Interviendront donc à mes côtés le contrôleur général Marc Vermeulen et le médecin-colonel Patrick Hertgen.
Le document qui a été exploité par la presse est un document de travail : certains termes et affirmations sont erronés, et nous avons souhaité les corriger. Il devait faire part de remontées de terrain et n'avait pas vocation à être distribué. Nous plaidons non coupables de cette diffusion ; en revanche, nous sommes responsables. La publication de ce document de travail a été assez perturbante. À qui pouvait-elle nuire ? Certainement au directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), au ministre de l'intérieur et à la FNSPF, et nous trouvons cela très regrettable.
Lorsque les sapeurs-pompiers font remonter des éléments, ils suivent la voie hiérarchique. C'est aussi ce qui a été fait aussi pour cette synthèse, qui est dorénavant finale. Notre hiérarchie, c'est le directeur général de la sécurité civile et le ministre de l'intérieur. Avec ce document, nous voulions partager ce que nous avions ressenti et mettre en exergue certains éléments. Lorsque l'on fait un retour d'expérience, comme on a l'habitude de le faire pour chacune de nos opérations, on ne met pas en cause des personnes ; ce sont les systèmes ou les modes opératoires que nous questionnons.
Les acteurs de santé, de sécurité et de protection civile sont des personnes formidables : ils ont oeuvré durant la crise avec toute leur énergie, en mettant le mouchoir sur beaucoup de choses, notamment le temps familial et le temps professionnel. Néanmoins, un certain nombre d'éléments, factuels ou relevant du domaine du ressenti, montrent que les canons habituels de la gestion de crise n'ont pas été respectés : je pense aux principes figurant dans le plan Pandémie grippale de 2011.
Une crise sanitaire est typiquement une crise de protection civile, impliquant plusieurs ministères, multisectorielle. On peut s'interroger sur le choix qui a été fait de confier au ministère de la santé le pilotage de la crise, notamment dans les premiers temps. C'est la raison pour laquelle nous nous demandons pourquoi le plan de 2011 n'a pas été purement et simplement respecté, et pourquoi la gestion de cette crise n'a pas été confiée au ministère de l'intérieur.
Le premier principe de la gestion de crise, c'est le commandement unique. Durant les événements, nous avons vu qu'il y avait plusieurs décideurs de crise. Certains ministères avaient leur propre cellule de crise : cela nous interpelle en termes de doctrine de conduite des opérations.
Les directeurs des opérations de secours que sont les maires, les préfets, les préfets de zone n'ont, eux, pas eu la main sur la gestion de crise, alors qu'ils sont les interlocuteurs privilégiés des différents acteurs de la résolution de problématiques au quotidien : les forces de police, la santé, l'ensemble des acteurs et des associations agréées de sécurité civile, la médecine et l'offre de soin des territoires.
Tous ces acteurs assurent la résilience du territoire. Qu'il s'agisse d'une pandémie, comme la grippe H1N1, d'inondations, de feux d'espaces naturels ou de tout autre sinistre, par exemple Lubrizol, ils répondent à chaque fois à l'unisson, sous un seul commandement, sous une seule direction des opérations de secours.
Nous avons eu l'impression que la crise avait été administrée plus que gérée, conduisant à privilégier des initiatives locales. De notre point de vue, il n'est pas possible de gérer une crise comme on gérerait un établissement public ou une administration. La gestion de crise exige des fondamentaux et la prise de décision dans l'urgence, ce que savent faire les militaires, les gendarmes, les policiers, les sapeurs-pompiers, et les urgentistes qui sont avec nous sur le terrain. C'est parfois beaucoup plus difficile pour celles et ceux qui sont en administration centrale ou ailleurs, parce que leurs paradigmes habituels ne sont pas ceux de la gestion de crise. Pour reprendre un terme employé par le Président de la République, cette crise s'est révélée être une « guerre » contre la covid-19. En temps de guerre, les paradigmes sont totalement différents de ceux du quotidien.
Bon nombre d'acteurs de terrain - médecins de ville, infirmiers libéraux et autres acteurs de la sécurité - partagent notre ressenti, qui est décrit dans la synthèse finale. Les élus locaux des territoires ont eu aussi parfois ce sentiment. Les situations ont été très hétérogènes, et les difficultés vécues très différemment selon la personnalité des différents acteurs et décideurs.
