Délégation sénatoriale aux outre-mer

Réunion du 20 mai 2020 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • ADIE
  • clients
  • entrepreneurs
  • outre-mer
  • prêt
  • régions

La réunion

Source

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Monsieur le président, mes chers collègues, Mesdames, Messieurs. Dans le cadre de l'étude de notre délégation sur l'urgence économique dans les outre-mer, nous accueillons cet après-midi M. Frédéric Lavenir, président de l'Association pour le droit à l'initiative économique (ADIE), accompagné de M. Matthieu Barrier, directeur adjoint du réseau, et de Mme Alice Rosado, directrice des relations institutionnelles et du plaidoyer.

Je rappelle que, pour mener cette étude, notre délégation a désigné trois rapporteurs, M. Stéphane Artano, Mmes Viviane Artigalas et Nassimah Dindar en vue de dresser un état des lieux de la situation économique des outre-mer et de formuler des propositions. Un point d'étape a été établi le 14 mai après l'audition de la ministre des outre-mer.

Nous avons commencé hier la deuxième partie de l'étude par une nouvelle série d'auditions axées sur des thématiques plus sectorielles. Nous espérons qu'elle sera aussi fructueuse que la précédente. Nous avons organisé une table ronde extrêmement dense, longue et éclairante, sur la situation très préoccupante du transport aérien, qui a réuni onze représentants de compagnies ou de syndicats aériens. La vidéo de cette table ronde est accessible en VOD sur le site du Sénat. Nous allons la diffuser largement, car il faut absolument faire remonter au Gouvernement les témoignages alarmants de ces dirigeants.

Monsieur le président, vous avez été destinataire d'une trame préparée par nos rapporteurs, auxquels je laisserai donc le soin de présenter leurs questions après mon propos introductif. Puis vous aurez la parole pour leur répondre. Nous aurons ensuite un temps d'échanges avec nos autres collègues.

Nous connaissons tous l'ADIE, dont la mission est de permettre à des personnes qui n'ont pas accès au système bancaire traditionnel ou aux aides d'une manière générale de créer leur propre entreprise grâce au microcrédit accompagné.

Votre association est très présente dans les outre-mer où elle réalise près d'un tiers de ses activités. En 2019, vous aviez l'ambitieux objectif, Monsieur le président, de doubler la part des outre-mer dans votre bilan en trois ans. Vous pourrez dresser le bilan au 20 mai 2020 alors que sévit une des plus graves crises économiques qu'ait connue notre pays. J'ai lu avec beaucoup d'intérêt votre plaidoyer pour une relance inclusive.

L'ADIE soutient précisément les entrepreneurs à faible revenu et n'ayant pas accès au crédit bancaire dans nos territoires, qui sont parmi les plus fragiles de notre pays. Nous connaissons également l'importance que vous accordez à l'entrepreneuriat féminin dont la délégation avait salué le dynamisme dans le cadre d'un grand colloque que nous avons organisé au Sénat en 2019.

Vous avez su développer avec vos partenaires un réseau important. J'ai d'ailleurs noté dans votre plaidoyer que vous demandiez un soutien massif de l'ensemble de vos partenaires à l'ADIE. Celui-ci est indispensable pour assurer le financement des prêts d'honneur dans le cadre de la relance. M. Bertrand Willocquet, directeur du département Trois Océans de l'Agence française de développement (AFD), que nous avons auditionné le 30 avril, a salué les résultats remarquables que vous avez obtenus ces dernières années et a évoqué le soutien de l'Agence au microcrédit dans nos territoires. Face aux très grandes difficultés économiques et sociales dans lesquelles nos territoires sont plongés, nous sommes nombreux à penser que vous pouvez apporter des solutions pragmatiques et adaptées à leurs spécificités, compte tenu de leur enclavement ou leur insularité. Je cède sans plus tarder la parole à nos deux rapporteurs présents qui vont vous poser leurs questions.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Artano

Monsieur le président, je vous en remercie. Ma première intervention concernera les dispositifs d'urgence. J'assurerai également une seconde intervention en remplacement de Mme Nassimah Dindar qui s'excuse de ne pas pouvoir être présente parmi nous. Celle-ci concernera la stratégie d'avenir pour les outre-mer.

Tout d'abord, j'aimerais aborder avec vous trois thématiques relatives aux entreprises exclues des dispositifs d'urgence. L'ADIE soutient les entrepreneurs à faibles revenus qui n'ont pas accès au crédit bancaire. Quelles actions avez-vous engagées pour vos clients depuis le début de la crise et avec quels résultats si vous avez déjà pu en tirer des enseignements ? Quel constat faites-vous des mesures d'urgence du Gouvernement dans les outre-mer, notamment l'impact du fonds de solidarité ? Les entreprises s'étant vues refuser des prêts PGE se sont-elles tournées vers l'ADIE ? Les PME constituent l'essentiel de vos clients, soit 80 % de très petites entreprises en outre-mer. Sont-elles encore plus nombreuses dans ce contexte à vous solliciter ? Comment avez-vous adapté votre dispositif de crédit et de trésorerie à la situation de chaque territoire, dans les DROM-COM ainsi qu'en Nouvelle-Calédonie, selon les différents statuts qui existent en outre-mer ? Selon vous, comment les services de l'État et les collectivités territoriales agissent-ils sur le plan économique au niveau local dans ce contexte si particulier ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Cher collègue, je vous remercie. Je passe la parole à Mme Viviane Artigalas.

Debut de section - PermalienPhoto de Viviane Artigalas

Je vous remercie d'être présent. Je souhaite vous interroger sur le redémarrage des économies. Toutes les auditions menées jusqu'à présent montrent que nous nous situons dans une phase où il est absolument vital que l'économie, quelle qu'elle soit, redémarre et particulièrement dans les territoires d'outre-mer. Dans la perspective de cette reprise économique postérieure au confinement, l'ADIE a annoncé un plan de relance en faveur des entrepreneurs individuels. Pouvez-vous en détailler les mesures, plus particulièrement pour les outre-mer ? Le secteur informel est très important à Mayotte et ce territoire demeure aujourd'hui en confinement, malgré certaines informations sur la réouverture de quelques petits commerces. Cette situation n'est pas tenable. Quelles aides pouvez-vous apporter à ces entreprises particulièrement vitales pour les populations ? Enfin, mon troisième point concerne les types d'accompagnement spécifiques que vous pouvez proposer pour aider au redémarrage des activités des personnes que vous suivez, notamment celles qui se situent sous le seuil de pauvreté.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Je vous remercie, chère collègue. Je redonne la parole à M. Stéphane Artano pour intervenir au nom de Mme Nassimah Dindar.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Artano

Je vous en remercie, Monsieur le président. Le premier sujet est le suivant. Votre action permet le soutien à la création d'entreprises. Comment envisagez-vous l'avenir des petites entreprises pour qu'elles puissent continuer à se créer, compte tenu des perspectives difficiles qui s'annoncent pour les outre-mer ? Le deuxième point concerne le domaine de la microfinance. Quelles sont les secteurs qu'il faudrait soutenir en priorité pour accompagner ces territoires ? Avez-vous notamment des propositions à exprimer au sujet de la résorption de la fracture numérique ou électronique ? Enfin, les ressources de l'ADIE sont fortement impactées par la crise. De quels types de réserves de financement disposez-vous ? Sur quels financements ou refinancements de prêts comptez-vous de la part des partenaires publics que sont l'État, Bpifrance, les régions mais également des partenaires privés que sont les banques et les assurances ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Merci, cher collègue. Monsieur le président, je vous cède la parole pour un tour d'horizon. Vous pouvez également faire intervenir vos deux collègues si vous le souhaitez. Nous compléterons votre intervention par les questions posées au fur et à mesure de son avancée.

Debut de section - Permalien
Frédéric Lavenir, président de l'ADIE

Je vous remercie, Monsieur le président. Les questions sont très nombreuses. Je vais m'efforcer d'être bref pour laisser place à un échange. Bien évidemment, nous sommes à votre disposition aujourd'hui et ultérieurement pour vous apporter tous les éléments complémentaires qui seraient nécessaires à votre réflexion.

Vous connaissez très bien l'ADIE, les uns et les autres, comme je l'ai bien perçu à travers vos propos. Je ne vous décrirai donc pas notre association. Je souligne combien notre action est adaptée aux enjeux de la crise que nous connaissons dans la période actuelle. Nous avons accordé l'an passé un peu plus de 8 500 microcrédits dans les outre-mer, dans un contexte où la croissance et le développement de nos activités en outre-mer ont été extrêmement rapides. Je dois dire que nous avons été assez fortement soutenus par la plupart des collectivités ultramarines et par l'État. Je propose de vous donner quelques chiffres.

Nous avions accordé dans les outre-mer un peu plus de 34 millions d'euros de crédits en 2017 et près de 45 millions d'euros de crédits en 2019, ce qui témoigne d'une évolution très rapide et très forte. J'en viens à quelques éléments sur la composition des personnes que nous accompagnons en outre-mer. Elles se répartissent entre 55 % de femmes et 45 % d'hommes. La parité n'est pas atteinte, mais dans un sens inhabituel, qui est inversé. Près de 40 % de nos clients n'ont aucun diplôme, ce qui donne une indication de la typologie de cette population. 50 % des clients habitent en zone rurale, dont 10 % en terre coutumière. Nous y sommes donc très présents. 24 % résident dans les quartiers relevant de la politique de la ville. Le centrage sur les populations en situation sociale d'éloignement, et souvent d'exclusion, est extrêmement fort. Ce sont précisément ces populations qui sont fortement atteintes par la crise. Il est très facile de l'estimer à travers la composition des activités des personnes que nous accompagnons.

Dans les outre-mer, l'essentiel des activités se situe dans le secteur du commerce ambulant, les services à la personne et l'agriculture, peut-être un peu moins touchée. Il va de soi que toutes les activités liées aux transports et aux services, auxquelles j'ajouterai la restauration et l'hôtellerie qui représentent une part importante, ont été fortement impactées - et pour la plupart, pratiquement arrêtées. Cette situation est bien connue. À travers ces quelques mots généraux de présentation, je souhaite souligner combien les personnes avec lesquelles nous sommes quotidiennement en contact dans les outre-mer sont probablement parmi les plus vulnérables, et donc les plus fortement touchées par la crise. Ces propos m'amènent à commencer à répondre plus précisément aux questions qui ont été posées.

Tout d'abord, je reviendrai sur les actions que nous avons menées. La première démarche que nous avons engagée est très simple et n'est pas d'ordre technique, mais elle est évidente. Nous avons pris contact avec les entrepreneurs que nous accompagnons, nos clients. Nous les avons tous appelés et nous avons réussi à les joindre presque tous, soit 9 300 personnes dans les outre-mer. Cette démarche nous a ensuite permis d'effectuer plusieurs actions. Notre priorité réside dans le contact. Selon notre expérience en métropole et en outre-mer, les personnes en situation de solitude, d'exclusion ou de difficultés dans leur activité sont extrêmement satisfaites de recevoir un appel destiné à prendre de leurs nouvelles et à réfléchir à ce qu'il est possible de faire. Ces contacts ont parfois été réitérés, puisque nous poursuivons ces appels, engagés dès le deuxième jour de la mise en confinement. Nous avons mobilisé la totalité de nos moyens, aussi bien dans les outre-mer qu'en métropole, pour contacter les clients dès cette date.

Au-delà de ce contact humain, nous avons bien évidemment apporté davantage à nos clients, du conseil, un appui technique et opérationnel pour l'accès au dispositif d'aides publiques et de report de charges, mais aussi pour la gestion de la situation de crise. Nous avons évoqué avec eux leur situation financière et réalisé 5 500 reports d'échéances pour les crédits en cours. Nous avons mis en place un dispositif de prêts de secours destiné à couvrir des situations d'urgence de trésorerie. Enfin, nous avons poursuivi cette démarche d'accompagnement tout au long de ces deux mois, selon des rythmes adaptés à la situation de chaque territoire. Certains d'entre eux étaient entrés un peu plus tôt dans le confinement et en sont sortis plus tôt. Malheureusement, le cas de Mayotte est le plus difficile aujourd'hui, compte tenu de la virulence de l'épidémie et de la situation sanitaire. Nous poursuivons encore cette démarche à l'heure actuelle. À ce jour, à l'exception de Mayotte, toutes nos antennes d'outre-mer ont rouvert, parfois dès fin avril, ce qui est notamment le cas de l'antenne de Polynésie dont le confinement et la réouverture ont été plus précoces. Les autres agences ont rouvert en présentiel le 12 mai, à l'exception de Mayotte.

