La réunion est ouverte à 9 h 40.
Mes chers collègues, je vous propose de commencer cette séance qui sera, une nouvelle fois, consacrée au suivi de l'épidémie de Covid-19. Les indicateurs sanitaires sont globalement bons, même si la vigilance doit continuer à s'affirmer. Les recherches sont toujours en cours et certains points se clarifient.
Aujourd'hui, nous faisons un point sur deux dossiers qui ont fait l'objet de controverses importantes au cours des dernières semaines : la question du virus et des enfants et la question des masques.
Je souhaite attirer votre attention sur le fait que, depuis quelques jours, un événement majeur de cette crise consiste en la confusion dans le domaine du dialogue science et société, particulièrement sur les questions d'intégrité scientifique. Vous avez dû voir passer les débats sur l'étude dans The Lancet concernent l'hydroxychloroquine, l'annulation des essais décidée dans la foulée par le ministère de la Santé, les commentaires prudents puis une rétractation dans The Lancet avant la publication d'une nouvelle étude, cette fois dans The New England Journal of Medicine concluant que l'hydrochloroquine n'avait guère d'effets, de manière plus solide. Le mal est fait en matière de crédibilité : celles de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), des grandes revues scientifiques et du mécanisme scientifique lui-même sortiront sensiblement écornées de cette affaire. Nous aurons à en reparler.
Nos collègues Florence Lassarade et Jean-François Eliaou ont réalisé un très beau travail pour préparer cette séance.
Quand la crise a débuté en France, nous disposions de l'expérience de la Chine qui semblait montrer que l'enfant était peu contaminant. Mais, comme nous doutions de la véracité des informations, la décision de fermeture des écoles est survenue précocement, sur le conseil des infectiologues, puisque, par essence, les enfants sont très contagieux.
Trois mois plus tard, nous constatons que l'enfant n'a pas manifesté de symptômes importants et a été peu atteint. En pratique, l'enfant se contamine dans la famille, au contact d'un de ses deux parents contaminés : près de 67 % des enfants contaminés l'ont été par un des deux parents, et non l'inverse. Les formes pédiatriques observées sont extrêmement modérées, avec peu de symptômes respiratoires, quelques diarrhées et quelques éruptions atypiques, comme chez l'adulte.
Le fantasme initial d'un enfant très infecté et très infectant est tombé au fil de l'épidémie. La difficulté pour les enfants consiste à différencier ce qui est Covid-19 et ce qui ne l'est pas puisque les enfants sont extrêmement sensibles aux infections et que les rhumes étaient encore nombreux en mars, ainsi que les bronchiolites. Les écoles et les crèches ont été fermées et un effondrement des infections chez l'enfant a été constaté puisque 90 % des infections courantes ont disparu chez l'enfant. Certains se sont toutefois montrés infectés a posteriori, de manière décalée, avec un syndrome proche du syndrome de Kawasaki, ce qui a affolé les familles au moment de remettre les enfants à l'école. Le syndrome de Kawasaki est bien connu des pédiatres : il s'agit d'une infection post-virale qui survient en général trois semaines après un virus et touche plutôt le nourrisson. Il se manifeste par des syndromes cutanés, avec des enfants très rouges et très érythrosiques, avec une bouche rouge, des lèvres fendillées et des symptômes type angine, avec une forte fièvre. Le risque principal, dans le syndrome de Kawasaki classique, concerne des anévrismes des coronaires qui aboutissent à un infarctus. Les pédiatres connaissent bien le syndrome, mais pas forcément les médecins généralistes.
Le PIMS (paediatric inflammatory multisystem syndrome) est un syndrome inflammatoire qui survient également de manière décalée, un mois après l'infection, qui met l'enfant en danger, surtout en l'absence de diagnostic. L'alerte a été donnée, principalement dans les hôpitaux parisiens qui concentrent les enfants d'Île-de-France. Un certain nombre de cas de ce type a été enregistré, assez stéréotypés, plutôt avec un syndrome inflammatoire avec des arthralgies, diarrhées et des syndromes cardiaques, type myocardites. Des jeunes de 15-16 ans ont pu être atteints par ces myocardites, mais les symptômes étaient assez différents de l'orage cytokinique de l'adulte.
Rétrospectivement, ces syndromes de type PIMS se sont révélés graves, mais finalement exceptionnels. Comme peu d'enfants sont atteints par la Covid, les mesures sont maintenant disproportionnées et inquiétantes pour les familles : de ce fait, seuls 20 % des enfants sont retournés en classe quand cela était possible. Des mesures très strictes ont été définies par les communes, difficiles à mettre en place. Compte tenu du faible nombre d'enfants en classe, ces mesures ont toutefois été compatibles avec une scolarisation.
