Mes chers collègues, nous poursuivons sur la ligne de l'audition qui vient de s'achever avec un point consacré aux travaux de la mission d'information sur la restitution des objets d'art.
Le programme de travail de la mission a été bouleversé par la mise en place du confinement à la mi-mars, qui nous a obligés à reconsidérer nos travaux. Nous avons néanmoins progressé. Nous souhaitons partager nos conclusions et établir un rapport d'étape.
Un projet de loi ayant été présenté en conseil des ministres, il nous semblait important de clarifier nos positions.
Nous avons adressé plusieurs questionnaires à certaines des personnes que nous avions prévu d'entendre, ce qui nous a permis de continuer à alimenter notre réflexion sur le sujet, après les auditions qui avaient eu lieu durant la commission en janvier et février.
Le projet de loi présenté mercredi dernier autorise la sortie des collections publiques de plusieurs biens culturels en vue de leur restitution au Bénin et au Sénégal, conformément aux engagements du Président de la République et du Premier ministre formulés en novembre 2018.
Il s'agit, d'une part, de 26 oeuvres constituant le « Trésor de Béhanzin », aujourd'hui conservées au musée du quai Branly, qui avaient été prises lors du sac du palais royal d'Abomey par les troupes coloniales françaises et, d'autre part, du sabre attribué à El Hadj Omar Tall, qui était conservé au musée de l'Armée jusqu'en novembre 2018, date à laquelle il a été remis au président sénégalais pour être exposé au musée des civilisations noires de Dakar dans le cadre d'un prêt d'une durée de cinq ans.
Le texte a été déposé jeudi dernier sur le bureau de l'Assemblée nationale, qui est saisie en premier de l'examen de ce texte. Nous ne disposons à ce stade d'aucun élément de calendrier concernant la date de son examen par le Sénat, mais nous ne pouvons exclure qu'il soit inscrit rapidement à l'ordre du jour à compter de la rentrée parlementaire d'octobre.
Par rapport à la situation que j'ai connue il y a une dizaine d'années, j'ai le sentiment que les mentalités évoluent progressivement. Je me souviens avoir été largement taxée de « révisionniste » par certains conservateurs du musée de l'Homme au moment du débat sur ma proposition de loi sur la restitution des têtes maories.
L'idée des restitutions ne doit pas être de réécrire l'histoire, mais de l'enrichir. Il ne s'agit pas de se positionner dans une démarche absolue de repentance mais d'expliquer les événements dans la transparence en vue de la réconciliation.
C'est d'ailleurs l'un des problèmes majeurs soulevés par le rapport de Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, qui jette l'opprobre sur nos institutions muséales, qu'il présente de manière assez caricaturale.
Il prévoit par ailleurs un traitement spécifique pour les objets issus des pays africains, ce qui paraît délicat d'un point de vue juridique, et il propose également d'inverser la charge de la preuve, au mépris du principe juridique de la « présomption de bonne foi ».
Nous ne saurions changer le passé, et c'est parce que nos collections portent la mémoire de ce passé qu'elles possèdent aussi un intérêt scientifique.
Les questions éthiques, néanmoins, prennent une place de plus en plus importante dans le débat politique, au niveau national comme au niveau international, ce que nous pressentions avec le rapporteur Philippe Richert lors de la restitution des têtes maories.
À juste titre, l'opinion publique ne comprend plus aujourd'hui qu'on puisse exposer des restes humains au public si aucune raison d'ordre scientifique ne le justifie. La restitution des restes humains s'inscrit ainsi dans une démarche éthique qui s'appuie sur le respect de la dignité humaine et le respect des cultures et des croyances des peuples. Cela figure dans le rapport de Michel Van Praët.
Pour autant, nous devons être vigilants. Chaque restitution à laquelle il est consenti génère forcément de nouvelles demandes. Or nous devons avoir à l'esprit que les restitutions portent une atteinte à la cohérence des collections de nos musées, constituées au fil des siècles, dans un objectif scientifique et non pas seulement en vue de leur présentation au public.
Elles fragilisent le principe d'inaliénabilité des collections publiques et la représentativité des cultures étrangères au sein de ces collections, et donc leur capacité à faire dialoguer les cultures. Autrement dit, elles menacent, à terme, la conception universaliste de nos musées et réduisent d'autant leur attractivité pour d'éventuels donateurs, français ou étrangers.
J'ajoute que les restitutions se traduisant par un transfert pur et simple de propriété, il s'avère impossible d'y poser des conditions, en termes de sécurité, de conservation ou de présentation au public.
C'est parce que nous avions anticipé, dès 2010, le fait que la question des restitutions allait prendre de l'ampleur dans les années suivantes et que les demandes allaient se multiplier que Philippe Richert et moi avions souhaité instaurer, dans le cadre de la loi sur les têtes maories, un mécanisme permettant de garantir un contrôle sur les restitutions, afin que celles-ci demeurent exceptionnelles et se justifient de manière indiscutable.
Nous ne voulions pas que le pouvoir politique soit seul juge des restitutions, au regard du danger que cela nous paraissait comporter pour nos collections publiques, compte tenu du caractère passionnel et médiatique de ces questions et des revirements permanents auxquels nous pourrions assister au gré des alternances politiques.
D'où la mise en place à l'époque de la Commission scientifique nationale des collections, composée de sensibilités suffisamment diverses pour qu'elle ne fasse pas non plus preuve d'un trop grand conservatisme et s'oppose systématiquement à toute possibilité de déclassement. Nous lui avions également confié pour mission de définir une doctrine générale en matière de déclassement et de cession, permettant d'éclairer les propriétaires et gestionnaires de collections dans leurs décisions. Ce sont nos travaux qui sont également à l'origine du travail de réflexion conduit par Michel Van Praët autour de la définition de critères pertinents pour permettre la restitution des restes humains.
Hélas, vous connaissez la suite : il a fallu attendre plus de trois ans pour que la commission soit installée. Sa composition pléthorique a rendu son fonctionnement quasi impossible. La direction des musées de France a construit une usine à gaz, comme si elle ne voulait pas que les choses fonctionnent telles que le législateur l'avait souhaité.