Nous examinons le rapport, en nouvelle lecture, du projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2019.
Voté en première lecture le 10 juin 2020 à l'Assemblée nationale, modifié par deux amendements, le projet de loi de règlement a été rejeté en totalité par le Sénat le 8 juillet ; aucun article n'a été adopté.
L'autorisation parlementaire telle que donnée à l'occasion de la loi de finances pour 2019 a été respectée, l'on ne peut contester ni les chiffres ni la sincérité de l'exécution de l'année 2019.
Pour autant, le projet de loi de règlement constitue aussi le résultat concret de la politique fiscale et budgétaire menée par le Gouvernement. Sur ce point, nous ne pouvons souscrire aux choix du Gouvernement. Celui-ci n'a pas suffisamment profité de la croissance et de la baisse de la charge de la dette dont il a une nouvelle fois bénéficié en 2019 pour redresser la situation structurelle des comptes publics. Je le répète à chaque projet de loi de finances (PLF) : compte tenu du niveau d'endettement, nous n'avons pas de marges de manoeuvre en cas de coup dur. Certes, nous imaginions un scénario de type krach boursier ou choc pétrolier, pas une épidémie...
Le PLF 2019 ne permettait pas de dégager de telles marges de manoeuvre, malgré la croissance économique et des recettes fiscales rentrant spontanément. C'est sur ces choix initiaux, dont la loi de règlement est le reflet, que le Sénat a décidé de ne pas adopter ce projet de loi. Nous payons maintenant les conséquences des choix pris par le Gouvernement : il n'a pas su créer les conditions qui nous auraient permis de disposer de marges de manoeuvre budgétaires supplémentaires, qui auraient été bien utiles maintenant que nous vivons l'une des pires crises économiques que la France ait connu en temps de paix. Alors que l'Allemagne consacre bien plus pour soutenir son économie et baisse les impôts, par exemple la TVA... Nous avons regretté, lors de l'examen du troisième projet de loi de finances rectificative (PLFR 3), partir avec un tel handicap qui explique en partie que ce texte ne comporte aucune mesure de relance, faute de grain à moudre...
Dans ce contexte, la loi de règlement de 2019, qui nous fait revenir au « monde d'avant » l'épidémie de Covid-19, nous permet de tirer un bilan de la politique budgétaire conduite par la majorité alors que les indicateurs de la croissance étaient encore au beau fixe.
Pourtant, les chiffres ne sont pas bons. Malgré une « croissance de rattrapage » de 1,5 %, le déficit public a atteint 3 % du PIB à l'issue de l'exercice 2019, l'endettement atteint 98,1 %, la dépense publique augmente de 1,8 % et la part des prélèvements obligatoires ne diminue pas - une fois la bascule du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) neutralisée - pour s'établir à 44,8 % du PIB.
De son côté, l'État voit encore son déficit budgétaire se creuser de 16,7 milliards d'euros par rapport à 2018, passant à 92,7 milliards d'euros. Une fois l'ensemble des facteurs exceptionnels et discrétionnaires neutralisés, les dépenses du budget général, hors remboursements et dégrèvements, sont en augmentation de 1,9 % par rapport à 2018.
L'autorisation parlementaire est respectée parce que les objectifs initialement fixés n'étaient pas vraiment ambitieux.
En outre, l'année 2019 a également été marquée par la mise en oeuvre de mesures budgétaires et fiscales auxquelles le Sénat s'était opposé. Certaines réformes annoncées n'ont pas été menées, véritables serpents de mer, comme la réforme du versement des aides personnelles au logement (APL).
Réunie le 9 juillet dernier, la Commission mixte paritaire a constaté qu'elle ne pouvait parvenir à un accord et a conclu à l'échec de ses travaux.
Sans surprise, le 10 juillet, l'Assemblée nationale a adopté le texte en nouvelle lecture dans des termes identiques à celui issu de son examen en première lecture.
Par cohérence avec le vote du Sénat en première lecture, je suggère donc que la commission propose au Sénat de ne pas adopter le projet de loi de règlement et d'approbation des comptes de l'année 2019 et donc en conséquence de n'adopter aucun des articles du projet de loi. Je suppose que nous partageons tous cette conclusion, même si nos motivations diffèrent.