L'un des sujets que nous connaissons tous, particulièrement mis en évidence durant la crise, est la violence de la fracture numérique. Les populations exposées aux plus grandes difficultés se trouvent encore plus pénalisées durant les périodes où, pour des raisons sanitaires incontournables, le contact humain devient difficile, voire impossible. Par conséquent, le recours au digital devient une obligation. Le fait de ne pas pouvoir y accéder est un handicap supplémentaire. Conscients de ces difficultés, nous avons mis en place un dispositif qui nous permet de gérer par téléphone les procédures administratives de certaines personnes ayant des droits et qui ne sont pas en mesure de les faire valoir elles-mêmes. Par ailleurs, au-delà des mesures d'accompagnement individuel mises en place depuis deux mois pour gérer ces problématiques financières, nous avons offert aux entrepreneurs que nous accompagnons un ensemble de services de formation et de sensibilisation aux problématiques d'actualité à travers l'organisation de webinaires, de newsletters, de tutoriels et de conseils téléphoniques. L'un des enjeux concernait la manière de maintenir l'activité durant le confinement, ce qui est parfois possible, mais suppose de modifier la manière de travailler. À titre d'exemple, les personnes qui exercent des activités de petite restauration peuvent les poursuivre, même en cas de fermeture des salles. Nous avons également abordé la question de la préparation de la reprise d'activité et la gestion de la trésorerie.

Nous avons pu mettre en oeuvre ces dispositifs dans un contexte d'extrême impact de la crise. Nous avons pris note de ces échanges. Nous avons réalisé une synthèse de la situation, en particulier dans les outre-mer. Je propose de vous faire part de quelques chiffres relevés à l'occasion de ces entretiens auprès de totalité de nos 10 000 clients. Ces données concernent exclusivement les outre-mer, à la différence des chiffres figurant dans notre plaidoyer. Celui-ci est beaucoup plus large, puisqu'il concerne l'ensemble du pays.

80 % des entrepreneurs ultramarins accompagnés par l'ADIE ont dû cesser totalement leur activité. Les baisses de chiffre d'affaires sont massives, aussi bien aux Antilles qu'en Guyane, à La Réunion ou à Mayotte. Cette tendance est un peu moins accentuée en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie. À ce jour, nous ne disposons pas d'implantation à Saint-Pierre-et-Miquelon. Suite à la mission menée sur ce territoire, nous avons prévu d'y ouvrir l'accès au crédit à distance, mais ce dispositif n'est pas encore mis en place.

Je précise que le travail de synthèse des entretiens a été mené jusqu'à la fin du mois de mars ou au début du mois d'avril. À cette époque, 42 % des entrepreneurs interrogés ne pensaient pas avoir accès au fonds de solidarité. Je ne suis pas à même d'actualiser ce chiffre, car nous n'avons pas réalisé de nouvelle synthèse. Toutefois, je ne pense pas me tromper en affirmant que ce nombre de personnes exclues des dispositifs s'est très fortement réduit pendant le mois d'avril. Ce constat concerne les outre-mer et la métropole, sous la très forte réserve du travail informel. Pour les entrepreneurs, le dispositif du fonds de solidarité a bénéficié de deux extensions successives courant avril et début mai. De nombreux entrepreneurs sont passés à côté de l'échéance du mois de mars. En revanche, les droits ont été élargis le mois suivant de manière tout à fait satisfaisante. Désormais, la couverture théorique et réelle du fonds de garantie est relativement satisfaisante. La grande majorité des très petites entreprises est couverte, ce qui n'était pas le cas au début du mois d'avril.

Toutefois, il convient d'exprimer un certain nombre de réserves. D'une part, le secteur informel, auprès duquel nous sommes très présents, est un enjeu majeur. D'autre part, le droit théorique n'est pas le droit réel. Les personnes qui ne sont pas à l'aise avec l'outil digital en raison de problématiques de réseau, d'équipements ou d'usage rencontrent des difficultés d'accès au droit, car elles ne sont pas en mesure de gérer des procédures, même simples, sur Internet. Cette fracture numérique est donc la deuxième grande limite. Enfin, les aides du fonds de solidarité ont été calibrées de façon à permettre de vivre pendant la période de confinement, durant laquelle le revenu s'est brutalement interrompu. Le fonds de solidarité a permis de payer les charges qui n'ont pas été annulées, reportées ou annulées, et tout simplement de vivre. En revanche, ce dispositif n'est pas formaté pour permettre le redémarrage. Il s'agit du grand sujet sur lequel nous devons engager des échanges.

Je propose également de vous dire quelques mots sur le PGE. Nos clients en sont généralement très éloignés. Plus de la moitié des personnes qui ont répondu à notre étude n'en connaissaient même pas l'existence. Pour l'autre moitié, la quasi-totalité n'avait pas accès de facto à ce dispositif, puisque 70 % des personnes qui connaissaient ce prêt se sont vus opposer un refus par leur banquier. Sans doute certaines d'entre elles devraient avoir accès à ce dispositif. Pour autant, je crois que l'on ne peut pas reprocher au PGE de ne pas servir à un usage pour lequel il n'est pas fait. C'est au microcrédit de faire ce travail. Cela valait pour la période d'urgence, même s'il ne s'agissait pas du sujet prioritaire, et cela vaudra pour la période de relance. Il ne faut pas chercher à utiliser un outil adapté aux PME, aux petites entreprises et aux entreprises de taille variable à des travailleurs indépendants et des micro-entrepreneurs pour des raisons opérationnelles, administratives et pratiques. Le dispositif n'est pas calibré pour cet usage. En sens inverse, s'il était adapté à cet usage, il serait beaucoup moins adapté aux PME, aux petites entreprises et aux entreprises de taille variable qui ont également besoin d'être soutenues. En tout cas, le PGE a très peu concerné nos clients. En métropole, 6 à 7 % de nos clients en ont bénéficié.