La participation des sapeurs-pompiers n'a pas été à la hauteur de ce que nous faisons au quotidien. De notre point de vue - l'idée est non pas de faire du corporatisme, mais de mettre en exergue ce qui se passe au quotidien -, les sapeurs-pompiers sont des acteurs de la santé du territoire. Ce sont celles et ceux qui, avec 7 000 casernes et 250 000 personnels, qu'ils soient militaires à Paris et Marseille, professionnels, volontaires - c'est le cas de 80 % des sapeurs-pompiers -, assurent la santé dans les territoires avec leurs ambulances. Aujourd'hui, les soldats du feu sont devenus des soldats de la santé : ils effectuent plus de 4,16 millions d'interventions au bénéfice de la santé et du secours d'urgence aux personnes dans tous nos territoires.
Pour autant, nous avons eu le sentiment que c'était : « tout sauf les pompiers ». Heureusement, grâce au travail mené quotidiennement par les sapeurs-pompiers avec les urgentistes, ce mot d'ordre, plutôt lancé au niveau national, n'a pas été entendu ou exécuté. C'est la raison pour laquelle nous avons effectué des actions complémentaires qui ont permis de réagir avec pragmatisme et proximité.
Les sapeurs-pompiers ont réalisé plus de 100 000 interventions au bénéfice et au profit de nos concitoyens ; et près de 50 % des transports héliportés ont été effectués par les hélicoptères de la sécurité civile. Nous avons renforcé les centres d'appels et le tri à l'arrivée dans les hôpitaux, avec les passages covid et non-covid. Nous avons organisé des campagnes de tests dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), dans les collèges et dans toutes les entités, qui ont permis ensuite de relancer l'activité économique de notre pays.
À la demande des agences régionales de santé (ARS) ou de leur propre initiative quand les élus locaux ou les préfets les ont mis en avant, les sapeurs-pompiers ont pu faire en sorte que la lutte contre la covid puisse se faire avec leur aide. Ils ne réclament pas plus que cela en termes de reconnaissance. Puisque 84 % de leurs missions concernent le secours d'urgence aux personnes, pourquoi ne pas avoir davantage sollicité les pompiers en temps de guerre ? Pourquoi les avoir mis de côté ? Leur force, c'est l'engagement citoyen. Ce sont des personnes volontaires, disponibles, compétentes en matière de secours d'urgence au quotidien : il y a des médecins, des infirmiers, des personnes capables de faire énormément de choses. Or il n'a été fait appel à eux que par moments, et de manière très hétérogène.
La gestion locale de la crise doit sa réussite à quatre facteurs.
Le premier est le lien inaltérable entre les territoires et les sapeurs-pompiers.
Le deuxième est la robustesse, l'agilité et la capacité de réponse opérationnelle des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), qui sont des établissements publics. On peut dire que la départementalisation est une véritable réussite au bout de vingt ans. Les SDIS sont animés et dirigés par la direction générale de la sécurité civile.
Le troisième est le caractère hybride de notre organisation, avec des pompiers professionnels et des pompiers volontaires. Il est d'ailleurs important de rappeler l'utilité du volontariat.
Le quatrième, enfin, est le lien inaltérable, que personne ne pourra attaquer ou remettre en question, entre les rouges et les blancs, même si certains parlent de guerre entre nous. Les rouges ne souhaitent pas la guerre avec les blancs, pour une seule et unique raison : nous travaillons régulièrement sur le terrain ensemble. En revanche, des systèmes doivent être revisités. Des paradigmes de la fin des années 1980 nous ont permis d'assurer le secours d'urgence aux personnes pendant dix à vingt ans. Mais notre société a changé, et nous devons faire évoluer nos systèmes de réponse à l'urgence.
Une refonte en profondeur du système de santé, fondé sur une territorialité particulière, doit être menée, avec une attribution claire de la gestion de crise au ministère de l'intérieur.
Monsieur le président, vous avez évoqué les TGV. Des colonnes de renfort de sapeurs-pompiers étaient prêtes, avec des ambulances et des médecins, l'arme au pied, comme vous pourrez les voir tout au long de l'été lorsque les camions descendront dans le sud de la France pour lutter contre les feux d'espaces naturels. Pourtant, les personnels ont été renvoyés chez eux. Quelque temps après, nous avons entendu parler des TGV, qui ont fait l'objet de belles opérations de communication. L'idée est intéressante. Lorsque les attentats de 2015 ont frappé notre pays, on aurait pu évacuer des victimes vers d'autres centres hospitaliers. Mais pourquoi ne pas avoir utilisé les ressources qui étaient mobilisées ? Pourquoi ne pas avoir davantage recouru aux cliniques privées ?
Nous avons alerté sur la situation dans les Ehpad. La plupart des SDIS ont accompagné les phases de tests dans les Ehpad, afin de permettre aux soignants, aux accompagnants et aux patients d'être pris en compte.