Nos raisons sont effectivement différentes. En matière de recettes, la justice fiscale n'y est pas. Les inégalités augmentent. Pour les dépenses, il aurait fallu davantage de moyens dans la santé, l'hôpital public, la recherche... Le PLFR 3 prévoit aussi trop peu de crédits pour la recherche. Nous réitérerons donc notre refus.
De même, le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste votera contre ce projet de loi de règlement. Le rapporteur général a évoqué les remboursements et dégrèvements ; nous allons vers quelque chose d'exponentiel, j'attire votre attention sur ce sujet. Ces niches fiscales vont se multiplier, sans évoquer les reports de charges sociales. On peut douter de la sincérité budgétaire sur ces sujets.
La commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter, en nouvelle lecture, le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2019. En conséquence, elle décide de proposer au Sénat de ne pas adopter chacun des articles du projet de loi.
Le compte rendu de cette réunion sera publié ultérieurement.
Le fonds européen d'ajustement à la mondialisation (FEM) est une sorte d'OVNI parmi les outils budgétaires de l'Union européenne. J'ai choisi de mener ce contrôle budgétaire en raison du contexte politique, marqué par la volonté de la nouvelle présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, d'approfondir le rôle de l'Union européenne en matière de politiques sociales, et par les évolutions envisagées de cet outil budgétaire dans le cadre du Brexit. De plus, les conséquences économiques de la crise sanitaire interrogent, avec une acuité renouvelée, la gestion et l'utilisation de ce fonds, eu égard aux nombreux plans sociaux que nous devrions connaître dans les prochains mois.
En effet, le FEM finance des mesures en faveur de travailleurs licenciés, ou de travailleurs indépendants en cessation d'activité, à la suite de changements structurels majeurs du commerce international, du fait d'une crise économique ou financière. Le FEM finance des mesures d'accompagnement dites « actives », telles que la formation, l'initiation à l'entrepreneuriat, à la création d'entreprises, ou encore les services de conseil pour ces travailleurs licenciés. Il ne peut pas financer des actions relevant de la responsabilité légale des entreprises, ni se substituer aux dispositifs de protection sociale. Il peut toutefois financer des allocations de recherche d'emploi, de façon limitée dans le temps et si elles ne dépassent pas 35 % du total de la demande de cofinancement.
Il s'agit d'un instrument spécial du budget de l'Union européenne, se distinguant donc des fonds structurels, c'est-à-dire qu'il constitue l'une des enveloppes utilisables en cas d'urgence ou d'imprévu. À ce titre, les crédits du FEM ne correspondent pas à une enveloppe préallouée dans le budget européen : ils font l'objet d'une provision, dont le montant maximal, relativement modeste, est défini par le cadre financier pluriannuel CFP. Pour la période 2014-2020, le montant maximal annuel est fixé à 150 millions d'euros par an, en prix 2011, soit environ 180 millions d'euros en 2020.
Cet outil présente une véritable originalité en ce qu'il constitue un outil budgétaire relativement discrétionnaire de la Commission européenne, dont l'objectif est de corriger les externalités négatives de la mondialisation, c'est-à-dire des évolutions du commerce international, en contrepartie d'une plus grande ouverture des échanges.
Pour autant, la capacité d'intervention du fonds n'a cessé d'être réduite depuis sa mise en oeuvre. Pour la période 2007-2013, son montant maximal annuel était de 500 millions d'euros, soit plus de trois fois le montant actuel. Cette réduction s'explique principalement par la sous-utilisation des crédits de ce fonds, en dépit de la dernière crise économique mondiale et du ralentissement du commerce international observé depuis plusieurs années.
En tant que rapporteur spécial des crédits de la participation de la France au budget de l'Union européenne, j'ai souhaité dresser un bilan de ce dispositif, et analyser dans quelle mesure il pourrait être davantage mobilisé par la France.
Dans cette perspective, j'ai auditionné la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), la commission interministérielle de coordination des contrôles (CICC), ainsi que la Cour des comptes.