Debut de section - Permalien
Matthieu Barrier, directeur adjoint du réseau

Ce taux avoisine 7 % dans les outre-mer.

Debut de section - Permalien
Frédéric Lavenir, président de l'ADIE

C'est donc marginal. Par ailleurs, je crois avoir déjà répondu en partie à la question de l'adaptation du dispositif de l'ADIE. Nous nous sommes rapprochés plus que jamais de nos clients. Nous sommes reconnus pour notre proximité avec eux et l'accompagnement individuel que nous assurons en matière de formation et de conseil. Celui-ci est toujours apprécié. En tout cas, nous y apportons une très grande attention. Notre capacité à financer des activités de très petite taille, hors normes, et des personnes hors système est également reconnue. Nous avons donc mis en oeuvre notre savoir-faire, mais nous sommes allés plus loin que d'habitude à la rencontre des entrepreneurs. Nous les avons appelés et nous sommes allés à leur contact. Habituellement, nous menons cette démarche lors du lancement de projets, mais elle s'inscrit dans une relation bilatérale où les clients sont proactifs. En l'occurrence, nous sommes allés chercher les clients, ce qui constitue la principale innovation, indépendamment de l'adaptation de notre offre financière au travers des rééchelonnements systématiques sur demande et des prêts de trésorerie. Enfin, nous avons mis en place un dispositif destiné à la relance. Celui-ci ne concerne plus la période de crise sanitaire et de confinement durant laquelle les activités étaient arrêtées. Son objectif consiste à regarder l'avenir et nous interroger sur les actions à entreprendre. D'un côté, les clients touchés violemment par cette crise doivent pouvoir repartir. De l'autre, nous devons continuer à susciter des créations d'activités dans des économies qui, très probablement, seront globalement impactées par la crise économique issue de l'épidémie.

Votre deuxième préoccupation concerne le redémarrage des économies. Pour les entrepreneurs, il s'agit d'un sujet personnel avant même d'être un sujet macroéconomique. Nous sommes frappés par leur anxiété lors de nos échanges. Ils ont pu survivre grâce au fonds de solidarité et aux différents dispositifs de report de charges. Nous les avons aidés modestement en leur proposant un accompagnement pour tenir durant cette période, mais ils sont angoissés par l'avenir. D'une part, leur activité est bien souvent un projet de vie dans lequel ils se sont énormément investis. Le fait qu'elle soit brisée est extrêmement douloureux. D'autre part, le redémarrage est dans la plupart des cas une nouvelle création sur le plan économique. Il n'y a plus de clients, plus de stock, plus d'essence dans le réservoir.

Ces entrepreneurs doivent recommencer à zéro, même si cela n'est pas tout à fait zéro, puisqu'ils font face au passif psychologique de la crise ainsi qu'au passif financier des dettes qui n'ont pas systématiquement été reportées, et encore moins annulées. Il peut s'agir de dettes de loyer, de dettes résultant d'un crédit ou encore de dettes d'électricité. Ce passif fait la différence avec la création à partir de zéro. Enfin, la plupart de ces entreprises ont été créées dans le contexte macroéconomique d'avant la crise. Il va falloir repartir dans un contexte plus difficile, plus heurté. Les contraintes sanitaires vont engendrer des coûts supplémentaires pour ces très petites activités. Dans de nombreux cas, le redémarrage est une épreuve et un obstacle que beaucoup ont le sentiment de ne pas être en mesure de franchir. En tout cas, ils pensent ne pas pouvoir y parvenir seuls.

Le plan de relance repose sur l'ADIE et ses partenaires, qu'il s'agisse de collectivités, de partenaires bancaires ou d'entreprises, et sur l'action publique de l'État et des territoires dont les actions à caractère universel ne sont pas spécifiquement liées à tel ou tel réseau. L'ADIE a immédiatement mis en place un dispositif de relance au travers d'une offre d'accompagnement dédiée, qui correspond au prolongement et à la poursuite d'un effort de présence individuelle. Notre association a également institué un dispositif de conseils adaptés à la période que nous connaissons. Ceux-ci concernent la réorientation du modèle économique dans un contexte de confinement, la relance et l'adaptation de l'offre financière. Ce redémarrage d'activité est effectué avec un passif. Certes, l'ADIE peut faire bénéficier les entrepreneurs de microcrédits, mais ils doivent pouvoir le rembourser en évitant le risque de surendettement. Par conséquent, la question centrale est celle des fonds propres.

Lorsqu'un entrepreneur doit redémarrer son activité avec un passif, il doit remettre les compteurs à zéro et avoir les moyens de repartir grâce aux fonds propres ou aux quasi fonds propres. Nous sommes en mesure d'apporter ces quasi fonds propres pour autant que nous puissions nous appuyer sur des partenariats avec les collectivités territoriales. Dans notre langage et celui des personnes que nous accompagnons, il s'agit de prêts d'honneur : des prêts à taux zéro, sans intérêts et sans garantie, faisant l'objet d'un important différé de remboursement qui permet de disposer pendant toute la période de redémarrage de fonds qui ne seront pas remboursables et permettront de gérer la reprise. Sur ces fonds propres, en fonction de la situation financière de chacun, vient se greffer du microcrédit qui permet de compléter le plan de financement pour le redémarrage de l'activité. Nous avons besoin de l'appui de nos partenaires pour mettre en place ces prêts d'honneur. Il s'agit de la première demande que nous formulons.

Nous avons mis en place un prêt d'honneur de relance dont le montant peut atteindre 10 000 euros et dont le remboursement est différé de vingt-quatre mois. Cette mise de fonds sans intérêts et sans garantie permet de borner la période de redémarrage. Nous avons évalué à environ 23 millions d'euros nos besoins pour le financement des entrepreneurs ultramarins qui nous sollicitent. Il s'agit d'une estimation, puisque nous sommes au début du processus. Il n'est pas exclu que ce montant soit plus important, ce qui serait positif puisqu'il serait synonyme d'une forte relance, mais il n'est pas exclu qu'il soit finalement inférieur à cette estimation. Nous avons adressé des demandes de participation à ce fonds aux collectivités territoriales ainsi qu'au ministère des outre-mer, avec lequel nous avons engagé des discussions depuis quelques semaines, mais également à l'AFD et, plus largement, à nos partenaires bancaires. Ce périmètre est plus large que les outre-mer qui pourront bien sûr bénéficier de la collecte. Certains partenaires ont d'ores et déjà commencé à y contribuer. Une partie de leur contribution sera consacrée aux outre-mer.