La question qui peut se poser consiste à savoir si nous aurions vraiment dû fermer les classes au regard de l'expérience en Chine. En Suède, les écoles sont restées ouvertes : les enfants ont été davantage contaminés, mais n'ont pas eu de symptômes graves.
Nous avons été très surpris de la faible contagiosité des enfants dans cette épidémie. Le risque de se contaminer en milieu scolaire est extrêmement faible, alors que le risque de se contaminer auprès d'un parent est de 67 %. Les enfants ont été isolés de leurs grands-parents et il convient peut-être maintenant d'assouplir le dispositif.
Nous sommes passés de phases de forte inquiétude pour les enfants à une pensée plus raisonnée et rassurante quant à l'ouverture des écoles. Ce point est concomitant de l'observation d'une diminution de la contagiosité du virus. Même chez les adultes, comme dans les clusters d'abattoirs en France, les personnes sont atteintes, mais l'atteinte est beaucoup moins grave. Il existe peut-être également une notion de périodicité de l'infectiosité du virus ou de mutation qui aboutit à des virus moins forts.
Je souhaite revenir sur l'explication de la faible susceptibilité des enfants à la contamination. Les étapes successives sont bien expliquées par la note, notamment sur une sous-expression de l'enzyme de surface ACE (Angiotensin-Converting Enzyme). Par contre, je m'inscris en faux contre deux idées. La première est qu'il n'y a pas, chez l'enfant scolarisé, de déficit immunitaire lié à l'âge à proprement parler. La réponse immunitaire de l'enfant est totalement mature, apte à pouvoir répondre aux infections, même si l'immunité baisse chez le nourrisson entre trois et six mois quand les anticorps de la mère, transmis pendant la grossesse, disparaissent. À partir de ce moment, l'enfant est livré à lui-même quant à sa capacité de répondre avec ses cellules et ses anticorps. Quand l'enfant est en crèche, il a alors des rhumes, des bronchiolites et des gastroentérites et parfait alors son immunité. Il n'existe pas de déficit chez l'enfant en âge de scolarisation.
La deuxième concerne le papier récemment publié sur l'immunité croisée observée chez des individus, adultes et enfants, qui dit qu'une immunité croisée est possible. Une immunité croisée suppose qu'un individu est stimulé par un antigène ou un microbe : le fait qu'il y ait des motifs communs à différents microbes permet à l'individu de se retrouver immunisé contre les différents microbes ayant des motifs antigéniques communs. Ce papier montre que l'immunité croisée n'est pas forcément liée aux anticorps. Aucune preuve ne montre que l'immunité humorale permet aux anticorps de reconnaître des motifs présents sur des coronavirus bénins et sur le coronavirus SARS-CoV-2.
Enfin, les formes graves de type Kawasaki de l'enfant sont liées aux conséquences de l'atteinte virale, du fait de l'orage cytokinique, c'est-à-dire d'une hyper réponse immunitaire avec une hyper inflammation qui conduit à des signes pathologiques particulièrement graves, notamment chez l'adulte, avec des vascularites (atteintes des petits vaisseaux) et mêmes des endothélites, (atteintes de l'endothélium, paroi qui tapisse l'intérieur des vaisseaux). Cette endothélite est généralisée et touche l'endothélium des vaisseaux de tous les organes : à partir de là, des pathologies avec des atteintes multiviscérales peuvent être constatées. Ce tableau est très grave chez les adultes, particulièrement âgés ou avec des comorbidités, mais peut également s'observer chez les enfants dans le PIMS, selon le même mécanisme physiopathologique de départ, avec un orage cytokinique, une hyper inflammation et une hyper réaction à l'entrée du virus dans l'organisme.
Comme toujours, les discussions relatives à l'immunité sont d'une clarté limpide ! La complexité intrinsèque au sujet de l'immunité est phénoménale. La formulation dénoncée sur le manque de maturité de l'immunité des enfants est extraite d'une lettre publiée dans Nature. Nous trouverons cependant une autre formulation.
Au-delà des questions scientifiques, nous avons eu des sons de cloche qui ont varié de manière importante, dès le début. Dans un premier temps, il était indiqué que les enfants devaient être des grands contaminateurs, comme pour la grippe, avant de revenir sur cette idée. La situation exposée laisse penser que nous aurions pu prendre moins de précautions pour les écoles, même si nous ne sommes pas sûrs de ce qui se passerait si la réouverture avait été plus importante.
