Comme vous l'avez rappelé, l'année 2020 est décisive pour les outre-mer et l'Europe, en raison de concomitance des négociations sur le CFP post-2020, de la renotification des principaux régimes d'aides d'État (octroi de mer, aides au rhum, défiscalisation), ainsi que de la délicate négociation d'un accord de partenariat avec les Britanniques.
L'enjeu des négociations budgétaires est stratégique pour les outre-mer, puisque les fonds européens structurels et d'investissement (FESI) représentent 4,8 milliards d'euros dans les régions ultrapériphériques (RUP), c'est-à-dire un cinquième de l'ensemble des FESI destinés à la France. La part du Fonds européen de développement régional (FEDER) et du Fonds social européen (FSE) consacrée aux RUP atteint même 25 % de l'enveloppe nationale. Les autorités de gestion sont maintenant pleinement opérationnelles, après quelques difficultés liées à des changements institutionnels. Les taux de consommation du FEDER, du FSE, et du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) sont en léger décalage par rapport à la moyenne hexagonale, mais celui-ci se réduit depuis la fin de l'année 2017. De plus, dans toute l'Europe, les taux de consommation augmentent fortement en fin de période.
Pour l'heure, les autorités de gestion des RUP n'ont pas enregistré de dégagement d'office, à l'exception des programmes Interreg. De plus, le niveau d'avancement de la consommation du Fonds européen de développement (FED) est satisfaisant. Il existe quelques difficultés de programmation des Fonds de liaison entre actions de développement de l'économie rurale (LEADER), mais elles se retrouvent au niveau national. Les programmes Interreg de petite taille rencontrent également des difficultés et des dégagements d'office ont été constatés pour le programme entre Mayotte et son voisinage. Enfin, les RUP comme les pays et territoires d'outre-mer (PTOM) peinent encore à accéder aux programmes horizontaux.
La proposition initiale de la Commission européenne, en ligne avec les annoncés faites par son président, M. Jean-Claude Juncker, en Guyane à l'automne 2017, contient des avancées assez significatives pour les outre-mer. S'il n'y a pas de changement de périmètre pour les fonds, cette proposition prévoit une allocation spécifique RUP étendue au FSE. Elle prévoit un instrument particulier, intégré au budget de l'Union, en remplacement du FED, et régi par des règles souples. Le président Juncker avait également promis une amélioration de l'accès aux programmes horizontaux pour les RUP et les PTOM, ce qui est effectivement le cas dans les règlements concernés, et indiqué que des dérogations seraient maintenues pour les RUP en matière de soutien aux investissements. Par exemple, la capacité de financement des aéroports sera maintenue dans les RUP pour la période 2021-2027.
M. Jean-Claude Juncker avait également fait part de son souhait de faciliter le mixage du FEDER, des fonds PTOM, et des fonds Afriques Caraïbes et Pacifique (ACP), pour accompagner l'émergence de programmes régionaux. C'est effectivement le cas dans le projet de règlement relatif à la coopération territoriale européenne, ce qui facilitera l'insertion des RUP et des PTOM dans leur bassin océanique, en associant ces territoires aux pays ACP.
Depuis la fin 2017, les positions portées par les autorités françaises sont claires. Il s'agit tout d'abord de défendre le Programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI), qui atteint actuellement 278 millions d'euros par an, ainsi que les plans de compensation des surcoûts dans le cadre du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP). La France demande également le maintien du taux de cofinancement spécifique aux RUP en matière de FEDER, de FSE, et de FEADER, qui atteint aujourd'hui 85 %. Par ailleurs, nous demandons de manière répétée l'assouplissement des règles de concentration thématique pour le FEDER et le FSE. Pour l'heure, la Commission européenne propose un taux de 35 % pour l'objectif stratégique n° 1 concernant la recherche, l'innovation et la croissance des PME, ce qui nous apparaît trop élevé. Nous demandons également le relèvement de l'allocation spécifique RUP, pour permettre de financer effectivement l'extension au FSE+. Nous demandons par ailleurs l'augmentation de l'enveloppe globale des PTOM. A tout le moins, nous souhaitons qu'elle puisse être préservée.
Le ministère des outre-mer participe à la construction des positions fixées par le SGAE, et négociées par la Représentation permanente à Bruxelles. Les positions que le ministère affiche en interministériel sont nourries par celles des PTOM et des RUP, avec lesquels nous avons des relations suivies. Nous organisons des points d'étape trimestriels avec l'ensemble des directeurs Europe des RUP possédant la qualité d'autorité de gestion, et nous associons de manière très étroite les PTOM aux négociations pour la Décision d'association outre-mer (DAO).
Nous avons clairement mis en oeuvre une stratégie d'alliance avec l'Espagne et le Portugal pour les RUP, malgré quelques difficultés initiales, en raison d'échéances électorales dans ces deux pays. Lors d'une conférence organisée à Bruxelles le 19 novembre 2019, les trois États membres et les 9 RUP ont présenté une déclaration commune. Nous préparons par ailleurs actuellement un non-paper commun. Nous défendons également avec ces deux États le maintien du budget de la politique agricole commune (PAC) et du Poséi. Nous avons ainsi produit un courrier conjoint le 9 octobre 2018, dont les termes ont été réitérés en 2019.
Nous avons eu des échanges satisfaisants avec les Pays-Bas et le Danemark lors de la négociation de la DAO. Néanmoins, le volet financier provoque un certain nombre de tensions, ces deux États défendant une évolution du CFP à 1 % du Revenu national brut (RNB).
