Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, le débat sur l’orientation des finances publiques est un moment important pour la décision budgétaire : comme l’expliquait le doyen Hauriou, le budget est l’élément le plus important de la chose publique. Par ailleurs, ce débat s’inscrit dans le partage des compétences entre le Gouvernement et le Parlement.
Au reste, pour les élus locaux que nous sommes, ce qui a été perçu comme une innovation pour l’État et a été rendu obligatoire par la LOLF était un rendez-vous bien connu depuis la loi du 6 février 1992.
Ce débat d’orientation est, je crois, davantage une consultation du Parlement par le Gouvernement, même si ce dernier a le monopole de la préparation du projet de loi de finances. Je parle de consultation, parce que le Sénat est en prise avec la réalité des territoires, les préoccupations des Français, du fait de nos mandats d’élu local passés ou actuels, de notre présence partout sur le territoire et des missions d’information et déplacements qui sont au cœur du contrôle parlementaire.
Ce débat est l’occasion d’un bilan d’étape des mesures prises par le Gouvernement en ce qui concerne les grandes priorités du quinquennat : 1, 7 milliard d’euros par an pour les armées, hausse des crédits des missions « Sécurité » et « Justice » et augmentation des crédits alloués à la transition écologique et aux transports, sans oublier, sur le plan social, le dédoublement des classes de CP et CE1 et la hausse de la prime d’activité et de l’allocation aux adultes handicapés. À cela s’ajoutent le plan Jeunes et les aides à l’apprentissage.
Bref, quand j’ai entendu, il y a quelques instants, un collègue affirmer que le compte n’y était pas, les bras m’en sont un peu tombés… D’autant que la pression fiscale a baissé de près de 1 point de PIB, soit déjà 20 milliards d’euros d’impositions en moins pour les ménages depuis 2017.
Si la LOLF prévoyait déjà une avancée majeure, avec l’obligation de ce débat d’orientation budgétaire et les obligations de transparence faites au Gouvernement pour faciliter le contrôle du Parlement, le contexte social et politique de notre pays a changé. Cette année revêt un caractère particulier et montre la difficulté d’articuler programmation pluriannuelle, autorisation annuelle, et gestion infra-annuelle.
En trois lois de finances rectificatives, la croissance est passée de 1, 3 % à -11 % du PIB pour 2020, le déficit de 2, 2 % à 11, 5 % du PIB… Circonstances exceptionnelles, pourra-t-on dire. Mais, nos débats l’ont montré, ces textes s’inscrivent dans une stratégie de plus long terme, y compris en ce qui concerne les marges de manœuvre dont notre pays peut disposer avant une crise. Souvenons-nous, humblement, de la loi dite TEPA (loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat), financée par le déficit juste avant la crise de 2008.
Il y a sur ces travées des divergences quant à la programmation pluriannuelle : nombre d’entre nous n’y croient pas ou ne la souhaitent pas. Quitte à nager à contre-courant, je pense qu’elle est nécessaire et devrait être contraignante pour l’État comme pour le Parlement.
Je vois deux options : soit cette programmation s’inscrit dans un mandat politique, en début du quinquennat ; soit elle permet au contraire de sortir du cadre politique en s’inscrivant dans le temps long.
La première option nous permettrait de répondre au sentiment chez les Français d’impuissance du politique, qui se réveille notamment en ce moment, où les Français ont l’impression que, lorsque l’État veut, l’État peut, et les arguments budgétaires n’existent plus.
La seconde aurait l’avantage de sortir de la logique partisane de la Ve République, contestée par les Français, et permettrait de travailler à des consensus complexes, mais utiles pour le pays sur le long terme. Elle demanderait aux élus un plus gros effort, tant, nous le voyons sur ces travées, le passé et les quinquennats précédents sont fantasmés, loin de la réalité des chiffres et du vécu social de l’instant.
Le débat d’orientation des finances publiques doit aussi être le moment pour le Parlement de donner son opinion sur les choix à opérer pour le prochain budget.
Le budget pour 2021, celui de la relance, doit s’inscrire dans un temps long. Il doit répondre aux attentes des Français, aux enjeux du temps présent : transition écologique de l’industrie, transition écologique des transports, numérisation de l’économie et souveraineté.
Celle-ci se décline, d’abord, en souveraineté énergétique. En 2018, notre déficit commercial en énergie s’élevait à 46 milliards d’euros… Nous avons un modèle à inventer au niveau européen et nous devons investir massivement dans les interconnexions transfrontalières. La souveraineté est aussi numérique : nous avons besoin de systèmes d’exploitation européens.
Le Gouvernement a annoncé une série de mesures de relance de l’industrie. Un ministre est désormais spécialement chargé de cet enjeu, dont nous connaissons l’urgence : la part de l’industrie dans le PIB est passée de 24 % en 1980 à 14 % en 2007 et à environ 10 % aujourd’hui ; plusieurs millions d’emplois ont été perdus. Il est important que l’État soit au chevet de l’industrie pour éviter la fuite des compétences des territoires.
Si l’intervention publique directe peut être justifiée, notamment pour venir en aide à certains secteurs en difficulté, je crois que, là aussi, nous devons rester humbles, compte tenu des échecs passés, sur la capacité de l’État à prévoir les secteurs d’avenir : rappelons-nous le plan Calcul et l’échec de Bull…
À l’inverse, une politique horizontale paraît plus que jamais nécessaire : accroître les financements de l’enseignement supérieur et de la recherche, améliorer les liens entre recherche publique et recherche privée, cette dernière étant faible en France alors que notre pays se distingue en matière de recherche fondamentale, rendre la fiscalité plus incitative à la prise de risque, accroître la concurrence en renforçant l’intégration des marchés des biens et services et en réduisant les barrières à l’entrée sur les marchés réglementés.
Plus généralement, nous connaissons aussi les déterminants de la croissance : nous devons augmenter le taux d’emploi dans notre pays, notamment celui des seniors, ce qui aura un effet mécanique sur notre PIB potentiel.
Monsieur le ministre, chers collègues, sur les grands chantiers de la relance, nous faisons la proposition suivante : que chaque investissement fasse l’objet d’une étude de rentabilité socio-économique, menée par un organisme indépendant du Gouvernement. Notre pays devra investir massivement, mais surtout dans des projets qui auront un effet important sur le PIB potentiel de notre pays. Rendez-vous à la fin de l’été pour le plan de relance !