Un article de Robert Cohen publié hier indique que les enfants sont de tout petits contaminateurs. Il est effectivement frappant de voir, dans les enquêtes de terrain, que les enfants souffrent de formes légères et contaminent très peu. Les enfants ont davantage été contaminés par les adultes que l'inverse, ce qui est à l'opposé du réflexe que nous avons eu au début de l'épidémie, ce qui est intéressant du point de vue méthodologique.
Sur la question du syndrome de Kawasaki, la note indique que l'Académie de médecine estime que ce syndrome constitue un drame, mais que son impact est inférieur aux décès par d'autres infections. Le traitement médiatique a entraîné un focus sur ce syndrome alors que l'impact sur les enfants est bien moindre que celui d'autres infections plus classiques.
Je me souviens de l'entretien que nous avons eu avec la Société de Pédiatrie qui avait indiqué que la cible d'âge constatée ne correspondait pas à la cible habituelle de Kawasaki, ce qui ne ressort pas dans la note. Ce point a-t-il évolué ou pas ?
La Société de Pédiatrie avait beaucoup insisté sur l'incidence, pour les enfants, de ne pas aller à l'école. Ce point apparaît très succinctement dans la conclusion alors qu'il me semble que nous devrions en parler plus. Moins de 20 % des enfants vont actuellement à l'école en région parisienne. Cela dépend des mairies, mais aussi des enseignants qui ne veulent pas reprendre les cours. Les incidences pour les enfants et pour les familles sont importantes, à cause des peurs véhiculées sur la contagiosité. Je m'interroge sur la communication à mettre en place pour que les enfants retournent à l'école. Lorsque le ministre de l'Éducation nationale a indiqué qu'il verrait quelles mesures seraient prises au mois de septembre, ces propos ne sont pas de nature à rassurer les familles. Dans la note, il conviendrait d'insister sur l'avancement des recherches par rapport à la contagiosité des enfants et sur l'importance de remettre les enfants à l'école pour leur bien et pour le bon fonctionnement de notre pays.
Les enfants atteints par ce syndrome de Kawasaki sont effectivement plus âgés qu'habituellement. Je ne sais pas s'il existe une explication particulière. Ces questions immunitaires sont d'une importance capitale, pleines de mystères, et représentent un champ d'investigation phénoménal pour l'avenir.
Une question se pose effectivement sur la communication et la gestion des messages. Le Gouvernement a décidé de communiquer sur la prévention. Santé publique France n'avait jamais relevé de tels niveaux de peur depuis sa création et le retour des enfants à l'école a effectivement été très difficile, pour des questions psychologiques et de discours ambiants, plus que pour des questions sanitaires et de rationalité. Une question se pose sur la parole politique : doit-elle être rare ou fréquente ? Doit-elle s'adapter aux évolutions ou intervenir de temps à autre ?
Avant de communiquer, il conviendrait que l'Office tire une leçon de cette excellente note. Je comprends que les enfants pourraient retourner à l'école sans grand danger. Ce sont donc les adultes qui infectent les enfants, et pas l'inverse. L'Office peut-il tirer cette conclusion ?
Il conviendrait presque de supprimer la mention « syndrome de Kawasaki » dans la note pour la remplacer par le PIMS, terme retenu pour ce syndrome inflammatoire post-Covid, ce qui permettrait de dédramatiser.
Il conviendrait également de rappeler que les enfants ont été très peu sensibles aux précédentes épidémies de coronavirus (SRAS et MERS). Pratiquement aucun enfant n'avait été contaminé et les contaminations n'étaient pas sévères.
Une diminution considérable de la fréquence de la vaccination contre les autres virus a été observée dans la période, ce qui posera problème à la rentrée de septembre. Avec l'épidémie de SARS-CoV-2, les autres pathologies ont été négligées, chez l'adulte comme chez l'enfant. Toute l'attention a été focalisée sur ce virus, ce qui est normal. Nous avons été absorbés par l'épidémie, mais il convient de ne pas baisser la garde face à d'autres dangers et d'insister sur les vaccinations.
Je pense que le terme Kawasaki doit rester dans la note, même si nous soulignons que ce n'est pas cela, sinon ce retrait nous sera reproché. Éliminer une pathologie simplement sur l'âge de survenue ne constitue pas une habitude et pourrait être dangereux.
