Nous poursuivons nos travaux sur la gestion de la crise sanitaire avec l'audition commune du colonel Grégory Allione, président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF), qui est en visioconférence, du docteur François Dolveck, directeur des urgences du Centre hospitalier de Melun - Marc Jacquet, et du docteur Christophe Prudhomme, porte-parole de l'association des médecins urgentistes de France (AMUF).
J'ai souhaité cette parenthèse dans la série d'auditions que nous menons actuellement sur la gestion de la crise dans différents territoires à la suite de la diffusion dans la presse, au cours du week-end des 4 et 5 juillet, de citations d'un document de retour d'expérience sur la gestion de la crise sanitaire émanant de la FNSPF.
Ce document, dont nous avons eu communication de la synthèse sous une forme provisoire et dont nous demandons la version définitive, dresse un constat très sévère : « les événements ont été administrés, plus que gérés par la santé, conduisant à privilégier le contrôle sur la prise d'initiatives et de responsabilités des acteurs de terrain. » Il évoque une « crise de leadership et de communication », tout en relevant que « la coopération entre les sapeurs-pompiers et les acteurs de santé s'est organisée globalement de manière satisfaisante au niveau local ». Il considère enfin que « trop souvent, la doctrine a semblé devoir s'adapter aux moyens ».
Cette synthèse comporte également trois affirmations graves : il y aurait eu des « pressions sur les territoires en tension pour abaisser le niveau de protection de leurs agents » ; « des requérants non-covid en situation d'urgence vitale n'ont jamais eu de réponse du 15 à leurs appels et sont morts dans l'indifférence générale » ; les évacuations par TGV seraient de « pures opérations de communication ».
Sur ces trois affirmations, nous attendons des données précises et des explications.
Nous avons également demandé au docteur François Dolveck de nous faire part de son expérience personnelle de cette crise et au docteur Christophe Prudhomme de nous exposer les remontées des médecins urgentistes, au regard de la synthèse faite par les sapeurs-pompiers, mais pas uniquement.
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment. Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Grégory Allione, François Dolveck et Christophe Prudhomme prêtent serment.
Je vous laisse la parole pour une présentation d'une dizaine de minutes environ, avant de passer aux questions des rapporteurs, puis des autres membres de notre commission d'enquête.
Monsieur le président, je souhaiterais savoir s'il est possible que nous intervenions à trois voix, puisque le document que vous avez évoqué est un travail collégial.
Vos collègues pourront intervenir en réponse aux questions des commissaires après les interventions liminaires, à condition qu'ils prêtent serment.
Interviendront donc à mes côtés le contrôleur général Marc Vermeulen et le médecin-colonel Patrick Hertgen.
Le document qui a été exploité par la presse est un document de travail : certains termes et affirmations sont erronés, et nous avons souhaité les corriger. Il devait faire part de remontées de terrain et n'avait pas vocation à être distribué. Nous plaidons non coupables de cette diffusion ; en revanche, nous sommes responsables. La publication de ce document de travail a été assez perturbante. À qui pouvait-elle nuire ? Certainement au directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), au ministre de l'intérieur et à la FNSPF, et nous trouvons cela très regrettable.
Lorsque les sapeurs-pompiers font remonter des éléments, ils suivent la voie hiérarchique. C'est aussi ce qui a été fait aussi pour cette synthèse, qui est dorénavant finale. Notre hiérarchie, c'est le directeur général de la sécurité civile et le ministre de l'intérieur. Avec ce document, nous voulions partager ce que nous avions ressenti et mettre en exergue certains éléments. Lorsque l'on fait un retour d'expérience, comme on a l'habitude de le faire pour chacune de nos opérations, on ne met pas en cause des personnes ; ce sont les systèmes ou les modes opératoires que nous questionnons.
Les acteurs de santé, de sécurité et de protection civile sont des personnes formidables : ils ont oeuvré durant la crise avec toute leur énergie, en mettant le mouchoir sur beaucoup de choses, notamment le temps familial et le temps professionnel. Néanmoins, un certain nombre d'éléments, factuels ou relevant du domaine du ressenti, montrent que les canons habituels de la gestion de crise n'ont pas été respectés : je pense aux principes figurant dans le plan Pandémie grippale de 2011.
Une crise sanitaire est typiquement une crise de protection civile, impliquant plusieurs ministères, multisectorielle. On peut s'interroger sur le choix qui a été fait de confier au ministère de la santé le pilotage de la crise, notamment dans les premiers temps. C'est la raison pour laquelle nous nous demandons pourquoi le plan de 2011 n'a pas été purement et simplement respecté, et pourquoi la gestion de cette crise n'a pas été confiée au ministère de l'intérieur.
Le premier principe de la gestion de crise, c'est le commandement unique. Durant les événements, nous avons vu qu'il y avait plusieurs décideurs de crise. Certains ministères avaient leur propre cellule de crise : cela nous interpelle en termes de doctrine de conduite des opérations.
Les directeurs des opérations de secours que sont les maires, les préfets, les préfets de zone n'ont, eux, pas eu la main sur la gestion de crise, alors qu'ils sont les interlocuteurs privilégiés des différents acteurs de la résolution de problématiques au quotidien : les forces de police, la santé, l'ensemble des acteurs et des associations agréées de sécurité civile, la médecine et l'offre de soin des territoires.
Tous ces acteurs assurent la résilience du territoire. Qu'il s'agisse d'une pandémie, comme la grippe H1N1, d'inondations, de feux d'espaces naturels ou de tout autre sinistre, par exemple Lubrizol, ils répondent à chaque fois à l'unisson, sous un seul commandement, sous une seule direction des opérations de secours.
Nous avons eu l'impression que la crise avait été administrée plus que gérée, conduisant à privilégier des initiatives locales. De notre point de vue, il n'est pas possible de gérer une crise comme on gérerait un établissement public ou une administration. La gestion de crise exige des fondamentaux et la prise de décision dans l'urgence, ce que savent faire les militaires, les gendarmes, les policiers, les sapeurs-pompiers, et les urgentistes qui sont avec nous sur le terrain. C'est parfois beaucoup plus difficile pour celles et ceux qui sont en administration centrale ou ailleurs, parce que leurs paradigmes habituels ne sont pas ceux de la gestion de crise. Pour reprendre un terme employé par le Président de la République, cette crise s'est révélée être une « guerre » contre la covid-19. En temps de guerre, les paradigmes sont totalement différents de ceux du quotidien.
Bon nombre d'acteurs de terrain - médecins de ville, infirmiers libéraux et autres acteurs de la sécurité - partagent notre ressenti, qui est décrit dans la synthèse finale. Les élus locaux des territoires ont eu aussi parfois ce sentiment. Les situations ont été très hétérogènes, et les difficultés vécues très différemment selon la personnalité des différents acteurs et décideurs.
La participation des sapeurs-pompiers n'a pas été à la hauteur de ce que nous faisons au quotidien. De notre point de vue - l'idée est non pas de faire du corporatisme, mais de mettre en exergue ce qui se passe au quotidien -, les sapeurs-pompiers sont des acteurs de la santé du territoire. Ce sont celles et ceux qui, avec 7 000 casernes et 250 000 personnels, qu'ils soient militaires à Paris et Marseille, professionnels, volontaires - c'est le cas de 80 % des sapeurs-pompiers -, assurent la santé dans les territoires avec leurs ambulances. Aujourd'hui, les soldats du feu sont devenus des soldats de la santé : ils effectuent plus de 4,16 millions d'interventions au bénéfice de la santé et du secours d'urgence aux personnes dans tous nos territoires.
Pour autant, nous avons eu le sentiment que c'était : « tout sauf les pompiers ». Heureusement, grâce au travail mené quotidiennement par les sapeurs-pompiers avec les urgentistes, ce mot d'ordre, plutôt lancé au niveau national, n'a pas été entendu ou exécuté. C'est la raison pour laquelle nous avons effectué des actions complémentaires qui ont permis de réagir avec pragmatisme et proximité.
Les sapeurs-pompiers ont réalisé plus de 100 000 interventions au bénéfice et au profit de nos concitoyens ; et près de 50 % des transports héliportés ont été effectués par les hélicoptères de la sécurité civile. Nous avons renforcé les centres d'appels et le tri à l'arrivée dans les hôpitaux, avec les passages covid et non-covid. Nous avons organisé des campagnes de tests dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), dans les collèges et dans toutes les entités, qui ont permis ensuite de relancer l'activité économique de notre pays.
