Je vous remercie, Monsieur le président. Les questions sont très nombreuses. Je vais m'efforcer d'être bref pour laisser place à un échange. Bien évidemment, nous sommes à votre disposition aujourd'hui et ultérieurement pour vous apporter tous les éléments complémentaires qui seraient nécessaires à votre réflexion.
Vous connaissez très bien l'ADIE, les uns et les autres, comme je l'ai bien perçu à travers vos propos. Je ne vous décrirai donc pas notre association. Je souligne combien notre action est adaptée aux enjeux de la crise que nous connaissons dans la période actuelle. Nous avons accordé l'an passé un peu plus de 8 500 microcrédits dans les outre-mer, dans un contexte où la croissance et le développement de nos activités en outre-mer ont été extrêmement rapides. Je dois dire que nous avons été assez fortement soutenus par la plupart des collectivités ultramarines et par l'État. Je propose de vous donner quelques chiffres.
Nous avions accordé dans les outre-mer un peu plus de 34 millions d'euros de crédits en 2017 et près de 45 millions d'euros de crédits en 2019, ce qui témoigne d'une évolution très rapide et très forte. J'en viens à quelques éléments sur la composition des personnes que nous accompagnons en outre-mer. Elles se répartissent entre 55 % de femmes et 45 % d'hommes. La parité n'est pas atteinte, mais dans un sens inhabituel, qui est inversé. Près de 40 % de nos clients n'ont aucun diplôme, ce qui donne une indication de la typologie de cette population. 50 % des clients habitent en zone rurale, dont 10 % en terre coutumière. Nous y sommes donc très présents. 24 % résident dans les quartiers relevant de la politique de la ville. Le centrage sur les populations en situation sociale d'éloignement, et souvent d'exclusion, est extrêmement fort. Ce sont précisément ces populations qui sont fortement atteintes par la crise. Il est très facile de l'estimer à travers la composition des activités des personnes que nous accompagnons.
Dans les outre-mer, l'essentiel des activités se situe dans le secteur du commerce ambulant, les services à la personne et l'agriculture, peut-être un peu moins touchée. Il va de soi que toutes les activités liées aux transports et aux services, auxquelles j'ajouterai la restauration et l'hôtellerie qui représentent une part importante, ont été fortement impactées - et pour la plupart, pratiquement arrêtées. Cette situation est bien connue. À travers ces quelques mots généraux de présentation, je souhaite souligner combien les personnes avec lesquelles nous sommes quotidiennement en contact dans les outre-mer sont probablement parmi les plus vulnérables, et donc les plus fortement touchées par la crise. Ces propos m'amènent à commencer à répondre plus précisément aux questions qui ont été posées.
Tout d'abord, je reviendrai sur les actions que nous avons menées. La première démarche que nous avons engagée est très simple et n'est pas d'ordre technique, mais elle est évidente. Nous avons pris contact avec les entrepreneurs que nous accompagnons, nos clients. Nous les avons tous appelés et nous avons réussi à les joindre presque tous, soit 9 300 personnes dans les outre-mer. Cette démarche nous a ensuite permis d'effectuer plusieurs actions. Notre priorité réside dans le contact. Selon notre expérience en métropole et en outre-mer, les personnes en situation de solitude, d'exclusion ou de difficultés dans leur activité sont extrêmement satisfaites de recevoir un appel destiné à prendre de leurs nouvelles et à réfléchir à ce qu'il est possible de faire. Ces contacts ont parfois été réitérés, puisque nous poursuivons ces appels, engagés dès le deuxième jour de la mise en confinement. Nous avons mobilisé la totalité de nos moyens, aussi bien dans les outre-mer qu'en métropole, pour contacter les clients dès cette date.
Au-delà de ce contact humain, nous avons bien évidemment apporté davantage à nos clients, du conseil, un appui technique et opérationnel pour l'accès au dispositif d'aides publiques et de report de charges, mais aussi pour la gestion de la situation de crise. Nous avons évoqué avec eux leur situation financière et réalisé 5 500 reports d'échéances pour les crédits en cours. Nous avons mis en place un dispositif de prêts de secours destiné à couvrir des situations d'urgence de trésorerie. Enfin, nous avons poursuivi cette démarche d'accompagnement tout au long de ces deux mois, selon des rythmes adaptés à la situation de chaque territoire. Certains d'entre eux étaient entrés un peu plus tôt dans le confinement et en sont sortis plus tôt. Malheureusement, le cas de Mayotte est le plus difficile aujourd'hui, compte tenu de la virulence de l'épidémie et de la situation sanitaire. Nous poursuivons encore cette démarche à l'heure actuelle. À ce jour, à l'exception de Mayotte, toutes nos antennes d'outre-mer ont rouvert, parfois dès fin avril, ce qui est notamment le cas de l'antenne de Polynésie dont le confinement et la réouverture ont été plus précoces. Les autres agences ont rouvert en présentiel le 12 mai, à l'exception de Mayotte.