Les infections virales sont extrêmement polymorphes, chez l'adulte comme chez l'enfant. Les virus entraînent des conséquences particulièrement bizarres. Pour l'épidémie actuelle, nous pensons qu'un des réservoirs du virus serait les glandes salivaires et les patients se présentent avec des symptômes similaires aux oreillons. Il ne faut pas être surpris par la symptomatologie des virus.
Sur le retour à l'école, un principe de précaution a été appliqué. Nous ne pouvons pas reprocher au Gouvernement d'avoir été excessif dans les prises de précaution. La seule chose qui peut surprendre est d'avoir empêché les enfants d'aller à l'école tout en autorisant le premier tour des élections municipales.
Le risque lié à la non-vaccination existera en crèche puisque les enfants scolarisés ont déjà été vaccinés antérieurement.
Je souscris aux propos de Jean-François Eliaou sur Kawasaki. Maintenant que le mot est entré dans le débat public, nous ne pouvons le remplacer simplement par PIMS. Nous pouvons toutefois inclure une note de bas de page en émettant des réserves sur la dénomination et en parlant de PIMS. La note doit toutefois mentionner Kawasaki.
Pendant les épidémies de SRAS et de MERS, les enfants ont effectivement été moins touchés. La contagiosité des coronavirus est donc peut-être différente de celle de la grippe.
J'ai l'impression que la bonne prise de position consiste à dire que les indicateurs encourageants permettent de relâcher les règles de sécurité, sans laisser pour autant la porte ouverte à un retour à la normale. Tous les signes montrent qu'il est possible de relâcher la pression sur le retour à l'école.
La conclusion telle qu'elle a été rédigée me convient parfaitement puisqu'elle a le mérite de détendre l'atmosphère sur le retour des enfants à l'école, de montrer la complexité du sujet et de souligner les dommages collatéraux du confinement sur les enfants. Elle confirme que le retour vers l'école constitue la formule la plus pertinente. Il me semble qu'il s'agit de la seule orientation concrète que nous puissions adopter : elle est mesurée, fondée sur une analyse suffisamment claire pour démontrer qu'il n'est pas dangereux de rouvrir les classes, au contraire. Ce message s'adresse principalement aux parents et accessoirement aux enseignants qui sont parfois réticents alors que le public dont ils s'occupent n'est pas menaçant pour eux.
Pendant les auditions, j'ai été frappé de constater que les inquiétudes étaient plus nombreuses dans les écoles que dans les collèges et plus nombreuses dans les collèges que dans les lycées, ce qui correspond pourtant à l'ordre inverse du niveau de risques.
En Suède, les écoles sont restées ouvertes, contrairement aux lycées et aux universités qui ont été fermés.
La reprise économique dépend en grande partie du retour des enfants à l'école. Les parents doivent être libérés pour aller travailler. Il n'est pas prouvé que le télétravail soit véritablement efficace.
Je vous confirme que télétravailler avec de jeunes enfants est très difficile. La reprise du travail est compliquée pour les parents. Le Président Longuet indique que la conclusion lui convient parfaitement : je trouve qu'elle pourrait être plus appuyée.
Je comprends qu'elle pourrait être plus appuyée dans le sens d'un retour plus vigoureux.
Il conviendrait d'envoyer un signal positif aux communes pour leur permettre d'alléger les mesures et de scolariser tous les enfants en septembre. Sinon, avec de telles contraintes, ou même la moitié de ces contraintes, il sera impossible de scolariser tous les enfants, même si de nouvelles infections seront certainement enregistrées en octobre. Les écoles ont instauré des gestes barrières simples, avec le retour du lavage des mains, et nous nous sommes rendu compte que les écoles ne comportaient pas suffisamment de lavabos ; cela sera corrigé. En revanche, il faut revenir sur la problématique de la distanciation qui est invivable.
Je suis d'accord pour une inflexion en faveur du retour, sans penser qu'il faille aller au-delà et avoir trop de certitudes, puisque le sujet reste ouvert.
Il s'agit d'un aménagement de la doctrine : certains seuils peuvent être revus, ainsi que certains objectifs.
Je suis totalement d'accord avec le Président Longuet. Nous ne disposons pas actuellement de certitudes quant à l'évolution de l'épidémie après les grandes vacances, pour plusieurs raisons. Le déconfinement sera de plus en plus sauvage, avec les vacances, et les cas pourraient augmenter. Nous n'avons pas totalement éliminé le caractère saisonnier de l'épidémie et la période sera plus froide en septembre et octobre. Je pense qu'il faut absolument éviter de se retourner en quelques heures, comme l'a fait le Gouvernement après la publication dans The Lancet.
