Intervention de Cyril Pellevat

Commission des affaires européennes — Réunion du 16 juillet 2020 à 8h35
Environnement et développement durable — Classement du loup au sein de la convention de berne : examen du rapport de m. cyril pellevat de la proposition de résolution européenne et d'un avis politique

Photo de Cyril PellevatCyril Pellevat, rapporteur :

Cette PPRE, dont je suis co-signataire, traite d'un sujet qui a déjà été abordé à plusieurs reprises au Sénat : la situation du loup. Je l'ai d'ailleurs évoqué hier, en effet, devant la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, à l'occasion de ma communication sur le développement économique de la montagne. Je vous rappelle que le loup bénéficie d'un niveau très élevé de protection en application, à la fois, de la Convention de Berne et de la directive européenne « Habitats, faune, flore ».

La convention de Berne de 1979 relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe, ratifiée par la France en 1989, assure la protection de certaines espèces de flore et de faune sauvages et de leurs habitats naturels. L'annexe II de cette convention classe le loup parmi les espèces strictement protégées. Toute forme de capture intentionnelle, de détention ou de mise à mort intentionnelle du loup est ainsi interdite.

Le loup est également une espèce d'intérêt communautaire, relevant de la directive européenne « Habitats, faune, flore » du 21 mai 1992 et de son annexe IV, transposée aux articles L. 411-1 et suivants du code de l'environnement. Il fait l'objet d'une protection stricte à ce titre.

La protection du loup n'est bien sûr pas absolue. En droit international, aux termes de l'article 9 de la Convention de Berne et, en droit européen, aux termes de l'article 16 de la directive « Habitats, faune, flore », il est possible de déroger à la protection du loup, sous réserve que trois conditions soient réunies : qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, que la dérogation ne nuise pas à la survie de l'espèce et que des dommages importants aux cultures ou à l'élevage soient constatés.

La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), comme elle l'a montré dans deux arrêts récents, exerce un contrôle vigilant des dérogations à la protection accordée au loup, octroyées en application de l'article 16 de la directive « Habitats, faune, flore ». En France, des arrêtés autorisent chaque année des dérogations à la protection du loup, en permettant des tirs de défense et, le cas échéant, des tirs de prélèvement, dans la limite d'un plafond.

Un dispositif expérimental a été mis en place depuis 2018, distinguant différents cercles en fonction des attaques dont les troupeaux font l'objet. En 2020, l'arrêté fixe ainsi un plafond global de destruction de loups de 19 % de l'effectif moyen de loup estimé annuellement.

Le régime de protection dont bénéficie le loup a indéniablement été un succès pour la survie de cette espèce. Alors qu'elle avait disparu du territoire national, elle est réapparue en passant par les Alpes et, année après année, le nombre de loups ne cesse de croître, pour s'élever aujourd'hui à plus de 580 individus, selon les données communiquées lors du dernier groupe national « loup » début juin.

Le plan national « Loup et activités d'élevage 2018-2023 » fixait un objectif de 500 loups, ce nombre étant considéré comme le seuil de viabilité démographique de l'espèce, à la suite d'une étude scientifique conduite en 2016 par le Muséum national d'histoire naturelle et l'Office national de la chasse et de la faune sauvage. Le seuil de viabilité de l'espèce en France a donc été franchi de manière significative et avec beaucoup d'avance sur le cadre prévu.

En janvier 2020, l'Office français de la biodiversité faisait état de 97 zones de présence permanente du loup et de 80 meutes. Les derniers chiffres communiqués au mois de juin font état de 580 loups en France, soit une augmentation de 10 % par rapport à 2018. La dynamique de progression de l'espèce ralentit mais elle demeure significative. Et, même si la présence du loup est particulièrement concentrée dans les régions Provence-Alpes-Côte d'Azur et Auvergne-Rhône-Alpes, elle concernerait désormais les deux tiers du territoire national.

