Intervention de Philippe Nogrix

Réunion du 21 novembre 2006 à 16h00
Diffusion audiovisuelle et télévision du futur — Article 5 priorité suite

Photo de Philippe NogrixPhilippe Nogrix :

Tout est bon pour ces opérateurs : après le bonus octroyé par la première loi, voici que l'on ajoute un « bonus bis » ! Cette attribution entraîne, quoi que l'on en dise, une restriction au préjudice des autres postulants éventuels.

La volonté d'apporter une contrepartie aux groupes dits « historiques » à l'occasion de l'extinction de la diffusion analogique en les autorisant à bénéficier d'une nouvelle chaîne « bonus bis », cette faculté s'exerçant au préjudice des autres chaînes garantes du pluralisme sur la TNT, est-elle conforme aux « critères objectifs, non discriminatoires, proportionnés » exigés par la directive européenne ? Je ne le pense pas.

Enfin, si les dispositions permettant d'octroyer les chaînes « bonus bis » aux trois groupes historiques devaient véritablement relever du domaine législatif, on peut s'interroger sur les voies de recours dont disposeraient des candidats potentiels à l'exploitation de ces fréquences qui se considéreraient lésés.

Or l'article 2 de la directive 2002/77/CE de la Commission du 16 septembre 2002 énonce que « toute partie lésée doit disposer d'une possibilité de recours contre une telle décision devant un organe indépendant des parties en cause et, en dernier ressort, devant une juridiction ». Si l'octroi d'une chaîne « bonus bis » devait relever de la loi, on peut légitimement s'interroger sur l'existence de telles voies de recours.

En outre, je me référerai aux observations que le Conseil supérieur de l'audiovisuel avait émises au mois de juillet 2006 : « L'élaboration de cet avis a été principalement guidée par le souci du respect du pluralisme, principe de valeur constitutionnelle qui s'impose tant au législateur qu'à l'instance de régulation, et qui suppose notamment que soient recherchés tout à la fois la diversification des opérateurs et le développement de modes de diffusion propres à accroître l'offre télévisuelle proposée aux téléspectateurs ; un équilibre doit donc être trouvé afin que les mesures tendant à favoriser le développement de la TNT n'aboutissent pas à renforcer la position des acteurs les plus puissants. »

Les deux principaux écueils soulignés par le CSA sont les suivants.

D'une part, la mesure prévue dans le projet de loi laisse totalement libres les chaînes concernées par cet avantage de décider du format éditorial, ce qui risque de perturber l'équilibre global de l'offre de la TNT et, surtout, ne répond pas aux exigences de pluralisme des contenus auquel nous sommes tous attachés.

D'autre part, cette disposition aura aussi des conséquences sur l'équilibre économique des nouveaux entrants, qui sont déjà dans une situation fragile. Pour eux, elle s'apparente à une distorsion de concurrence qui vient renforcer la position dominante des opérateurs historiques sur le marché publicitaire, déjà monopolisé à 75 % par TF 1 et M6. Elle affaiblit de fait les nouveaux entrants, mais également le service public, comme je l'ai déjà dit lors de la discussion générale, en réduisant leurs ressources publicitaires respectives.

Cet article déroge par ailleurs au principe d'égalité.

Pourquoi prévoir la réparation d'un préjudice alors que nous savons tous que ni les dispositions et principes à valeur constitutionnelle ni les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme ne paraissent faire obstacle à ce que, dans le respect du principe d'égalité, la loi remette en cause des autorisations en cours en mettant à la charge de leurs titulaires les éventuels réaménagements de fréquences et les coûts induits résultant des relations contractuelles de ceux-ci avec les distributeurs de service ?

Pourquoi, dans ces conditions, serions-nous dans l'obligation de compenser un préjudice ? Existe-t-il véritablement ? Qui l'a évalué ? La compensation correspond-elle exactement à sa valeur ? Personne ne nous a démontré que le préjudice méritait ce « bonus bis » !

Enfin, s'il s'agissait vraiment de la réparation d'un préjudice, il conviendrait plutôt d'attribuer à ces chaînes historiques, dont le but est de dégager des bénéfices, des moyens supplémentaires pour acheter des programmes rentables. Est-ce véritablement ce que nous voulons défendre ici ? À mon avis, c'est l'inverse. Nous ne voulons pas être envahis par des programmes américains, chinois ou autres qui mettent trop souvent en avant la violence, l'illégalité, le sensationnel, au détriment du fond, de la culture et de l'intérêt général.

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