Mes chers collègues, en France, du fait du principe de valeur législative d'inaliénabilité des collections, aucun bien ne peut être restitué sans qu'une loi n'ait préalablement autorisé sa sortie des collections.
La question qui se pose est de savoir si nous devons continuer à passer par le biais de lois de circonstances, c'est-à-dire de lois destinées à déclasser des objets précis en vue de leur restitution ou s'il vaudrait mieux adopter une loi-cadre fixant, une fois pour toutes, les conditions qui doivent être réunies pour procéder aux restitutions à venir.
Non sans une certaine surprise, nous avons constaté que le ministère de la culture et celui des affaires étrangères, tous deux concernés par ces questions, jugent préférable de continuer à recourir à des lois de circonstances, malgré les délais inhérents à la procédure parlementaire. L'adoption de la loi sur les têtes maories a tout de même pris plus de deux ans !
Ces deux ministères avancent plusieurs arguments et, tout d'abord, le fait qu'il s'agit de la formule qui préserve le mieux le principe d'inaliénabilité des collections, dans la mesure où la loi ne comporterait aucune dérogation de portée générale au principe. Selon eux, seules des lois ponctuelles viendraient traiter le cas de quelques objets spécifiques et particulièrement emblématiques du point de vue de l'histoire ou du symbole.
Ils invoquent ensuite le fait qu'il s'agit de la formule qui paraît la plus adaptée à la restitution, non de catégories et d'ensembles indéfinis d'objets - ce que nous voulons éviter -, mais d'objets définis, identifiés et documentés, ainsi que nous l'a indiqué M. Kasarhérou, qui a souligné combien il a besoin de rechercher leur provenance, ce qui n'était pas le cas des générations de conservateurs qui l'ont précédé.
Nous avons du mal aujourd'hui à dégager des critères objectifs permettant de procéder à l'analyse du bien-fondé d'une demande de restitution. L'acceptation d'une demande de restitution est généralement motivée par des raisons tenant à l'histoire, à la diplomatie ou à la morale.
Or la Chancellerie estime que si la loi ne parvient pas à fixer de manière suffisamment précise toutes les conditions dans lesquelles le pouvoir réglementaire pourrait procéder à des restitutions, un mécanisme déléguant au pouvoir réglementaire le soin de restituer pourrait être frappé d'inconstitutionnalité, l'article 34 de la Constitution confiant au seul législateur le soin de déterminer les principes fondamentaux du régime de la propriété.
Enfin, l'un des arguments avancés pour justifier les lois de circonstances est d'ordre diplomatique, dans la mesure où les restitutions sont souvent consenties aux fins de renforcer la relation bilatérale et culturelle avec un pays.
Si l'on peut recevoir ces différents arguments, gardons aussi à l'esprit le fait que le recours systématique à la procédure parlementaire n'est pas sans risque. Inévitablement, ce choix a pour effet de politiser les discussions en matière de restitution, alors même qu'il s'agit d'un sujet déjà hautement sensible. Il entrave l'émergence d'une véritable doctrine en matière de restitution, en laissant les majorités successives libres des motivations qui fondent leurs décisions.
En outre, il n'écarte pas le risque que les restitutions auxquelles il sera procédé relèvent du fait du prince.
En effet, le Parlement pourrait fréquemment se retrouver, sur ces questions, dans la position d'une chambre d'enregistrement, d'une part, en raison du fait majoritaire, d'autre part, parce qu'il sera très largement saisi une fois que des engagements auront été pris par le Gouvernement vis-à-vis des États étrangers. Sauf à accepter d'apparaître comme conservateur, son rejet des projets de loi qui lui seront soumis pourrait donc se révéler très délicat.
C'est la raison pour laquelle il nous paraît important qu'un avis scientifique indépendant puisse être systématiquement donné afin de permettre d'éclairer les autorités décisionnaires, dont le Parlement.
Nous avions notamment en tête une commission nationale indépendante, sur le modèle de ce qu'aurait pu être la commission scientifique nationale des collections, pour faciliter la formation d'un consensus autour de chaque restitution.
Cette question fait aujourd'hui débat, certains estimant que son intervention serait inutile, dans la mesure où les restitutions relèvent avant tout d'un geste politique. D'autres mettent en avant la difficulté à confier cette tâche à une commission généraliste, qui aura à traiter de cas spécifiques, avec chaque fois une histoire bien particulière, ce qui les conduit à plaider plutôt pour la mise en place de comités mixtes composés d'experts scientifiques du pays demandeur et de la France pour réaliser l'instruction des demandes et éviter qu'elle ne prenne une tournure passionnelle.
D'aucuns estiment enfin cet avis scientifique nécessaire. Se pose alors la difficile question de la composition d'une éventuelle commission, comme le révèle le relatif échec de la commission scientifique nationale des collections, dont l'objet était de valider la disparition de l'intérêt public de tel ou tel objet.
Il s'agit à nos yeux d'un sujet central que nous avons l'intention de creuser lors des auditions à venir.
Le dernier élément que je souhaiterais porter à votre connaissance concerne les restes humains. Une unanimité se dégage pour estimer que les restes humains, même patrimonialisés, présentent des spécificités qui justifient qu'un traitement particulier soit réservé aux revendications les concernant, à condition que ces restes humains soient identifiés et documentés avec certitude.
Sur la base des critères dégagés par le groupe de travail présidé par Michel Van Praët sur la problématique des restes humains dans les collections publiques, le ministère de la culture et le ministère des affaires étrangères pensent que l'adoption d'une loi-cadre, dans ce domaine au moins, serait possible. Elle permettrait de régler de manière infiniment plus rapide et encadrée les demandes de restitution des restes humains identifiés.
Je cède à présent la parole à Pierre Ouzoulias.