La conclusion pourrait proposer un léger infléchissement, en insistant sur les dangers de la non-scolarisation des enfants les plus éloignés de l'école. Je n'irai pas plus loin sur la non-dangerosité de la contagiosité possible des enfants quand ils retourneront à l'école. Nous devons nous montrer prudents.
La note permettra-t-elle d'encourager les parents à envoyer leurs enfants à l'école ? Pendant les réunions de déconfinement organisées au niveau local, les parents d'élève ont fait part de nombreuses inquiétudes.
Tout le monde ne lira toutefois peut-être pas la note de l'Office.
Nous pouvons prévoir un communiqué de presse, pour annoncer la diffusion de la note.
Pour insister sur la pertinence des conclusions, il conviendrait en effet de prévoir une communication dédiée.
Pour revenir sur ce que disait Jean-François Eliaou, le Gouvernement a effectivement réagi de façon hâtive à l'étude du Lancet sur l'hydroxychloroquine. L'Institut Pasteur ne croit plus en l'efficacité de l'hydroxychloroquine et une autre étude du New England Journal of Medicine, menée avec une méthodologie rigoureuse, ne voit pas d'amélioration significative avec l'hydroxychloroquine prise en traitement préventif. Les indices s'accumulent progressivement pour dire que l'hydroxychloroquine n'est pas la solution. La modification d'un point de doctrine du Gouvernement, en seulement quelques heures, sur la base d'une étude contestée depuis sa publication, affaiblira sa position et entraînera un regain des polémiques. Il convient de rester prudents dans la période actuelle et de trouver un bon équilibre entre réactivité et stabilité. Cet aspect est en soi un sujet majeur de la gestion de la crise de Covid-19.
Sur la communication, Le Parisien titrait ce matin que les enfants étaient de tout petits contaminateurs. La presse quotidienne peut mieux véhiculer cette idée que les notes de l'Office pour informer les parents.
Je vous rappelle le contexte et le périmètre de cette note. Nous sommes convenus de ne pas traiter la question de la distribution et de la disponibilité des stocks de masques, question largement étudiée et mise en lumière par les médias qui fera de surcroît l'objet de commissions d'enquête parlementaires. L'Office a produit sur cette question un rapport irréprochable en 2005, qui a servi de base à la création de la doctrine de l'État français.
Le périmètre de cette note porte donc sur l'efficacité des masques, dans un contexte de confusion de la communication sur l'utilité du port du masque. La porte-parole du Gouvernement a été extrêmement attaquée sur ce point. Lors de son intervention à l'Assemblée nationale, le Premier ministre est revenu sur sa stratégie de confinement, en soulignant que les autorités sanitaires variaient elles-mêmes sur le sujet. La note compile en annexe les positions des agences de santé des pays sur la généralisation du port du masque, en rappelant combien celles de l'OMS, du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, et de nombreux pays ont pu varier. Il est possible d'arguer que des questions culturelles influent sur la manière dont les consignes sont respectées. Force est de constater que les doctrines ne sont pas homogènes.
Dans ce contexte, il est très difficile d'acquérir des certitudes et le pragmatisme est requis.
La note rappelle en premier lieu la position de l'Académie nationale de médecine recommandant le port généralisé d'un masque grand public, ou alternatif, même artisanal. Cette position a été adoptée en avril 2020 et elle se distinguait alors de la position officielle du Gouvernement. Après l'audition de l'Académie nationale de médecine, notre Office a choisi de suivre cette position le 16 avril. La note rappelle également que le 27 avril, le Gouvernement a changé de doctrine, préconisant le port d'un masque grand public dans certaines situations, pour se protéger et protéger les autres. La note rappelle enfin que cette position se démarque des prises de position précédentes de l'OMS et de la plupart des agences de santé des gouvernements et pays occidentaux, jugeant peu ou pas utile le port du masque.
