Monsieur le garde des sceaux, ce n’est pas sans émotion que je m’exprime devant vous ce matin. Je vous ai beaucoup lu, écouté et regardé ces dernières années, et je n’imaginais pas que vous seriez un jour amené à m’écouter quelques minutes !
Madame la présidente, mes chers collègues, le projet de loi organique qui nous rassemble aujourd’hui, nonobstant son caractère formel, n’est pas un texte mineur. Aux termes de l’ordonnance du 29 décembre 1958 portant loi organique relative au Conseil économique et social, le mandat de ses membres, d’une durée de cinq ans, arrivera à échéance le 14 novembre prochain. Or, le 7 juillet dernier a été présenté en conseil des ministres un projet de loi organique réformant le CESE. Ce texte prévoit notamment, en son dernier article, que ses dispositions entrent en vigueur le premier jour du troisième mois suivant celui de sa publication.
Le calendrier ne permettra pas que cette réforme puisse être adoptée et promulguée, à l’issue d’un débat approfondi puis d’une décision du Conseil constitutionnel, avant l’expiration du mandat des membres actuels du CESE. Le Conseil d’État a, en outre, souligné dans son avis la nécessité que le Gouvernement prépare les décrets d’application concomitamment aux travaux parlementaires sur cette réforme, ce qui implique un enjeu de temporalité qui ne peut être éludé.
Toutes ces raisons ont conduit le Gouvernement à soumettre à nos voix le présent texte, qui vise donc à proroger le mandat des membres du CESE jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi organique réformant cette institution, et au plus tard jusqu’au 1er juin 2021, soit une prorogation maximale de six mois et demi, de nature à satisfaire la stricte proportionnalité de cette mesure à l’objectif d’intérêt général.
Comme le souligne l’avis du Conseil d’État, une telle prorogation ne se heurte à aucun obstacle constitutionnel ni conventionnel. Une précédente prorogation avait d’ailleurs été validée dans le cadre de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, pour une durée qui était supérieure.
Cette simplicité apparente du dispositif appelait en réalité une certaine approche de la Haute Assemblée, et plus spécifiquement de notre rapporteur, la raison d’être du texte étant directement liée à la perspective de l’examen ultérieur d’un projet de réforme. Refuser le principe d’une prorogation aurait conduit à s’opposer a priori à la tenue d’un débat sur la réforme du CESE. A contrario, accepter cette prorogation était irréductible à l’expression d’une position sur le contenu de la réforme. Cela ne préjuge en rien du positionnement sur le fond, certes, mais témoigne en revanche – je voudrais saluer sur ce point notre rapporteur, Jean-Yves Leconte – d’une volonté que puisse se tenir un débat sur l’évolution de cette assemblée consultative animée par la culture du consensus, qui ne peut être négligée.
L’existence même de cette réflexion, au-delà du contenu du projet de réforme, est invoquée depuis un temps certain, non seulement par le Président de la République et par le Gouvernement, mais également par le CESE lui-même. La part croissante et paradoxale des autosaisines, qui devrait atteindre 80 % en 2020, nous y invite en tout cas, de même que la nécessité de réaffirmer la place de cet organe consultatif dans les institutions, face, tantôt à la défiance, tantôt à l’insuffisante connaissance dont elle peut faire l’objet aujourd’hui.
Je salue donc l’adoption par notre commission des lois, sur proposition de notre rapporteur, du présent texte de prorogation. Je veux également saluer la coordination à laquelle il a procédé, formelle certes, mais qui fait pleinement sens et ne pouvait pas ne pas être, notamment au regard du rôle récent de l’institution dans l’organisation de la Convention citoyenne pour le climat. Il nous sera, enfin, présenté tout à l’heure une clarification rédactionnelle qui paraît bienvenue.
En conclusion, mes chers collègues, je n’allongerai pas plus mon intervention en m’attardant sur le contenu de la réforme, qui n’est pas l’objet de nos échanges du jour.
Les prochains mois nous permettront de débattre en profondeur, avec le sens et l’intelligence de la prudence qui caractérisent la Haute Assemblée, des interrogations qui parcourent nos travées sur plusieurs points.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe La République En Marche votera ce projet de loi organique de prorogation. Il ouvre la possibilité prochaine de « frotter et limer notre cervelle contre celle d’autrui », pour reprendre la formule si juste de Montaigne, afin de trouver ensemble les modalités d’une juste conciliation entre les différentes expressions de la démocratie et de l’aspiration à la chose publique.