À la demande des agences régionales de santé (ARS) ou de leur propre initiative quand les élus locaux ou les préfets les ont mis en avant, les sapeurs-pompiers ont pu faire en sorte que la lutte contre la covid puisse se faire avec leur aide. Ils ne réclament pas plus que cela en termes de reconnaissance. Puisque 84 % de leurs missions concernent le secours d'urgence aux personnes, pourquoi ne pas avoir davantage sollicité les pompiers en temps de guerre ? Pourquoi les avoir mis de côté ? Leur force, c'est l'engagement citoyen. Ce sont des personnes volontaires, disponibles, compétentes en matière de secours d'urgence au quotidien : il y a des médecins, des infirmiers, des personnes capables de faire énormément de choses. Or il n'a été fait appel à eux que par moments, et de manière très hétérogène.
La gestion locale de la crise doit sa réussite à quatre facteurs.
Le premier est le lien inaltérable entre les territoires et les sapeurs-pompiers.
Le deuxième est la robustesse, l'agilité et la capacité de réponse opérationnelle des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), qui sont des établissements publics. On peut dire que la départementalisation est une véritable réussite au bout de vingt ans. Les SDIS sont animés et dirigés par la direction générale de la sécurité civile.
Le troisième est le caractère hybride de notre organisation, avec des pompiers professionnels et des pompiers volontaires. Il est d'ailleurs important de rappeler l'utilité du volontariat.
Le quatrième, enfin, est le lien inaltérable, que personne ne pourra attaquer ou remettre en question, entre les rouges et les blancs, même si certains parlent de guerre entre nous. Les rouges ne souhaitent pas la guerre avec les blancs, pour une seule et unique raison : nous travaillons régulièrement sur le terrain ensemble. En revanche, des systèmes doivent être revisités. Des paradigmes de la fin des années 1980 nous ont permis d'assurer le secours d'urgence aux personnes pendant dix à vingt ans. Mais notre société a changé, et nous devons faire évoluer nos systèmes de réponse à l'urgence.
Une refonte en profondeur du système de santé, fondé sur une territorialité particulière, doit être menée, avec une attribution claire de la gestion de crise au ministère de l'intérieur.
Monsieur le président, vous avez évoqué les TGV. Des colonnes de renfort de sapeurs-pompiers étaient prêtes, avec des ambulances et des médecins, l'arme au pied, comme vous pourrez les voir tout au long de l'été lorsque les camions descendront dans le sud de la France pour lutter contre les feux d'espaces naturels. Pourtant, les personnels ont été renvoyés chez eux. Quelque temps après, nous avons entendu parler des TGV, qui ont fait l'objet de belles opérations de communication. L'idée est intéressante. Lorsque les attentats de 2015 ont frappé notre pays, on aurait pu évacuer des victimes vers d'autres centres hospitaliers. Mais pourquoi ne pas avoir utilisé les ressources qui étaient mobilisées ? Pourquoi ne pas avoir davantage recouru aux cliniques privées ?
Nous avons alerté sur la situation dans les Ehpad. La plupart des SDIS ont accompagné les phases de tests dans les Ehpad, afin de permettre aux soignants, aux accompagnants et aux patients d'être pris en compte.
Je veux évoquer la refondation du traitement de l'alerte. Duran la crise, on disait qu'il fallait toujours appeler le 15. Si on avait dit qu'il fallait toujours appeler le 18, ce numéro aurait été saturé de la même manière que le 15. Nous ne disons pas que le 18 aurait apporté une meilleure réponse que le 15. En revanche, nous réclamons un travail interservices au quotidien, avec des plateformes départementales de réception des appels d'urgence pour traiter l'accident cardiaque dans des délais qui permettent de sauver la plupart de nos concitoyens. Aujourd'hui, nous mettons la grippe, le conseil médical, l'accident cardiaque et l'accident de la route dans les mêmes tuyaux. Nous souhaitons un numéro d'appel d'urgence unique, le 112, comme dans la plupart des pays européens, avec des centres départementaux d'appels d'urgence, et un service d'accès aux soins doté d'un numéro dédié, qui est déjà testé dans trois régions, le 116 117.
Il faut faire de l'urgent d'un côté, du non-urgent et du conseil médical de l'autre. Pour cela, nous devons avoir des centres départementaux d'appels d'urgence dans lesquels l'ensemble des services de réponse à l'urgence doivent travailler ensemble.
Nous devons avoir une véritable ambition pour la protection civile. Pour cela, deux hypothèses se présentent à nous.
Première hypothèse, on peut conforter le Livre blanc de 2008. Depuis 2011, la DGSCGC a fait l'objet d'une refondation. La sécurité civile représente 5 milliards d'euros, en grande partie affectés aux SDIS. Nous devons renouveler des machines, notamment des hélicoptères de sécurité civile. S'agissant des avions bombardiers d'eau, des investissements sont en cours. Il faut accompagner les territoires dans les investissements lourds, répondre à la pandémie et à d'autres enjeux de sécurité et de protection civile.
Deuxième hypothèse, on peut avoir davantage d'ambition, comme d'autres pays européens. Certains pays ont choisi soit de positionner la protection civile auprès du Premier ministre, soit de dédier un véritable ministère à la gestion des crises, aux urgences et à la protection civile.
La réorganisation doit s'appuyer sur quatre piliers essentiels.
Le premier, c'est l'unicité de commandement. Au quotidien, les forces de police, les forces militaires et les sapeurs-pompiers ont un seul chef. Nous y répondons, ce qui évite la cacophonie.
Le deuxième, c'est la résilience de la population. La Fédération nationale et bon nombre d'acteurs, notamment ceux qui sont à vos côtés - le docteur Dolveck, qui travaille en Seine-et-Marne, et Christophe Prudhomme, pour la plaque parisienne -, savent que, lorsqu'elle est préparée, formée aux gestes qui sauvent, habituée à répondre à des situations d'urgence, la population nous accompagne, nous aide, nous protège, en permettant une bonne alerte et en adoptant les bons gestes face à une situation de crise.
Le troisième élément, c'est le renforcement du volontariat. Il faut des sapeurs-pompiers professionnels, des sapeurs-pompiers militaires, mais il faut aussi des sapeurs-pompiers volontaires dans tous nos territoires. Un plan est en cours de développement par le ministère de l'intérieur : il faut lui redonner un nouveau souffle. La directive sur l'engagement citoyen et civique, qui avait été engagée par le précédent ministre et à laquelle le Sénat était favorable, doit être portée au niveau européen. Nous avons besoin aujourd'hui pour la réponse au quotidien, mais aussi pour les situations exceptionnelles, d'avoir des citoyens engagés qui assurent la résilience de nos territoires. Les sapeurs-pompiers sont les premiers maillons de cette résilience.
Le quatrième élément, c'est la consolidation de nos services de santé, composé de professionnels et de volontaires dans les hôpitaux, qui viennent servir les SDIS, qui permettent le suivi médical de nos personnels, et qui concourent à l'aide médicale d'urgence. Ils interviennent dans les situations gravissimes, telles que les attentats, les feux de forêt, l'épidémie de covid-19. Ils permettent la régulation médicale, pour que le SAMU soit toujours plus efficace avec les sapeurs-pompiers.
Je terminerai par un point qui nous tient à coeur et que j'ai déjà évoqué : la dichotomie entre l'appel d'urgence et l'appel du non-urgent. Quand nous ferons cette séparation, comme d'autres pays l'ont fait depuis des décennies, nous arriverons non seulement à répondre beaucoup mieux à nos concitoyens, mais également à faire travailler nos services d'urgence tous ensemble. C'est la volonté de la Fédération nationale, et des sapeurs-pompiers de France de manière générale.
Monsieur le président, vous êtes d'un département du sud : lorsqu'il y a un feu de forêt dans votre territoire, ce sont les sapeurs-pompiers qui sont à la lutte. De très nombreux services agissent sous l'autorité d'une seule personne - le préfet -, pour trouver la cause du sinistre et éviter le plus possible les conséquences néfastes.
Dans ma ville, un feu a brûlé 4 hectares de végétation il y a deux jours.
La situation décrite par le colonel Allione est la résultante de l'absence de prise de décision et d'une situation connue depuis très longtemps. Deux services publics ayant vocation à travailler ensemble ne le font pas ; leur collaboration repose davantage sur les individus que sur une doctrine et une stratégie nationales. Cette guerre entre les rouges et les blancs a été une réalité, et elle le reste.
Dans une des plus grandes métropoles mondiales qu'est Paris, la situation est catastrophique : il n'y a aucune interconnexion entre les deux systèmes informatiques. Quand on appelle le 18 ou le 15, l'adresse est enregistrée dans un système informatique et l'opérateur, qu'il s'agisse d'un pompier ou d'un assistant de régulation médicale, prend son téléphone pour retransmettre par phonie l'adresse à son collègue afin d'organiser la chaîne des secours. Or chaque minute compte en cas d'arrêt cardiaque. Indépendamment du fait que notre population pratique peu les gestes de secourisme, la France a de très mauvais résultats en matière de prise en charge des arrêts cardiaques.
Lorsque deux systèmes sont sous pression financière - les pompiers, avec les conseils départementaux qui connaissent des difficultés budgétaires, et l'hôpital - et ne collaborent pas, on se retrouve dans une situation de crise.