Dans une première section, nous revenons sur les modalités de transmission. Le premier mode de contamination est la transmission directe, par postillons, crachats ou gouttelettes, suivi par la transmission par contact - quand les gouttelettes sont déposées sur des objets et peuvent être transférées à une autre personne lorsque celle-ci entre en contact avec ces objets. Le troisième mode de transmission, la transmission à plus grande distance par aérosol, suscite toujours un débat trois mois après le début de l'épidémie. La note revient sur la polémique et rappelle qu'un débat est intervenu sur la contamination, la présence possible de super propagateurs et la contagiosité des personnes asymptomatiques. Un tiers des contaminations pourrait être dû à des personnes asymptomatiques. Selon que les personnes sont symptomatiques ou asymptomatiques, la capacité de transmission peut différer. Un contexte de grande incertitude existe donc sur les modes de contamination. Il est bien plus facile de disposer d'études pragmatiques de terrain montrant le taux de contamination et mesurant le coefficient R0 et le coefficient de contagiosité que de savoir réellement comment la contamination intervient en pratique. Ces incertitudes sont passées en revue dans la note.
La deuxième section porte sur les différents masques, avec les trois catégories principales que sont : les masques FFP2, les masques chirurgicaux et les masques dits grand public, alternatifs, artisanaux ou encore barrière. La note décrit les différences entre les masques, avec leurs normes. Les masques FFP2 filtrent plus de 94 % de particules et protègent le porteur contre l'inhalation de gouttelettes et contre les particules en suspension dans l'air. Des équivalents de ces masques existent aux États-Unis ou en Chine. Les masques chirurgicaux présentent une certaine efficacité de filtration pour les particules plus grosses, avec un contrôle de l'intérieur vers l'extérieur, et non de l'extérieur vers l'intérieur : ils protègent les autres, mais ne permettent pas de se protéger avec la même efficacité que les masques FFP2. Les masques dits grand public, alternatifs ou artisanaux présentent des performances et des caractéristiques très variables. La note n'aborde pas la problématique des masques FFP2 qui ne sont pas recommandés pour la population générale, mais uniquement celle des masques alternatifs et chirurgicaux.
La section suivante revient sur les éléments qui permettent d'argumenter en faveur de la protection apportée par les masques non FFP2. Les masques chirurgicaux permettent de réduire la diffusion de plusieurs agents infectieux à la source. Aucune étude n'a été réalisée, en conditions contrôlées, en laboratoires, sur la Covid-19. La capacité de filtrage effectif est documentée pour les masques non normalisés : quelques rares essais, contrôlés et randomisés, réalisés précédemment sur les personnels de santé sont recensés. La capacité de filtrage est documentée, mais sans élément concluant quant à la capacité réelle de ces masques. Aucune preuve claire n'existe sur l'efficacité des masques normalisés en situation réelle. Dans leur audition, Vittoria Colizza et Pierre-Yves Boëlle - qui font autorité en matière d'épidémiologie - ont indiqué que les mêmes taux de propagation étaient observés pour la grippe saisonnière, dans les pays occidentaux où l'usage du masque est peu répandu et dans les pays asiatiques où l'usage du masque est très répandu. Un débat perdure sur les inconvénients et avantages de la généralisation du masque. Certains scientifiques estiment que la généralisation du port du masque donnerait un sentiment de sécurité illusoire qui amènerait les uns et les autres à relâcher leur vigilance. D'autres disent que le masque permet de ne pas se toucher le visage.
Au terme de cet exposé des motifs, la note établit une conclusion.
La première conclusion est celle de l'incertitude qui demeure sur les modalités de transmission du coronavirus. La deuxième est celle d'un manque de confiance dans les mesures prophylactiques les plus appropriées. Il convient donc d'être pragmatique. Des études rigoureuses devront être menées en laboratoire, en situation contrôlée, sur l'efficacité des masques, mais le temps a manqué avec l'arrivée rapide de l'épidémie. Nous nous sommes donc retrouvés collectivement dans une situation périlleuse. Il est important de mentionner cette incertitude et de communiquer dessus. Les prises de position assez tranchées ont nui à la crédibilité de la parole publique. Tous les éléments étant pris en compte, l'Office a raison de rester sur sa recommandation en faveur du port du masque généralisé dans l'espace public puisque le masque reste préférable à l'absence de masque. Des incertitudes sur l'impact du port du masque existent toutefois.
Cette note est cruciale et attendue. La revue de la littérature existante montre bien l'incertitude qui règne sur le sujet.
J'ai lu la note et l'ai trouvée extrêmement réfléchie et prudente. Il est bon de rappeler que la situation reste compliquée et que, manifestement, le masque est un atout qui ne règle pas tout. Il a été reproché de théoriser scientifiquement l'absence de masques, ce qui a donné le sentiment qu'il était inutile parce que nous n'avions pas les moyens. Même si nous en avions eu les moyens, la diffusion massive de masques n'aurait toutefois pas empêché le confinement.
