Je suis heureux de l'occasion qui m'est aujourd'hui offerte, quelques jours après ma prise de fonctions, de vous présenter l'action que j'entends mener à la tête du ministère de la justice pour rapprocher la justice des citoyens et améliorer son fonctionnement.
En préambule, j'évoquerai rapidement la situation à Roanne, où un détenu du centre pénitentiaire retenait, jusqu'à il y a quelques minutes, sa compagne à l'issue d'un parloir. L'équipe régionale d'intervention et de sécurité de Lyon s'est rendue sur le site. La prise d'otages semble terminée, si tant est qu'on puisse, à cet instant, la qualifier de la sorte. Mes services vont me tenir rigoureusement informé de la suite des événements, même si, à cet instant, tout danger semble être écarté.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le temps est tout à la fois précieux et compté dans la présente mandature. Pour autant, des inflexions majeures peuvent d'ores et déjà être apportées à un système judiciaire dont vous pourrez convenir tristement avec moi qu'il souffre aujourd'hui d'une véritable défiance de la part de nos concitoyens. Cette situation, à l'évidence, n'est pas satisfaisante, et je veux précisément m'employer à la corriger. Changer le regard des Français sur leur justice, les réconcilier avec elle, ce sont mes espérances au moment où j'assume la responsabilité que m'ont confiée le Président de la République et le Premier ministre.
Ce combat pour la restauration du lien de confiance entre les citoyens et la justice n'est pas seulement celui du ministre et de son administration : c'est celui des magistrats, des greffiers, des agents qui, tous - je le mesure chaque jour davantage -, sont remarquables en termes d'engagement, de compétence, de dévouement pour le service public de la justice. C'est le combat du Gouvernement tout entier qui, par la voix du Premier ministre, a fait de la réforme de la justice une priorité.
Ce combat, il nécessite le soutien de la représentation nationale, et tout particulièrement celui du Sénat et des membres de la commission des lois qui ont consacré d'importants travaux au projet ambitieux et partagé de redressement de la justice. Sur la base de ce constat de procéder à un nécessaire et urgent redressement de la justice, de très importants chantiers de modernisation, comme le plan de transformation numérique, ont été lancés par ma prédécesseure, Nicole Belloubet. Je souhaite saluer devant vous son engagement, ses compétences et son action au cours des trois années passées. Il m'appartient désormais de faire aboutir plusieurs réformes importantes lancées sous son ministère, comme la loi sur la bioéthique, le Parquet européen ou la réforme tant attendue de l'ordonnance de 1945 sur l'enfance délinquante. J'ai déjà eu la grande satisfaction hier, devant votre Haute Assemblée, de porter une loi destinée à renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes.
Sur ce sujet de première importance, toutes les actions seront engagées pour donner leur plus grande portée aux conclusions du Grenelle contre les violences conjugales. Je veux en particulier que les femmes victimes soient entendues, qu'elles reçoivent un meilleur accueil dans les commissariats et les gendarmeries et qu'elles soient prises en charge par le milieu hospitalier au plus près de leur domicile. Je souhaite créer à cette fin des unités de proximité dans les hôpitaux, et j'ai obtenu l'assurance de leur financement.
Je veux aussi qu'une réponse soit apportée à la situation de la personne suspectée de violences conjugales qui ne peut pas être déférée, car la procédure n'est peut-être pas terminée. Je souhaite qu'elle rencontre un magistrat du parquet qui la mette en garde contre ce type d'agissements, afin qu'il y ait un rappel de la loi, indépendamment des poursuites engagées ou non plus tardivement.
Au titre de ma feuille de route pour les presque 600 jours à venir, il me revient, pour répondre à l'objectif de justice de proximité fixé par le Premier ministre, d'ouvrir de nouveaux chantiers et d'apporter des améliorations concrètes au fonctionnement des juridictions.
Le travail ne manque pas pour le ministre de la justice, mais aussi pour le Parlement dans ses différentes missions de législateur, de contrôleur et d'aiguillon du pouvoir exécutif. Je ne demande qu'à travailler étroitement et en confiance avec vous.
Ma connaissance de la justice n'est pas technocratique, elle est charnelle, nourrie par une expérience de plus de trente ans dans presque tous les tribunaux de France, humaine et intime. Le dénuement de notre justice, son décrochage par rapport au système judiciaire des autres pays européens, la dégradation de son image dans l'opinion publique, les condamnations multiples de la France par la Cour européenne des droits de l'homme à l'occasion de procès inéquitables me sont devenus insupportables. C'est pour cette raison que j'ai décidé de m'engager aux côtés du Président de la République, afin d'améliorer la justice de notre pays et d'agir au soutien des femmes et des hommes qui travaillent dans les juridictions, comme dans les services et établissements de la protection judiciaire de la jeunesse et de l'administration pénitentiaire.