Pour reprendre rapidement le fil des événements, j'étais de garde quand la ministre de la santé, Agnès Buzyn, a annoncé au Journal de 20 heures qu'il fallait appeler le 15 en cas de doute sur une éventuelle infection. Une heure après, notre standard a explosé... C'était une catastrophe. Un responsable politique prend une décision sans s'assurer qu'elle puisse être mise en oeuvre par son administration !
Nous n'étions pas préparés parce que nous avons passé notre temps à faire des projets sans les mettre en oeuvre. À la suite de la grippe H1N1 et des attentats, il était prévu que nos standards puissent augmenter leurs capacités en actionnant un simple bouton.
Je travaille dans la Seine-Saint-Denis, l'un des départements qui ont été le plus impactés. Nous avions 60 lignes : si le nombre d'appels augmente, nous sommes saturés. Il a fallu un temps certain avant que nous puissions augmenter la capacité de notre autocommutateur (autocom) et pour recevoir tous les appels.
Je mets maintenant ma casquette de syndicaliste. Le mouvement des urgences et des SAMU réclame du personnel supplémentaire. On peut avoir un bon autocom, mais il faut des personnes pour décrocher ! Nous n'avons pu effectuer une montée en charge que de manière très progressive, car il fallait mettre en oeuvre, à la fois, des moyens techniques et des moyens humains. Pendant toute une période, des personnes appelaient, pour une inquiétude liée au coronavirus, un infarctus ou un arrêt cardiaque, et les délais de décrochage étaient de 30 minutes. Des appels n'aboutissaient pas parce que les lignes étaient saturées.
On peut envisager de nouveaux numéros de téléphone, mais, entre le moment où on prend une décision et celui où on l'applique, il peut se passer du temps, en particulier dans notre pays... Aujourd'hui, les moyens informatiques nous permettent d'avoir une interconnexion. Dans certains départements, que le citoyen appelle le 15 ou le 18, c'est transparent, parce que les gens travaillent ensemble. Il existe même des centres de régulation en commun, sans qu'il soit nécessaire d'être physiquement en commun. Avec le même système informatique, on sait où sont les moyens des pompiers et ceux des SAMU, et on les utilise au mieux. Pour la chaîne de survie, il faut utiliser le maillage du territoire assuré par les pompiers - des secouristes professionnels qui arrivent avec de l'oxygène, leurs techniques, un défibrillateur - et celui moins dense du SAMU, qui met 10 à 15 minutes de plus pour arriver, voire, dans certaines zones du territoire, un peu plus longtemps.
Il y a urgence aujourd'hui à travailler ensemble, mais nous avons un problème de doctrine. Celle du ministère de la santé et d'une partie des médecins qui sont à la tête des SAMU est en contradiction totale avec ce que nous défendons. Quel est le bon territoire pour travailler ensemble, sachant qu'il y a trois interlocuteurs - la ville, l'hôpital et les pompiers ? C'est le département, et non la région.
Or, aujourd'hui, le ministère de la santé ferme des SAMU départementaux, avec l'aide des médecins, pour se concentrer sur les plateformes de régulation régionale. Nous ne sommes déjà pas en capacité de décrocher au niveau du département ; à une échelle plus grande, on assistera forcément à des dysfonctionnements.
Le SAMU de la Nièvre a fermé en octobre 2018. En plein Ségur de la santé, le directeur général de l'ARS de Bourgogne-Franche-Comté se déplace à Auxerre pour annoncer que le plan de fermeture des SAMU reste d'actualité, avec comme objectif 2022-2023, contre l'avis des élus locaux, des personnels - toutes catégories confondues - et des pompiers départementaux. C'est un problème politique au sens noble du terme : comment peut-on vivre dans les territoires ? De quels services publics avons-nous besoin ? Comme chaque euro est compté, il faut essayer de collaborer pour obtenir des gains d'efficience.
Nous sommes aujourd'hui dans une situation de crise grave. L'hôpital continue à fonctionner de son côté, et les services d'incendie et de secours, avec leurs multiples missions, de l'autre. Comme l'a dit le colonel Allione, leur activité principale au quotidien, c'est non pas les feux, mais bien le secours aux personnes. Nous devons avoir une stratégie qui soit clairement énoncée, avec un maillage du territoire. Il n'est pas sérieux de sous-traiter à des boîtes privées, ce qui nous coûte très cher, les hélicoptères de la sécurité civile, et que le maillage du territoire ait de nombreux « trous dans la raquette ».
L'Allemagne a un système héliporté. On trace un cercle autour du rayon d'action de l'hélicoptère et on vérifie si tout le territoire est couvert. En France, entre la sécurité civile et le SAMU, nous n'avons jamais pu réaliser une telle carte.
En tant que syndicaliste, je suis très heureux d'avoir été invité par votre commission d'enquête. Nous avons beaucoup souffert pendant cette crise. Nous demandons des moyens, ce qui englobe des méthodes d'organisation pour nous aider à mieux travailler. Il faut éviter les impasses qui conduisent des personnels à baisser les bras, car ils ne veulent pas continuer à travailler dans ces conditions.
Un plan doit être élaboré d'urgence, avec des mesures immédiates, et d'autres à moyen et long termes. À long terme, il s'agira peut-être du numéro unique 112, qui a des avantages et des inconvénients. Je veux apporter un bémol aux propos du colonel Allione : une personne qui appelle ne sait pas ce qui est urgent. C'est la raison pour laquelle il faut faire le tri. Nous devons mutualiser nos moyens. Les systèmes de téléphonie modernes permettent de le faire très rapidement, même si nous ne sommes pas physiquement au même endroit.
En tant que sénateurs, vous représentez les territoires : je vous demande de stopper ce qui est contenu dans la réforme « Ma santé 2022 », c'est-à-dire la régionalisation des SAMU, la concentration des moyens dans les métropoles et la désertification des territoires.
Je reprends ma casquette de médecin pour attirer votre attention sur un point : quand une personne est à plus de 30 minutes d'un service d'urgence et de l'arrivée d'un véhicule du SAMU, le principe constitutionnel d'égalité de traitement de tout citoyen, quel que soit son lieu de résidence sur le territoire, n'est pas respecté.
C'est une des raisons pour laquelle on assiste à une certaine défiance envers la politique, notamment avec les « gilets jaunes » et les mouvements sociaux. Une partie de la population, qui comprend les personnels de santé travaillant dans les hôpitaux de proximité, se sent complètement abandonnée face à cette politique de rouleau compresseur, qui les déçoit beaucoup.
Or, aujourd'hui, nous manquons de professionnels de santé pour faire fonctionner le système. Gardons ceux qui sont en poste et donnons espoir aux jeunes que demain sera meilleur qu'hier et aujourd'hui.
Merci pour cette invitation. Je vous présenterai les choses du point de vue d'un directeur de SAMU et d'un chef de service des urgences. Je suis également conseiller médical auprès du GCS Sesan d'Île-de-France, qui déploie tous les systèmes d'information de santé régionaux, et directeur médical de la première école d'assistants de régulation médicale de la région d'Île-de-France auprès de l'Assistance publique.
Nous avons vite compris la nature de cette crise. L'ARS assurait le pilotage avec des réunions quotidiennes auprès des directeurs d'établissements auxquels étaient associés les présidents de commission médicale d'établissement (CME). Du côté des SAMU, nous avions une réunion journalière des huit SAMU afin de nous coordonner, de mettre en place les moyens dont nous disposions et, surtout, de bénéficier de l'expérience de chacun. Dans chaque établissement, une cellule de crise a été mise en place. En tant qu'opérateur local, j'estime que cette organisation était claire et qu'elle nous a permis de mettre en oeuvre un certain nombre de solutions, que j'évoquerai plus tard.
Nous avons fait face à une crise tout à fait inhabituelle, avec des volumes de prise en charge, que ce soit téléphonique ou de patients à l'hôpital en réanimation, qui ont surpris tout le monde. Comme le faisait remarquer le colonel Allione, que ce soit le standard du SAMU ou des pompiers, les volumes étaient tels qu'il a bien fallu s'adapter. Ce n'est pas la couleur du standard téléphonique qui était en jeu ; nous devions nous organiser et mettre en oeuvre des innovations techniques, ce qui a été fait.
Pour la partie que je représente, le SAMU, nous avons été en quelques jours en capacité d'absorber un volume d'appels qui, dans certains départements, étaient multipliés par dix - dans mon département, par sept. Nous avons « upgradé » nos autocoms et mobilisé très largement nos personnels. À titre d'exemple, 90 personnes - médecins, assistants de régulation médicale (ARM) et autres personnels - travaillent au SAMU ; nous avons eu recours à de l'aide extérieure, et plus de 250 personnes se sont mobilisées. Au lieu d'être à 15 en salle de régulation, nous étions entre 45 et 50. Tous ces personnels ont été intégrés en moins d'une semaine. Imaginez le défi et les prouesses organisationnelles qu'il a fallu déployer !