J'aimerais que mes collègues s'expriment avant que nous procédions à une synthèse puisque le sujet est éminemment politique, bien plus que la note précédente. Un procès pourra toujours être établi si la science se veut l'alibi d'un défaut logistique. Si le défaut logistique est réel, il n'est cependant pas certain que ce défaut logistique ait nécessairement conduit à un confinement lourd.
Le sujet est périlleux et la question politique a pris le pas sur la question scientifique. La question qui se pose dans la population ne porte plus sur l'intérêt du masque, mais sur le fait de savoir si le Gouvernement a menti ou pas.
En conclusion, en distinguant les trois catégories de masques, les FFP2 sont réservés aux professionnels, sans que le point fasse débat. Être équipé en masques chirurgicaux et les tenir à la disposition de tous présente une certaine efficacité, même si un problème d'approvisionnement existe. Sur les masques grand public se pose la question de l'utilité : une grande incertitude existe en la matière et l'approche est dominée par le pragmatisme. Tous ces éléments pris en compte, la recommandation est celle du port du masque artisanal dans l'espace public.
Je fais appel à vos souvenirs ou à la littérature. À l'époque de Roselyne Bachelot, quels types de masques avions-nous ? J'ai retrouvé dans un tiroir un vieux masque FFP2 datant de 2002. Comment les avions-nous obtenus ? Les avions-nous achetés en pharmacie ?
Je suis très dubitative sur la note. La note montre que l'efficacité des masques n'est pas prouvée d'un point de vue scientifique, mais il semble étrange qu'aucune étude ne porte sur l'efficacité des masques alors que ces masques sont portés dans un certain nombre de pays et que les médecins en portent. Un chirurgien disait récemment qu'il y a 20 ou 30 ans, il portait des masques en tissu, similaires aux masques artisanaux. Avons-nous évolué dans la qualité des masques ou cette évolution est-elle liée au lobbying des fabricants ?
Nous avons l'impression que la note justifie l'attitude du Gouvernement et l'absence de masques. Certains hôpitaux ont commencé à utiliser les masques en tissu fabriqués de manière artisanale. Certains ont dit que les masques étaient inutiles en l'absence de gestes barrières. Or, il est possible de porter un masque tout en respectant les gestes barrières. Le masque n'empêche pas de respecter les gestes barrières et de se laver les mains.
La note devrait probablement être centrée sur l'aspect scientifique. Je ne vois pas ce qu'elle apporte à l'OPECST.
Le sujet est effectivement délicat. Il ne s'agit pas de donner le sentiment de justifier l'action gouvernementale et je rappelle que nous avons choisi de prendre position en faveur des masques pour tous dans l'espace public à un moment où le Gouvernement ne le souhaitait pas.
Il est effectivement très étrange que la littérature ne comporte pas de preuves sur l'impact significatif du port du masque. Le point dépend toutefois des virus. Nous ne pouvons qu'établir ce constat.
Je me souviens de l'épidémie H1N1. Les médecins avaient à disposition une boîte de première urgence bien équipée, datant de 2003, avec une boîte comportant une dizaine de masques FFP2. Pour mon cabinet de pédiatrie, j'avais été les acheter personnellement dans un magasin de bricolage. Les cabinets libéraux ont dû s'équiper seuls et avaient acheté des masques chirurgicaux pour les patients. Les cabinets devaient s'équiper comme ils le pouvaient. Les cours des hôpitaux comprenaient des containers pleins de masques, sans doute chirurgicaux.
Sur l'utilisation du masque en milieu hospitalier, il est demandé au personnel de maternité, s'il est enrhumé, de porter un masque pour les soins aux nouveau-nés. Nous nous équipons systématiquement du masque pour les gestes interventionnels, avant de nous laver les mains et de mettre des gants. L'hygiène de base, en milieu à risque, prévoit bien le port du masque.
Lors de l'apprentissage du langage puis de la lecture, le port du masque par un professionnel est très néfaste à l'apprentissage de l'enfant. Pour cette population, une alternative au masque de type visière présenterait un intérêt.
Je comprends de vos remarques que la note doit être retravaillée, si nous souhaitons la publier, en distinguant bien le fond du sujet scientifique sur l'évaluation de la protection, selon les situations, et en étant bien attentifs à laisser de côté la doctrine mise en place par le Gouvernement, pour montrer qu'il s'agit d'une évaluation scientifique indépendante, qui ne cherche pas à justifier la position gouvernementale. Cette note justifie notre proposition, formulée sur la recommandation de l'Académie de médecine, de soutien au port généralisé de masques grand public, en l'expliquant même dans un contexte d'incertitudes.
