Intervention de Éric Dupond-Moretti

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 22 juillet 2020 à 8h45
Audition de M. éric duPond-moretti garde des sceaux ministre de la justice

Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux :

À ce stade, je n'ai reçu strictement aucune information sur la situation de M. Darmanin. Je sais une chose, c'est qu'il est présumé innocent : nous sommes tous d'accord sur ce point.

S'agissant de la question de M. Collombat relative à l'ordre du jour, laissez-moi le temps d'en prendre connaissance. Je découvre un certain nombre de difficultés et de problématiques et je vous avoue humblement que je n'ai pas encore eu le temps d'être au fait de l'ensemble des sujets. Mais ce n'est ni du désintérêt ni de la désinvolture. J'étudierai votre question très précise avec mes services et vous aurez une réponse prochainement.

Le secret de l'instruction et la présomption d'innocence : vastes préoccupations pour moi ! La dernière fois que l'on s'est préoccupé de la présomption d'innocence, c'était il y a vingt ans, lors de l'examen de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, dite loi Guigou. Depuis, j'ai assisté à une dégradation de la situation au point que la présomption d'innocence est aujourd'hui reléguée au rang d'accessoire. Tout le monde s'en moque. Des émissions télévisées sont consacrées à des affaires en cours d'instruction et déchiquettent pendant des heures des personnes présumées innocentes. Cela ne peut plus durer. Ce travail ne peut être fait qu'avec les journalistes, sinon nous risquons d'être considérés comme d'insupportables censeurs qui s'en prendraient à la liberté de la presse. La presse a beaucoup de droits, mais elle a aussi des devoirs et je souhaite faire un travail avec les journalistes sur cette question. La présomption d'innocence est devenue totalement évanescente dans ce pays : c'est insupportable.

Et le secret de l'instruction ? N'en parlons même pas ! Je ne sais même plus s'il existe encore ! Et ceux qui violent le secret de l'instruction sont parfois ceux devant lesquels vous déposez une plainte pour violation du secret de l'instruction... Ils ont grand-peine à mettre de l'énergie à s'auto-incriminer !

Je souhaite raccourcir la durée de l'enquête préliminaire : préliminaire, cela a un sens. Je souhaite qu'elle devienne contradictoire : les droits de la défense, cela a un sens et la justice ne peut être rendue que dans le contradictoire. Et je souhaite que l'on protège l'honneur des hommes. J'ai eu une très longue conversation avec Pierre Baudis, le fils de Dominique Baudis. Je crois qu'on a oublié Dominique Baudis. Les leçons en la matière ne sont jamais retenues. S'il faut légiférer, nous le ferons ! Il faut redéfinir les choses comme elles méritent de l'être. Je vois des choses assez stupéfiantes : sur un plateau de télévision, j'ai entendu deux journalistes d'un grand journal du soir dire qu'ils disposaient de l'intégralité du dossier de l'enquête préliminaire dans l'affaire Fillon, alors que ni François Fillon ni ses avocats ne pouvaient procéduralement obtenir ces documents. C'est scandaleux ! Et quand je leur ai demandé qui le leur avait transmis : secret des sources... Nous devons travailler très sérieusement sur cette question.

Pour répondre à M. Sueur, ma position est extrêmement claire : je suis pour une séparation nette du siège et du parquet. Je reprends régulièrement à mon compte cette formule du président Coujard, ancien président de la cour d'assises de Paris : « comment peut-on se comporter en arbitre quand on arbore le même maillot que celui d'une des équipes ? » La magistrature n'est plus univoque sur ce sujet : un certain nombre de magistrats souhaitent la séparation du siège et du parquet. C'est aussi mon souhait. Pour un certain nombre de raisons, je ne pourrai pas le faire : le temps qui m'est imparti ne me permet pas de mettre en chantier cette réforme essentielle à mes yeux.

Je ne pourrai pas mener à terme certaines réformes structurelles essentielles. Ce sont des rêves ou des utopies que le calendrier me contraint à mettre de côté. J'aurais aimé aussi envisager la création d'une école de formation commune... Ce sont des choses importantes, mais je ne pourrai pas le faire.

En revanche, sur l'avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, les magistrats - et particulièrement ceux du parquet - attendent cette réforme, qui graverait dans le marbre de la Constitution une pratique que ce pouvoir a toujours respectée.

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