Debut de section - Permalien
Matthieu Barrier, directeur adjoint du réseau

Nous avons déjà obtenu un accord de Saint-Martin, pour un montant de 500 000 euros. Nous y démarrons notre activité. Nous avons peu de clients, mais ces ressources vont nous permettre d'accorder un prêt d'honneur à tous ceux qui en ont besoin et, le cas échéant, de traiter les demandes d'entrepreneurs qui auraient des difficultés lors du redémarrage. Nous disposons également d'autres pistes intéressantes, même si aucun accord n'est encore bouclé. Nous avons de bonnes nouvelles en Martinique. Nous espérons pouvoir les confirmer bientôt. En Guadeloupe, nous avons eu des échanges avec M. Olivier Serva, président de la délégation aux outre-mer de l'Assemblée nationale. Les collectivités territoriales sont conscientes que le tissu des toutes petites entreprises est encore plus vital dans chacune des régions d'outre-mer qu'en métropole. Nous ne pouvons pas laisser ces 12 000 personnes de côté. Si elles devaient cesser leur activité, elles n'auraient d'autre solution que de s'inscrire au chômage, voire au RSA, ce qui aurait un coût social énorme pour ces régions. Nous avons eu des échanges très précieux avec nos partenaires et nous espérons pouvoir doter ce fonds pour atteindre 23 millions d'euros, ce qui représente une partie des besoins de nos créateurs d'entreprises, selon une hypothèse plutôt basse.

Tout appui est bienvenu. Aller jusqu'au bout est toujours un défi. Nous avons conscience des difficultés de la situation et de l'importance de la relance dans les outre-mer.

Debut de section - Permalien
Frédéric Lavenir, président de l'ADIE

Je propose maintenant d'aborder le secteur informel dont vous avez mentionné les difficultés particulières. Traditionnellement, il ne fait pas partie du périmètre des droits ouverts dans le cadre des politiques publiques. À cet égard, l'ADIE a pris une large avance. Depuis toujours, nous rencontrons dans les banlieues et les campagnes de métropole ou d'outre-mer de très nombreux entrepreneurs qui, pour toutes sortes de raisons, ne s'inscrivent pas dans un univers formalisé. Cette situation est très fréquente dans les outre-mer. Si nous avions exclu toute intervention auprès de ces entrepreneurs, nous aurions éliminé un grand nombre de situations qui relèvent de nos missions. Nous avons toujours suivi des logiques d'accompagnement en accordant des financements avant la formalisation. Nous avons assumé depuis très longtemps notre capacité à financer les personnes en situation non déclarée afin de les accompagner progressivement vers la formalisation, qui est à la fois un devoir et une opportunité. Elle ouvre en effet la possibilité de développer les activités, d'accroître le niveau des revenus et de créer un potentiel de croissance qui ne serait pas envisageable dans le cadre informel.

Notre longue expérience nous amène à être particulièrement sensibles à ces enjeux. D'une certaine manière, cela tombe bien. Il y a quelques mois, nous avons été retenus par le programme « 100 % Inclusion » (PIC) pour gérer un projet que nous avons intitulé « Tremplin », avec l'appui des subventions de l'État. Nous l'avons structuré à partir de notre expérience. Ce projet consiste à accompagner des travailleurs indépendants en situation non déclarée vers l'immatriculation et l'entrée dans le secteur formel. Cette démarche est antérieure à l'épidémie. À notre connaissance, l'État assume pour la première fois de financer un programme destiné à soutenir des acteurs en situation informelle. Pour nous, il s'agit d'une grande victoire et d'une grande joie. La réalité est enfin considérée telle qu'elle est, et non pas telle qu'elle devrait être.

Le programme Tremplin, déjà financé avant l'épidémie, concerne un certain nombre de territoires en métropole comme en outre-mer. La Martinique, la Guadeloupe et Mayotte figurant parmi les territoires sélectionnés. Notre objectif dans le cadre du programme consiste à former plus de 700 personnes en deux ans sur les territoires d'expérimentation et à atteindre un taux de 40 % d'immatriculations au terme du parcours. Dans les territoires ultramarins, l'objectif porte sur 450 personnes. Le démarrage était prévu en septembre prochain. Nous avons mobilisé les agences dans les territoires concernés, dont deux agences à Mayotte ainsi qu'une permanence hebdomadaire. À Mayotte, cette organisation est déjà définie. J'espère que la sortie du confinement interviendra suffisamment tôt pour que le projet puisse démarrer comme prévu en septembre. Même s'il est décalé, nous sommes déjà dans cette logique.

Pour autant, cela n'est pas suffisant. Seuls quelques territoires ont été sélectionnés. Le dispositif, même s'il est subventionné par l'État, ne comporte pas de prime au départ alors que cela nous paraît nécessaire pour maximiser les chances des bénéficiaires. Nous militons pour tirer profit de cette période de crise et de la nécessité du redémarrage des activités pour accélérer et renforcer le programme de sortie de l'informel. Nous souhaitons son extension aux territoires qui ne sont pas concernés par le programme Tremplin et la création d'une prime au démarrage. Cela se vérifie particulièrement dans les outre-mer. Les personnes éligibles à cette prime seraient celles qui relèvent du secteur informel et qui accepteraient l'accompagnement vers le secteur formel dans le cadre du programme. Nous pourrons vous en communiquer le contenu.

Sur le plan juridique, l'absence de statut d'autoentrepreneur à Mayotte a posé problème. Fort heureusement, ce statut est instauré depuis un mois, ce qui constitue un grand progrès et permettra d'optimiser un certain nombre de démarches. Des droits sociaux pourraient également être ouverts, mais ce sujet est beaucoup plus vaste.

