La structure de la proposition formulée par Charles Michel est éclairante. Il traite en premier lieu de l'instrument de relance, qui constitue l'enjeu principal de la négociation, et ensuite du cadre financier pluriannuel (CFP) « socle », considérant que les précédents échanges au Conseil européen ont déjà permis de trouver des voies de sortie. Le CFP « socle » apparaît donc comme la variable d'ajustement de la négociation pour faire adopter l'instrument de relance.
La proposition du président du Conseil européen confirme les contours de l'instrument de relance, tels que la Commission les avait envisagés. Elle conserve une enveloppe de 750 milliards d'euros, comprenant 500 milliards d'euros de subventions et 250 milliards d'euros de prêts. La ventilation proposée par la Commission entre les différents programmes n'est aucunement modifiée. La facilité pour la reprise et la résilience, en particulier, conserve une enveloppe de 560 milliards d'euros, dont 310 milliards de subventions. Nous pouvons simplement signaler un changement de rubrique pour les crédits de relance destinés à l'aide humanitaire, qui se voient rattachés pour des raisons juridiques à la rubrique de l'instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale. Néanmoins, il ne s'agit pas d'un changement de fond.
Les modifications et précisions se trouvent ailleurs. Elles sont destinées à faire taire les critiques formulées par plusieurs États membres. Elles concernent le calendrier de l'instrument de relance, les critères d'allocation des aides, les ressources propres et le capital de la Banque européenne d'investissement.
Charles Michel propose ainsi de concentrer le plan de relance sur trois années au lieu de quatre. Les engagements de dépenses au titre de l'instrument de relance devraient ainsi prendre fin le 31 décembre 2023 au plus tard, tandis que les paiements devraient être effectués avant le 31 décembre 2026.
Les critiques sur les critères d'allocation des fonds et la juste prise en compte des effets de la crise de la Covid-19 ont été entendues. Charles Michel propose de conserver les critères d'allocation des fonds de la facilité pour la reprise et la résilience proposés par la Commission européenne pour 2021 et 2022, ces deux années devant représenter 70 % des dépenses. Il les modifie en revanche pour 2023, année qui verrait le déblocage des 30 % d'engagements restants. Le critère du taux de chômage constaté au cours des années 2015 à 2019 serait ainsi remplacé, pour l'attribution de l'enveloppe en 2023, par le critère de perte cumulée de PIB en 2020 et 2021. Les effets de la crise de la Covid-19 seront donc mieux pris en compte. La commission des finances avait mis en évidence cet enjeu. Nous pouvons par conséquent nous satisfaire de cette évolution. Je vous rappelle que les fonds seront versés aux États membres en contrepartie d'engagements à mener des réformes, dans le cadre du semestre européen.
De même, le président du Conseil européen souhaite anticiper d'un an le remboursement de l'emprunt contracté pour financer cet instrument. Il débuterait le1er janvier 2027, la dernière année de ce cadre financier pluriannuel, et non plus en 2028.
Pour atteindre cet objectif, Charles Michel propose d'avancer sur le dossier des ressources propres. Il présente un plan d'action en quatre phases, qui débuterait très rapidement. Sa boîte de négociation prévoit en effet qu'une nouvelle ressource propre assise sur la quantité de plastiques non recyclés serait introduite et appliquée dès le 1er janvier 2021.
La Commission est ensuite invitée à formuler, au premier semestre 2021, des propositions pour introduire un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et une ressource propre fondée sur le numérique, en vue de les mettre en oeuvre au plus tard le 1er janvier 2023.
Elle devrait également proposer une révision du système européen d'échange de quotas d'émission, en l'étendant le cas échéant à l'aviation et au transport maritime, sans qu'une date de mise en oeuvre soit spécifiée.
Enfin, le document précise que l'Union travaillera au cours du prochain CFP à la mise en place d'autres ressources propres qui pourraient inclure une taxe sur les transactions financières sur lesquelles les États membres n'ont jamais pu s'accorder.
Il s'agirait donc d'une nette accélération du calendrier opérationnel de développement des ressources propres de l'Union, qui interviendrait de manière graduelle, ce qui constitue une nouveauté. Notre commission a réclamé depuis longtemps des avancées sur ce dossier. Nous pouvons donc saluer la démarche et les objectifs fixés par le Président du Conseil européen, tout en restant extrêmement prudents. En effet, le passage des annonces aux actes est souvent plus difficile que prévu au niveau européen comme au niveau national. C'est particulièrement vrai en matière de ressources propres.
Enfin, la proposition de Charles Michel fait apparaître un point que la Commission n'avait pas mis en avant. Pour pouvoir assumer les missions que l'Union lui confie dans le cadre de la relance post-Covid-19, la Banque européenne d'investissement (BEI) doit bénéficier d'une augmentation de capital. Des apports directs des États membres seraient ainsi appelés à hauteur de 17,5 milliards d'euros. Pour la France, cela représenterait une dépense immédiate de l'ordre de 3,3 milliards, si nous nous référons à la clé actuelle de répartition du capital de la banque. Depuis le départ du Royaume-Uni, la France détient en effet 19,2 % du capital de la BEI.
En outre, le capital appelable serait augmenté de 175 milliards d'euros au maximum. Je vous précise que les circonstances dans lesquelles la BEI serait susceptible d'avoir recours à ce capital appelable sont rares. Cette procédure a vocation à couvrir une situation dans laquelle l'institution serait en difficulté majeure. La banque n'y a jamais eu recours depuis sa création. Le capital appelable assume néanmoins un rôle important puisqu'il permet, outre le capital appelé qui est réellement versé, de manifester le soutien des actionnaires. Il constitue ainsi un élément important de l'évaluation de la solidité financière de la Banque, ce qui n'est pas négligeable actuellement.
La crise de la Covid-19 aura mis en évidence le rôle majeur de la BEI et le soutien que les États membres lui apportent. En effet, au-delà de ces mesures, qui restent à confirmer, le troisième projet de loi de finances rectificative, que le Sénat examinera dans quelques jours, comprend un article qui prévoit l'octroi de la garantie de l'État à la BEI, à hauteur de 4,7 milliards d'euros au maximum, au titre du fonds de garantie créé pour soutenir l'économie dans le cadre de cette crise.
L'augmentation du capital appelé aura un impact budgétaire direct pour les États membres, qui devrait cependant être compensé par la baisse globale du montant du cadre financier pluriannuel proposée par le président du Conseil européen.