Il faut donc en tirer toutes les conséquences au niveau national, notamment en rehaussant, comme cela a été fait ces deux dernières années, les taux de destruction, mais aussi au niveau européen en ajustant le niveau de protection dont bénéficie cette espèce.

C'est un sujet très sensible en territoire de montagne, et particulièrement dans les Alpes, pour les éleveurs qui pratiquent le pastoralisme qui, je veux le souligner, fait partie de notre patrimoine et contribue de manière essentielle au maintien d'une agriculture extensive de qualité, au développement économique de la montagne, à l'entretien de nos paysages, à la préservation de la biodiversité et à la lutte contre certains risques naturels.

Le nombre d'attaques de loups ne cesse de progresser. Le dernier bilan exposé par le préfet coordonnateur du plan « loup et activités d'élevage » fait état de 3 742 attaques en 2019, en progression de 4 %, ayant occasionné 12 451 victimes, pour l'essentiel des brebis.

Cette évolution et ces tensions ne sont pas propres à la France. Il suffit pour s'en convaincre de lire les propositions de résolution déposées au Parlement européen par des députés européens italiens ou de consulter la presse allemande. Quant à la Suisse, elle a présenté il y a deux ans un amendement devant le comité permanent de la Convention de Berne pour tenter d'obtenir un déclassement du loup du niveau de protection le plus élevé.

Cet objectif, c'est aussi celui de cette proposition de résolution européenne, dont le titre est explicite. Elle me paraît aller dans le bon sens au regard des évolutions constatées. Je vous propose toutefois de l'amender pour bien préciser les différents niveaux d'intervention.

Je propose tout d'abord de compléter les visas, afin de faire référence aux textes applicables, à la jurisprudence de la CJUE, à la récente communication de la Commission européenne sur la stratégie en faveur de la biodiversité, aux travaux du Sénat, mais aussi à ceux du Parlement européen et du Comité européen des régions.

Au-delà de quelques amendements rédactionnels, je vous propose de renforcer les considérants en évoquant l'évolution du nombre de loups dans d'autres États membres et en développant les aspects positifs du pastoralisme. Sur ce point, j'ai repris, en les synthétisant, différents éléments que le Sénat avait adoptés dans sa résolution sur le pastoralisme du 2 octobre 2018.

S'agissant du dispositif lui-même, je propose plusieurs modifications, afin de bien distinguer les différents modes d'action de l'Union. Je vous rappelle en effet que la Convention de Berne est un traité international signé sous l'égide du Conseil de l'Europe et que, si l'Union y est partie, elle ne peut pas le modifier directement.

Je vous propose d'abord de prendre acte de la communication relative à la stratégie de l'Union européenne en faveur de la biodiversité à l'horizon 2030. La Commission y propose notamment de mettre en place, au sein de l'Union, un cadre de gouvernance global pour piloter la mise en oeuvre des engagements en matière de biodiversité contractés au niveau national, européen ou international, ce qui inclurait un mécanisme de suivi et de réexamen de ces engagements.

La Commission souligne notamment les enjeux de mise en oeuvre des dispositions relatives à la protection des espèces incluses notamment dans la directive concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages et elle évoque, le cas échéant, un réexamen et une révision de la législation européenne ayant une incidence sur la biodiversité. Il y a donc une fenêtre d'opportunité pour réévoquer la situation du loup et il me semble qu'il faut la saisir.

Dans la perspective de ce réexamen, je vous propose, d'une part, d'appeler la Commission à développer un processus d'évaluation réactif afin de permettre de modifier le statut de protection d'une espèce dans une région donnée, dès que le niveau de conservation souhaité est atteint ; d'autre part, de demander en particulier une adaptation des annexes de la directive concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, afin de prendre en compte la croissance du nombre de loups dans certains États membres ou certaines régions. C'est en effet l'annexe IV de cette directive qui arrête la liste des « espèces animales et végétales d'intérêt communautaire qui nécessitent une protection stricte ». L'annexe V vise quant à elle les « espèces animales et végétales d'intérêt communautaire dont le prélèvement dans la nature et l'exploitation sont susceptibles de faire l'objet de mesures de gestion » : le loup est aujourd'hui inclus dans ce régime dans deux régions de l'Union européenne : en Espagne, au nord du Duero, et en Grèce, au nord du 39e parallèle.