Vous avez soulevé la question de l'accompagnement spécifique des personnes se situant sous le seuil de pauvreté. J'ai déjà détaillé au cours de cette présentation l'essentiel de nos missions. Les personnes dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté ne font l'objet d'aucun dispositif spécifique, car ce sont les missions mêmes de l'ADIE que d'accompagner ces personnes. En métropole, cette situation concerne la moitié de nos clients au moment où ils rejoignent l'ADIE. Dans les outre-mer, cette proportion doit être supérieure et avoisiner peut-être 70 ou 80 %.

Debut de section - Permalien
Matthieu Barrier, directeur adjoint du réseau

Je confirme que ce taux est nettement supérieur à celui de l'hexagone.

Debut de section - Permalien
Frédéric Lavenir, président de l'ADIE

Au total, la plupart de nos clients sont situés sous le seuil de pauvreté. Les actions de l'ADIE ne sont pas absolument corrélées au seuil de pauvreté. En revanche, elles sont relativement liées à cet aspect. C'est à l'égard des personnes confrontées aux plus grandes difficultés que notre action d'accompagnement est la plus importante. Nous renforçons notre accompagnement auprès des personnes qui ont des difficultés avec l'écrit, par exemple. J'ai d'ailleurs évoqué tout à l'heure la problématique de la fracture numérique.

Debut de section - Permalien
Matthieu Barrier, directeur adjoint du réseau

Ces personnes sont également celles qui relèvent du secteur informel. Il existe un lien avec le niveau de formation et la capacité à se repérer dans l'environnement administratif. Ces personnes sont souvent issues d'une immigration plus ou moins récente aux Antilles et en Guyane. Elles rencontrent des difficultés de non-accès au dispositif d'aides sociales. Elles ont tendance à rester de façon persistante dans le secteur informel, où elles exercent des activités intracommunautaires. Il ne s'agit pas de professionnels du travail au noir, mais de personnes qui n'arrivent pas à passer le cap pour structurer une activité. Dans 100 % des cas, elles se situent sous le seuil de pauvreté.

Debut de section - Permalien
Frédéric Lavenir, président de l'ADIE

J'ai proposé de vous envoyer des informations détaillées sur le programme Tremplin, qui comprend une dimension d'accompagnement très importante dans le domaine que Matthieu Barrier vient d'évoquer. Il est structuré de façon à permettre à ce public d'être plus à l'aise avec l'écrit, les chiffres et les procédures administratives.

J'en viens à la responsabilité de la puissance publique dans le plan de relance. Au-delà de l'accompagnement sous la forme du microcrédit, des prêts d'honneur et des quasi-fonds propres menés par l'ADIE, il est indispensable de doter les entrepreneurs de véritables fonds propres. La mise en place d'un dispositif de primes de relance permettrait à la plupart des personnes concernées de sortir des situations difficiles. Il s'agit du coeur de notre plaidoyer pour une relance inclusive.

Les personnes dont nous parlons en outre-mer comme en métropole n'ont pas accès aux prêts participatifs et aux fonds propres que Bpifrance va probablement chercher à susciter dans les fonds de gestion. Ces dispositifs sont absolument hors champ. La seule manière d'apporter des fonds propres à ces travailleurs indépendants à faibles revenus, tout particulièrement dans les outre-mer, consiste à leur accorder une prime de relance, qui constitue la finalisation logique du fonds de solidarité. À la suite de certains ajustements, ce dernier a pu couvrir les besoins de survie des travailleurs indépendants durant la période du confinement. Toutefois, leur activité ne redémarre pas le jour de la sortie du confinement. Ils n'ont pas droit de percevoir des allocations chômage et n'ont pas d'épargne. À la différence des salariés qui peuvent bénéficier du chômage partiel ou ont la possibilité de retrouver leur emploi, ils ne possèdent rien et ont besoin de moyens de vivre le temps de relancer leur activité. Ils ont des dettes à payer et doivent racheter des stocks. Ils ont besoin de faire le plein d'essence et de retrouver des clients. Or ils n'auront pas de clients durant la première semaine, et quelques clients seulement durant les semaines suivantes. Il faut donc pouvoir leur apporter des financements durant cette période.

L'arrêt brutal du fonds de solidarité à l'issue du confinement est un non-sens pour les non-salariés et pour les travailleurs indépendants, particulièrement dans les outre-mer où se concentrent les situations les plus délicates. Nous plaidons avec conviction pour la nécessité absolue de prolonger le fonds de solidarité pour les travailleurs indépendants à faibles revenus, même s'il ne s'agit pas de couvrir la totalité de cette population, puisque certaines personnes ont de l'épargne. Nous avons proposé que cette prolongation porte sur un montant de 3 000 euros. Il reste probablement à préciser les conditions de revenus et de chiffre d'affaires maximal des bénéficiaires.

Concernant la formalisation des activités, la prolongation du dispositif pourrait être conçue de telle sorte que les personnes en situation informelle puissent bénéficier du programme spécifique. Il faut pouvoir donner droit à cette aide à toutes les personnes du secteur informel qui le justifient. Ce dispositif est équitable, socialement efficace. Cette crise dramatique aura permis de leur donner l'opportunité d'intégrer le secteur formel.

Votre troisième point concerne les stratégies d'avenir. Outre le plan de relance déjà évoqué, je propose d'aborder la question de l'accompagnement aux nouvelles créations d'activité. À cet égard, nous pouvons formuler un certain nombre de propositions à caractère général ainsi qu'une proposition spécifique aux outre-mer. Parmi les propositions à caractère général, citons le rétablissement de l'ACRE (Aide aux créateurs et repreneurs d'entreprise). Le Gouvernement a décidé de supprimer le régime spécifique d'exonérations dégressives de cotisations sociales sur trois ans dont bénéficiaient les micro-entrepreneurs. Nous nous sommes opposés à cette décision. Jusqu'à fin 2018, ce dispositif était réservé aux créateurs d'entreprises éloignés de l'emploi. Nous n'avions jamais demandé son élargissement. Il a été élargi, puis la rigueur budgétaire a conduit le gouvernement à le réduire. Le rétablissement de ce système nous paraît nécessaire pour relancer la création d'entreprises.

