Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « quoi qu’il en coûte » : c’est l’expression qu’a utilisée le Président de la République le 12 mars dernier pour évoquer la lutte de la France contre l’épidémie et la crise économique qui en est résultée.
Le même jour, Emmanuel Macron a tenu des mots forts, sur lesquels, étonnamment, nous pouvions nous accorder : « Il nous faudra, demain, tirer les leçons du moment que nous traversons, interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour. Ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite, notre État-providence ne sont pas des charges, mais des atouts indispensables quand le destin frappe. Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. »
Quatre mois plus tard, alors que la Banque de France anticipe un chômage à 11, 5 % l’année prochaine et une récession de 11 % cette année, avant une croissance de 7 % l’année prochaine, où en sommes-nous ?
Depuis le mois de mars, nous avons multiplié les dispositifs de soutien d’urgence et de défiscalisation. La situation, à bien des égards, l’exigeait ; c’est pourquoi notre groupe, en responsabilité, a voté ces exonérations de cotisations.
Toujours est-il que, comme l’a expliqué un de nos collègues samedi soir en s’opposant fermement à la multiplication des ouvertures de crédits, « l’argent gratuit est une illusion ». Dès lors, comment comprendre que le Gouvernement et les majorités parlementaires s’opposent depuis trois mois à ce que l’argent versé aux entreprises s’accompagne d’engagements sociaux et écologiques de ces dernières ?
L’exemple de Sanofi est symptomatique du déséquilibre progressif entre capital et travail. L’entreprise pharmaceutique qui, en période de pandémie, a évidemment son rôle à jouer, va supprimer un millier d’emplois en France, tout en continuant à toucher plusieurs centaines de millions d’euros au titre du crédit d’impôt recherche et en ayant versé – au passage – 4 milliards d’euros de dividendes, qui sont sortis de l’économie réelle il y a quelques semaines.
Au vu de la situation, vous comprendrez que nous ayons du mal à applaudir des deux mains le plan d’investissement de l’entreprise qui, en comparaison, s’élève à 610 millions d’euros pour deux laboratoires, qui se situent dans le département du Rhône et que l’État va par ailleurs accompagner financièrement.
L’autre point saillant de l’intervention du 12 mars concerne la prise de conscience de l’urgence d’un réinvestissement massif dans les services publics et les dispositifs de sécurité. Mais, une nouvelle fois, les promesses n’engagent que celles et ceux qui y croient.
Il est vrai que – nous l’avons encore vu ce week-end – le Gouvernement ouvre des crédits dans l’urgence. On ne peut pas nier ces mesures, mais il faut les comparer aux besoins. Ne prenons qu’un exemple, celui de la recherche. Actuellement, le Gouvernement propose un plan d’investissement, jugé « historique » par M. Emmanuel Macron et Mme la ministre Frédérique Vidal, qui s’élève à 5 milliards d’euros d’ici à 2030, dont un premier volet de 400 millions d’euros en 2021. Or cette hausse est plus faible que celle qui a été opérée en 2020.
Dans un autre domaine, la montagne du Ségur a accouché d’une souris avec une augmentation du revenu des soignants, qui maintient les personnels français sous la moyenne de l’OCDE et qui précarise encore davantage les conditions d’exercice de leurs métiers.
En matière d’éducation, la réussite exceptionnelle au baccalauréat cette année mettra les universités en difficulté : elles seront dans l’incapacité d’accueillir tout le monde.
Concernant la sécurité sociale, les mesures d’urgence prises pour les entreprises ont bien sûr aggravé le déficit. De plus, la création d’une nouvelle branche devrait coûter la bagatelle de 136 milliards d’euros à la Cades. Ce faisant, vous avez d’ailleurs opéré un véritable tour de passe-passe. Vous transférez aux hôpitaux la dette que vous étiez censé leur reprendre…
Faut-il en outre rappeler que la moitié de la dette sociale, que vous ne cessez de dénoncer, est la suite logique, la conséquence mécanique des 66 milliards d’euros d’allégements que vous avez accordés aux entreprises l’an dernier ? Je pense notamment au remplacement du CICE par la suppression des cotisations à la branche famille, les transformant en une cotisation quasiment symbolique.
Cette même dette, alimentée par les choix gouvernementaux, sert de justification à toutes les régressions sociales. Je pense par exemple à la réforme de l’assurance chômage ou à celle des retraites, qui revient sur le tapis. C’est cette même réforme qui indexe les pensions sur le niveau du PIB, alors même qu’on voit bien qu’une récession sévère pointe à l’horizon…
Tout l’édifice de la puissance publique de l’État et des collectivités territoriales est de plus en plus contraint.
Monsieur le ministre, reviendrez-vous sur la CAP 2022 ? Conduirez-vous une réforme ambitieuse permettant de reprendre la main sur des pans essentiels à la vie de nos concitoyens ? Où est la mobilisation exceptionnelle promise par le Président de la République ?
Bien entendu, lorsque l’on parle d’investissements publics, on nous renvoie à la dette. Mais c’est oublier rapidement que la dette se nourrit autant, si ce n’est plus, des investissements que du manque à gagner fiscal. C’est là un énorme chantier qui doit être mené, car la vérité est bien loin des caricatures qui sont faites d’une France mise à genou à cause de l’impôt.
La France se situe derrière le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie, la Norvège, la Belgique, la Finlande, la Suède ou encore le Danemark en matière d’imposition sur le revenu. En matière d’imposition sur le travail, elle est quatrième derrière la Belgique, l’Allemagne et l’Italie. En matière d’imposition sur les sociétés, enfin, elle se situe même sous la moyenne de l’OCDE. Reste enfin la fiscalité des plus hauts revenus, qui ont vu leur taux d’imposition passer de 60 % à moins de 45 % en une cinquantaine d’années. Il existe en la matière des perspectives.
Je terminerai en évoquant la réponse européenne. En début de semaine, le plan finalement annoncé se veut bien moins ambitieux que prévu. Surtout, il s’appuie sur les mêmes recettes que celles qui ont affaibli les États : recours accru à l’endettement et engagements structurels via le MES.
Cette solution ne peut qu’aggraver la crise, priver les États de leurs capacités d’investissement et réduire la voilure des services publics sur le modèle des pays dits « frugaux » – mot à la mode ces temps-ci –, qui ont principalement constitué leur assise financière en devenant des paradis fiscaux au sein de l’Europe – je pense aux Pays-Bas – et en menant un dumping fiscal bien éloigné d’une construction européenne solidaire et rassembleuse.