Intervention de Jean-Marie Vanlerenberghe

Réunion du 23 juillet 2020 à 14h30
Débat sur l'orientation des finances publiques

Photo de Jean-Marie VanlerenbergheJean-Marie Vanlerenberghe :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, mes chers collègues, comme l’ensemble des finances publiques, les finances sociales sont entrées cette année dans une zone incertaine, du fait, évidemment, des multiples conséquences de la crise provoquée par l’épidémie.

Les principaux chiffres sont impressionnants : une forte augmentation des dépenses d’assurance maladie, de l’ordre de 8 milliards d’euros, qui pourrait faire progresser l’Ondam d’environ 6, 5 % en 2020 ; une très forte contraction des recettes, sous l’effet à la fois de l’érosion de l’assiette des cotisations et des contributions sociales et des dispositifs de reports massifs utilisés par les employeurs pendant le confinement ; une dernière prévision officielle de déficit consolidé du régime général et du FSV (Fonds de solidarité vieillesse) qui s’établit à 52 milliards d’euros, très au-delà du précédent record, de 28 milliards d’euros, atteint en 2010.

En conséquence, et comme nous l’avons vu hier encore, la dette de la sécurité sociale devrait s’envoler, ce qui nécessitera le transfert à la Cades de quelque 123 milliards d’euros – 31 milliards d’euros au titre des déficits passés, 92 milliards d’euros au titre des déficits à venir –, l’existence de la Caisse étant prolongée jusqu’en 2033.

Au-delà du seul périmètre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, l’ensemble des administrations de sécurité sociale subit les conséquences de la crise. À commencer par l’Unédic, touchée par le traditionnel effet de ciseaux sur ses recettes et ses dépenses en cas de crise économique. Ainsi, alors que cet organisme devait renouer avec l’équilibre cette année, son déficit devrait atteindre le niveau record de 25 milliards d’euros ; il en résulterait une augmentation de la dette jusqu’à 63 milliards d’euros à la fin de l’année, ce qui poserait un problème majeur pour son apurement.

Dans un débat sur l’orientation des finances publiques, il me semble que nous devons tirer quelques enseignements de cette situation.

Tout d’abord, constatons ensemble que, toutes proportions gardées, ce n’est pas la trajectoire financière de 2020 qui pose problème, mais surtout l’insuffisant rétablissement des comptes sociaux avant la crise. En effet, il est tout à fait normal que, en période de grande difficulté, la protection sociale joue pleinement son rôle d’amortisseur et qu’il en résulte des déficits. En revanche, au vu de la nature des dépenses de protection sociale, il revient à chaque génération de s’autofinancer en la matière, sans reporter le poids de ses dépenses sur les générations suivantes – on ne cesse de le répéter, mais ce n’est pas aujourd’hui totalement acté…

De fait, l’histoire des finances sociales montre une très grande difficulté des pouvoirs publics, quelle que soit la législature, à parvenir à cet équilibre des comptes, qui implique la réalisation d’excédents certaines années, quand la conjoncture est favorable, soit qu’ils cèdent à la tentation d’utiliser immédiatement de potentiels excédents pour des dépenses nouvelles, soit qu’ils préviennent une telle situation par l’assèchement délibéré des ressources d’une sécurité sociale qu’on ne souhaite pas rendre opulente.

Ce constat correspond tout à fait aux conclusions du rapport du Gouvernement remis au Parlement à la suite de la mission confiée à MM. Charpy et Dubertret, qui s’est concrétisée, dans les projets de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 et 2020, par diverses mesures de non-compensation, qui ont fortement dégradé, dès avant la crise actuelle, la trajectoire financière de la sécurité sociale.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous devrons avoir le courage de rompre avec cette logique, une fois sortis de la situation économique actuelle. Nous devons assumer la nécessité d’équilibrer nos comptes sociaux, au risque de rompre la confiance, déjà fragilisée, de nos concitoyens dans la pérennité de notre système social.

C’est la raison pour laquelle le Sénat a proposé, dès l’examen du projet de loi organique relatif à la dette sociale et à l’autonomie, l’instauration d’une règle d’or. Cette règle, qui aurait été applicable à compter du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 – pas tout à fait demain, donc, mais après-demain –, visait à assurer un équilibre des soldes des régimes obligatoires de base et du FSV par périodes de cinq ans, voire dix ans en cas de circonstances exceptionnelles.

Je ne vous cache pas, monsieur le ministre, que nous avons été surpris de l’opposition du Gouvernement à l’instauration d’un tel cadre, alors même que notre proposition, d’une part, rejoignait, certes en la généralisant, celle du Gouvernement lui-même pour le système universel de retraite, adoptée à l’Assemblée nationale voilà quelques mois, et, d’autre part, s’accordait avec la volonté exprimée ici même par le Premier ministre le 16 juillet dernier : faisant observer que, « consolider notre modèle de protection sociale, c’est aussi prendre les mesures nécessaires pour assurer sa pérennité », il a jugé nécessaire de demander aux partenaires sociaux de « se saisir, avec l’État, des questions liées à l’équilibre de l’ensemble des régimes de protection sociale ». Si je comprends bien, cela correspond tout à fait à notre proposition de règle d’or…

Face à ces orientations pour le moins contradictoires, peut-être pourriez-vous, monsieur le ministre, nous préciser la trajectoire financière qu’envisage le Gouvernement pour la sécurité sociale pendant et après la crise actuelle. Vous résignez-vous à la perpétuation indéfinie de la dette sociale ? Si ce n’est pas le cas, ce que je crois, pourquoi vous opposer à l’instauration d’une règle d’or encadrant les finances sociales d’ici à quatre ou cinq ans ?

Je conclurai en relayant deux propositions majeures du président de notre commission, Alain Milon, qui s’excuse de ne pouvoir être présent cet après-midi.

La première tient à notre surprise et à notre forte désapprobation face au refus réitéré du Gouvernement de déposer un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, alors que pas moins de trois collectifs budgétaires ont été débattus – le dernier, ici même, pas plus tard que les jours derniers.

Tout pourtant se prêtait au dépôt d’un tel texte : la forte révision des prévisions de recettes, le très fort dépassement de l’Ondam, la très forte révision de l’autorisation de découvert de l’Acoss, les transferts de déficits sociaux à la Cades – excusez du peu… Et, cerise sur le gâteau, des annulations de cotisations et de contributions sociales dont nos collègues de la commission des finances ont débattu dimanche dernier, au sein du projet de loi de finances rectificative, alors que, me semble-t-il, ils n’étaient pas tenus d’en débattre.

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