Par ailleurs, nous nous exprimons en faveur d'un pacte pour l'inclusion par le travail indépendant, une relance inclusive, qui permettra de financer son développement. Enfin, je souhaite évoquer une problématique spécifique aux régions d'outre-mer. En octobre 2019, le président de la République a annoncé à La Réunion que le plafond du microcrédit, actuellement fixé à 12 000 euros, serait porté à 15 000 euros dans l'ensemble des outre-mer, comme il l'a été à titre expérimental et avec succès à Mayotte. Aujourd'hui, 20 % des prêts à Mayotte concernent des montants de 12 000 à 15 000 euros. Un cinquième des entreprises auxquelles nous apportons un soutien financier n'auraient pas pu être créées si ce plafond dérogatoire de 15 000 euros n'avait pas été institué. Cela permet d'appréhender les possibilités qu'ouvrirait l'augmentation du plafond dans tous les territoires d'outre-mer en dehors de Mayotte. Le président de la République l'a annoncé en octobre 2019. Nous sommes en mai 2020, et ce dispositif n'est toujours pas mis en place. Il s'agit d'une anomalie administrative dont nous pouvons craindre qu'elle perdure longtemps. Si nous voulons faciliter la création de nouvelles entreprises, il faut appliquer cette décision.

L'ADIE est elle-même fortement impactée par la crise. L'association est financièrement robuste. Elle a été gérée prudemment et n'a pas besoin de demander aux pouvoirs publics des aides d'urgence. Elle est en mesure d'assumer ses missions et de faire face à cette situation. En revanche, ses besoins sont considérables pour l'avenir. Le coût du risque, qui se traduit par le nombre de défauts de paiement va fortement s'accroître dans les outre-mer comme en métropole. Notre activité sera fortement réduite par rapport aux prévisions initiales. Les revenus d'autofinancement vont diminuer. Enfin, les mesures d'accompagnement ont un coût. En conséquence, l'ADIE va consommer ses réserves durant les deux années à venir. En termes de fonctionnement, elle aura besoin de l'appui des collectivités. Nous pourrons assurer nos missions et pérenniser notre accompagnement à condition de bénéficier de cet appui de la part de nos partenaires, tout particulièrement dans les outre-mer au-delà du financement des fonds de prêts d'honneur, qui relève de l'urgence.

Enfin, vous vous interrogez sur les secteurs à soutenir. Il ne nous semble pas pertinent d'en dresser la liste précise. Nos clients relèvent de toutes sortes de secteurs : le commerce, l'artisanat, l'agriculture, la restauration, l'hôtellerie et les transports... Ils sont représentés dans les régions d'outre-mer à des degrés divers. Presque tous ces secteurs ont été impactés par la crise. Au-delà de l'approche sectorielle, nous devons mener une approche sociale et porter toute l'attention nécessaire à la spécificité des besoins de ces populations. Nous avons longuement évoqué l'adaptation des produits financiers et la capacité à les proposer de façon proactive aux personnes qui en ont besoin sans nous contenter de les mettre à disposition derrière un guichet.

J'espère avoir répondu à vos interrogations. Nous sommes à votre disposition pour répondre à d'autres questions que cette présentation générale pourrait laisser ouvertes.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Je vous remercie, Monsieur le président, pour cette présentation précise et rigoureuse. Vous avez expliqué de façon très pédagogique vos missions auprès des personnes les plus vulnérables et votre désir de les accompagner Vous avez longuement évoqué le fonds de solidarité. La première version du dispositif nous avait également alertés. Nous sommes nombreux à être montés au créneau car en l'absence de modification, 80 % des entreprises ultramarines n'auraient pas été éligibles au deuxième volet du fonds de solidarité. Vous avez également fait part d'une proposition de moratoire sur les charges. Ce dispositif n'est pas la meilleure solution puisqu'un moratoire reste un endettement qu'il faut rembourser tôt ou tard. Enfin, j'ai bien noté votre programme Tremplin. Certains collègues souhaitent peut-être prendre la parole.

Debut de section - PermalienPhoto de Viviane Artigalas

L'assouplissement du fonds de solidarité est-il rétroactif ?

Debut de section - Permalien
Frédéric Lavenir, président de l'ADIE

Ceux qui étaient exclus au mois de mars n'ont pas perçu la somme de façon rétroactive.

Debut de section - Permalien
Alice Rosado, directrice des relations institutionnelles et du plaidoyer

Les calendriers de demande de l'aide ne permettaient pas de la solliciter de façon rétroactive.

Debut de section - PermalienPhoto de Viviane Artigalas

Nous avions exprimé cette demande au sein de la commission des Affaires économiques, mais nous n'avons pas été entendus. Par ailleurs, vous avez évoqué l'angoisse des petits entrepreneurs par rapport au redémarrage. Avez-vous de la visibilité sur le nombre de clients qui pourraient ne pas redémarrer leur activité dans les outre-mer ?

Debut de section - Permalien
Frédéric Lavenir, président de l'ADIE

Je peux répondre à cette question au travers des quelques éléments que je vous ai communiqués.

Debut de section - Permalien
Matthieu Barrier, directeur adjoint du réseau

Pour l'instant, ces personnes ne sont pas dans une situation extrême de radiation de leur activité. Celles qui ont complètement arrêté leur activité sont peu nombreuses. La plupart espèrent la redémarrer. Nos équipes de salariés et de bénévoles poursuivent leurs démarches téléphoniques auprès de cette population de 12 000 personnes. Nous pouvons mettre en place des outils financiers dans l'attente d'éventuelles dotations du fonds et proposer des prêts de relance aux clients qui s'affirment capables de redémarrer leur activité, mais qui ont besoin de 3 000 euros pour reconstituer leurs stocks. Ces processus d'intervention sont très rapides, mais si l'enveloppe de 23 millions d'euros n'est pas distribuée en septembre, il sera trop tard. Nous en avons besoin dès à présent.

