Mes chers collègues. Avant tout, au nom des rapporteurs, je tiens à remercier le président Magras pour le choix de cette étude, pleinement d'actualité, et pour toutes les réunions très denses qu'il a bien voulu conduire.
Il lui revient le mérite de les avoir menées à leur terme malgré les nombreuses contraintes notamment horaires car, comme vous le savez, ces auditions ont été particulièrement nombreuses et longues.
Notre rapport est articulé autour de trois grands axes que nous nous sommes répartis de la façon suivante. La première partie porte sur les effets immédiats de la crise, plus précisément sur la nécessité de faire prendre de conscience de sa gravité pour les outre-mer et de son impact financier très périlleux pour les collectivités locales. C'est cette partie que je vous présenterai.
Dans un second temps, Viviane Artigalas traitera des modalités d'une relance territorialisée que nous souhaitons axée sur le désenclavement et le soutien aux secteurs leviers que nous avons identifiés par rapport aux spécificités ultramarines.
Enfin, Nassimah Dindar abordera la question de la résilience pour faire de la sortie de crise l'opportunité de bâtir un nouveau modèle de développement pour les outre-mer.
Sur le premier point concernant l'ampleur de la crise économique liée à la crise sanitaire, je ferai trois constats principaux.
Mon premier constat concerne la difficulté de prendre toute la mesure de la crise qui a frappé brutalement les outre-mer.
Les instruments d'évaluation sont aujourd'hui très imparfaits. La table ronde que nous avons eue sur les données statistiques a souligné l'absence de données actualisées - notamment pour Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Wallis-et-Futuna... - ainsi qu'en général la production d'indicateurs en nombre moindre et calculés différemment d'un territoire à l'autre (par exemple entre la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie). Quelques études menées par les différents organismes compétents (CEROM, IEDOM, AFD, instituts régionaux...) commencent à être publiées, en particulier sur la Martinique, la Guadeloupe, La Réunion, la Polynésie ou la Nouvelle-Calédonie mais certaines d'entre elles ne seront pas disponibles avant septembre... Tout en reconnaissant les importants progrès accomplis, en particulier à Mayotte, on soulignera combien ce « déficit statistique » est préjudiciable pour les décideurs publics et acteurs économiques mais aussi pour le plein déploiement de certains dispositifs calculés par exemple sur le PIB des territoires comme le fonds de solidarité...
À cet égard, je propose notamment d'améliorer rapidement les outils statistiques pour chaque territoire afin de disposer de tableaux de bord économiques plus accessibles, actualisés et homogènes ainsi que de généraliser les études d'impact de la crise sanitaire afin de disposer au plus tôt d'une évaluation détaillée pour chaque territoire et d'aider au pilotage de la relance.
Malgré cela, en se basant sur les informations recueillies lors des auditions, on peut affirmer que la récession économique est considérable et sans précédent. Les pertes instantanées d'activité consécutives à la crise sanitaire sont estimées à 30 % pour l'ensemble des géographies. En conséquence, la contraction du PIB sur l'année sera globalement d'une ampleur assez proche de celle de l'Hexagone, (c'est-à-dire de l'ordre de 10 %). L'ampleur de la crise sur l'année 2020 dépendra cependant de la rapidité ou non de la reprise dans les territoires.
Ces premières estimations sont susceptibles d'évoluer très fortement du fait de plusieurs paramètres principaux tels que la durée du confinement et des contraintes sanitaires, la robustesse et la capacité d'adaptation du tissu économique, ou encore l'efficacité des mesures de soutien. Vous trouverez aussi, dans le rapport, des variations selon les territoires, en fonction principalement du poids du secteur public qui a pu servir d'amortisseur ou de l'importance de certains secteurs comme le nickel en Nouvelle-Calédonie ou l'aérospatiale en Guyane.
Au fil des tables rondes, nous avons aussi observé que, derrière la situation économique générale, il convenait d'appréhender la situation sectorielle dans chaque territoire et qu'il y a des pans entiers d'activités qui luttent pour leur survie tels que le transport aérien, le tourisme, ou encore la pêche...
Ma deuxième remarque porte sur l'absence de visibilité concernant la sortie de crise pour laquelle les hypothèses recueillies lors des auditions vont du plus optimiste (second semestre 2020) au plus pessimiste (une décennie).
Du fait de facteurs structurels (insularité, éloignement, enclavement, étroitesse des marchés), les économies ultramarines présentent déjà une vulnérabilité aux chocs conjoncturels. Au cours des années récentes, elles ont été fragilisées par une succession de crises : ouragan Irma dans les Antilles, gilets jaunes à La Réunion, manifestations en Guyane et à Mayotte...
Notre conviction est que la sortie de crise sera effectivement longue et difficile en raison de certaines fragilités qui se trouvent amplifiées par la crise du Covid-19, à savoir : une forte dépendance aux échanges extérieurs (la moitié des échanges commerciaux s'effectuent encore avec l'Hexagone), le poids prépondérant de certains secteurs comme le tourisme et la situation déjà difficile du BTP avant la crise, un tissu entrepreneurial presque exclusivement composé de TPE-PME (95 % en moyenne), des délais de paiement aux entreprises excessifs, - sujet qui vient de faire l'objet d'un nouveau rapport de l'IGA - ou encore la part du secteur informel particulièrement à Mayotte et à en Guyane.
