Intervention de Cédric Villani

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 4 juin 2020 à 9h40
Présentation de la note sur les enjeux de la généralisation du port des masques

Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office :

Je vous rappelle le contexte et le périmètre de cette note. Nous sommes convenus de ne pas traiter la question de la distribution et de la disponibilité des stocks de masques, question largement étudiée et mise en lumière par les médias qui fera de surcroît l'objet de commissions d'enquête parlementaires. L'Office a produit sur cette question un rapport irréprochable en 2005, qui a servi de base à la création de la doctrine de l'État français.

Le périmètre de cette note porte donc sur l'efficacité des masques, dans un contexte de confusion de la communication sur l'utilité du port du masque. La porte-parole du Gouvernement a été extrêmement attaquée sur ce point. Lors de son intervention à l'Assemblée nationale, le Premier ministre est revenu sur sa stratégie de confinement, en soulignant que les autorités sanitaires variaient elles-mêmes sur le sujet. La note compile en annexe les positions des agences de santé des pays sur la généralisation du port du masque, en rappelant combien celles de l'OMS, du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, et de nombreux pays ont pu varier. Il est possible d'arguer que des questions culturelles influent sur la manière dont les consignes sont respectées. Force est de constater que les doctrines ne sont pas homogènes.

Dans ce contexte, il est très difficile d'acquérir des certitudes et le pragmatisme est requis.

La note rappelle en premier lieu la position de l'Académie nationale de médecine recommandant le port généralisé d'un masque grand public, ou alternatif, même artisanal. Cette position a été adoptée en avril 2020 et elle se distinguait alors de la position officielle du Gouvernement. Après l'audition de l'Académie nationale de médecine, notre Office a choisi de suivre cette position le 16 avril. La note rappelle également que le 27 avril, le Gouvernement a changé de doctrine, préconisant le port d'un masque grand public dans certaines situations, pour se protéger et protéger les autres. La note rappelle enfin que cette position se démarque des prises de position précédentes de l'OMS et de la plupart des agences de santé des gouvernements et pays occidentaux, jugeant peu ou pas utile le port du masque.

Dans une première section, nous revenons sur les modalités de transmission. Le premier mode de contamination est la transmission directe, par postillons, crachats ou gouttelettes, suivi par la transmission par contact - quand les gouttelettes sont déposées sur des objets et peuvent être transférées à une autre personne lorsque celle-ci entre en contact avec ces objets. Le troisième mode de transmission, la transmission à plus grande distance par aérosol, suscite toujours un débat trois mois après le début de l'épidémie. La note revient sur la polémique et rappelle qu'un débat est intervenu sur la contamination, la présence possible de super propagateurs et la contagiosité des personnes asymptomatiques. Un tiers des contaminations pourrait être dû à des personnes asymptomatiques. Selon que les personnes sont symptomatiques ou asymptomatiques, la capacité de transmission peut différer. Un contexte de grande incertitude existe donc sur les modes de contamination. Il est bien plus facile de disposer d'études pragmatiques de terrain montrant le taux de contamination et mesurant le coefficient R0 et le coefficient de contagiosité que de savoir réellement comment la contamination intervient en pratique. Ces incertitudes sont passées en revue dans la note.

La deuxième section porte sur les différents masques, avec les trois catégories principales que sont : les masques FFP2, les masques chirurgicaux et les masques dits grand public, alternatifs, artisanaux ou encore barrière. La note décrit les différences entre les masques, avec leurs normes. Les masques FFP2 filtrent plus de 94 % de particules et protègent le porteur contre l'inhalation de gouttelettes et contre les particules en suspension dans l'air. Des équivalents de ces masques existent aux États-Unis ou en Chine. Les masques chirurgicaux présentent une certaine efficacité de filtration pour les particules plus grosses, avec un contrôle de l'intérieur vers l'extérieur, et non de l'extérieur vers l'intérieur : ils protègent les autres, mais ne permettent pas de se protéger avec la même efficacité que les masques FFP2. Les masques dits grand public, alternatifs ou artisanaux présentent des performances et des caractéristiques très variables. La note n'aborde pas la problématique des masques FFP2 qui ne sont pas recommandés pour la population générale, mais uniquement celle des masques alternatifs et chirurgicaux.

La section suivante revient sur les éléments qui permettent d'argumenter en faveur de la protection apportée par les masques non FFP2. Les masques chirurgicaux permettent de réduire la diffusion de plusieurs agents infectieux à la source. Aucune étude n'a été réalisée, en conditions contrôlées, en laboratoires, sur la Covid-19. La capacité de filtrage effectif est documentée pour les masques non normalisés : quelques rares essais, contrôlés et randomisés, réalisés précédemment sur les personnels de santé sont recensés. La capacité de filtrage est documentée, mais sans élément concluant quant à la capacité réelle de ces masques. Aucune preuve claire n'existe sur l'efficacité des masques normalisés en situation réelle. Dans leur audition, Vittoria Colizza et Pierre-Yves Boëlle - qui font autorité en matière d'épidémiologie - ont indiqué que les mêmes taux de propagation étaient observés pour la grippe saisonnière, dans les pays occidentaux où l'usage du masque est peu répandu et dans les pays asiatiques où l'usage du masque est très répandu. Un débat perdure sur les inconvénients et avantages de la généralisation du masque. Certains scientifiques estiment que la généralisation du port du masque donnerait un sentiment de sécurité illusoire qui amènerait les uns et les autres à relâcher leur vigilance. D'autres disent que le masque permet de ne pas se toucher le visage.

Au terme de cet exposé des motifs, la note établit une conclusion.

La première conclusion est celle de l'incertitude qui demeure sur les modalités de transmission du coronavirus. La deuxième est celle d'un manque de confiance dans les mesures prophylactiques les plus appropriées. Il convient donc d'être pragmatique. Des études rigoureuses devront être menées en laboratoire, en situation contrôlée, sur l'efficacité des masques, mais le temps a manqué avec l'arrivée rapide de l'épidémie. Nous nous sommes donc retrouvés collectivement dans une situation périlleuse. Il est important de mentionner cette incertitude et de communiquer dessus. Les prises de position assez tranchées ont nui à la crédibilité de la parole publique. Tous les éléments étant pris en compte, l'Office a raison de rester sur sa recommandation en faveur du port du masque généralisé dans l'espace public puisque le masque reste préférable à l'absence de masque. Des incertitudes sur l'impact du port du masque existent toutefois.

Cette note est cruciale et attendue. La revue de la littérature existante montre bien l'incertitude qui règne sur le sujet.

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