Je me suis inspiré pour cette rédaction de la résolution du Parlement européen sur un plan d'action pour le milieu naturel, la population et l'économie, adoptée en 2017.

Je vous propose ensuite de préciser l'action qui pourrait être entreprise au niveau de l'Union européenne s'agissant de la Convention de Berne, à laquelle tous les États membres et l'Union en tant que telle sont parties.

C'est au comité permanent de cette Convention que revient le pouvoir d'évaluer l'état de conservation des espèces et, par conséquent, de revoir leur inscription dans les listes des annexes de la Convention. Tout amendement portant sur ces annexes doit être adopté à la majorité des deux tiers des parties contractantes.

Des amendements sont régulièrement déposés. La Norvège soutient ainsi l'abaissement du niveau de protection de la bernache nonette. La Suisse a de son côté présenté, en 2018, un amendement visant à abaisser le niveau de protection dont bénéficie le loup.

À l'époque, la Commission européenne avait adressé aux États membres, sur le fondement de l'article 218 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, une proposition prônant le report de ce vote, jusqu'à ce que des données actualisées sur l'état de conservation du Loup gris dans l'Union soient disponibles. Elle considérait à l'époque que l'état de conservation du loup demeurait défavorable dans plusieurs États membres dans lesquels cette espèce bénéficie d'une protection stricte.

Compte tenu de l'évolution observée depuis lors, et au regard des compétences de l'Union, je vous propose d'amender la proposition de résolution afin d'inviter la Commission à proposer au Conseil de soutenir une proposition visant à transférer le loup de l'annexe II de la Convention de Berne (« Espèces de faune strictement protégées ») vers son annexe III (« Espèces de faune protégées »), lors d'une prochaine réunion du comité permanent de cette convention. Je souhaiterais évidemment qu'un tel amendement soit présenté par la France.

Enfin, je propose de préciser la fin du dispositif. Premièrement, en demandant à la Commission de reconnaître, au travers d'un plan d'action spécifique, l'importance de la contribution du pastoralisme au maintien d'une agriculture extensive de qualité, au développement économique de la montagne, à l'entretien des paysages, au maintien de la biodiversité ainsi qu'à la prévention des risques naturels. Deuxièmement, en appelant à un suivi scientifique des enjeux d'hybridation, et en en tirant les conséquences juridiques : c'est un point que j'avais souligné dans le rapport que j'avais rendu sur le plan loup au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Troisièmement, en appelant la Commission et les États membres à prendre rapidement des mesures concrètes afin de permettre le contrôle et la gestion de la prolifération des prédateurs dans certaines zones de pâturage. L'enjeu est clair : il s'agit de ne pas compromettre le développement durable des zones rurales, et il faut s'appuyer sur les possibilités offertes par l'article 16 de la directive « Habitats, faune, flore » en vue de prévenir notamment des dommages importants à l'élevage. Enfin, en soulignant la nécessité pour les États membres d'accorder les dérogations au régime de protection du loup prévues par la directive, et ce sans exclure a priori aucun territoire du champ de dérogation.

Des tirs de défense et de prélèvement sont nécessaires, mais la CJUE veille scrupuleusement à l'encadrement des dérogations à la protection du loup.

Ces rédactions font écho à des formules retenues par le Parlement européen dans ses résolutions de 2017 sur un plan d'action pour le milieu naturel, la population et l'économie, et de 2018 sur la situation actuelle et les perspectives pour l'élevage ovin et caprin dans l'Union.

Enfin, par coordination avec le fond du texte, je vous propose d'ajuster le titre de la proposition de résolution, afin de préciser que le régime de protection dont bénéficie le loup devra être adapté à la fois au sein de la Convention de Berne et dans la législation européenne.

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