La priorité de mon action porte donc sur la mise en place d'une justice de proximité. J'apporterai d'abord une précision sémantique. Le Premier ministre a évoqué la nécessité évidente d'avoir des juges de proximité. Beaucoup s'en sont étonnés. Il n'a jamais été question de rétablir ce qui a été supprimé en 2017, mais, à droit constant, avec les pleines possibilités offertes par la loi de programmation et de réforme pour la justice, de faire en sorte que la justice soit rendue au plus près de nos concitoyens. Cet objectif peut être atteint par la tenue d'audiences foraines en plus grand nombre, et, surtout, par l'utilisation effective des dispositions du nouvel article L. 218-8 du code de l'organisation judiciaire : cette disposition permet en effet aux chefs de cour d'attribuer des compétences matérielles supplémentaires à une chambre de proximité d'un tribunal judiciaire dans l'ensemble des matières civiles et pénales relevant de la compétence du tribunal judiciaire.
Vous êtes la Haute Assemblée des territoires : je précise que ces attributions de compétences aux chambres de proximité ne seront pas prises unilatéralement ni depuis Paris, mais au terme d'une réflexion et d'une concertation conduites localement, après consultation du conseil de juridiction. Ce conseil comprend notamment le maire de la commune, siège du tribunal judiciaire, le président du conseil départemental et le bâtonnier de l'Ordre des avocats du ressort. Les élus doivent être écoutés et entendus, car ils connaissent les préoccupations locales. Je veux aussi travailler au rapprochement des élus et de la justice.
S'agissant des attributions de compétences, il me paraît souhaitable, sous réserve des appréciations locales, que les juges aux affaires familiales (JAF) et les juges des enfants se déplacent dans les territoires, ou encore que les petits délits et les incivilités soient rapidement jugés en proximité. Un effort doit être fait également pour les victimes. Je suis très sensible à l'accueil qui leur est réservé ; elles doivent être entendues lorsque la gravité des faits justifie qu'une attention toute particulière leur soit portée.
La réalisation de cet objectif nécessite des renforts en personnel. Je sais que nous pourrons atteindre ces objectifs par le retour à la trajectoire de la loi de programmation et des améliorations ciblées. Je sais le Premier ministre attentif aux besoins de la justice. Je vais mettre toutes mes forces dans la balance pour obtenir les moyens nécessaires. Je sais votre commission et la Haute Assemblée très vigilantes à ce sujet, comme l'ont montré les avis de Mme Josiane Costes et de MM. Yves Détraigne et Alain Marc sur le projet de loi de finances pour 2020.
Je souhaite également - c'est une réforme qui ne coûte rien - généraliser à l'ensemble du pays les bonnes pratiques mises au point et expérimentées dans les territoires. Il s'agit là d'une mesure de bon sens, qui apporte des améliorations concrètes aux justiciables et améliore le travail des juridictions. À titre d'exemple, la crise sanitaire a conduit à améliorer localement l'organisation des convocations des justiciables avec des horaires séquencés et adaptés. Cela peut paraître peu de chose, mais c'est en réalité une marque de respect de l'institution pour le justiciable.
Il est aussi dans mes intentions de poursuivre et de lancer un certain nombre de chantiers avec le même objectif d'amélioration de la justice et de traitement concret des difficultés.
Je souhaite d'abord l'aboutissement de la réforme de l'article 65 de la Constitution qui permettra de soumettre les nominations des magistrats du parquet à l'avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et qui donnera à ce dernier un pouvoir de décision sur la discipline des magistrats du Parquet, à l'identique de ceux du siège. Un projet de loi constitutionnelle a déjà été adopté dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale et le Sénat en 2016. Pour mener cette réforme à son terme, il est nécessaire qu'elle soit adoptée soit par référendum, soit par le Congrès. Cette décision appartient évidemment à M. le Président de la République.
Je veux ensuite faire aboutir une réflexion nourrie par l'expérience et que je porte depuis longtemps relative à l'enquête préliminaire et à la détention provisoire. L'enquête préliminaire dure souvent trop longtemps : elle n'est plus préliminaire, elle devient éternelle sans le contradictoire consubstantiel à l'idée même de justice. S'agissant de la détention provisoire, elle est nécessaire dans certains cas, mais doit rester - la loi le dit déjà - exceptionnelle. D'autres moyens existent ; je demanderai aux parquets de prendre des réquisitions en ce sens.