Il convient effectivement de rappeler que l'Office parlementaire avait soutenu la demande formelle de l'Académie de médecine, pratiquement dès le début du confinement, début avril. En soutenant cette position, nous nous démarquons d'une polémique inutile sur les problèmes logistiques. Je dis que cette polémique est inutile puisqu'elle est derrière nous, puisque le Gouvernement a mis en oeuvre des mesures depuis.
Le port du masque, même artisanal, n'est sans doute pas très efficace, mais il fait partie d'une défense individuelle : c'est l'uniforme des combattants qui acceptent la distanciation physique pour éviter la dispersion du virus. Le masque ne donne pas une liberté absolue et tous les droits, mais est au contraire une manière de reconnaître ceux qui agissent prudemment. Le textile peut empêcher les poussières, mais pas les virus portés par des gouttelettes infinitésimales. Toutes les statistiques montrent que le port du masque est plus utile que le non-port du masque. Le masque en lui-même ne règle pas tout, mais est un élément utile et un affichage extérieur de la conscience de la gravité de la situation, ce qui constitue une manière de la combattre.
En faisant référence au soutien initial que l'Office a apporté au point de vue de l'Académie de médecine, nous nous libérons de la polémique initiale. Nous avons une antériorité dans nos positions et il est heureux que le Gouvernement nous ait rejoints. Si la généralisation du masque n'aurait pas empêché le confinement, les pays qui n'ont pas choisi le confinement s'en portent plutôt moins bien. Le port du masque et sa généralisation montrent un engagement individuel à respecter une discipline collective. En Asie, le port du masque est surtout l'expression d'une sorte d'éthique individuelle et de respect de l'hygiène, pour soi et pour les autres.
Ce sujet dépasse le champ strictement scientifique puisqu'il concerne aussi le champ social et les règles du vivre ensemble ainsi que de la solidarité partagée, affichée face à l'épidémie.
Cette note suscite en moi de profondes interrogations. Nous faisons apparaître un vrai doute sur l'utilisation des masques. Dans le même temps, la presse a publié une infographie avec des statistiques montrant la capacité à se protéger contre la contamination dans différentes configurations, selon que le personnage sain et le personnage contaminé sont l'un ou l'autre équipés d'un masque, avec des pourcentages de contamination associés. Lorsque les deux personnes sont sans masques, le pourcentage de risque de contamination s'établit à 90 % tandis qu'il n'est plus que de 1 % si les deux personnages portent un masque.
Comment un lecteur peut-il comprendre une telle note, avec ses doutes et ses incertitudes, après avoir vu de telles infographies ?
D'où proviennent les chiffres associés à ces dernières si nous considérons que nous ne disposons pas d'études plus fines sur l'utilité du port du masque ?
Des chiffres très affirmés existent effectivement, mais la réalité est bien plus nuancée.
Les comparaisons internationales montrent bien qu'il est très difficile de démêler l'effet des masques de celui des autres mesures adoptées dans le même temps. En l'état actuel, les recommandations sur le port du masque relèvent de l'observation pragmatique et du bon sens, plus que d'un corpus scientifique bien clair.
En résumé de nos travaux, la note sur les enfants est prête à être publiée, modulo quelques adaptations, avec une communication qui peut aller dans le sens d'un relâchement de la pression et des précautions pour les enfants dans les écoles, compte tenu des avantages plus nombreux à desserrer la pression, avec prudence, plutôt que de maintenir un niveau fort de contraintes.
La note sur les masques doit être revue : elle s'inscrit dans un contexte très polémique et pragmatique et elle est très liée à des questions de communication. Il est important de rappeler l'indépendance politique de l'OPECST vis-à-vis du Gouvernement. La note doit être revue pour insister sur la cohérence de notre message et de notre position et pour indiquer qu'elle relève du pragmatisme et du bon sens, sur les masques grand public notamment, plus que sur un corpus scientifique irréprochable. Au niveau de la forme, il convient sans doute de revoir les conclusions pour les rendre plus claires et tranchantes.
Cette conclusion me convient parfaitement et restitue un point de vue partagé par les collègues de l'Office qui ont suivi les travaux ce matin et se sont exprimés.
La réunion est close à 11 heures 10.