Premier constat : le FEM reste un dispositif confidentiel, malgré les élargissements successifs de son périmètre d'intervention. En effet, entre 2007 et 2013, l'intervention du FEM était limitée au profit des travailleurs ayant perdu leur emploi en raison de la mondialisation. La mise en place du FEM constituait une contrepartie à l'ouverture aux échanges de certains secteurs particulièrement sensibles à la concurrence, tels que le textile dans les pays du sud de l'Union européenne.
Jugé exagérément restrictif, ce périmètre a été modifié en 2009 pour inclure les pertes d'emploi liées à la crise. Le règlement du fonds pour les années 2014 à 2020 laisse ouverte cette possibilité et a ajouté les pertes d'emplois liées à la persistance de la crise économique et financière. De façon analogue, alors que le dispositif était initialement restreint aux salariés, il s'applique désormais également aux intérimaires, aux propriétaires gérants de microentreprises et aux travailleurs indépendants. Enfin, le seuil d'intervention a été abaissé de 1 000 à 500 salariés ou travailleurs indépendants en cessation d'activité sur une période de quatre mois dans une entreprise, y compris les travailleurs en amont ou en aval de ladite entreprise. La Commission européenne a proposé de l'abaisser à 250 pertes d'emplois pour la prochaine programmation.
Lors de son audition, la Cour des comptes a souligné que le recours au FEM était très inégal entre les différents États membres de l'Union européenne : 75 % des bénéficiaires sont concentrés dans huit pays, dont la France, qui en est le premier bénéficiaire. Entre 2007 et 2018, le FEM a permis d'accompagner 155 000 travailleurs environ, pour un montant de 634 millions d'euros - ce qui est très restreint par rapport, par exemple, au budget du fonds social européen (FSE) qui s'élève à 84 milliards d'euros environ pour la période 2014-2020...
Plusieurs facteurs expliquent cette sous-utilisation, et cette concentration sur quelques pays. Il y a des réticences politiques, comme au Royaume-Uni, qui s'est toujours montré sceptique quant à l'efficacité du dispositif. Dans certains États membres, le recours au FSE est plus intéressant car le taux de co-financement est supérieur, jusqu'à 85 %. En outre, la procédure d'octroi des crédits du FEM, particulièrement longue, a pu être assez dissuasive. De fait, cette procédure est à la main de la Commission européenne. Il revient aux États membres qui souhaitent en bénéficier de solliciter la Commission, qui dispose ensuite d'un délai de 20 semaines, avant que la demande de mobilisation du FEM ne soit transmise au Parlement européen et au Conseil, qui statuent dans un délai d'un mois. Du coup, le versement des fonds européens intervient souvent après l'engagement des dépenses par l'entreprise.
Deuxième constat : si la France est le premier bénéficiaire du FEM, l'utilisation de ce fonds reste concentrée sur un nombre réduit d'entreprises. Depuis 2007, la France a bénéficié de 100 millions d'euros du FEM environ, à destination d'un peu moins de 20 000 salariés. Toutefois, elle n'a déposé que neuf dossiers de demande de financement, principalement au bénéfice d'entreprises dans le secteur du transport aérien et de l'industrie automobile. Ce dispositif pourrait être davantage mobilisé envers les petites et moyennes entreprises qui souffrent tout autant des crises économiques successives et de la concurrence internationale. Il est trop peu connu des petites et moyennes entreprises, peut-être parce que l'État n'en fait pas assez la publicité. Et ses critères d'intervention, il est vrai, sont calibrés pour cibler en priorité les plans sociaux massifs. En outre, le délai d'octroi des crédits impose aux entreprises d'avancer les dépenses, ce qui requiert qu'elles disposent de la trésorerie suffisante. Enfin, les auditions ont soulevé un problème bien connu avec les fonds européens : leur mauvaise presse, en raison de leur complexité excessive et de l'ingénierie requise pour en bénéficier.
Troisième constat : la gestion budgétaire de ce fonds souffre de plusieurs carences. La France a choisi de déléguer aux entreprises bénéficiaires la gestion des crédits alloués. Or, les auditions ont témoigné du fait que les entreprises n'avaient pas toujours été informées des pièces justificatives à conserver. Résultat, la traçabilité des dépenses n'est pas toujours satisfaisante.
