Mes chers collègues, je vous propose aujourd'hui, à l'occasion de cette dernière réunion de la session, d'autoriser la publication, au sein d'un seul et même rapport, de l'ensemble des travaux réalisés par les groupes de travail chargés d'étudier les conséquences de la crise sanitaire sur les secteurs relevant de nos compétences.
Je tiens encore une fois à remercier tous les collègues qui ont accepté d'animer ces groupes au cours du confinement, tant pour leur investissement et leur dynamisme que pour leur sens de la synthèse et du consensus, caractéristiques du fonctionnement de notre commission.
Merci également à toutes celles et ceux qui ont participé à ces travaux et qui, par leurs questions et leurs propositions, ont alimenté la qualité des documents ainsi réalisés.
Nous avons me semble-t-il réussi, au fil de la publication de nos travaux entre le 24 avril et la fin juin, non seulement à occuper le terrain médiatique avec succès, mais aussi et surtout à proposer aux différents ministres en charge de nos secteurs - et parfois mêmes à nos amis députés en manque d'idées - des propositions concrètes dont certains n'ont pas manqué de s'inspirer.
Certes, tous n'ont pas eu la délicatesse de citer nos travaux parmi leurs sources d'inspiration, mais les contacts réguliers que nous avons eus avec l'ensemble des membres du gouvernement durant cette période nous ont permis de constater à quel point nos notes et nos synthèses leur ont été précieuses dans la conduite de leur politique.
Je vous rappelle ainsi que la commission, par le biais du groupe de travail « enseignement scolaire » animé par Jacques Grosperrin, a activement participé aux débats entourant la définition et la publication, par les services du ministère de l'éducation nationale, d'un protocole sanitaire définissant les règles applicables aux établissements scolaires, dans la perspective de leur réouverture annoncée à la surprise générale par le Président de la République.
Nous pouvons également nous féliciter d'avoir incité le Gouvernement à mener à bien, dans des délais compatibles avec les attentes des acteurs du secteur, la transposition des directives SMA, droit d'auteur et câble et satellite dans le projet de loi DDADUE, afin d'élargir l'assiette du financement de la création française dans cette période de crise.
Il s'agissait, je le rappelle, d'une proposition commune des groupes de travail consacrés aux « Industries culturelles » animé par Françoise Laborde et « Médias audiovisuels » présidé par Jean-Pierre Leleux.
Certaines autres des propositions que nous avons formulées au cours des semaines écoulées sont venues quant à elles enrichir le troisième projet de loi de finances rectificatif pour 2020 discuté en fin de semaine dernière.
Je pense bien entendu à la mise en place d'un crédit d'impôt en faveur des dépenses de création destiné à soutenir les éditeurs de chaînes de télévision fragilisés par l'effondrement de leurs ressources publicitaires et confrontés à une concurrence accrue des plateformes numériques. Il s'agissait là encore d'une des propositions fortes du groupe de travail « Médias audiovisuels ».
Je pense également à la mise en place d'un fonds en faveur des festivals, doté d'une dizaine de millions d'euros, proposé par les membres du groupe « Création » animé par Sylvie Robert, ou à la compensation, au moins partielle, des pertes subies par l'ensemble des opérateurs culturels au cours de l'année 2020 afin de faire face à l'effondrement des recettes tirées de la fréquentation touristique.
Je pense également au soutien budgétaire de l'État en faveur du Loto du Patrimoine par le dégel du montant des taxes perçues par celui-ci, ces deux mesures ayant été défendues par le groupe de travail piloté par Alain Schmitz.
Je pense enfin, dans le domaine de l'enseignement supérieur, à la compensation des pertes de loyers enregistrées par les Crous suite aux difficultés financières rencontrées par les étudiants, suggérée par les membres du groupe de travail animé par Stéphane Piednoir.
Au-delà des mesures législatives ainsi adoptées ou en passe de l'être, Jean Castex et ses ministres pourront continuer à s'appuyer dans les semaines à venir sur nos travaux dans le cadre de la définition et de la mise en oeuvre du plan de relance annoncé par le Gouvernement.
Comme nous l'avons déjà déploré collectivement à de multiples reprises, beaucoup de défis restent à relever par le Gouvernement dans les champs de compétences qui sont les nôtres.