Les négociations des règlements sont toujours en cours. La DAO a fait l'objet d'un accord partiel, de même qu'un certain nombre de règlements horizontaux, notamment Life, Horizon Europe ou encore Invest EU. Les principaux règlements qui nous concernent en sont au stade des trilogues, en particulier s'agissant du FEDER, du FSE+, du FEAMP, ou du NDICI. Nous constatons un retard sur la PAC, obligeant la négociation d'un règlement provisoire pour 2021.
Le Conseil européen des 20 et 21 février 2020 n'a pas été conclusif, s'agissant de la boîte de négociation financière.
Néanmoins, nous avons constaté un certain nombre d'avancées dans les négociations des règlements, bien que tous les problèmes n'aient pas été réglés. L'éligibilité au FEDER des grandes entreprises dans les RUP est notamment acquise. L'absence de soumission de l'allocation spécifique RUP aux règles de concentration thématique n'est pas remise en cause. De plus, si le FEAMP connaît un plafonnement à 50 % des plans de compensation des surcoûts, la dernière position du Conseil européen prévoit une autorisation de dépassements sur justification. Nous prêtons par ailleurs une grande attention aux dispositions du FEDER, et en particulier, nous n'avons pas encore obtenu) le maintien de la dérogation permettant l'éligibilité des installations de traitement des déchets. La Commission demeure en effet fermée sur ce point.
Les taux de cofinancement atteignent aujourd'hui 85 %. Dans le prochain cadre financier pluriannuel, il est prévu de les abaisser à 75 %, selon la dernière proposition présentée en amont du Conseil des 20 et 21 février 2020. Aucun accord n'ayant pour l'heure été conclu, cette proposition n'est cependant pas encore totalement entérinée. L'allocation spécifique RUP destinée au FSE + devrait également passer en volume de 375 à 250 millions d'euros, mais cette enveloppe est imputée sur l'allocation spécifique au niveau global, ce qui va réduire d'autant l'allocation spécifique destinée au FEDER : le compte n'y est donc toujours pas.
Par ailleurs, suite au dernier Conseil européen, nous constatons que la concentration thématique pour l'objectif stratégique n° 1 est ramenée à 30 %.
Les discussions risquent par ailleurs de s'avérer délicates concernant le montant global de l'enveloppe PTOM, bien que la proposition initiale de la Commission prévoit une augmentation par rapport à la précédente programmation.
Le montant du Poséi dépendra de celui de la PAC, et de l'arbitrage final du Conseil entre le premier et le second pilier. La dernière position affichée par la présidence du Conseil européen est celle d'une baisse globale par rapport à la proposition initiale, avec un rééquilibrage en faveur du premier pilier par rapport à la proposition finlandaise. Nous suivons avec attention les négociations concernant la PAC, notamment l'équilibre entre 1er et 2ème pilier, car cela affectera le Poséi destiné aux RUP.
Il faut noter que le Président de la République, rendant compte des objectifs stratégiques que la France s'était fixée lors du dernier Conseil, a témoigné de la volonté de défendre la PAC et les spécificités des RUP.
La France souhaite par ailleurs aboutir à un accord avant la fin de l'année. En cas d'échec, les plafonds applicables à l'année 2020 seraient néanmoins prorogés d'un an. Cependant, nous tenons à ce que les instruments, à l'exception de la PAC, puissent réellement faire l'objet d'une décision définitive, et entrent en application au 1er janvier 2021.
S'agissant des enjeux fiscaux, la France défend la renotification des régimes actuels d'aides d'Etat. Nous demeurons cependant ouverts à un certain nombre de simplifications. Nous avons notamment demandé la renotification de l'octroi de mer, et de l'aide sur le rhum au début de l'année 2019. Le processus d'évaluation est en cours, par des cabinets mandatés par la direction générale de la fiscalité et des douanes (DG TAXUD) : PricewaterhouseCoopers (PWC) pour l'aide au rhum ; le cabinet italien Economisti Associati Consulting pour l'octroi de mer.
Pour défendre le maintien de ces régimes, nous avons notamment démontré qu'ils étaient nécessaires, proportionnés, et n'entraînaient pas de distorsion de la concurrence à l'échelle de chacun de nos territoires. Nous avons également souligné qu'il n'existait pas de surcompensation des surcoûts.
Nous sommes dans l'attente des décisions concrétisant la prolongation de deux ans pour le Règlement général d'exemption par catégorie (RGEC). Le RGEC ne constitue cependant pas pour nous un sujet de préoccupation majeur, dans la mesure où la Commission européenne ouvre une réflexion de nature générale, qui sera l'occasion d'évoquer à nouveau des sujets tels que la prise en compte des investissements de renouvellement.
Nous percevons néanmoins que la commission pousse à des simplifications. Nous souhaitons donc bien cerner les enjeux de leur application. S'agissant de l'aide au rhum, les opérateurs demandent des simplifications pour permettre d'augmenter légèrement le contingent chaque année, sans passer par la lourde procédure actuelle. Sur l'octroi de mer, la Commission semble vouloir alléger les procédures sur la modification des listes. Nous sommes néanmoins extrêmement attentifs à la sécurité juridique du dispositif en cours d'élaboration, et sommes par ailleurs ouverts à un relèvement des seuils d'assujettissement.
Parallèlement à la négociation budgétaire qui nous occupera toute l'année, sous le contrôle étroit du SGAE, nous devrons assurer la négociation sur ces régimes d'aides d'État à partir de rapports d'évaluation réalisés pour le compte de la Commission. Nous connaîtrons sur ce point des négociations très intenses dans les prochains mois.