Les auditions ont également fait état d'un manque de ressources humaines dédiées au suivi de la gestion de ce fonds au sein de l'État : seul 0,5 équivalent temps plein (ETP) est consacré au FEM au sein de la DGEFP. Les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) devraient être davantage mobilisées. Ces moyens humains limités contrastent avec les effectifs des directions de ressources humaines des grandes entreprises, qui disposent d'une ingénierie suffisante pour solliciter et gérer les crédits du FEM. En outre, dans la mesure où les crédits du FEM bénéficient aux entreprises, et non à l'État, la Cour des comptes rappelle depuis plusieurs années que ces crédits devraient être gérés en compte de tiers, et non par voie de fonds de concours. Toutefois, la taille négligeable du dispositif pour les finances publiques n'a pas incité jusqu'à présent à l'amélioration de sa gestion budgétaire.
Enfin, l'appréciation de l'efficacité du fonds est limitée par les difficultés à assurer un suivi statistique sur ses bénéficiaires. Combien de travailleurs ont pu effectivement retrouver un emploi rapidement grâce au FEM ? Combien d'entre eux ont monté leur propre entreprise avec succès ? Dans quelle mesure est-il possible d'évaluer l'effet du FEM indépendamment du contexte macroéconomique ? Ces questions nécessitent de collecter des données sur plusieurs années après la clôture des plans sociaux.
Face à ce bilan contrasté, plusieurs perspectives d'évolution sont possibles pour le FEM. Tout d'abord, de nouvelles modifications du FEM sont envisagées à partir de 2021. Ainsi, la Commission européenne a proposé d'abaisser à 250 salariés licenciés ou travailleurs indépendants perdant leur emploi le seuil à partir duquel le FEM peut intervenir. Il est également proposé de supprimer l'obligation de l'État membre de fournir des éléments démontrant que les pertes d'emplois visées sont liées à la mondialisation ou à une crise économique. La Commission européenne a proposé de porter à 200 millions d'euros le montant annuel du FEM, mais les négociations budgétaires sont toujours en cours. Ces évolutions sont toutefois minimes au regard des perspectives économiques qui s'annoncent pour les prochains mois.
Le fonds est géré de façon centralisée en France, à l'échelle nationale, car l'État joue un rôle dans la validation des plans sociaux. Mais avec une plus grande implication des Direccte, nous pourrions certainement améliorer son efficacité, aux côtés des régions qui disposent de la compétence économique, afin de développer des relais territoriaux. La publication d'un guide pratique exhaustif à destination des entreprises paraît indispensable, notamment pour les informer de l'ensemble des obligations qui leur incombe en matière de conservation des justificatifs des dépenses tout au long de la procédure.
Enfin, il conviendrait de mener une expertise approfondie des modes de gestion choisis par les autres États membres de l'Union européenne, afin de déterminer si l'organisation choisie par la France est la plus pertinente.
Les fonds européens sont parfois complexes à appréhender, même si la France est l'un de leurs principaux bénéficiaires. J'en profite pour évoquer le plan de relance européen, pour lequel les États membres ont jusqu'en 2058 pour le rembourser.... Celui du Gouvernement sera présenté le 24 août.
Merci pour ce rapport important. L'utilisation du FEM doit être déconcentrée, au plus proche des entreprises. Il faut maintenir son montant, car je ne crois aucunement à une dé-mondialisation dans le « monde d'après » ! Une entreprise, comme tout être humain, cela naît, cela vit, cela meurt. Il faut des filets de sécurité pour faire face aux drames, c'est une mission de l'Europe qui protège.
C'est un sujet complexe, sur lequel vos recommandations sont bienvenues. Certains renoncent à bénéficier de ces fonds, tant les dossiers sont difficiles à constituer. Peut-on simplifier les procédures ? Quel est le montant effectivement consommé chaque année ?
Quelques pistes de simplification sont évoquées pour la période 2021-2027. Entre 2007 et 2018, seuls 14 % des crédits ont été consommés...! C'est pour cela que le montant du fonds a été réduit.