Mes chers collègues, je vous remercie d'être présents, en salle Clémenceau ou en visioconférence.
Le 4 mars dernier, nous vous présentions les principales orientations du rapport d'information consacré à la responsabilité sociétale des entreprises, ou responsabilité sociale et environnementale des entreprises, le sigle RSE pouvant se traduire de ces deux façons. Ces propositions, issues du cycle d'auditions que nous avons conduit depuis la fin de l'année dernière avec Jacques Le Nay, devaient être débattues publiquement, avec les dirigeants d'entreprise invités à notre 5ème Journée des entreprises, programmée le 2 avril. Elle n'a malheureusement pas pu se tenir en raison des circonstances que vous connaissez. Nous avons donc actualisé nos investigations avec quelques visioconférences.
Quels ont été précisément les enseignements de cette crise sanitaire, en rapport avec nos travaux sur la RSE ? Globalement, et vous l'avez tous constaté dans vos territoires, nos entreprises ont été, face à cette épreuve, engagées et responsables.
Premier enseignement : l'entreprise est tout à fait en capacité de remplir une mission d'intérêt général.
L'épidémie de COVID-19 a montré que certaines entreprises avaient l'agilité et les ressources nécessaires pour réorienter leur processus de production tout en associant des entreprises qui n'avaient jamais travaillé ensemble pour fournir des équipements sanitaires. Les comportements exemplaires d'entreprises se sont multipliés. Elles soulignent, si besoin était, combien l'entreprise poursuit également des objectifs au service de l'intérêt commun.
Le comportement des actionnaires a également changé à l'occasion de la crise sanitaire, certains refusant ou limitant le versement des dividendes, ce qui n'avait pas été le cas lors de la crise financière de 2008.
La pandémie a également révélé la fragilité des chaînes de valeurs et l'intrication étroite des entreprises entre fournisseurs et sous-traitants, avec des ruptures de stocks entraînant des entreprises à l'inactivité forcée. Elle a souligné la nécessité de la souveraineté économique.
Par ailleurs, la crise a accentué les tendances à privilégier l'emploi local, l'économie circulaire, les circuits-courts, qui permettent à l'entreprise d'être plus autonome en termes de ressources et donc moins dépendante du reste du monde ou des aléas économiques et environnementaux. La crise a aussi favorisée l'entreprise de proximité.
Une récente étude note que, depuis la Covid-19, un quart des entreprises françaises envisagent de relocaliser une partie de leurs achats alors qu'elles étaient 16 % début 2020. Pour les entreprises, relocaliser en France ou en Europe permet de sécuriser les approvisionnements (92 %), réduire l'impact environnemental (64 %), accélérer la mise des produits sur le marché ou réduire l'impact social.
Dans ce contexte, la stratégie RSE est un facteur de résilience accru des entreprises parce que ce type de démarche amène à une meilleure prise en compte des parties prenantes (salariés, sous-traitants, fournisseurs, clients, actionnaires,...) et des risques. Les cartographies des risques et diagnostics de résilience réalisés par les entreprises permettent d'identifier leurs faiblesses vis-à-vis de chocs exogènes et des parties prenantes. L'après-crise sanitaire amènera sûrement les entreprises à mieux intégrer le management du risque, qui devra être maitrisé, agile et résilient.
Deuxième enseignement : la crise pourrait accentuer la prise en considération de la RSE au sein des entreprises. C'est, bien entendu, le souhait de la Plateforme RSE, comme l'a indiqué son secrétaire permanent, M. Gilles Bon-Maury, lors de son audition par notre Délégation le 25 mai. Cette plateforme, qui réunit toutes les parties prenantes de la RSE, a adopté à l'unanimité moins la CGT, le 6 mai dernier, un avis qui considère que « l'atteinte par les entreprises de leurs objectifs sociaux, sociétaux et environnementaux est au moins aussi essentielle à leur survie que leurs performances financières ».
