Le fonds européen d'ajustement à la mondialisation (FEM) est une sorte d'OVNI parmi les outils budgétaires de l'Union européenne. J'ai choisi de mener ce contrôle budgétaire en raison du contexte politique, marqué par la volonté de la nouvelle présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, d'approfondir le rôle de l'Union européenne en matière de politiques sociales, et par les évolutions envisagées de cet outil budgétaire dans le cadre du Brexit. De plus, les conséquences économiques de la crise sanitaire interrogent, avec une acuité renouvelée, la gestion et l'utilisation de ce fonds, eu égard aux nombreux plans sociaux que nous devrions connaître dans les prochains mois.
En effet, le FEM finance des mesures en faveur de travailleurs licenciés, ou de travailleurs indépendants en cessation d'activité, à la suite de changements structurels majeurs du commerce international, du fait d'une crise économique ou financière. Le FEM finance des mesures d'accompagnement dites « actives », telles que la formation, l'initiation à l'entrepreneuriat, à la création d'entreprises, ou encore les services de conseil pour ces travailleurs licenciés. Il ne peut pas financer des actions relevant de la responsabilité légale des entreprises, ni se substituer aux dispositifs de protection sociale. Il peut toutefois financer des allocations de recherche d'emploi, de façon limitée dans le temps et si elles ne dépassent pas 35 % du total de la demande de cofinancement.
Il s'agit d'un instrument spécial du budget de l'Union européenne, se distinguant donc des fonds structurels, c'est-à-dire qu'il constitue l'une des enveloppes utilisables en cas d'urgence ou d'imprévu. À ce titre, les crédits du FEM ne correspondent pas à une enveloppe préallouée dans le budget européen : ils font l'objet d'une provision, dont le montant maximal, relativement modeste, est défini par le cadre financier pluriannuel CFP. Pour la période 2014-2020, le montant maximal annuel est fixé à 150 millions d'euros par an, en prix 2011, soit environ 180 millions d'euros en 2020.
Cet outil présente une véritable originalité en ce qu'il constitue un outil budgétaire relativement discrétionnaire de la Commission européenne, dont l'objectif est de corriger les externalités négatives de la mondialisation, c'est-à-dire des évolutions du commerce international, en contrepartie d'une plus grande ouverture des échanges.
Pour autant, la capacité d'intervention du fonds n'a cessé d'être réduite depuis sa mise en oeuvre. Pour la période 2007-2013, son montant maximal annuel était de 500 millions d'euros, soit plus de trois fois le montant actuel. Cette réduction s'explique principalement par la sous-utilisation des crédits de ce fonds, en dépit de la dernière crise économique mondiale et du ralentissement du commerce international observé depuis plusieurs années.
En tant que rapporteur spécial des crédits de la participation de la France au budget de l'Union européenne, j'ai souhaité dresser un bilan de ce dispositif, et analyser dans quelle mesure il pourrait être davantage mobilisé par la France.
Dans cette perspective, j'ai auditionné la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), la commission interministérielle de coordination des contrôles (CICC), ainsi que la Cour des comptes.
Premier constat : le FEM reste un dispositif confidentiel, malgré les élargissements successifs de son périmètre d'intervention. En effet, entre 2007 et 2013, l'intervention du FEM était limitée au profit des travailleurs ayant perdu leur emploi en raison de la mondialisation. La mise en place du FEM constituait une contrepartie à l'ouverture aux échanges de certains secteurs particulièrement sensibles à la concurrence, tels que le textile dans les pays du sud de l'Union européenne.
Jugé exagérément restrictif, ce périmètre a été modifié en 2009 pour inclure les pertes d'emploi liées à la crise. Le règlement du fonds pour les années 2014 à 2020 laisse ouverte cette possibilité et a ajouté les pertes d'emplois liées à la persistance de la crise économique et financière. De façon analogue, alors que le dispositif était initialement restreint aux salariés, il s'applique désormais également aux intérimaires, aux propriétaires gérants de microentreprises et aux travailleurs indépendants. Enfin, le seuil d'intervention a été abaissé de 1 000 à 500 salariés ou travailleurs indépendants en cessation d'activité sur une période de quatre mois dans une entreprise, y compris les travailleurs en amont ou en aval de ladite entreprise. La Commission européenne a proposé de l'abaisser à 250 pertes d'emplois pour la prochaine programmation.
Lors de son audition, la Cour des comptes a souligné que le recours au FEM était très inégal entre les différents États membres de l'Union européenne : 75 % des bénéficiaires sont concentrés dans huit pays, dont la France, qui en est le premier bénéficiaire. Entre 2007 et 2018, le FEM a permis d'accompagner 155 000 travailleurs environ, pour un montant de 634 millions d'euros - ce qui est très restreint par rapport, par exemple, au budget du fonds social européen (FSE) qui s'élève à 84 milliards d'euros environ pour la période 2014-2020...
