands, elle est contrainte d'acheter aux États-Unis. Cela reste une décision souveraine, sauf si l'on arrête la mission d'emport de la bombe américaine. L'Allemagne souhaite développer son secteur aéronautique, ce qui est légitime. À nous, Français, d'être capables aussi d'investir dans notre secteur aéronautique. Je rappelle que le SCAF et le Next Generation Fighter (NGF) entreront en service en 2040. D'ici là, il faut bien des avions de combat. En France, c'est le Rafale. Il faut continuer son développement. Il faut protéger et renforcer la mission nucléaire. La chaîne de production Rafale doit se poursuivre jusqu'en 2030-2035, sinon il y aura un trou de production.
La crise du Covid-19 inquiète l'ensemble des équipes de la supply chain et de la maîtrise d'oeuvre. Il faut renforcer la capacité de la France et de l'export.
S'ajoute à la crise du Covid-19 la crise du pétrole dans les pays du Moyen-Orient, qui sont des clients. Cette crise favorisera la relance dans certains pays grâce à des prix d'énergie bas, mais ce sont des rentrées financières en moins dans les pays producteurs ; on peut redouter des décalages de programmes.