Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je souhaite remercier nos collègues du groupe CRC-SPG d’avoir demandé que les présentes conventions soient examinées selon la procédure normale. Cela nous donne, en effet, l’occasion de faire un point sur nos travaux en la matière.
J’ai bien noté le consensus sur la nécessité de s’intéresser de près à ce qu’il est convenu d’appeler les « paradis fiscaux » et les « territoires et États non coopératifs ».
La dernière fois que nous avons abordé ce thème, c’était le 30 septembre. Après quoi, nous avons examiné le projet de loi de régulation bancaire et financière. Il faut donc nous féliciter d’une telle transparence.
Les conventions de mise en conformité avec les standards OCDE permettent aux pays à fiscalité privilégiée de sortir des listes noires et grises. L’enjeu est donc très lourd – il faut tirer les enseignements de la crise dans la pratique –, et il est autant financier que diplomatique.
Le débat du 30 septembre nous a permis de rappeler l’état d’application de la directive « Épargne » dans les pays européens, dont deux de la zone euro, en l’occurrence le Luxembourg et la Belgique. Si ce texte est né d’un consensus, on est loin de l’unanimité en termes d’application !
En effet, comme nous le savons, il existe, au sein de l’Union européenne, des moyens de contournement de cette directive : le paiement d’intérêts transitant par des structures intermédiaires non imposées, la non-prise en compte des produits d’assurance-vie, le sursis d’obligation d’information obtenu par la Belgique, le Luxembourg et l’Autriche, qui s’acquittent d’une retenue à la source ou encore le blocage de la révision de cette directive sur le bureau du Conseil de l’Europe, alors qu’elle a été entérinée par la Commission européenne et le Parlement européen au mois d’avril 2009. Ce sont autant d’éléments essentiels au débat avant la présidence française du G20 à Séoul.
Les parlementaires souhaitent donner un mandat clair au Gouvernement et au Président de la République en matière de lutte contre la fraude fiscale via les paradis fiscaux et rappeler que la clarification des positions européennes en est une condition essentielle.
Il est possible – le groupe socialiste l’a rappelé le 30 septembre – d’agir sur le plan national en légiférant sur la base de deux principes, c'est-à-dire le contrôle administratif et parlementaire et la transparence exigée des établissements bancaires et financiers.
À cette occasion, je voudrais rappeler les trois amendements que nous avions défendus le 30 septembre.
Le premier amendement visait à publier, chaque année, en annexe de la loi de finances, le nombre de contrôles effectués sur la base de l’article 209 B du code général des impôts.
Le 4 novembre dernier, lors de l’audition de François d’Aubert, le délégué général à la lutte contre les paradis fiscaux, M. le président de la commission des finances a annoncé que la prochaine audition serait consacrée à la direction de la législation fiscale. Ainsi, le président et la majorité des membres de cette commission préfèrent s’en remettre à la discussion en commission plutôt qu’à la loi. C’est un choix que nous n’approuvons pas ! Toutefois, si nous continuons le travail, comme M. le rapporteur vient de l’indiquer, ce sera déjà un point positif.
Le deuxième amendement concernait l’obligation de transparence des établissements contractant avec l’État et l’instauration d’une comptabilité pays par pays des établissements contractant avec l’État. François d’Aubert nous a confirmé le 4 novembre qu’un reporting pays par pays, régulièrement tenu à jour, serait une avancée.
Le troisième amendement tendait à instaurer un échange d’informations entre l’administration fiscale et les acteurs financiers étrangers privés souhaitant investir sur le territoire national, sur le modèle de la loi américaine foreign account tax compliance act, ou FATCA, votée par le Congrès des États-Unis au mois de mars 2010. M. d’Aubert nous a bien précisé l’intérêt d’une telle législation lors de son audition. Selon lui, il s’agirait pour les États-Unis de « capturer » 5 millions de contribuables et de leur prélever à la source 30 % sur les revenus de leurs clients américains. Et ce qui se fait aux États-Unis peut également se faire en France !
En outre, et ce point est également important, nous avons aujourd'hui le résultat des premiers rapports du Forum mondial de l’OCDE. À la date du 19 octobre, dix rapports ont été remis.
Le principal enseignement à en tirer est que l’on peut être un bon élève, figurer sur la liste blanche et passer le test tout en faisant perdurer des pratiques douteuses. Cela est dû, et M. le rapporteur y a fait allusion, aux trusts, qui sont tout, sauf clairs !
De ce point de vue, permettez-moi de mentionner le cas, tout à fait emblématique, de Monaco. La principauté a signé des accords selon la convention OCDE avec douze pays, ce qui lui permet de figurer sur la liste blanche, sans avoir signé le moindre accord avec son principal partenaire, l’Italie. Il paraît que ce sera bientôt le cas, mais la situation est tout de même un peu ennuyeuse. D’autant que Monaco n’a pas signé non plus d’accord avec son deuxième partenaire en matière financière, le Royaume-Uni !
Il faut donc en tirer des conclusions sur le fait d’appartenir à la liste blanche. D’abord, faisons attention à la crédibilité du Forum, surtout que l’adhésion des pays repose sur une démarche volontaire. Ensuite, et je suis totalement d'accord avec M. le rapporteur sur ce point, il est très important d’opérer une surveillance des accords bilatéraux. D’ailleurs, c’est plus ou moins ce que nous faisons aujourd'hui.
À cet égard, monsieur le ministre, il faudra suivre avec beaucoup d’attention l’accord que l’Allemagne et la Suisse sont en train de conclure : la Suisse pourrait conserver son secret bancaire et un prélèvement à la source sur les gains réalisés en Suisse par les résidents allemands serait reversé au budget de l’État allemand.
Soyons donc très attentifs. Si de tels accords bilatéraux sans contrepartie aboutissent, c’est la crédibilité de la démarche OCDE qui est compromise. Le partenaire garde son secret bancaire, qui est – nous le savons bien, nous sommes même payés pour le savoir ! – très important s’agissant de la Suisse.
La tâche est rude et longue, car les obstacles objectifs auxquels M. le rapporteur a fait allusion sont identifiés : je veux parler de la souveraineté fiscale, élément fort de la souveraineté nationale, des écarts entre les doctrines fiscales, de l’absence d’ordre international fiscal et financier, de la différence de qualification juridique d’un pays à l’autre – ce qui, en France, par exemple, est qualifié de « fraude » est appelé « soustraction » en Suisse –, et, enfin, de l’opacité des flux financiers. Autant de raisons, mes chers collègues, pour que le Parlement et ses commissions des finances ne lâchent pas prise !