L'un des sujets que nous connaissons tous, particulièrement mis en évidence durant la crise, est la violence de la fracture numérique. Les populations exposées aux plus grandes difficultés se trouvent encore plus pénalisées durant les périodes où, pour des raisons sanitaires incontournables, le contact humain devient difficile, voire impossible. Par conséquent, le recours au digital devient une obligation. Le fait de ne pas pouvoir y accéder est un handicap supplémentaire. Conscients de ces difficultés, nous avons mis en place un dispositif qui nous permet de gérer par téléphone les procédures administratives de certaines personnes ayant des droits et qui ne sont pas en mesure de les faire valoir elles-mêmes. Par ailleurs, au-delà des mesures d'accompagnement individuel mises en place depuis deux mois pour gérer ces problématiques financières, nous avons offert aux entrepreneurs que nous accompagnons un ensemble de services de formation et de sensibilisation aux problématiques d'actualité à travers l'organisation de webinaires, de newsletters, de tutoriels et de conseils téléphoniques. L'un des enjeux concernait la manière de maintenir l'activité durant le confinement, ce qui est parfois possible, mais suppose de modifier la manière de travailler. À titre d'exemple, les personnes qui exercent des activités de petite restauration peuvent les poursuivre, même en cas de fermeture des salles. Nous avons également abordé la question de la préparation de la reprise d'activité et la gestion de la trésorerie.
Nous avons pu mettre en oeuvre ces dispositifs dans un contexte d'extrême impact de la crise. Nous avons pris note de ces échanges. Nous avons réalisé une synthèse de la situation, en particulier dans les outre-mer. Je propose de vous faire part de quelques chiffres relevés à l'occasion de ces entretiens auprès de totalité de nos 10 000 clients. Ces données concernent exclusivement les outre-mer, à la différence des chiffres figurant dans notre plaidoyer. Celui-ci est beaucoup plus large, puisqu'il concerne l'ensemble du pays.
80 % des entrepreneurs ultramarins accompagnés par l'ADIE ont dû cesser totalement leur activité. Les baisses de chiffre d'affaires sont massives, aussi bien aux Antilles qu'en Guyane, à La Réunion ou à Mayotte. Cette tendance est un peu moins accentuée en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie. À ce jour, nous ne disposons pas d'implantation à Saint-Pierre-et-Miquelon. Suite à la mission menée sur ce territoire, nous avons prévu d'y ouvrir l'accès au crédit à distance, mais ce dispositif n'est pas encore mis en place.
Je précise que le travail de synthèse des entretiens a été mené jusqu'à la fin du mois de mars ou au début du mois d'avril. À cette époque, 42 % des entrepreneurs interrogés ne pensaient pas avoir accès au fonds de solidarité. Je ne suis pas à même d'actualiser ce chiffre, car nous n'avons pas réalisé de nouvelle synthèse. Toutefois, je ne pense pas me tromper en affirmant que ce nombre de personnes exclues des dispositifs s'est très fortement réduit pendant le mois d'avril. Ce constat concerne les outre-mer et la métropole, sous la très forte réserve du travail informel. Pour les entrepreneurs, le dispositif du fonds de solidarité a bénéficié de deux extensions successives courant avril et début mai. De nombreux entrepreneurs sont passés à côté de l'échéance du mois de mars. En revanche, les droits ont été élargis le mois suivant de manière tout à fait satisfaisante. Désormais, la couverture théorique et réelle du fonds de garantie est relativement satisfaisante. La grande majorité des très petites entreprises est couverte, ce qui n'était pas le cas au début du mois d'avril.
Toutefois, il convient d'exprimer un certain nombre de réserves. D'une part, le secteur informel, auprès duquel nous sommes très présents, est un enjeu majeur. D'autre part, le droit théorique n'est pas le droit réel. Les personnes qui ne sont pas à l'aise avec l'outil digital en raison de problématiques de réseau, d'équipements ou d'usage rencontrent des difficultés d'accès au droit, car elles ne sont pas en mesure de gérer des procédures, même simples, sur Internet. Cette fracture numérique est donc la deuxième grande limite. Enfin, les aides du fonds de solidarité ont été calibrées de façon à permettre de vivre pendant la période de confinement, durant laquelle le revenu s'est brutalement interrompu. Le fonds de solidarité a permis de payer les charges qui n'ont pas été annulées, reportées ou annulées, et tout simplement de vivre. En revanche, ce dispositif n'est pas formaté pour permettre le redémarrage. Il s'agit du grand sujet sur lequel nous devons engager des échanges.
Je propose également de vous dire quelques mots sur le PGE. Nos clients en sont généralement très éloignés. Plus de la moitié des personnes qui ont répondu à notre étude n'en connaissaient même pas l'existence. Pour l'autre moitié, la quasi-totalité n'avait pas accès de facto à ce dispositif, puisque 70 % des personnes qui connaissaient ce prêt se sont vus opposer un refus par leur banquier. Sans doute certaines d'entre elles devraient avoir accès à ce dispositif. Pour autant, je crois que l'on ne peut pas reprocher au PGE de ne pas servir à un usage pour lequel il n'est pas fait. C'est au microcrédit de faire ce travail. Cela valait pour la période d'urgence, même s'il ne s'agissait pas du sujet prioritaire, et cela vaudra pour la période de relance. Il ne faut pas chercher à utiliser un outil adapté aux PME, aux petites entreprises et aux entreprises de taille variable à des travailleurs indépendants et des micro-entrepreneurs pour des raisons opérationnelles, administratives et pratiques. Le dispositif n'est pas calibré pour cet usage. En sens inverse, s'il était adapté à cet usage, il serait beaucoup moins adapté aux PME, aux petites entreprises et aux entreprises de taille variable qui ont également besoin d'être soutenues. En tout cas, le PGE a très peu concerné nos clients. En métropole, 6 à 7 % de nos clients en ont bénéficié.