Plusieurs facteurs expliquent cette sous-utilisation, et cette concentration sur quelques pays. Il y a des réticences politiques, comme au Royaume-Uni, qui s'est toujours montré sceptique quant à l'efficacité du dispositif. Dans certains États membres, le recours au FSE est plus intéressant car le taux de co-financement est supérieur, jusqu'à 85 %. En outre, la procédure d'octroi des crédits du FEM, particulièrement longue, a pu être assez dissuasive. De fait, cette procédure est à la main de la Commission européenne. Il revient aux États membres qui souhaitent en bénéficier de solliciter la Commission, qui dispose ensuite d'un délai de 20 semaines, avant que la demande de mobilisation du FEM ne soit transmise au Parlement européen et au Conseil, qui statuent dans un délai d'un mois. Du coup, le versement des fonds européens intervient souvent après l'engagement des dépenses par l'entreprise.
Deuxième constat : si la France est le premier bénéficiaire du FEM, l'utilisation de ce fonds reste concentrée sur un nombre réduit d'entreprises. Depuis 2007, la France a bénéficié de 100 millions d'euros du FEM environ, à destination d'un peu moins de 20 000 salariés. Toutefois, elle n'a déposé que neuf dossiers de demande de financement, principalement au bénéfice d'entreprises dans le secteur du transport aérien et de l'industrie automobile. Ce dispositif pourrait être davantage mobilisé envers les petites et moyennes entreprises qui souffrent tout autant des crises économiques successives et de la concurrence internationale. Il est trop peu connu des petites et moyennes entreprises, peut-être parce que l'État n'en fait pas assez la publicité. Et ses critères d'intervention, il est vrai, sont calibrés pour cibler en priorité les plans sociaux massifs. En outre, le délai d'octroi des crédits impose aux entreprises d'avancer les dépenses, ce qui requiert qu'elles disposent de la trésorerie suffisante. Enfin, les auditions ont soulevé un problème bien connu avec les fonds européens : leur mauvaise presse, en raison de leur complexité excessive et de l'ingénierie requise pour en bénéficier.
Troisième constat : la gestion budgétaire de ce fonds souffre de plusieurs carences. La France a choisi de déléguer aux entreprises bénéficiaires la gestion des crédits alloués. Or, les auditions ont témoigné du fait que les entreprises n'avaient pas toujours été informées des pièces justificatives à conserver. Résultat, la traçabilité des dépenses n'est pas toujours satisfaisante.
Les auditions ont également fait état d'un manque de ressources humaines dédiées au suivi de la gestion de ce fonds au sein de l'État : seul 0,5 équivalent temps plein (ETP) est consacré au FEM au sein de la DGEFP. Les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) devraient être davantage mobilisées. Ces moyens humains limités contrastent avec les effectifs des directions de ressources humaines des grandes entreprises, qui disposent d'une ingénierie suffisante pour solliciter et gérer les crédits du FEM. En outre, dans la mesure où les crédits du FEM bénéficient aux entreprises, et non à l'État, la Cour des comptes rappelle depuis plusieurs années que ces crédits devraient être gérés en compte de tiers, et non par voie de fonds de concours. Toutefois, la taille négligeable du dispositif pour les finances publiques n'a pas incité jusqu'à présent à l'amélioration de sa gestion budgétaire.
Enfin, l'appréciation de l'efficacité du fonds est limitée par les difficultés à assurer un suivi statistique sur ses bénéficiaires. Combien de travailleurs ont pu effectivement retrouver un emploi rapidement grâce au FEM ? Combien d'entre eux ont monté leur propre entreprise avec succès ? Dans quelle mesure est-il possible d'évaluer l'effet du FEM indépendamment du contexte macroéconomique ? Ces questions nécessitent de collecter des données sur plusieurs années après la clôture des plans sociaux.
Face à ce bilan contrasté, plusieurs perspectives d'évolution sont possibles pour le FEM. Tout d'abord, de nouvelles modifications du FEM sont envisagées à partir de 2021. Ainsi, la Commission européenne a proposé d'abaisser à 250 salariés licenciés ou travailleurs indépendants perdant leur emploi le seuil à partir duquel le FEM peut intervenir. Il est également proposé de supprimer l'obligation de l'État membre de fournir des éléments démontrant que les pertes d'emplois visées sont liées à la mondialisation ou à une crise économique. La Commission européenne a proposé de porter à 200 millions d'euros le montant annuel du FEM, mais les négociations budgétaires sont toujours en cours. Ces évolutions sont toutefois minimes au regard des perspectives économiques qui s'annoncent pour les prochains mois.
Le fonds est géré de façon centralisée en France, à l'échelle nationale, car l'État joue un rôle dans la validation des plans sociaux. Mais avec une plus grande implication des Direccte, nous pourrions certainement améliorer son efficacité, aux côtés des régions qui disposent de la compétence économique, afin de développer des relais territoriaux. La publication d'un guide pratique exhaustif à destination des entreprises paraît indispensable, notamment pour les informer de l'ensemble des obligations qui leur incombe en matière de conservation des justificatifs des dépenses tout au long de la procédure.
Enfin, il conviendrait de mener une expertise approfondie des modes de gestion choisis par les autres États membres de l'Union européenne, afin de déterminer si l'organisation choisie par la France est la plus pertinente.