Intervention de Jérôme Bascher

Réunion du 23 juillet 2020 à 14h30
Débat sur l'orientation des finances publiques

Photo de Jérôme BascherJérôme Bascher :

Vos orientations sont-elles bonnes ? Telle est la seule question qui vaille, monsieur le ministre ! Pour ma part, je ne sais pas y répondre, parce que, comme le rapporteur général et le président de la commission des finances l’ont dit, vos documents sur l’orientation des finances publiques sont lacunaires. Ainsi, nous ne disposons pas des prévisions d’emplois. Par ailleurs, nous avons reçu les documents depuis peu, même si c’est moins récemment que l’Assemblée nationale, qui les a eus ce matin et qui a en débattu trois heures après. C’est un peu bizarre…

La trajectoire des finances publiques que vous nous proposez me semble aventureuse, car vous n’avez pas été un bon capitaine par temps calme. Comprenez que, par ces temps aventureux, on doute de votre cap et de vos capacités. Comme le rapporteur général vient de l’indiquer, il n’y a par exemple pas d’informations sur l’évolution des dépenses pilotables : c’est normal, vous ne pilotez plus rien !

Commençons par les comptes sociaux, pour faire plaisir à Jean-Marie Vanlerenberghe. Je cite le titre du rapport de la Cour des comptes : La sécurité sociale en 2019 : l ’ interruption d ’ une longue séquence de retour à l ’ équilibre. En effet, ce que vous avez mentionné, monsieur le ministre, comportait une petite inexactitude : en 2019, les comptes étaient encore proches de l’équilibre, mais se dégradaient un tout petit peu par rapport à 2018. C’est ce que relève la Cour des comptes.

Prenons maintenant le sous-titre : « Une dette durable fin 2019, avant même la crise sanitaire ». C’est là où le bât blesse et où rien ne va plus. Les chiffres évoqués sont faramineux : hier, il restait 115 milliards d’euros de dette à la Cades ; il faut désormais y ajouter environ 130 milliards d’euros – on verra les chiffres à la fin.

Il y a aussi la dette de l’Acoss, la dette permanente, la dette de court terme qu’il a fallu financer en urgence. J’y ai contribué en tant que parlementaire au travers des décisions prises par la Caisse des dépôts et consignations.

Et puis, il y a la dette permanente de la sécurité sociale, celle du régime général et du FSV, soit plus de 52 milliards d’euros, ainsi que la dette sous la ligne, celle des retraites. On nous promet une réforme depuis trois ans : René-Paul Savary vous attend l’arme au pied, mais il ne voit toujours rien venir, ce qui est tout à fait insupportable.

Alors, vous avez trouvé la solution : c’est le paquet Cades, qui est l’inverse du paquet cadeau, c’est-à-dire que vous emballez le tout sauf que, à la fin, il faut payer ce qu’il y a dedans. Et c’est bien ça le problème ! Transférer des dettes à la Cades, c’est formidable, mais il y a bien quelqu’un qui devra payer. Et qui paiera ? Ce sont nos enfants, ce ne sont pas ceux qui ont profité des dépenses ! Nous finançons nos dépenses courantes grâce à la contribution de personnes qui n’existent pas encore. C’est quand même un peu embêtant.

Vous reportez la réforme des retraites et celle de l’assurance chômage. Mais que trouve-t-on derrière cela ? C’est le report de la croissance potentielle ! C’est parce que nous n’avons pas assez d’emplois que notre croissance potentielle est aussi faible. C’est aussi parce que nous travaillons moins que la moyenne européenne, et vous le savez ! Ces réformes qui nous permettraient de retrouver la croissance, qui, elle-même, nous permettra de rembourser la dette demain, ne sont pas là.

Nous avons une énorme dette sociale. Énorme ! Il y a aussi la dette des collectivités, beaucoup plus vertueuse, car elle est soumise à la règle d’or. Il y a encore la dette de l’État, la plus colossale. Et puis, comme dirait Don Salluste dans La Folie des grandeurs, « il en manque une ! » : la dette européenne manquait au chapitre. En voilà une de plus ! Inventons encore une strate supplémentaire, cela nous permettra de faire de la dette et encore de la dette !

Évidemment, toute cette dette n’est pas soutenable, nous le savons tous. Nous attendons que, un jour, il y ait une vraie crise financière pour engager toutes les réformes. C’est, hélas, souvent ainsi dans ce pays, qui a renoncé.

Pour retrouver une trajectoire soutenable, certains ont appelé de leurs vœux une loi de programmation des finances publiques. Personnellement, je n’y crois pas, je n’y crois plus. Jean-Marc Gabouty l’a dit dans son intervention, il faut faire une telle loi en début de quinquennat. Simplement, cette loi n’a pas été respectée dès la première année ! Ces lois que vous créez pour vous-même, vous ne les respectez pas, et ce dès la première année ! Comme vous l’avez montré dans votre document, nous sommes totalement à côté de la plaque en 2020 par rapport à la trajectoire initiale. Ce n’est pas supportable.

Cette loi de programmation des finances publiques ne fonctionne pas. Il nous faut une vraie règle. Or la seule vraie règle, c’est la règle d’or, monsieur le ministre. Avec la commission des affaires sociales, nous sommes désolés que vous ne l’ayez pas acceptée. C’est d’ailleurs pourquoi nous n’avons pas abouti à un accord sur la Cades.

Il faut dorénavant une vraie règle d’or pour le budget de l’État : nous n’investissons plus dans ce pays et sommes dopés par des taux d’intérêt bas, qui nous aident en définitive à compenser la hausse de nos dépenses publiques : 2, 5 % cette année selon les documents que vous nous avez transmis ce matin.

Oui, investir est l’autre solution pour accroître la croissance potentielle. Il faut investir pour plus d’emplois et investir vraiment dans l’avenir, dans la recherche, pas dans une salle des fêtes – quoique… On voit bien combien nos plans manquent de ces investissements : on a dû attendre les 40 milliards d’euros de subventions de l’Union européenne pour commencer à penser que cela pourrait servir au plan Hydrogène. Et pendant ce temps, les Allemands en mettent beaucoup plus sur la table !

Nous sommes donc en retard sur la croissance potentielle. Non, une règle d’or, ce n’est pas l’austérité : c’est retrouver la liberté et des marges de manœuvre. C’est reconquérir notre souveraineté. Ce n’est pas l’austérité, mais une volonté. Or, on le sait bien depuis le général de Gaulle, « là où il y a une volonté, il y a un chemin ». J’en reviens ainsi au cap initial : comme il n’y en a pas, nous sommes perdus !

Finalement, j’ai trouvé quel était votre manuel des finances publiques. C’est un grand sénateur, Victor Hugo, qui vous l’a fourni dans son poème Oceano Nox :

« Oh ! combien de marins, combien de capitaines

« Dans ce morne horizon se sont évanouis ! »

Ce sont les perspectives des finances publiques !

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