On peut également citer l'appel à un virage économique « écologique et inclusif » de M. Christophe Itier, haut-commissaire à l'Économie sociale et solidaire et à l'innovation sociale, avec les membres de la « coalition 10 % » qui vise d'atteindre une masse critique d'entreprises « prêtes à changer leur modèle économique afin de le rendre plus respectueux de l'environnement et des individus ».
Les entreprises qui mettent en place des pratiques RSE concilient un management responsable (envers les salariés et envers les clients et fournisseurs) ; elles donnent du sens à l'entreprise, respectent l'environnement et, en définitive, affichent une rentabilité supérieure et une compétitivité accrue par rapport à celles qui ne l'ont pas encore intégrée.
Avec la crise sanitaire, l'alignement des stratégies des entreprises sur les objectifs du développement durable (ODD), adoptés par l'ONU en 2015, serait ainsi devenu « le meilleur business plan du monde », selon l'ancien PDG d'Unilever, M. Paul Polman.
La crise a donc exacerbé le débat sur le type de croissance souhaitable. Les appels à un redémarrage de l'activité accentuant la transition environnementale ont parfois suscité l'incompréhension de chefs d'entreprise craignant surtout pour la survie de leur entreprise et le maintien des emplois. Il faut, bien sûr, aussi pleinement les entendre, tant les situations sont diverses et les urgences multiples. Et il faut les accompagner.
Troisième enseignement, par conséquent : l'État peut se donner les moyens d'inciter fortement les entreprises à développer la RSE. Je pense évidemment à la conditionnalité des prêts aux entreprises en difficulté, d'un montant global de 20 milliards d'euros, que la loi de finances rectificative du 25 avril 2020 a exigé. L'Agence des participations de l'État (APE) devra veiller à ce que ces entreprises « intègrent pleinement et de manière exemplaire les objectifs de responsabilité sociale, sociétale et environnementale dans leur stratégie, notamment en matière de lutte contre le changement climatique ». Pourrons-nous concrétiser cette volonté politique forte ou d'autres priorités prendront-elles le pas ? C'est un vaste débat...
Quatrième enseignement : le chemin vers la RSE est long, escarpé, coûteux en investissement humain, pour les entreprises, et tout particulièrement les PME-TPE. Ces dernières sont déroutées par l'irruption des nouvelles attentes des « parties prenantes », par les difficultés d'appréhender les concepts des « critères ESG (environnement, social, gouvernance) », par la multiplication des labels, par les injonctions pressantes des grandes entreprises à remplir des « questionnaires RSE » dont elles ont parfois du mal à percevoir les finalités. La RSE provoque une révolution managériale sans précédent, qui invite à repenser la gouvernance des entreprises.
La démarche RSE doit donc être mise davantage à la portée des PME-TPE. Elles ne peuvent être des acteurs de second rang, indirectement « embarquées » dans cette démarche en tant que sous-traitantes ou fournisseurs des grandes entreprises. Leur adhésion doit être volontaire, personnelle et forte.
Avec Jacques Le Nay, co-rapporteur, nous vous présentons maintenant les 20 propositions, dont nous avions déjà commencé à débattre le 4 mars dernier.
Nos propositions s'articulent autour de 5 axes.
Le premier est de mettre la RSE à la portée des PME. Pour mobiliser et encourager les entreprises dans leur démarche, la Plateforme RSE a lancé une expérimentation de labels RSE sectoriels adaptés aux très petites entreprises (TPE), aux petites et moyennes entreprises (PME) et aux entreprises de taille intermédiaire (ETI). Douze fédérations professionnelles sectorielles ont été sélectionnées pour participer à cette expérimentation qui s'est déroulée durant 18 mois, à partir de mars 2018. La Plateforme RSE en analyse les résultats, pour élaborer un diagnostic et des recommandations destinées aux pouvoirs publics et aux fédérations professionnelles. Elle a confié le rapport d'évaluation à M. Guillaume de Bodard, vice-président de la CPME, qui devrait le présenter en octobre prochain. Nous pourrions alors l'auditionner afin de poursuivre nos investigations. Nous proposons d'encourager cette démarche pragmatique.