Intervention de Emmanuel Kasarhérou

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 22 juillet 2020 à 10h00
Audition de M. Emmanuel Kasarhérou président du musée du quai branly-jacques chirac

Emmanuel Kasarhérou, président du musée du Quai Branly-Jacques Chirac :

Cette donation compte 36 oeuvres, à rapporter aux dizaines de milliers que nous avons reçues en vingt ans... Les donations sont nombreuses, comprenant des oeuvres très diverses, y compris de la photographie, de la sculpture... Ma perspective, c'est de considérer chaque pièce comme singulière et justifiant un travail scientifique sur l'origine, les provenances, une sorte de biographie des objets, ce qui, en pratique, s'avère impossible pour certains objets.

Certains nous disent qu'un tel travail ne serait pas nécessaire, qu'une consultation sur internet suffirait à savoir l'origine des pièces. En réalité, notre expertise conduit parfois à réattribuer l'origine et le parcours de pièces qui nous ont été données avec une origine erronée. Le plus bel exemple est un casque à heaume avec des cornes du XVIIIe siècle, qui nous était parvenu d'un cabinet de curiosités saisi sur une famille d'émigrés pendant la Révolution, avec une provenance d'Amérique ; nos recherches ont établi que ce casque provenait en réalité des Diolas de Casamance...

L'attribution précise est donc parfois très complexe à établir, j'essaie pour y parvenir de mobiliser plus de moyens pour le département des patrimoines et des collections, mais aussi pour le département de la recherche et de l'enseignement supérieur - cette intégration de la recherche au musée est une originalité voulue dès l'origine du musée, et un atout pour ce travail. Nous recherchons des collaborations avec nos collègues des pays d'origine des oeuvres, pour revenir, avec eux, sur l'arrière-plan de l'histoire coloniale dont les objets du patrimoine sont des témoins, nous cherchons avec eux la façon de raconter cette histoire à deux voix. Les objets existent et nous sont transmis dans leur histoire, laquelle correspond à une histoire du regard, de la relation à l'autre, de l'art à l'échelle mondiale. Nous envisageons des expositions construites en commun y compris sur des périodes coloniales, en Afrique mais également en Amérique - j'ai rencontré plusieurs collègues par visioconférence à cette fin, nous avons des projets possibles.

Deuxième axe de mon projet, le public - avec la démocratisation du musée : on sait que, comme toute utopie, c'est un pays où l'on n'arrive jamais, mais vers lequel il faut toujours tendre. Nous travaillons à rendre les collections plus accessibles aux populations les plus diverses, en particulier celles qui ont une relation familiale avec les cultures que nous conservons. Cet axe nous demande de nous interroger sur la façon dont nous distribuons l'information, sur notre jargon professionnel lui-même, sur le fait de savoir si nous donnons suffisamment les clés aux visiteurs pour accéder aux collections et aux cultures que nous conservons - sur le site même du musée, mais aussi à distance, car nous sommes l'un des rares musées dont toute la collection est accessible en ligne, et ce depuis notre création.

Cet accès suppose aussi de travailler sur les biographies des donateurs et des vendeurs. Nous nous sommes aperçus que, rien que pour l'Afrique, nos collections proviennent de quelque 11 500 donateurs, certains d'entre eux étant célèbres, mais d'autres ne figurant dans nos fichiers qu'avec un nom, sans prénom - et c'est un travail en soi de réunir les informations nécessaires à ce que les attributions soient transparentes. Ce chantier est donc ouvert. Les Allemands travaillent également dans cette direction, en établissant une base de données à l'échelle européenne sur le commerce des pièces présentées au Humboldt forum, qui va ouvrir prochainement à Berlin. Dans leurs investigations, nos voisins d'outre-Rhin s'intéressent au commerce des oeuvres qui sont passées de main en main à l'échelle européenne, mais aussi dans les pays d'origine - le marché de l'art a toujours été aussi dans les pays d'origine, y compris avant la colonisation.

Troisième axe, la recherche sur les collections. Nous délivrons une dizaine de bourses doctorales et post-doctorales, et 15 bourses issues du mécénat. La recherche porte en particulier sur les questions de provenance, de circonstance d'acquisition, sur la fonction des objets dans leur société d'origine, sur la question des faux, des copies, sur les marchés, sur les pourvoyeurs d'objets - autant de sujets que l'on connaît mal ou moins bien que l'on croit parfois.

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