Je veux évoquer la refondation du traitement de l'alerte. Duran la crise, on disait qu'il fallait toujours appeler le 15. Si on avait dit qu'il fallait toujours appeler le 18, ce numéro aurait été saturé de la même manière que le 15. Nous ne disons pas que le 18 aurait apporté une meilleure réponse que le 15. En revanche, nous réclamons un travail interservices au quotidien, avec des plateformes départementales de réception des appels d'urgence pour traiter l'accident cardiaque dans des délais qui permettent de sauver la plupart de nos concitoyens. Aujourd'hui, nous mettons la grippe, le conseil médical, l'accident cardiaque et l'accident de la route dans les mêmes tuyaux. Nous souhaitons un numéro d'appel d'urgence unique, le 112, comme dans la plupart des pays européens, avec des centres départementaux d'appels d'urgence, et un service d'accès aux soins doté d'un numéro dédié, qui est déjà testé dans trois régions, le 116 117.
Il faut faire de l'urgent d'un côté, du non-urgent et du conseil médical de l'autre. Pour cela, nous devons avoir des centres départementaux d'appels d'urgence dans lesquels l'ensemble des services de réponse à l'urgence doivent travailler ensemble.
Nous devons avoir une véritable ambition pour la protection civile. Pour cela, deux hypothèses se présentent à nous.
Première hypothèse, on peut conforter le Livre blanc de 2008. Depuis 2011, la DGSCGC a fait l'objet d'une refondation. La sécurité civile représente 5 milliards d'euros, en grande partie affectés aux SDIS. Nous devons renouveler des machines, notamment des hélicoptères de sécurité civile. S'agissant des avions bombardiers d'eau, des investissements sont en cours. Il faut accompagner les territoires dans les investissements lourds, répondre à la pandémie et à d'autres enjeux de sécurité et de protection civile.
Deuxième hypothèse, on peut avoir davantage d'ambition, comme d'autres pays européens. Certains pays ont choisi soit de positionner la protection civile auprès du Premier ministre, soit de dédier un véritable ministère à la gestion des crises, aux urgences et à la protection civile.
La réorganisation doit s'appuyer sur quatre piliers essentiels.
Le premier, c'est l'unicité de commandement. Au quotidien, les forces de police, les forces militaires et les sapeurs-pompiers ont un seul chef. Nous y répondons, ce qui évite la cacophonie.
Le deuxième, c'est la résilience de la population. La Fédération nationale et bon nombre d'acteurs, notamment ceux qui sont à vos côtés - le docteur Dolveck, qui travaille en Seine-et-Marne, et Christophe Prudhomme, pour la plaque parisienne -, savent que, lorsqu'elle est préparée, formée aux gestes qui sauvent, habituée à répondre à des situations d'urgence, la population nous accompagne, nous aide, nous protège, en permettant une bonne alerte et en adoptant les bons gestes face à une situation de crise.
Le troisième élément, c'est le renforcement du volontariat. Il faut des sapeurs-pompiers professionnels, des sapeurs-pompiers militaires, mais il faut aussi des sapeurs-pompiers volontaires dans tous nos territoires. Un plan est en cours de développement par le ministère de l'intérieur : il faut lui redonner un nouveau souffle. La directive sur l'engagement citoyen et civique, qui avait été engagée par le précédent ministre et à laquelle le Sénat était favorable, doit être portée au niveau européen. Nous avons besoin aujourd'hui pour la réponse au quotidien, mais aussi pour les situations exceptionnelles, d'avoir des citoyens engagés qui assurent la résilience de nos territoires. Les sapeurs-pompiers sont les premiers maillons de cette résilience.
Le quatrième élément, c'est la consolidation de nos services de santé, composé de professionnels et de volontaires dans les hôpitaux, qui viennent servir les SDIS, qui permettent le suivi médical de nos personnels, et qui concourent à l'aide médicale d'urgence. Ils interviennent dans les situations gravissimes, telles que les attentats, les feux de forêt, l'épidémie de covid-19. Ils permettent la régulation médicale, pour que le SAMU soit toujours plus efficace avec les sapeurs-pompiers.
Je terminerai par un point qui nous tient à coeur et que j'ai déjà évoqué : la dichotomie entre l'appel d'urgence et l'appel du non-urgent. Quand nous ferons cette séparation, comme d'autres pays l'ont fait depuis des décennies, nous arriverons non seulement à répondre beaucoup mieux à nos concitoyens, mais également à faire travailler nos services d'urgence tous ensemble. C'est la volonté de la Fédération nationale, et des sapeurs-pompiers de France de manière générale.
Monsieur le président, vous êtes d'un département du sud : lorsqu'il y a un feu de forêt dans votre territoire, ce sont les sapeurs-pompiers qui sont à la lutte. De très nombreux services agissent sous l'autorité d'une seule personne - le préfet -, pour trouver la cause du sinistre et éviter le plus possible les conséquences néfastes.