Intervention de Renaud Donnedieu de Vabres

Réunion du 21 novembre 2006 à 16h00
Diffusion audiovisuelle et télévision du futur — Article 5 priorité suite, amendement 133

Renaud Donnedieu de Vabres, ministre :

...de privilège dont on bénéficierait pour des raisons occultes. C'est tout simplement l'expression du principe du droit, de celui de l'équité.

Pour l'élaboration de ce projet de loi, comme il est normal de le faire, le Gouvernement a préalablement recueilli l'avis du Conseil d'État. Cet avis nous a notamment confirmé que l'interruption anticipée par une décision unilatérale de l'État de la diffusion des services de télévision constituait une atteinte aux droits octroyés par une décision administrative du CSA.

Le législateur peut, pour un motif d'intérêt général, revenir sur des droits octroyés à des entreprises. C'est ce que le Gouvernement vous propose de faire.

Il est cependant impératif sur le plan juridique de compenser le préjudice économique subi par ces entreprises. Ces compensations figuraient, bien évidemment, dans le projet de loi soumis à l'avis du Conseil d'État et pour lequel nous avons reçu un avis favorable.

Le Gouvernement a exclu l'hypothèse d'une compensation financière au profit de TF1, de M6 et de Canal Plus. Nous avons préféré vous proposer deux compensations juridiques.

La première compensation semble aller de soi puisqu'il s'agit d'aligner la durée des autorisations de TF1, de M6 et de Canal Plus sur celles dont bénéficient les autres chaînes de la TNT.

La seconde compensation concerne l'octroi d'une autorisation supplémentaire sous le contrôle du CSA, après, et seulement après, la fin de la diffusion analogique, c'est-à-dire à compter du 30 novembre 2011.

Dès l'entrée en vigueur du projet de loi, le CSA pourra ponctuellement mettre fin à la diffusion analogique de ces opérateurs, puis il procédera à cette extinction par zones géographiques entières à compter du mois de mars 2008 - nous en avons déjà débattu.

Nous revenons donc sur le droit acquis par ces chaînes à diffuser leurs programmes en mode analogique jusqu'au terme normal de leur autorisation. Plus précisément, nous revenons sur le bénéfice qui leur avait été consenti dans la loi de 2000 et qui avait été confirmé dans la loi de 2004.

Ces opérateurs ont, en effet, bénéficié d'une prorogation de cinq ans de leur autorisation analogique s'ils acceptaient de diffuser leur programme en TNT. Je rappelle que c'était l'objet de l'article 82 de la loi du 1er août 2000. À défaut, les autorisations analogiques de TF1, Canal Plus et M6 auraient pris fin en 2005 et en 2007.

Nous revenons également sur un deuxième bénéfice que la loi de 2000 leur avait consenti, celui d'un droit à double diffusion de leur programme en mode analogique et en mode numérique pour une durée équivalente. Ce que l'on a appelé le droit au simulcast est également issu de la loi du 1er août 2000, ne l'oublions pas.

Par-delà ces raisons juridiques qui s'imposent à nous, le canal supplémentaire est également un choix de politique culturelle que j'assume, ainsi que j'ai eu l'occasion de le préciser dans mon discours de présentation générale.

À côté des chaînes du service public - j'y reviendrai plus précisément pour qu'il n'y ait ni ambiguïté ni sentiment de déséquilibre - la création audiovisuelle et cinématographique est, aujourd'hui, intégralement financée par TF1, M6 et Canal Plus.

Ces trois chaînes ont investi, en 2005, plus de 485 millions d'euros, alors que les nouveaux entrants de la télévision numérique terrestre consacrent, dans leur ensemble, moins de 16 millions d'euros au financement de la production française.

Cette dissymétrie des chiffres doit être rappelée et, d'ailleurs, chaque fois que je rencontre un réalisateur, il me dit non sans parfois un peu d'inquiétude, à quel point le financement de la production cinématographique et audiovisuelle par les chaînes de télévision est essentiel.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous qui avez voté les crédits d'impôts pour le cinéma et pour l'audiovisuel, vous pouvez être fiers d'avoir permis un renforcement de notre capacité ! Il y a des menaces et nous devons avoir le courage de parler de ces réalités.

D'ailleurs, ne soyons pas injustes envers les nouvelles chaînes d'information qui sont aujourd'hui diffusées par la TNT et qui ne participent pas au soutien financier de la production cinématographique et audiovisuelle : chaque fois qu'elles évoquent un spectacle ou une création culturelle dans leurs journaux, elles donnent une chance supplémentaire à la création culturelle et artistique.

Bref, l'audiovisuel, dans sa stratégie, doit être une chance pour la création culturelle et certains assument plus que d'autres cette responsabilité.

La commission des affaires culturelles propose que ces nouveaux services soient soumis à une contribution renforcée en matière de production et de diffusion d'oeuvres audiovisuelles et cinématographiques. Je suis particulièrement favorable à cette disposition, très attendue du secteur de la création.

Certains d'entre vous ont fait part de leurs préoccupations sur l'absence de compensation dans la loi pour l'extinction des émissions analogiques du service public.

Je tiens à réaffirmer ici toute l'importance que j'attache au service public de l'audiovisuel et à préciser que le régime juridique différent du service public ne remet pas en cause sa place sur la télévision numérique. Je le rappelle, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a la responsabilité des décisions concernant les chaînes privées, notamment en matière d'attribution, tandis que le Gouvernement a la responsabilité de la préemption chaque fois qu'il s'agit de l'audiovisuel public.