La crise a en effet révélé, si besoin en est, l'extrême fragilité des secteurs et des écosystèmes dont nous sommes les garants. L'économie de la création, des musées, de la presse, des festivals, des salles de spectacles et de cinéma, celle aussi des clubs, des associations sportives ou des colonies de vacances, privée de spectateurs, de lecteurs, de pratiquants, de recettes publicitaires, de mécénat ou de billetterie menace aujourd'hui de s'effondrer sans le soutien massif de l'État et des collectivités territoriales, qui se sont beaucoup mobilisées.
Certains secteurs devront ainsi faire évoluer leur modèle économique dans des conditions particulièrement difficiles pour ne pas disparaître. C'est le cas du secteur de la presse dont les difficultés ont été décrites sans concession par le groupe de travail animé par Michel Laugier.
D'autres secteurs sont condamnés à attendre la levée progressive des interdictions qui les touchent et développer des projets alternatifs pour pouvoir survivre.
Je pense bien entendu ici au spectacle vivant, aux musées ou aux salles de cinéma. Stéphane Lissner a d'ailleurs insisté la semaine dernière sur les réticences d'une partie des spectateurs à revenir dans les lieux dédiés à la culture, en particulier les lieux clos, ce qui laisse présager une reprise particulièrement lente de l'activité culturelle dans les mois à venir.
Cette crise pourrait ainsi entraîner une modification profonde des modalités de consommation des biens et des produits culturels par le public. C'est à ce défi que de nombreux responsables de structures publiques et privées devront répondre au cours de l'été et de l'automne prochain.
Je pense aussi, dans un tout autre registre, au secteur de la jeunesse et de la vie associative dont la situation sociale et économique particulièrement difficile a été parfaitement décrite par le groupe de travail animé par Jacques Bernard Magner, qui a prôné une meilleure reconnaissance en faveur de l'engagement citoyen. Les conséquences de la crise pourraient en effet se faire sentir non seulement sur la fréquentation des colonies de vacances, mais aussi sur l'appétence des jeunes pour les services civique et universel.
D'autres secteurs devront quant à eux redéfinir leurs modalités de fonctionnement et de gouvernance afin de tirer les leçons de la crise.
Dans le domaine de la recherche, les travaux du groupe animé par Laure Darcos ont dégagé des pistes qui se traduiront je l'espère par l'adoption d'amendements dans le cadre de l'examen de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche annoncée l'hiver prochain. J'en parlerai à Frédérique Vidal que je rencontre ce soir à sa demande.
Enfin, les propositions réalisées par le groupe piloté par Claude Kern sur l'évolution du réseau d'enseignement français à l'étranger, si important pour le rayonnement de la langue et de la culture française, mériteraient quant à elles d'être intégrées au plan de sauvegarde du réseau un temps envisagé par le Gouvernement. Ce groupe de travail n'a pas achevé ses travaux. Je ne sais où il en est.
Si cette crise a révélé les fragilités et les carences des secteurs relevant de la commission, elle a également mis en lumière de manière particulièrement crue la marginalisation plus ou moins importante de certains d'entre eux dans le débat public.
C'est particulièrement vrai du sport, ce qui constitue un paradoxe au moment même où notre pays est chargé d'organiser des jeux Olympiques et où le caractère structurant des infrastructures sportives sur l'ensemble de notre territoire n'a jamais été aussi important. Nous avons unanimement regretté le silence assourdissant de la ministre pendant et après le confinement, me conduisant à l'interpeller publiquement à ce sujet ! Elle a reconnu explicitement devant moi qu'on lui avait demandé de se taire ! J'espère qu'elle pourra retrouver la parole face à Jean-Michel Blanquer.
Si l'on peut comprendre que les événements sportifs aient été différés, que les championnats aient été arrêtés, que les pratiques occasionnelles aient été fortement encadrées pour des raisons sanitaires au plus fort de la crise, il est regrettable qu'aucun travail de fond n'ait néanmoins été entrepris durant la période par le Gouvernement pour permettre aux clubs, aux fédérations, aux ligues et à l'ensemble du monde sportif de se trouver en état de marche dès la sortie du confinement.
De ce fait, il me semble que la ministre déléguée chargée des sports serait bien inspirée d'étudier avec attention les mesures ambitieuses et cohérentes présentées par le groupe de travail animé par Jean-Jacques Lozach et destinées à accompagner la relance économique du secteur.
Si le secteur du sport a été le grand oublié de cette période de crise, le secteur de la culture au sens large en ressort lui aussi affaibli. Il ne s'agit pas de sous-estimer les efforts réalisés par le Gouvernement en général. Franck Riester, dans l'ombre, a essayé de faire avancer un certain nombre de choses.
