Nous allons voter l’avenant à cette convention de 2018, puisqu’il ne s’agit que de cela. Comme M. le rapporteur vient de le dire, avec cet avenant, on ne peut que réparer l’erreur commise en 2018 et on ne peut pas traiter les autres sujets. Malgré tout, je vais vous parler de ces autres sujets, parce qu’ils sont importants.
Cet avenant, remarquons-le, est en défaveur du budget de la France. C’est un petit cadeau fiscal fait au Luxembourg, dans la mesure où le différentiel d’imposition ne doit pas être payé par les 107 000 travailleurs frontaliers dans leur pays de résidence. On en revient ainsi à la convention historique de 1958, à l’opposé des préconisations de l’OCDE qui est, elle, favorable à une fiscalité véritablement partagée.
Monsieur le ministre, quelle compensation envisagez-vous de ce petit cadeau fiscal ? D’ailleurs, pourquoi un nouveau cadeau fiscal ? Est-ce parce que notre pays est grand et que le Luxembourg est petit ? Est-ce pour des raisons liées au passé ? Des votes conjoints à la Commission européenne l’expliqueraient-ils ? Existe-t-il des complémentarités entre nos systèmes fiscaux au bénéfice de nos très grandes entreprises ? Est-ce au nom de l’amitié ? Expliquons-le !
Cet avenant ignore le fond de la question fiscale : les quelques pages de l’étude d’impact n’évoquent même pas le rapport de Karl-Heinz Lambertz établi en octobre 2019, au nom du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe – ce n’est pourtant pas une officine marxiste ! –, qui avait été adopté à la quasi-unanimité et dénonçait le manque d’équilibre entre nos deux pays d’un point de vue fiscal et financier. Il n’aborde pas non plus la question sociale.
À maintes reprises, j’ai directement posé mes questions à l’écrit et à l’oral au ministre concerné. J’ai clairement demandé que l’on obtienne un rapport français sur la situation fiscale consolidée entre nos deux pays : en vain ! D’après le rapport précité, les accords paraissent en tout cas plus équilibrés avec les autres pays frontaliers.
Je peux, par exemple, citer les cotisations dépendance, versées dans une caisse au Luxembourg, mais c’est la France qui paye lorsque les travailleurs sont âgés et méritent de bénéficier d’une aide. On évalue le montant de ces sommes à 70 millions d’euros par an.
En raison du système luxembourgeois, un travailleur licencié est indemnisé pendant trois mois par le régime d’assurance chômage luxembourgeois ; au-delà, c’est la France qui paie. En 2017, l’Unédic aurait versé 192 millions d’euros – excusez du peu ! – à ce titre.
Je vous parle donc de justice. À cause de ce dumping fiscal – c’est un sénateur qui vous parle –, les territoires frontaliers sont progressivement asséchés de leur tissu économique et nos collectivités n’ont plus les ressources suffisantes pour financer les nombreux services demandés par les travailleurs frontaliers.
J’aborde maintenant un autre point. Au rythme où fonctionnent nos administrations respectives, ces avenants ratent l’actualité, c’est-à-dire l’épidémie de covid-19, le confinement et la nécessité d’intensifier le télétravail.
Celui-ci a explosé pendant le confinement : tout le monde le comprend et l’apprécie, notamment quand on connaît l’encombrement des axes routiers et ferroviaires pour aller au Luxembourg. Le télétravail est donc une bonne chose.
Dans l’accord de 2018, non seulement la France est déjà la mieux-disante avec vingt-neuf jours de télétravail – je ne parle pas de la possibilité d’exercer son activité vingt-neuf jours en télétravail ; je parle de vingt-neuf jours offerts par la France ! –, mais, en plus, au-delà de ce seuil, il est nécessaire de faire une double déclaration fiscale pour partager la fiscalité du revenu avec le pays de résidence. Quelles compensations avons-nous obtenues ?
Je salue la qualité de nos relations avec nos amis luxembourgeois pendant la crise, puisque de nombreuses coopérations, en matière de santé notamment, ont été mises en place, mais nous leur avons quand même accordé une augmentation de ce seuil de vingt-neuf jours. Je ne vois pas en quoi ce seuil empêchait les frontaliers de télétravailler ! Au-delà de ces vingt-neuf jours, je le répète, il leur suffit de faire une deuxième déclaration fiscale, ce qui ne fait pas forcément de ceux-ci des perdants.
Actuellement, le débat est vif au Luxembourg autour de la nécessité d’accroître ou non la durée du télétravail. Les Luxembourgeois nous sollicitent en ce sens. Mais pourquoi cela se ferait-il sans aucune compensation et aux dépens de notre budget ?
Pour conclure, une conférence intergouvernementale se tiendra dans les prochains mois : il me semble indispensable, monsieur le ministre, d’y traiter cette question de justice financière et d’équilibre entre la France et le Luxembourg, mais aussi d’évoquer la création d’un véritable fonds de codéveloppement entre nos deux pays, qui sont totalement interdépendants.
Ce fonds est préconisé par le conseil départemental de Meurthe-et-Moselle. L’interdépendance est si forte qu’elle nécessite des règles équilibrées et justes. Après tout, la métropole luxembourgeoise n’est autre que la troisième métropole de la Lorraine, pour reprendre les termes du nouveau maire de Nancy, Mathieu Klein.