En effet, la place du service public relève des choix conjoints du législateur, au travers du vote de son budget, et du Gouvernement, dans l'exercice de son droit de préemption des fréquences en faveur du service public.

Le service public occupe une place importante sur la télévision numérique terrestre, lancée en 2005. Il est passé de trois canaux analogiques à sept canaux numériques, avec la diffusion en plein canal de France 5 et d'Arte, la diffusion d'une nouvelle chaîne, France 4, ainsi que les chaînes parlementaires. Il faut aussi ajouter la chaîne pour enfants, Gulli, à laquelle prend part France Télévisions.

Enfin, conformément à ce que le Président de la République a annoncé, France Ô sera très rapidement diffusée en Île-de-France et pourra profiter des fréquences libérées pour être diffusée sur l'ensemble du territoire.

Par ailleurs, je confirme ce que j'ai dit hier à Mme Tasca concernant l'accessibilité de l'information régionale de France 3 dans chaque région et sa diffusion par la TNT.

J'ai également annoncé hier mon intention - c'est très important - de préempter un des deux ou trois canaux qui seront proposés pour des chaînes gratuites en haute définition, puis d'en préempter deux quand il y aura quatre canaux proposés.

Bref, l'audiovisuel public ne sera pas le laissé-pour-compte de cette révolution technologique.

Tous les choix sont ouverts pour que, lorsque le gain numérique sera connu, le Parlement et le Gouvernement puissent alors décider de préempter les fréquences libérées pour de nouvelles chaînes du service public. Ce sont des choix pour 2011 qui ne pourraient, aujourd'hui, prendre une autre forme qu'une pétition de principe. Certes, j'espère me succéder à moi-même et être en mesure de prendre cette décision en 2011, mais nous n'en sommes pas sûrs..) Ce sera au peuple de décider le moment venu !

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces trois amendements de suppression.

En ce qui concerne l'amendement n° 133, pour les mêmes raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable.

S'agissant de l'amendement n° 11, le Conseil d'État, dans son avis, nous a notamment confirmé que l'interruption anticipée, par une décision unilatérale de l'État, de la diffusion des services de télévision constituait une atteinte au droit octroyé par une décision administrative du CSA.

Par conséquent, pour les raisons évoquées précédemment, je comprends, bien évidemment, votre démarche. Cette compensation est le premier objet du texte proposé pour l'article 104 de la loi du 30 septembre 1986.

Mais le texte a dans le même temps un autre but : il incite les opérateurs privés concernés à arrêter leur diffusion analogique pour bénéficier de ce droit à une chaîne compensatoire. Il s'agit ici de la reprise du mécanisme prévu par la loi de 2000 pour inciter ces mêmes opérateurs à diffuser leurs programmes en télévision numérique terrestre.

Vous proposez que ces trois nouveaux services ne puissent pas être lancés avant le 30 novembre 2011, date commune à l'ensemble des trois opérateurs.

Je comprends certes vos motivations, mais ce faisant vous réduisez toute incitation pour Canal Plus à interrompre sa diffusion analogique de manière anticipée.

En effet, à la différence des chaînes gratuites qui sont reçues par tous les Français, les abonnés à la chaîne analogique Canal Plus - plus de 2 millions - sont des clients connus de cette dernière. C'est Canal Plus qui les a équipés avec son décodeur analogique et qui peut leur offrir de migrer de manière anticipée sur la TNT, en mettant à leur disposition un décodeur TNT MPEG-4 haute définition. Cela représente pour la chaîne un coût de plus de 200 millions d'euros.

Il est souhaitable que cette migration de Canal Plus analogique vers Canal Plus numérique intervienne bien avant novembre 2011. Les abonnés recevront ainsi Canal Plus en numérique, mais également les dix-huit chaînes gratuites de la TNT.

Ce scénario accélérerait sensiblement le calendrier d'équipement des Français. Il permettrait également de libérer de manière anticipée, sur tout le territoire, la fréquence analogique de Canal Plus. Cette dernière serait alors immédiatement disponible pour le gain numérique. La libération de cette bande de fréquences, dite « bande III », permettrait en particulier de déployer sur l'ensemble du territoire les services de radio numérique pour lesquels le CSA s'apprête à lancer un appel à candidatures.

En effet, en raison de la pénurie de fréquences due au nécessaire partage avec nos voisins, ces services ne pourront être déployés dans certaines zones frontalières qu'après l'extinction du réseau de Canal Plus.

Je crains que l'amendement proposé par la commission des affaires culturelles ne soit susceptible de retarder ces investissements de Canal Plus, l'équipement des Français et la libération du gain numérique, notamment au profit de la radio numérique. Toutefois, je comprends également la recherche d'équilibre qui a conduit la commission à adopter cet amendement. Le Gouvernement s'en remet donc à la sagesse du Sénat.

Quant aux amendements n° 148 rectifié et 104, le Gouvernement considère qu'ils sont satisfaits et il demande à leurs auteurs de les retirer.

En ce qui concerne les amendements n° °12 et 120 rectifié, qui prévoient de subordonner le droit à la chaîne compensatoire à des engagements renforcés par ces nouveaux services en faveur de la création audiovisuelle et cinématographique, le ministre de la culture et de la communication émet sans réserve un avis favorable.

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