Intervention de Éric Dupond-Moretti

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 22 juillet 2020 à 8h45
Audition de M. éric duPond-moretti garde des sceaux ministre de la justice

Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux :

S'agissant de l'ordonnance sur la justice des mineurs, j'entends poursuivre sur les projets de texte déjà présentés avant ma nomination. Je n'occupe mes fonctions que depuis dix jours et je n'ai pas eu le temps de préparer de nouveau texte. Il est prévu que l'ordonnance sur la justice des mineurs soit présentée. S'agissant de la réforme de la responsabilité civile, je vais prendre connaissance du projet préparé par mon administration et nous nous reverrons prochainement à ce sujet.

J'ai vu des choses absolument incroyables dans les centres éducatifs fermés : des gamins qui sont nés en prison ! « Chaque homme s'accroche désespérément à sa mauvaise étoile », comme écrivait Cioran. Mais quand ils sont là, ils ne sont pas en prison, c'est déjà une victoire ! Et si l'on en sauve un sur dix, ce sera déjà ça. Tout ce qui est alternatif à la prison va dans le bon sens. Je reviendrai sur ces questions lorsque je les aurai étudiées en profondeur.

La crise de la covid a permis d'atteindre un taux de détention historiquement bas, mais j'attends de voir l'évolution des chiffres après le confinement, avec la reprise de l'activité délinquante. On abuse de la détention provisoire : cela devait être une exception, mais cela devient souvent la règle. Je n'ai aucun pouvoir sur les juges du siège et, en cette matière seulement, je le regrette. Les travaux parlementaires après l'affaire d'Outreau avaient fait apparaître que le recours à la détention provisoire était une sorte de mauvaise habitude, culturellement ancrée dans l'esprit de notre institution. Pour maintenir ce bas taux de détention, on peut s'appuyer sur le « bloc peines » récemment entré en vigueur, des réquisitions seront prises par les procureurs, mais il faut aussi repenser ce qu'est la prison. Nous avons la chance d'appartenir à ce merveilleux pays qui est celui des droits de l'homme.

La prison a un triple but : punir, mettre à l'écart de la société celui qui est dangereux et réinsérer. On ne peut envisager l'un sans les deux autres. Or la prison est galvaudée et l'on constate une inflation du recours à l'emprisonnement alors même que le critère de dangerosité n'est pas là. On peut aussi intervenir via la détention provisoire : pour quelles raisons ne parvient-on pas à obtenir que quelqu'un soit jugé libre - sauf bien entendu en cas de dangerosité ou de gravité des faits ? Je n'ai ni baguette magique ni matraque. Je ne serai pas le garde des sceaux du laxisme, mais je ne serai pas non plus un garde des sceaux ultra répressif. On peut réfléchir autrement. Mais ce n'est pas le garde des sceaux qui prend la décision. Le législateur pourrait ainsi intervenir pour instaurer des seuils le cas échéant, cela a déjà été envisagé par le passé. On a assisté à des pratiques judiciaires insupportables qui contournaient la volonté du législateur, comme on l'a vu avec le recours à des circonstances aggravantes pour pouvoir réincarcérer de façon provisoire, selon nos vieilles habitudes délétères. Nous avons un arsenal complet. Le taux de détention ne doit pas revenir à un niveau qui autorise la Cour européenne des droits de l'homme à nous condamner régulièrement pour les conditions inhumaines et dégradantes de nos prisons.

Le raccourcissement de l'enquête préliminaire ne conduira pas forcément au renforcement du juge d'instruction : on peut conclure une enquête préliminaire par un rappel à la loi, par une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), par une convocation par un officier de police judiciaire. On nous dira peut-être que si on raccourcit la durée de l'enquête préliminaire, il sera techniquement impossible d'être dans les délais. Certaines enquêtes préliminaires auront alors un statut dérogatoire, mais attention, car l'exception devient souvent la règle : il faudra veiller à tout cela. Le système actuel n'est absolument pas satisfaisant.

Des places de prison seront construites. La question, c'est incarcérer plus ou incarcérer mieux ? Il y a aura certainement une hausse mécanique qui tient au déconfinement, mais je n'ai pas encore les chiffres.

J'ai dit des choses sur la HATVP en tant que citoyen. En tant que citoyen, je n'aime pas la transparence, je n'aime pas la « transperçance ». Mais soyez rassurés : je remplirai toutes les obligations qui sont les miennes.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion