Intervention de Yves Détraigne

Réunion du 23 juillet 2020 à 10h30
Prorogation du mandat des membres du conseil économique social et environnemental — Adoption d'un projet de loi organique dans le texte de la commission modifié

Photo de Yves DétraigneYves Détraigne :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 29 juin dernier, le Président de la République a témoigné de sa volonté de transformer le CESE en ce qu’il a nommé la « chambre des conventions citoyennes ». Lors du conseil des ministres du 7 juillet 2020, vous avez, monsieur le garde des sceaux, ministre de la justice, présenté un projet de loi organique de réforme du Conseil économique, social et environnemental.

Son objectif est d’accroître le rôle du CESE dans le développement de la démocratie participative. Car, s’il est en effet un acteur essentiel de la démocratie sociale, par sa culture du consensus, dans un pays où les conflits sociaux sont légion, il peine toujours, après tant d’années d’existence, à trouver sa place dans les institutions.

Ses travaux, pourtant nombreux et rarement lacunaires, souffrent d’un grand manque de visibilité. Sans surprise, ils sont peu connus du grand public, ce qui s’explique facilement par le manque de lisibilité des nombreux organismes consultatifs qu’abrite la France.

Mais ses avis sont également loin, parfois, de l’attention des pouvoirs publics, ce qui est plus inattendu. La concurrence des nombreux autres organes consultatifs en est très probablement l’explication la plus plausible. Pire encore, l’institution du dialogue social est très peu sollicitée, 79 % de ses travaux résultant d’une autosollicitation.

Cette institution, troisième chambre prévue par notre Constitution, mérite donc une réforme qui lui attribuerait la place qui lui revient au sein de la République. Celle-ci interviendra au début de l’année 2021, ce qui nous pousse à prolonger le mandat des 233 membres du Conseil, supposé expirer le 14 novembre 2020 après cinq ans de loyaux services. Cette prorogation doit bien évidemment courir jusqu’à l’entrée en vigueur de ladite réforme.

Cependant, si nous convenons de la nécessité d’une réforme, la teneur exacte de celle-ci suscite débat.

Assurer un meilleur fonctionnement du CESE pour mieux faire participer les corps intermédiaires au débat public ? Nous partageons tous cet objectif.

Veiller à ce que les travaux du CESE reçoivent les échos qui leur sont dus ? Cela va de soi.

Doter le CESE des outils dont il a besoin pour accomplir ses missions ? Nous ne pouvons pas nous y opposer.

Toutefois, à la lecture du texte déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale, nous nous interrogeons déjà sur certains points.

La première réserve concerne le rôle de représentation de la société organisée du CESE : la réduction de ses effectifs de 25 %, qui porterait le nombre de ses membres à 175, pourrait être lourde de conséquences pour cette noble tâche.

Un autre aspect de la réforme suscite d’ores et déjà le scepticisme, le recours au tirage au sort, qui, jour après jour, prend une place de plus en plus importante dans certains esprits.

Si beaucoup chantent les louanges d’un modèle démocratique athénien, le tirage au sort n’en reste pas moins en contradiction totale avec le principe de démocratie représentative si cher à la majorité de nos concitoyens, et qui constitue l’un des fondements de notre histoire politique.

Mes chers collègues, méfions-nous de cette douce chanson qui fait l’éloge de la démocratie participative et directe, devenue depuis peu le fer de lance du dégagisme et du populisme.

Méfions-nous du tirage au sort, non pas en raison d’une quelconque crainte de nous voir concurrencés dans notre rôle de représentation nationale, mais parce qu’il est tout aussi attirant que dangereux pour les fondements de notre pacte républicain.

La place qui est réservée au tirage au sort dans ce projet, nous en conviendrons, n’est pas scandaleuse en soi. Mais cette réforme consacre tout de même le tirage au sort dans la loi, promettant ainsi un avenir institutionnel à cette pratique. Il faut y penser.

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