Près de 50 % des clients ne savent pas encore à quoi s'en tenir et restent encore sous l'effet de la sidération. J'ai ainsi dialogué avec une personne dont l'activité concerne la réparation de hottes pour les restaurants, dont la date de reprise n'est pas encore fixée. Dès lors que les restaurateurs auront repris leur activité, ils ne vont pas accorder la priorité à ce type de travaux, puisqu'ils vont devoir reconstituer leur trésorerie. Nous allons donc aider cette personne à envisager le développement de services spécifiques lui permettant de générer immédiatement du chiffre d'affaires. Nous allons trouver des solutions pour la réorientation temporaire de son activité. Si cette personne a besoin de matériel spécifique pour se lancer dans la réparation de chaudières, par exemple, nous étudierons son besoin de financement. Pour l'instant, les entrepreneurs n'ont pas baissé les bras. Ils ont l'espoir qu'avec la fin du confinement, leur activité pourra être relancée. Une grande partie des personnes que nous accompagnons, et tout particulièrement dans les régions d'outre-mer, ont très peu d'alternatives et vont rechercher une solution. Notre priorité consiste à les contacter pour connaître leur situation durant ces premières semaines de sortie du confinement. Nous espérons « limiter la casse ».

Enfin, je souhaite donner une note positive. La capacité de résilience de ces populations est peut-être un peu plus importante dans les régions d'outre-mer. Elles ont besoin d'être accompagnées et soutenues financièrement pour y parvenir et ont déjà vécu des périodes de blocage économique et social pendant plusieurs semaines, notamment à Mayotte. Nous avions d'ailleurs obtenu un soutien financier très rapide de l'État et de la Caisse des dépôts, ce qui a permis aux bénéficiaires de redémarrer leur activité et de rembourser leurs prêts un an plus tard. Nous sommes persuadés qu'il est possible d'éviter la catastrophe.

Debut de section - Permalien
Frédéric Lavenir, président de l'ADIE

Pour ces entrepreneurs qui ont beaucoup d'énergie et peu d'alternatives, l'instant de vérité aura lieu dans quelques semaines ou quelques mois. Ils sont nombreux à devoir faire évoluer leur modèle et rechercher d'autres clients particuliers pour redévelopper leur activité. Cependant, cette démarche prendra du temps et nécessitera des investissements, dans la création d'un site Internet par exemple. Une fois ces investissements chiffrés, un certain nombre d'entrepreneurs n'auront pas d'autre solution que de trouver des fonds propres et des prêts d'honneur, mais pourraient y renoncer s'ils sont confrontés à des difficultés - non liées à des liquidations ou des faillites, mais au non-redémarrage des activités. Il faudra quelques semaines ou quelques mois pour évaluer la capacité des nouvelles entreprises à générer un revenu suffisant. Je rappelle que de nombreux clients percevaient les minima sociaux et, dans certains cas, sont encore en partie dans cette situation. Ils n'ont pas envie de baisser les bras, mais s'ils ne sont pas soutenus, ils finiront par se heurter à la réalité. Il faut absolument éviter cette situation.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Je vous remercie pour cette intervention. Je souscris à votre propos sur la résilience des populations dans les territoires d'outre-mer. Elle caractérise nos vies d'îliens qui ont connu des cyclones, des tremblements de terre, de grands épisodes de grève et qui ont, à chaque fois, à faire redémarrer l'économie. Toutefois, la situation actuelle est exceptionnelle, et même inédite. Il faudra mobiliser tous les moyens et votre action est indispensable.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Théophile

Lors de la dernière rencontre avec Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer, au mois de septembre, nous avons évoqué le projet Sprinter qui prévoit de doubler l'activité de l'ADIE en outre-mer afin d'atteindre 15 000 bénéficiaires en 2022. L'épidémie va-t-elle modifier l'enveloppe de 1,8 million d'euros annoncée lors de la signature du plan ainsi que le contenu du projet ?

Debut de section - Permalien
Frédéric Lavenir, président de l'ADIE

Il est probable que le Covid-19 aura un impact sur le calendrier de nos réalisations. Certaines d'entre elles n'ont pas pu être mises en oeuvre et seront décalées. Nos ambitions sont maintenues, même si certains rééchelonnements sont nécessaires. Il n'y a pas de raisons que le projet soit plus coûteux. En revanche, la crise nous conduit à réaliser des interventions qualitatives imprévues auprès de nos clients. Elle a un impact sur notre modèle économique. Les besoins de nos clients se sont accrus depuis l'épidémie. Dans ce contexte, nous aurons nous-mêmes des besoins supplémentaires en outre-mer.

Debut de section - Permalien
Matthieu Barrier, directeur adjoint du réseau

Le montant de 1,8 million d'euros accordé il y a un an par le ministère des outre-mer constitue la première tranche d'un plan de doublement de l'activité du microcrédit sur trois ans. Nous devrions retomber sur nos pieds durant cette période, durant laquelle nous prévoyons une très forte demande et une très forte activité. Nous mobilisons notre réseau d'outre-mer pour compenser ces deux mois de crise. Nous finalisons actuellement le deuxième volet de cette convention. Les aides du ministère des outre-mer à l'ADIE représentent un montant global de 3,3 millions d'euros. Le planning prévu est maintenu. La signature de la convention devrait intervenir dans les jours à venir. Le ministère nous a assuré de son soutien dans les termes prévus avant la crise. Ce plan nécessitera des recrutements et des formations que nous n'avons pas pu mettre en oeuvre au cours des deux derniers mois. Enfin, nous avons sollicité la participation du ministère des outre-mer à l'enveloppe globale de 23 millions d'euros dont nous avons besoin pour financer le plan de relance.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Avant cette audition, j'ai eu l'occasion de discuter avec les services du ministère des outre-mer à propos de certains amendements. Sans vouloir prendre position sur la politique du Gouvernement, celui-ci semble tenté de reporter les calendriers prévus dans tous les secteurs. La semaine prochaine nous organiserons une table ronde relative au bâtiment et au logement social, secteurs pour lesquels nous avons besoin d'engagements précis.

Il me reste à vous exprimer tous mes remerciements pour la qualité de ces échanges. Votre rôle dans les outre-mer est crucial. Nous sommes conscients du travail considérable que vous réalisez. Sachez que vous pouvez compter sur notre soutien. Nous serons à votre écoute pour vous aider à disposer des moyens de poursuivre votre travail remarquable.

Debut de section - Permalien
Frédéric Lavenir, président de l'ADIE

Je vous remercie, Monsieur le président.