Pour citer le prix Nobel d’économie Jean Tirole, « la dette souveraine, contractée par les États, et la dette privée, contractée par les banques, devraient en fait être considérées comme un tout ».
Depuis plusieurs mois, le gouverneur de la Banque de France sonne l’alarme, jugeant la croissance de la dette privée trop forte et en décalage avec nos voisins. L’endettement des ménages et des entreprises rapporté au PIB est désormais le plus élevé des grands pays d’Europe. La dette publique est nécessaire, car elle permet le développement de nos services publics et soutient nos politiques sociales, culturelles, sanitaires, mais aussi économiques.
Je rappelle que le Japon a une dette représentant 250 % de son PIB et ne voit cette réalité que comme un souci mineur, parce qu’elle est détenue en majorité par les Japonais.
C’est l’économiste Bruno Tinel qui écrivait que, « si l’on pense qu’il y a trop de dettes, il faut être cohérent, et dire aussi qu’il y a trop d’épargne ». L’épargne des Français est l’une des plus élevées au monde avec plus de 5 300 milliards d’euros. Ce montant est deux fois plus élevé que le montant de la dette publique. Or vous ne prévoyez aucun mécanisme innovant pour la mobiliser. Nous avons une proposition : il s’agirait d’orienter l’épargne des particuliers vers des obligations du Trésor grâce à une rémunération avantageuse et une défiscalisation, dès lors qu’elles seraient gardées sur le long terme.
Sur la dette publique toujours, de nombreux économistes, et pas des moindres, s’accordent sur l’effacement d’une partie de notre dette détenue par la BCE et les banques. On évalue cette éventualité à environ 400 milliards d’euros, soit 17 % du PIB que l’État pourrait d’emblée injecter dans l’économie et la santé, et qui permettrait surtout de prendre rapidement la bifurcation écologique et sociale sans laquelle les décennies à venir seront des périodes autrement plus dramatiques que ce que nous vivons.
Nous pourrions aussi réfléchir à atténuer la charge de la dette par le pilotage maîtrisé d’une inflation douce. Derrière toutes ces propositions se cache un vrai enjeu, celui du maintien de notre souveraineté nationale : celle-ci ne doit plus être soumise aux aléas du marché.
Garantir notre souveraineté, c’est aussi défendre notre économie au sens large, c’est défendre nos industries ; c’est défendre nos lieux de production ; c’est défendre nos produits ; c’est défendre nos emplois ; c’est défendre les territoires, et c’est ce qui nous permettrait d’être indépendants dans certains domaines majeurs comme les médicaments.
« Quoi qu’il en coûte », pour reprendre l’expression du Président de la République, nous devons repenser et dessiner une nouvelle politique industrielle. Le confinement a mis en lumière les enjeux liés à la relocalisation de la production, l’indispensable changement de nos manières de nous déplacer, de travailler, de consommer, mais surtout la nécessité d’une nouvelle stratégie industrielle et économique française.
« Quoi qu’il en coûte », nous devons soutenir par nos politiques sociales, nos concitoyens les plus précaires et les plus en difficulté. Pour un grand nombre de Français, ce confinement a aussi agi comme un révélateur des inégalités de logement et de la précarité de ceux qui exercent des métiers exposés au coronavirus et qui ont été nos premiers de tranchée.
« Quoi qu’il en coûte », la transition énergétique doit se faire à marche forcée. Depuis trop longtemps, on court après la croissance pour rééquilibrer les comptes et diminuer le chômage de masse. Mais pour quel résultat ? La dette publique et la dette privée explosent, et le chômage de masse ne disparaît pas.
Il faut faire sans croire à la croissance et sans souhaiter la décroissance, sauf une décroissance de l’empreinte écologique. Il nous faut cependant acter que nous sommes dans une économie en contraction, principalement à cause de la quantité d’énergie et de matières premières dont nous disposons qui s’amenuise ou que nous devons maîtriser. De cette manière, on peut concentrer le débat sur les stratégies à établir pour préparer un avenir commun, et non pour relancer le système tel qu’il était.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, il ne s’agit pas ici d’ergoter sur telle mission ou tel programme. Nous avons le devoir d’agir vite en répondant aux trois urgences économique, sociale et écologique, parce que ce sont elles qui conditionnent notre avenir commun. Pour ce faire, nous devons nous extraire de nos croyances, des dogmes économiques que nous suivons depuis des décennies, pour construire un nouveau système économique, social et écologique en phase avec ce nouveau monde.