Sur le plan strictement budgétaire, l'adoption d'une année blanche pour les intermittents pour près de 950 millions d'euros, les 700 millions d'euros en faveur du spectacle vivant et de la musique enregistrée, les 320 millions d'euros destinés au soutien de l'industrie du cinéma et de l'image animée ou encore les 200 millions d'euros octroyés à la chaîne du livre ne sont pas quantité négligeable.
Au total, près de 5 milliards d'euros ont été pour l'heure débloqués pour soutenir les acteurs du monde de la culture et des médias, ce dont on ne peut que se féliciter.
Nous pouvons observer néanmoins des flottements voire des dysfonctionnements dans la manière dont la crise a été gérée au cours des mois écoulés.
D'une part, des pans entiers du secteur culturel ont le sentiment d'avoir été abandonnés. C'est le cas des arts visuels, secteur en souffrance, qui mériterait d'être restructuré.
Pourquoi ne pas confier aux fonds régionaux d'art contemporain de nouvelle génération le soin de jouer un rôle d'animateur en ce domaine ? C'est aussi le cas des auteurs indépendants, qui se considèrent comme les laissés pour compte de la crise. Il convient d'avancer au plus vite sur la définition d'un statut social pour ces artistes.
C'est enfin le cas des enseignements artistiques et des conservatoires, tiraillés entre les compétences de l'État, chargé d'assurer la délivrance des diplômes, les cursus, la formation des enseignants et celles dévolues aux collectivités territoriales, chargées d'organiser les examens.
D'autre part, le ministère manque encore cruellement de réactivité pour traduire en acte les mesures qu'il annonce. Ainsi ni le décret définissant le régime applicable aux intermittents ni les circulaires définissant les règles d'organisation des festivals en dessous de 5 000 personnes ou précisant les modalités de réouverture des établissements et d'autorisation de manifestations à compter de septembre n'ont été publiés à ce jour.
Je suis toujours dans l'attente d'éléments de réponse concernant les mesures prises pour le soutien des établissements publics de coopération culturelle, qui n'ont pas été autorisés à accéder au dispositif d'activité partielle. J'espère que la nouvelle ministre de la culture sera en mesure d'insuffler son dynamisme à des équipes qui en manque parfois cruellement !
Enfin, le ministère a désespérément continué à fonctionner de façon verticale, en accordant un pouvoir discrétionnaire aux seuls préfets. Le ministre n'a malheureusement pas réussi à engager de mouvement de coordination avec les collectivités durant la période.
Dans ma région, le Conseil des territoires pour la culture (CTC) a mis plus de trois mois à se réunir pour une simple réunion d'information qui n'a débouché sur la définition d'aucun axe particulier. Les CTC pouvaient pourtant constituer un outil à la main des préfets pour organiser la concertation et l'articulation des fonds d'urgence des différentes collectivités. L'État avait l'occasion de reprendre la main sur ces sujets, d'autant que je crois que les collectivités territoriales ont encore besoin de maturité avant de pouvoir animer la compétence partagée.
Espérons qu'en ce domaine les annonces réalisées devant le Sénat par le Premier ministre jeudi dernier concernant la nécessité d'associer étroitement les territoires dans la définition et la conduite des politiques publiques trouvent une concrétisation non seulement en matière culturelle, mais aussi en matière éducative ou sportive !
Ces derniers mois ont permis de prendre conscience que si l'État doit sans doute continuer à jouer un rôle d'impulsion et de coordination dans les domaines qui nous préoccupent, il est de plus en plus rarement en mesure d'agir seul.
La gestion de la réouverture des établissements scolaires, des établissements culturels, des structures sportives n'a pu se faire dans de bonnes conditions que grâce à l'implication, dans leurs domaines de compétences, des collectivités territoriales. Celles-ci seront d'ailleurs à n'en pas douter les maillons essentiels de la reprise à venir.
Pour conclure ce propos, je voudrais une nouvelle fois insister sur la qualité des travaux accomplis par chacun des groupes de travail de la commission au cours des semaines écoulées.
La relecture de ces notes de synthèse quelques semaines après leur première publication permet de constater qu'aucune d'entre elles n'a perdu de son intérêt ni de son acuité.
Je forme le voeu que le Premier ministre, à qui je compte adresser l'ensemble de ces travaux en votre nom, s'en inspire largement dans le cadre de la préparation du plan de relance qui devrait être annoncé durant l'été.