Face à ces spécificités, les dispositifs nationaux d'urgence (fonds de solidarité, prêt garanti par l'État, chômage partiel) que nous avons analysés et qui ont fait l'objet de la note d'étape du 14 mai dernier, restent insuffisants.
C'est la raison pour laquelle le rapport envisage plusieurs pistes d'action.
Il convient d'abord de pérenniser un certain nombre de mesures comme le chômage partiel et d'assouplir les conditions d'accès pour d'autres concernant notamment la prise en compte des dettes fiscales et sociales pour les plus fragiles, jusqu'à des signes tangibles de sortie de crise.
Par ailleurs, la différence statutaire ne doit pas faire obstacle à la pleine application de la solidarité nationale dans cette période exceptionnelle. L'impact de l'épidémie de Covid-19 risque d'être dramatique dans les collectivités du Pacifique du fait de l'absence de filets sociaux et, en Polynésie, de l'importance du secteur touristique. Les dispositifs doivent être adaptés, en volume et dans leurs modalités, à leurs difficultés.
Par rapport au secteur informel, il faut soutenir encore davantage le travail d'accompagnement et l'accès au microcrédit, en facilitant notamment le travail de l'association pour le droit à l'initiative économique (ADIE) qui parvient à faire vivre et sortir de la précarité un grand nombre de familles dans les territoires.
Au-delà de ces aspects, nous avons noté lors des auditions que perdurait outre-mer « un climat de crise ».
D'abord objectivement la crise sanitaire est toujours en cours et nous sommes solidaires de nos compatriotes de Mayotte et de Guyane qui affrontent cette épreuve. Le Premier ministre a décidé de se rendre ce dimanche en Guyane qui est le territoire le plus touché en France, ce qui témoigne de la gravité de la situation. La menace d'une « deuxième vague », toujours présente, n'est pas de nature à faire sortir les territoires de « l'état de contagion émotionnelle » évoqué lors de la table ronde Tourisme du 25 juin.
Ensuite, la menace d'une grave crise sociale a été évoquée à plusieurs reprises avec des effets sur tous les plans : emploi, revenus, éducation, santé, etc. On sait que le taux de pauvreté en outre-mer est déjà trois fois plus élevé et le taux de chômage deux fois plus qu'en métropole. Le risque est bien réel et n'est pas propice, on s'en doute, à l'amélioration du « climat des affaires ».
C'est la raison pour laquelle je pense qu'il faut saisir l'occasion de la mise en place du nouveau Gouvernement, et des déclarations du ministre des outre-mer mardi à l'Assemblée nationale, pour remettre sur la table l'idée d'un grand Plan de relance outre-mer, qui pourrait s'appuyer sur les propositions de la délégation.
D'ailleurs, après en avoir écarté l'hypothèse lors de son audition le 14 mai, Annick Girardin avait lancé avec l'AFD une initiative d'un milliard dénommée « Outre-mer en commun » quelques jours plus tard. Mais celle-ci porte sur des possibilités d'emprunts supplémentaires, et risque fortement d'aggraver l'endettement des collectivités...
En troisième lieu et pour conclure, je voudrais précisément insister sur la situation des collectivités locales.
Notre collègue George Patient a alerté très tôt sur le risque d'une crise majeure des finances locales en raison des effets de cette crise sur la fiscalité indirecte, soit une perte de recettes qui a été évaluée à environ 200 millions d'euros en 2020 en particulier pour l'octroi de mer. Le Gouvernement a bien annoncé un plan national massif de soutien financier mais je pense qu'il faudra aller plus loin, notamment en adaptant les contrats de convergence et de transformation.
Les collectivités ultramarines se sont aussi beaucoup mobilisées dans le soutien économique local en mettant en place des plans territoriaux complémentaires aux dispositifs d'État qui requièrent une intervention dans la durée. Il faudra donc prévoir que le plan de soutien de l'État vienne éventuellement appuyer ces interventions qui correspondent aux caractéristiques propres de chaque territoire.
Par ailleurs, pour répondre au besoin de sécurité des populations, il faudra encore renforcer l'autonomie sanitaire des territoires, mais avec une approche plus régionale.
Cette autonomie sanitaire ne pourra se faire que par des productions locales ou au moins par grande région. Les outre-mer ont des atouts en ce sens (présence de grands organismes de recherche et d'équipements de pointe en avance sur leur environnement immédiat) mais seule une approche stratégique avec notamment une aide fiscale à l'investissement pourra permettre de structurer des filières. Dans le domaine de la santé, les outre-mer pourrait jouer un rôle d'antenne régionale.
Il serait également utile d'inciter à l'installation de nouveaux acteurs, aussi bien des groupes privés (cliniques, par exemple) que des praticiens (infirmiers, médecins de ville...). On a vu que le recours ponctuels à des médecins étrangers, notamment cubains, a été rapidement rendu possible en levant les obstacles règlementaires.
Enfin, le développement de la télémédecine et de l'e-santé, bien que nécessitant des investissements, semble aussi nécessaire, particulièrement pour des territoires comme Mayotte ou Saint-Martin. Ceux-ci étant sous-équipés sur le plan hospitalier envoient leurs patients les plus graves vers leurs voisins (respectivement La Réunion et la Guadeloupe) au risque que lors d'une crise comme celle-ci on assiste à une saturation en chaîne des territoires...
Telles sont les remarques et les 15 premières recommandations concernant ce premier volet consacré à la gravité de la crise dans les outre-mer.