La solidarité a été très importante. Nous avons eu la chance d'avoir des outils techniques qui nous ont permis de disposer en temps réel du nombre de places disponibles en réanimation dans toute la région. Au moment le plus dur de la crise, il ne restait plus que 14 lits de réanimation dans la région. Les évacuations qui ont eu lieu vers la province ont soulagé les services de plus de 250 lits, ce qui n'est pas rien. Il aurait fallu faire encore des efforts locaux pour augmenter les capacités, lesquelles étaient déjà extrêmement élevées : elles ont été multipliées par quatre ou cinq selon les établissements. L'hôpital de Melun, qui a 20 places de réanimation, a pris plus de 110 patients en charge et s'est retrouvé à la cinquième ou sixième place des établissements qui ont accueilli le plus de malades.
Les Ehpad ont été un sujet majeur de discussion pendant la crise. De nombreux établissements et acteurs de santé ont mis en place des organisations très innovantes. Dans mon établissement, nous avons constaté, en nous rendant dans les établissements, que les patients pouvaient décéder de la covid évidemment, mais également de l'isolement et du confinement. On connaît les problèmes d'effectifs des Ehpad auxquels s'est ajouté le fait que de nombreux personnels et médecins de ces établissements étaient malades, ce qui a pu conduire à une forme de « déshérence ».
Une initiative a été prise, celle de constituer des groupes multidisciplinaires gériatres-urgentistes-hygiénistes-infectiologues-secouristes qui se sont déplacés dans toutes les Ehpad, ce qui a brutalement fait baisser la mortalité, en apportant des soins simples, habituels, pour des problématiques de pneumopathie ou de réhydratation liée au confinement. Nous sommes revenus à des taux de mortalité équivalents à une période normale. La rupture a été nette : le nombre de morts par jour dans les 27 Ehpad dont nous nous occupions est passé de 47 à 5, à partir du moment où nous sommes intervenus.
Chaque établissement a essayé de mettre en place à l'échelle de son département des mesures de ce type, et chacun a pu le faire à la hauteur de ses moyens.
C'est évidemment en temps de crise qu'on améliore les relations avec ses partenaires. En Seine-et-Marne, les relations avec les associatifs étaient historiquement inexistantes ; elles ont été reconstruites durant la crise, et sont bonnes.
Il y a eu aussi une mobilisation intéressante des ambulances privées. Les interactions avec les sapeurs-pompiers sont réelles au quotidien. Les quatre départements de la grande couronne parisienne sont interfacés avec les sapeurs-pompiers - et les trois départements de la petite couronne sont en cours : nous transférons les dossiers informatiquement pour récupérer les informations, et cela fonctionne bien. Cela n'a pas empêché d'avoir des officiers sapeurs-pompiers, à ma demande, qui sont venus en régulation du SAMU pour faciliter le lien : le lien informatique est une chose, le lien organisationnel et présentiel est autre chose, mais les deux étaient possibles. Je n'ai pas été le seul à le faire. Les sapeurs-pompiers participaient au tri à l'entrée des établissements. Les relations sont polymorphes d'un département à l'autre, donc je ne ferai pas de généralité. Dans certains départements, les collaborations ont été efficaces, dans d'autres elles ont été plus difficiles.
L'enjeu médical par rapport à la régulation est très fort. La régulation sert à avoir une entrée commune pour tous les patients ayant une nécessité de soins, notamment non programmés. Elle sert à trier et à essayer de faire rentrer au mieux le patient dans un parcours de soins. Ces métiers se sont développés depuis 20 à 30 ans. - actuellement, onze écoles d'ARM ont ouvert sur tout le territoire, dont une à Paris. Les trente premières secondes sont fondamentales pour pouvoir faire ce tri, essayer de bien faire rentrer les patients dans les bons parcours de prise en charge. C'est ce qui a été fait pendant cette crise. Nous avons eu des armées de « décrocheurs », qui ont été formées et ont été mises en place. Ils peuvent réadresser l'appel en fonction des besoins : arrêt cardiaque, accident, covid... Cette idée du sas a fonctionné et a permis d'absorber des volumes d'appel quatre à sept fois plus importants.
Autre élément intéressant : le SAMU et le téléphone ne sont qu'un hub dans les services de santé. Nous nous sommes organisés pour faire venir des infectiologues et des gériatres en régulation. La régulation est multidisciplinaire, et ne repose pas uniquement sur des urgentistes. Cette pluridisciplinarité se fait dans un contexte de santé.
Il nous a fallu quelques jours pour passer de 1 500 à 7 000 appels par jour. Néanmoins, cette organisation n'a pas conduit à un système dégradé. Nos taux d'appels ne nous satisfaisaient pas, et nous y travaillions depuis de longues années. Or nous avons atteint le 100 % de taux de décrochage, et 0 % de perte d'appel. Nous nous sommes adaptés avec des renforts, et avons atteint un niveau de service jamais obtenu auparavant.
Nous demandons donc de conserver ces moyens pour avoir cette efficacité. Tous mes collègues des autres SAMU vous le diront : les renforts et l'organisation à l'hôpital ont été fondamentaux pour traiter les volumes de patients.
Nous avons eu des échanges avec l'ensemble de nos partenaires dans cette crise de santé. Les SAMU ne sont pas seuls au monde et ne voudront jamais l'être, mais si cette expérience permettait de consolider les effectifs pour rendre le service actuel, nous tirerions un grand bénéfice de la situation. Cela correspond, au maximum, à 10 à 20 % d'effectifs supplémentaires, pour un service de très grande qualité.
Je vous remercie. Je demande à M. le contrôleur général Marc Vermeulen, conseiller du président de la FNSPF chargée de la doctrine opérationnelle, et au médecin-colonel Patrick Hertgen, vice-président chargé du secours d'urgence aux personnes et du service de santé et de secours médical, de prêter serment.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Marc Vermeulen et Patrick Hertgen prêtent serment.
Monsieur Prudhomme, j'ai bien suivi les épisodes en Bourgogne Franche-Comté avec l'ARS et je partage totalement vos propos, de même que je partage le constat de l'inégalité de l'accès aux soins sur le territoire. Je suis élue du Jura, où l'on nous ferme des maternités : les femmes ont le droit de faire deux heures de route - lorsqu'il n'y a pas de neige - pour aller accoucher. Les enfants ont le droit de naître au bord de la route... Vous avez parlé d'organisation insatisfaisante, de saturation des standards, et des problèmes que cela pose en cas d'arrêt cardiaque. Vous évoquiez que, durant toute une période, le délai de décrochage était de 30 minutes. Pouvez-vous caractériser cette période ? Avez-vous une idée du nombre de victimes que cette désorganisation a provoqué ? Nous avons entendu parler de pertes de chances et de dysfonctionnements, mais avez-vous connaissance du nombre de victimes que cela a généré ?
Colonel Allione, vous dites avoir la perception d'avoir été mis de côté. Comment cela s'est-il caractérisé ? Est-ce juste une impression ou y a-t-il eu une directive pour mettre de côté les sapeurs-pompiers ?
- Présidence de M. René-Paul Savary, vice-président -
J'ai évoqué l'intervention de Mme Buzyn le 24 janvier. Nous avions renforcé le personnel, mais nous n'avons eu les outils techniques, les autocom, pour avoir des lignes supplémentaires, que le 13 mars. Heureusement, le pic d'appels s'est un peu tassé après le 24 janvier. Mais fin février et début mars, le nombre d'appels a très fortement augmenté. Nous avons eu les deux autres barrettes d'autocom le 24 mars. Nous avons multiplié le personnel disponible, mais sans matériel supplémentaire, du 24 janvier au 13 mars : étudiants en médecine, collègues médecins ayant vu leur service fermer comme des biologistes et radiologues ont aidé à la régulation. Le délai était très long pour une raison simple : à la suite de la grippe H1-N1 et des attentats, il était prévu que nous ayons ces barrettes d'autocom et que nous puissions les activer en moins de 24 heures. Or elles n'étaient toujours pas installées. Il a fallu du temps pour trouver les techniciens, leur faire percer des trous pour passer les câbles, etc.
Nous ne savons pas combien de personnes sont mortes de la covid, nous connaissons juste la surmortalité globale, comme pour la grippe traditionnelle. Certaines personnes sont restées à domicile, avec des formes peu graves au téléphone, ont eu des formes graves ensuite. Au téléphone, on limitait les hospitalisations car on avait des problèmes de capacité d'accueil. Ces personnes ont fait des complications thrombo-emboliques et sont mortes d'embolies pulmonaires. Cela nécessite de réaliser des études, mais il est clair que la prise en charge des patients n'a pas été optimale. Nous ne pouvons pas encore chiffrer cette perte de chance. Il faudra faire la part des choses sur la surmortalité.
Bien sûr, nous nous sommes organisés et nous avons fait le maximum. Mais il ne faut pas rosir les choses : si l'on veut être préparé pour l'hiver prochain, il faut dire les choses, même si parfois il y a des maladresses ou des noms d'oiseaux qui volent. Ces problèmes existent depuis très longtemps, et aucun gouvernement, quelle que soit sa couleur politique, n'a eu le courage de traiter ce dossier. Les deux services publics les plus appréciés des Français - les sapeurs-pompiers et les services d'urgences et de SAMU - ne travaillent pas ensemble. Oui, il y a des endroits où nous travaillons ensemble, mais d'une manière générale, il n'y a pas de doctrine claire qui permette qu'à l'échelle nationale tout aille bien. Cela ne peut pas reposer que sur des individus, c'est de la responsabilité du politique.
J'entends les propos du chef du service du SAMU en Seine-et-Marne. Certes, tout a pu se faire, mais tout s'est fait au pied levé, de manière artisanale et non anticipée ni planifiée.
Je connais la formation exigeante des ARM, des gens de grande valeur qui répondent au quotidien à la détresse de nos concitoyens. Nous sommes étonnés qu'en quelques minutes on ait formé de nombreux collègues.
Nous avons un document chiffré, et je suppose que le chef du SAMU de Seine-et-Marne en a aussi. Nous avons des relevés de délais de réponse. Selon les médecins, il faut répondre à l'appel dans les 30 secondes pour pouvoir avoir énormément de chances de sauver une personne d'un arrêt cardiaque. Or durant cette période, les délais étaient bien supérieurs. En Autriche, au Danemark, lorsque l'urgent a été séparé du non-urgent, la crise de la covid n'a pas eu d'impact sur la prise d'appels. C'est un sujet non seulement de personnel - que je ne connais pas, car je ne suis pas dans un centre hospitalier ou de traitement de l'alerte des SAMU -, mais aussi organisationnel.
Madame Vermeillet, un membre éminent de notre comité exécutif vient du Jura. Je suis opposé à la régionalisation des SAMU, à une organisation régionale de la réponse aux urgences, car la proximité et la réactivité sont les conditions du succès, pour assurer la sécurité de nos concitoyens.
Le « tout sauf les pompiers » est une perception, mais je vous donnerai trois exemples pour l'étayer. Sur la plaque parisienne, il est arrivé des hélicoptères de l'armée et de la sécurité civile. Il y avait des ambulances des sapeurs-pompiers. Or, à un moment donné, on leur a refusé l'accès pour ces transferts-là. Cela a duré quelques jours, avant d'être corrigé par la suite. On peut retrouver des images sur les réseaux sociaux, certains s'en amusent d'ailleurs. Oui, à certains moments, les ambulances rouges n'étaient pas autorisées à aller sur les tarmacs pour récupérer les patients pour des transports interhospitaliers, alors que c'est ce que l'on nous demande régulièrement, même lorsque nous avons à traiter de l'urgence et que les ambulanciers privés pourraient être justement activés sur ces interventions.
Deuxième exemple, à Besançon, un hélicoptère de la sécurité civile armé par un collègue médecin sapeur-pompier a dû débarquer ce dernier pour permettre à un collègue du SAMU de monter. L'ordre est arrivé de Paris...
Troisième exemple, des colonnes de véhicules de secours et d'assistance aux victimes (VSAV) avaient été préparées par le Sud-Est. Elles ont été démontées pour laisser d'autres vecteurs faire du transfert de patients... Voilà ce qui nous fait avoir ce sentiment. Je n'ai pas la preuve qu'il y a eu un mot d'ordre, et heureusement il y a eu des gens intelligents qui ont permis d'outrepasser ce sentiment. Mais connaissant certains individus, oui, nous suspectons des mots d'ordre.
- Présidence de M. Alain Milon, président -
Comment êtes-vous montés en charge pour le personnel intégré à la régulation ? Lors d'un débat début mars, je m'étais interrogée sur la décision de tout orienter vers le 15, et sur sa capacité à répondre aux appels.
Hier, les médecins généralistes et les infirmiers se sont plaints de ne pas avoir été intégrés plus tôt au dispositif, en raison de ce déport sur le 15 au début, avant qu'on ne fasse marche arrière. Il y avait aussi le fait qu'ils étaient sous-équipés, peut-être une crainte des patients. Que pensez-vous de la place de la médecine de ville dans le dispositif ?
Qu'en est-il de la rupture de soins ? Lors d'une audition précédente devant la commission des affaires sociales, vous nous aviez dit qu'il semblerait qu'il y ait des chiffres d'arrêts cardiaques supérieurs à la normale en région parisienne. Avez-vous ces statistiques sur des ruptures de soins, ou l'impossibilité de joindre les services d'urgence ? Sentez-vous une reprise de l'activité en milieu hospitaliser pour pallier ces difficultés liées à la rupture de soins ?
En Île-de-France, aviez-vous une gradation dans l'orientation des patients par rapport aux établissements hospitaliers, AP-HP ou autres, en fonction des capacités de ces établissements à recevoir les malades selon la gravité du cas ? Certains services sont plus spécialisés que d'autres. Comment était faite cette orientation ?
Les directeurs de l'ARS d'Île-de-France et de l'AP-HP hier nous ont dit qu'ils avaient un plan en cas d'énorme surcharge, et qu'ils auraient peut-être réduit les critères d'admission en urgence et en réanimation, mais qu'ils ne l'ont jamais fait, car le point de rupture n'aurait pas été atteint. Le confirmez-vous ?
Les médecins de ville nous ont dit qu'ils avaient un standard dédié réservé aux professionnels pour demander des hospitalisations, mais avec des temps d'attente parfois considérables, de 40 ou 45 minutes.
Colonel, dans votre note, vous dites que les préfets semblent avoir été relégués au second rang dans la gestion de la crise, en raison d'une absence de dialogue avec les ARS, et que la gestion de la crise n'a pas été homogène jusqu'au 2 avril, lorsqu'il a fallu préparer le déconfinement. C'est un peu comme lorsque nous faisons des textes de loi : nous n'utilisons pas certains termes, car nous devons être précis. Nous avons entendu cela sur le terrain, avant même la commission d'enquête : les liens entre ARS, directions départementales et préfet fonctionnaient parfois très bien ; dans d'autres départements, ces structures étaient totalement séparées et il n'y avait pas de coordination, ce qui a été préjudiciable à l'efficacité de la prise en charge. Pouvez-vous être plus précis en nous citant des cas ? Il faut que nous puissions avoir une vision, département par département, sur la manière dont les choses se sont passées, si nous voulons remédier aux difficultés.
Nous avons bricolé. Nos jeunes étudiants se sont mobilisés, ils ont beaucoup appris, en ont été satisfaits. C'était une expérience, mais elle s'est faite aussi sur le dos des patients, malgré la formation et l'encadrement. Nous avons propulsé en première ligne, brutalement, des gens de bonne volonté, plus ou moins jeunes. Ainsi, nos collègues biologistes affectés en régulation étaient d'abord un peu inquiets. Puis ils se sont rendu compte que c'était beaucoup de bon sens parce qu'il y avait un tri des appels. Ils prenaient les appels peu graves, et ils bénéficiaient de nombreux conseils. Ils ont donc repris confiance.
La centralisation par les ARS est une catastrophe au niveau régional : la médecine de ville n'a pas été utilisée. Actuellement, dans mon département, il y a un foyer de covid à Saint-Ouen. C'est l'ARS qui veut tout organiser. J'étais de garde au SAMU, en salle de régulation à Bobigny, au moment du problème, et personne ne nous a prévenus ! Alors qu'il existe un « bruit de fond » avec de nouveaux malades, dont quelques-uns en réanimation, il faut s'appuyer sur nos collègues de la ville, et non sur un système administratif centralisé. Il faut leur donner les moyens de faire les tests et les dépistages. Ce sont eux qui connaissent les familles qui sont dans les quartiers. Je suis assez direct : dans les ARS, ils remplissent un tableau Excel, mais une fois étudié, l'épidémie est déjà passée à un stade plus avancé... Cela nous a mis en colère. Sur la gradation de l'orientation des patients, je vous le dis clairement : vous avez entendu M. Rousseau et M. Hirsch, mon directeur général. Ils n'étaient pas sur le terrain. Nous étions en rupture : nous avons retardé la prise en charge de patients. Or tout retard à la prise en charge entraîne une surmortalité. Nous n'avions pas la capacité de mettre les patients immédiatement en réanimation, donc on les amenait dans les services d'urgence, en attendant de voir comment ils évoluaient, alors qu'ils auraient été beaucoup mieux dans un lit de réanimation.
Ensuite, on nous a imposé de manière autoritaire les TGV sanitaires. Il fallait le faire dans le Grand Est, mais l'Île-de-France est une des plus grandes métropoles mondiales ; nous avions des locaux vides dans les hôpitaux. Il aurait été intéressant de discuter avec nous de la stratégie : faut-il faire des TGV sanitaires, ou plutôt transférer du personnel et du matériel dans des locaux qu'on peut aménager très rapidement, que ce soit à l'Hôtel-Dieu, ou à l'hôpital Jean-Verdier dans mon département ? L'Assistance publique a voulu accélérer l'ouverture d'un nouveau bâtiment à l'hôpital Henri Mondor, mais c'était trop tard, il n'a pas servi. Durant une situation de crise, il faut faire confiance aux professionnels sur le terrain. Nous nous sommes organisés entre nous, avec les collègues de la ville et les pompiers localement. Nous savions ce que nous avions à faire.
Je m'inscris en faux avec un élément du rapport de la Fédération des sapeurs-pompiers. Nous avons utilisé les moyens du secteur privé à but lucratif. Le problème de ce secteur, n'en déplaise au président de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHF), M. Lamine Gharbi, c'est qu'ils ont fait le choix de concentrer leur activité sur l'ambulatoire. Il y avait donc très peu de lits de réanimation, et ceux-ci ont été vite pleins. Nos collègues ont ouvert des lits dans leurs salles de réveil ou leurs blocs opératoires, mais dans un environnement et avec des techniques souvent limités. Ils ont donc été utilisés pour des malades intermédiaires.
J'insiste sur le manque d'anticipation en raison d'une chaîne de décision très longue. Les ARS sont très loin du terrain, et les délégations territoriales ont très peu de pouvoir de décision et de moyens. Bien sûr, certains délégués territoriaux nous ont beaucoup aidés parce qu'ils étaient débrouillards, mais le mode de fonctionnement et d'organisation des ARS fait que tout remonte vers le directeur général, qui décide de tout, alors qu'il est très loin du terrain. Nous avons toujours été en retard d'un TGV, toujours été en difficulté.
Nous sommes inquiets pour la suite des événements. Il y a quinze jours, j'ai reçu une note de l'équipe d'hygiène de mon établissement m'indiquant que, alors que nous sommes en période d'activité normale, il y a des tensions sur les gants. On nous indique donc que les gants doivent être utilisés pour tel type de gestes, et pour le reste, on se lave les mains... Fin janvier, l'équipe opérationnelle d'hygiène expliquait que les soignants devaient porter systématiquement les masques FFP2. Un mois après, on nous disait que le masque chirurgical suffisait... Cela nous a fortement irrités. Il ne faut pas rosir la situation ; nous avons fait des choses fantastiques, certes, mais l'hôpital n'a pas tenu, contrairement à ce que certains collègues en responsabilité disent. Notre pays a eu une mortalité aussi élevée parce que nous avons toujours été en retard pour mener cette bataille.
Nos renforts sont constitués bien évidemment de personnels médicaux et de santé. Des professionnels de ville sont venus - médecins, quelques dentistes, des infirmiers, kinés, sages-femmes, etc. - avec une formation complète. Nous avons aussi eu recours à des étudiants en médecine ou d'instituts de formation en soins infirmiers (IFSI). Avant la crise, j'avais justement discuté avec mon directeur de département de la possibilité de constituer une sorte de réserve opérationnelle pour faire face aux épidémies de grippe. Ce n'était pas la bonne épidémie, mais nous avions commencé à réfléchir à ce sujet... Nous allons continuer à le faire pour former toutes ces personnes. Il a fallu du compagnonnage, et bien évidemment, nous n'avons pas transformé des étudiants en médecine ni des élèves infirmiers en ARM. Nous leur avons fait faire des tâches tout à fait spécifiques. Un encadrant pouvait en avoir quatre sous sa responsabilité, ce qui permettait de démultiplier les actions. Bien sûr, on ne peut pas créer des ARM en claquant des doigts, je partage la vision du colonel. En revanche, nous sommes capables de monter en charge en divisant les tâches pour répondre aux besoins. L'important serait de pouvoir maintenir cette réserve opérationnelle pour faire face à des situations de tension, qui reviennent très régulièrement. Si nous pouvions maintenir cette réserve opérationnelle en la faisant participer un peu à nos activités tout au long de l'année, cela nous permettrait de monter en charge encore plus vite que cette fois-ci.
Je n'ai pas grand-chose à dire sur les cliniques. Elles ont participé et sont montées en charge. En raison de pratiques qui n'étaient pas quotidiennes, nous avons essayé de mettre les patients aux bons endroits : nous n'allions pas prendre de risques ni pour les équipes médicales ni pour les patients. Mais ils ont été présents.
Sur la médecine de ville, je parlerai de mon département, la Seine-et-Marne, le plus pauvre de France en couverture sanitaire libérale, et pourtant le plus grand département d'Île-de-France, étendu sur 52 % de sa superficie. Nous avons travaillé avec les médecins libéraux et ils ont beaucoup donné, mais ce travail n'était pas simple. Dans le contexte actuel, les médecins libéraux se réorganisent, avec des dispositifs d'appui à la coordination et des organisations comme les Unions régionales des professionnels de santé (URPS). Cela a été difficile pour eux comme pour nous de nouer des interactions. Nous avons mis un peu de temps à trouver des interlocuteurs. Espérons que leur structuration nous aidera dans les prochains mois pour avancer collectivement.
Nous n'avons pas de chiffres sur les arrêts cardiaques, à voir dans les mois et années à venir... Nous avons le sentiment que les patients qui se sont présentés aux urgences après le confinement, qui avaient des maladies chroniques, étaient dans un état plus grave qu'avant la crise, car certains ajustements de traitement ont été faits moins facilement. Mais on parle de ressenti, et je suis très prudent.
L'activité a repris au même niveau qu'avant la crise : nous avons le même niveau de passage et les mêmes profils. Nous avons désormais des outils prédictifs assez intéressants qui ont été développés dans la région. Quelques indicateurs de tendance comme le taux de dyspnée - des difficultés respiratoires -nous aident à prévoir une augmentation des hospitalisations et leur durée ; nous pouvons ainsi anticiper et avoir un peu de prédictibilité sur notre organisation.
Pour le tri, nous avons fait notre métier de SAMU. Nous avons utilisé les plateaux techniques, et mis les patients les plus graves dans des unités de grosse réanimation spécialisées, et les patients intermédiaires allaient dans des lits de réanimation avec un plateau technique moins important. Nous essayions bien évidemment d'avoir cette lucidité pour ne pas laisser échapper des problèmes d'infarctus ou de vessie qui continuent à arriver. Tout cela n'a pas été facile, mais nous avons réussi à le faire dans des conditions pas trop mauvaises.
La prise en charge a évolué durant la crise : les traitements ont évolué, de même que le recours à des techniques invasives comme l'intubation. Actuellement, on sait que nous avons intérêt à retenir un peu, au bénéfice des patients. Comparer certaines périodes durant la crise est un jeu un peu dangereux, car il faut regarder en détail, en fonction des connaissances connues à tel ou tel moment.
Sur les préfets, je laisserai mon collègue répondre. Dans mon département, nous avions un point quotidien avec le préfet et l'ARS, et les choses étaient suivies. La mise en place de renforts de l'éducation nationale, des territoires, des protections maternelles et infantiles (PMI) a été organisée en lien avec l'ARS et la préfecture. Cela a mis un certain temps, mais nous a rendu de vrais services. On peut sûrement améliorer le dispositif.
Je proposerai également à M. Vermeulen de répondre sur les associations agréées de sécurité civile et au médecin-colonel Hertgen d'intervenir sur la médecine de ville.
M. Dolveck a raison : les gens ont été formidables, ils ont donné le meilleur d'eux-mêmes, mais doit-on pour autant tomber dans l'autosatisfaction, ou doit-on se poser la question d'un fonctionnement qui aurait pu être anticipé, préparé, afin de faire les choses dans la simplicité et la sérénité ? Un plan Pandémie avait été rédigé ; il n'a pas été suivi. Comparons ce plan à la réalité, cela permettra de voir les différences entre l'objectif fixé et ce qu'on a dû réaliser sur le terrain.
Oui, il nous a semblé avoir été écartés et les préfets n'ont probablement pas joué le rôle qu'ils auraient dû et pu jouer - c'est une perception, d'où le terme « semble ». Le Sénat, c'est la chambre des territoires. Les sapeurs-pompiers sont sur les territoires, issus du territoire, et ils répondent aux territoires au quotidien. Lorsqu'ils ne sont pas sollicités, c'est que le préfet n'en a pas la directive ou n'en a pas la capacité. Vous comprenez ce que je veux dire. Mon collègue du SAMU fait chaque fois référence à son département ; j'ai tenté de ne pas le faire, car nous portons la voix de nos collègues à l'échelle nationale. Je suis dans un département où le siège de la préfecture correspond exactement au siège du délégué territorial de l'ARS, qui a un passé dans l'administration territoriale de l'État. Ce département n'est donc pas l'exemple de ce que nous portons dans notre rapport, car cela s'est formidablement bien passé, dans l'ensemble. Mais ce n'est pas la réalité de ce qui s'est passé dans d'autres départements, car certains délégués territoriaux de l'ARS n'étaient pas préparés à gérer la crise parce que le préfet n'avait pas de consignes particulières et que c'était le ministère de la santé qui gérait... La crise a été vécue différemment, avec des implications individuelles différentes. Mais la gestion de crise doit-elle répondre à des capacités individuelles et relationnelles ou être programmée et planifiée ? Au quotidien, notre personnel travaille régulièrement, planifie, répète les fondamentaux pour pouvoir être très performant lorsque la situation l'exige.
Il n'y a pas de guerre entre les sapeurs-pompiers et les associations agréées de sécurité civile ; ce sont des bénévoles, avec lesquels nous avons l'habitude de travailler. Souvent, il y a une porosité avec les bénévoles des associations de sécurité civile, qui sont également parfois sapeurs-pompiers volontaires chez nous.
Cela a été dit : il y a eu plusieurs phases dans cette crise de la covid-19. Juste avant le confinement, une explosion de la sollicitation a amené les sapeurs-pompiers, comme d'autres acteurs, à augmenter leurs capacités opérationnelles pour répondre à cette sollicitation et aux besoins de la population. Puis il y a eu les effets de la covid et du confinement qui ont modifié, de manière très importante, la mobilisation des SDIS. Comme notre activité est essentiellement liée à l'activité humaine, nous n'intervenions plus sur des accidents de circulation, nous ne faisions plus d'opérations diverses, nous avons diminué notre activité contre l'incendie et les sollicitations classiques pour secours aux personnes se sont réduites. Lorsqu'au niveau de la fédération, on voit que les associations de sécurité civile ont été employées au moment où il y avait une réduction de l'activité dans les services d'incendie et de secours, nous nous interrogeons : pourquoi avoir empêché des bénévoles de respecter le confinement et les avoir exposés au virus, alors même que nous avions des effectifs disponibles dans les centres de secours, du fait de la diminution de la sollicitation ?
Si l'on va plus loin, et cela a été dit, on ne connaissait pas les conséquences de la covid-19 sur nos effectifs. Nous aurions très bien pu avoir des effectifs malades, et à partir de là, nous nous serions potentiellement privés d'une réserve qui aurait pu nous suppléer, le cas échéant, ou si arrivait une seconde vague. Je ne fais pas de procès d'intention sur le fait d'utiliser ces associations en lieu et place des sapeurs-pompiers, mais si dans tous les départements, des points avaient été réalisés sous l'égide du préfet, les sapeurs-pompiers auraient pu dire qu'ils avaient des disponibilités. On aurait alors pu voir les choses autrement.
J'apporterai un complément sur la surmortalité en raison d'arrêts cardiaques. Je n'ai, pas plus que M. Dolveck, de réponse objective sur les chiffres. Mais nous observons que dès lors qu'on construit un système de gestion des appels d'urgence , qui depuis des décennies - les années 1980 - entend recevoir des appels d'extrême urgence et de situations vitales, et que dans le même temps on prend le même numéro, le 15, pour des motifs liés à des chiffres d'activité, on s'attend à recevoir de plus en plus de sollicitations pour des demandes de soins non programmés et on s'expose à une saturation de la réponse. On peut s'autosatisfaire en se disant qu'on s'est débrouillés, et je ne doute pas que tous les sapeurs-pompiers et les professionnels de santé ont travaillé du mieux qu'ils ont pu, de toutes leurs forces, avec la plus grande conviction. Je suis à la fois sapeur-pompier et médecin, j'ai ces deux qualités et refuse de les opposer dos à dos.
Mais le système qui amène au 15 à la fois des urgences vitales et une demande de soins conduit à sa surcharge. Et c'est ce que nous avons observé tous les jours, tous les ans, en temps normal. Les délais de décrochage du 15 sont le plus souvent incompatibles avec le traitement d'une détresse immédiate. Pour une telle détresse immédiate, il faudrait décrocher au maximum dans les 30 secondes : c'est l'American Health Association qui l'indique pour la prise en charge de l'arrêt cardiaque. Un bon système, c'est décrocher en 15 secondes ; la pire performance acceptable, c'est 30 secondes. Si on prétend recevoir des appels pour les urgences immédiates ou vitales, typiquement pour l'arrêt cardiaque ou d'autres détresses immédiates, on se met en capacité de tenir ces performances. Soit on prétend faire un travail beaucoup plus large d'accès aux soins, et alors il faut avoir d'autres prétentions. Mais on ne peut pas faire les deux à la fois. Cela a été démontré. Nous avons observé des délais moyens extrêmement élevés, comme un délai maximum d'attente de 12 minutes et 40 secondes à Paris durant le mois de mars. Nous ne prétendons pas que les personnes s'amusent à laisser sonner, mais le système a conduit à cela. Ce système a été construit par des personnes qui étaient déjà aux affaires dans les années 1980. La doctrine des SAMU en France est conduite par d'éminentes personnalités, aux affaires depuis 40 ans. Il ne faut pas s'étonner qu'aujourd'hui nous ayons un système obsolète ou une concentration de la doctrine qui reste figée dans les années 1980 pour des motifs qui tiennent à une volonté d'entre-soi plutôt qu'à une volonté de travailler ensemble. Partout où il y a eu des plateformes communes, où les moyens ont pu être mutualisés, les performances étaient meilleures.
On entend souvent dire qu'on ne peut pas donner aux citoyens la responsabilité de qualifier la gravité de leur situation, et que les conduire à choisir, ce serait les exposer au risque de passer à côté d'un infarctus avec une douleur atypique ou de l'accident vasculaire cérébral avec un signe qui semblerait bénin. Il est tout à fait faux d'affirmer que ce serait une perte de chance. Le professionnel de santé connaît son métier et saura réorienter si quelque chose de suspect l'intrigue. C'est fait tous les jours par les standards de SOS Médecins et bien d'autres.
Je ne sais pas dénombrer la surmortalité, mais il y a eu des délais totalement incompatibles avec la prétention à recevoir des appels pour des urgences immédiates, et non pas un jour ou deux, mais durant plusieurs semaines. Il y a une forte responsabilité non pas de ceux qui ont décroché en mars ou en avril, mais de ceux qui, depuis des décennies, maintiennent ce système, je pense, en toute connaissance de cause, pour des raisons d'entre-soi.
Je suis perplexe car j'ai entendu le colonel Allione refuser une guerre entre rouges et blancs, mais qu'est-ce que serait une guerre en entendant vos propos - l'apocalypse ?
Le président Milon vous a posé des questions précises. Votre réponse, c'est qu'il s'agissait d'un document de travail qui n'était pas validé. Pourriez-vous préciser si vos constats ont été faits par des pompiers, oui ou non ? Il faut revenir aux faits avant de refaire une construction politique qui va jusqu'au ministère. La population a le droit d'avoir des réponses à des questions simples.
Messieurs Dolveck et Prudhomme, avez-vous été appelés pour prendre en charge des personnes âgées en Ehpad ayant des symptômes de covid et qui nécessitaient une hospitalisation, et qui n'auraient pas été hospitalisés ? M. Dolveck a donné un chiffre terrible de la mortalité dans ces établissements, qui a été réduit après l'intervention du SAMU. Ces interventions ont-elles eu lieu sur instruction ou sont-ce des initiatives locales ?
À votre connaissance, en France, en mars et avril, est-on mort, oui ou non, d'un défaut de soins ?
Lors d'auditions précédentes, nous nous sommes interrogés sur d'éventuelles pénuries de médicaments. Avez-vous eu connaissance de cas de réduction de l'usage des médicaments en réanimation, par exemple où l'on n'aurait pas utilisé des sédatifs en continu, mais seulement lors de la mobilisation des patients ? Y a-t-il eu, oui ou non, des pénuries de pousse-seringues qui auraient conduit à mélanger différents produits dans ceux-ci ?
Est-ce que des personnes qui auraient été admises en réanimation, hors période de cette pandémie, ne l'ont pas été ?
Je ne me permettrai pas de répondre sur la réanimation ou les médicaments, n'étant pas en capacité de le faire.
Les sapeurs-pompiers et la fédération ont publié un rapport dans lequel nous avons vérifié toutes les remontées de terrain. C'est exactement ce que nous percevons, ce que nous savons et avons constaté. Si demain vous me demandez à quel endroit il y a eu pression sur la diminution du niveau de sécurité, tel taux de réponse aux appels ou telle intervention, je pourrai vous répondre. J'ai cité trois exemples factuels.
Dans le pré-rapport, nous indiquions qu'il y aurait pu y avoir moins de morts si les délais de réponse avaient étaient autres. Mais cela, même nos collègues médecins ne peuvent pas le mesurer. Ce n'est pas les petits sapeurs-pompiers que nous sommes qui pourront vous le donner, avec beaucoup d'humilité.
Nous avons voulu faire un retour d'expérience, car nous avons constaté qu'il y avait eu des manquements au respect de tout ce qui avait été programmé et écrit. Tout cela a été occulté. Nous souhaitons justement tout mettre en oeuvre pour mieux répondre à nos concitoyens.
Je vais répondre sur les Ehpad. Lorsqu'on est en situation de crise ou de guerre, c'est à peu près toutes les 7 secondes ce que nous vivons. Je ne souhaitais pas utiliser cette métaphore, mais quand un chef d'agrès de fourgon pompe-tonne se retrouve devant une façade où il y a le feu dans deux appartements, et que dans l'un vous avez une personne de 30 ans avec son enfant dans les bras, dans l'autre une personne âgée, et que vous n'avez qu'un seul vecteur aérien, où est-il marqué qu'il doive disposer l'échelle à tel ou tel endroit ? Qui sauver en premier ? Or c'est le travail de nos chefs d'agrès au quotidien... C'est la même chose pour les Ehpad. En temps de guerre, nos officiers et sous-officiers répondent à des situations tactiques dramatiques. Mais la position n'est écrite dans aucun livre. Devant le juge, régulièrement, nous répondons aussi de nos actes. C'est cela, une situation de crise ou de guerre.
Je vais reprendre les phrases que j'ai citées tout à l'heure pour essayer d'avoir des réponses plus précises de votre part aux questions de M. Jomier et aux miennes.
Vous avez écrit qu'il y aurait eu des « pressions sur les territoires en tension pour abaisser le niveau de protection de leurs agents » ; que des « requérants non-covid en situation d'urgence vitale n'ont jamais eu de réponse du 15 à leurs appels et sont morts dans l'indifférence générale » ; et que les évacuations par TGV seraient de « pures opérations de communication ». Cela n'a pas seulement été dit, mais écrit dans un rapport. Contestez-vous ces écrits, ou les assumez-vous ? Les assumer, cela veut dire que les personnes accusées pourront se défendre. La réponse que vous avez faite à Bernard Jomier ne me satisfait pas, personnellement.
Je vous ai répondu de manière très claire. J'ai l'impression que vous voulez que j'assume ces écrits, ce qui ne sera pas le cas, car ils ne figurent pas dans la version finale. Le document de travail a permis à 250 000 personnes de s'exprimer, notamment au travers de l'ensemble des commissions que nous avons. Je ne peux pas assumer un travail dont la rédaction est perfectible. En revanche, oui, il y a eu pression dans les territoires. Oui, il y aurait pu avoir des morts. Mais mes collègues médecins n'ont pas pu y répondre, je n'aurai pas l'outrecuidance de prétendre y répondre.
Sur les opérations de communication et notamment les TGV, je me suis exprimé de manière exhaustive et précise. Oui, il y a eu certainement une volonté de communiquer sur ces opérations de transferts de malades, alors qu'il y avait certainement d'autres possibilités plus habituelles et opérationnelles, mais moins glitter, comme on dit en communication...
Effectivement, la première version du rapport était assez agressive ; des précisions ont été apportées.
Je partage complètement ce qui a été dit sur les opérations d'évacuation par TGV. C'était une opération de communication. Il s'agit de mon travail au quotidien : lorsque vous voulez transférer un malade avec des pousse-seringues une première fois dans une ambulance, puis dans un TGV - qui n'est même pas un TGV sanitaire -, c'est du bricolage... Mieux aurait valu organiser des convois d'ambulances. Si effectivement la stratégie était de poursuivre ces évacuations, j'ai clairement affirmé, avec le soutien d'un certain nombre d'élus locaux, dont la Ville de Paris, qu'il y avait une autre possibilité, à savoir de réarmer des locaux hospitaliers existants. J'ai même affirmé aux sénateurs qui m'ont interrogé, il y a quelque temps avec mon collègue, Gérald Kierzek, que Martin Hirsch a menti lorsqu'il avait prétendu qu'on ne pouvait pas utiliser les locaux de l'Hôtel-Dieu, parce que les fluides n'auraient plus été fonctionnels. J'ai demandé à des collègues d'aller vérifier. Ces fluides étaient toujours disponibles.
Ce n'était pas ma question, et vous avez déjà abordé ce point. Il serait temps de répondre directement.
D'accord. Mais il y a, lors d'un transfert vers un lit de réanimation, un risque lié au retard de prise en charge.
Des retards, je l'ai dit et je le répète, il y en a eu, lorsque nous devions prendre en charge un patient et que nous étions en difficulté pour trouver un lit de réanimation, en dépit de la mise en place d'une cellule dédiée. Le fait que ledit patient doive s'arrêter dans un service d'urgence en attendant que la place soit libre en réanimation, laquelle pouvait se trouver à 50 kilomètres de distance, a entraîné des risques pour ce malade. Statistiquement - des données françaises et internationales ont été publiées sur ce sujet, notamment une étude pilotée par le CHU de Poitiers -, on sait que tout retard de prise en charge en réanimation d'un patient nécessitant ce type de technicité représente une surmortalité de 30 %. Il faut être clair, nous avons travaillé en mode dégradé en faisant ce que nous pouvions.
Pour ce qui concerne les Ehpad, nous nous sommes arrêtés au fil de l'eau. Mais initialement, il y avait peu de places en réanimation. Nous avons donc eu tendance, en observant le rapport bénéfice/risque, à laisser un certain nombre de personnes dans ces établissements qui disposent d'oxygène et peuvent faire des prescriptions, plutôt que de les transférer à l'hôpital. Nous étions en effet en surcharge.
Ensuite, comme l'a dit mon collègue, heureusement qu'un certain nombre de collègues médecins de ville et hospitaliers se sont rendus dans les Ehpad ! Grâce à eux, la médicalisation n'y a jamais été meilleure. C'était fantastique : des médecins examinaient les patients et faisaient de la vraie médecine. Il était ainsi décidé, lorsqu'il existait des directives anticipées et parce que c'était le choix de la famille, de soulager tel patient et de le laisser en Ehpad ; tel autre était envoyé en réanimation... Voilà comment nous avons travaillé. Mais, dans un premier temps, nous avons dû freiner la prise en charge des patients en Ehpad parce que nous n'avions pas assez de lits de réanimation. Ce retard à la prise en charge est grevé d'une surmortalité.
S'agissant des médicaments, vous avez pu lire les directives adressées nationalement. Sur les sédatifs, nous étions en difficulté ; nous les avons donc remplacés par d'autres médicaments, certes moins maniables, mais cela n'a pas entraîné une dégradation catastrophique de la prise en charge. Nous avons essayé de faire comme nous pouvions, en bricolant avec les moyens du bord.
Nous étions à la limite pour les respirateurs. Un respirateur de secours d'urgence ou disponible dans les véhicules du SAMU, que l'on utilise pour ventiler un patient, n'est pas un respirateur de réanimation idéal lorsque les poumons sont très dégradés.
Je ferai une petite incise, à propos d'une autre opération médiatique. Dans mon service, nous mettons aujourd'hui au rebut les respirateurs qui ont été construits pour servir de matériel de secours, car ils sont obsolètes. On a beaucoup communiqué en disant qu'on allait fabriquer 10 000 respirateurs ; or ceux-ci ne sont pas faits pour équiper des lits de réanimation...
Lors d'un retour d'expérience, il peut y avoir controverse sur un certain nombre d'éléments et on peut ne pas être d'accord. Mais il faut avoir la volonté d'aller jusqu'au bout de la controverse pour, à un moment donné, trancher. Je ne dis pas que j'ai raison sur tout ; je suis pour que l'on mette sur la table l'ensemble des dysfonctionnements qui se sont produits pendant cette période, afin que l'on puisse s'améliorer par la suite.
Je terminerai sur le problème des lits de réanimation. Monsieur Jomier, chaque hiver dans mon SAMU d'Île-de-France, j'ai du mal à trouver des places de réanimation pour les personnes âgées qui viennent des Ehpad. Cela ne se produit pas seulement durant la crise ! Des collègues réanimateurs me disent : « Cette personne de 85 ans, mets-la aux urgences et puis on verra. » Quant à moi, en tant que médecin, je considère qu'au regard de son dossier et d'une analyse de la situation, il faut la placer en réanimation, même si l'on doit voir par la suite comment évoluera son état. Or nous n'avons pas suffisamment de lits de réanimation ! Nous sommes donc obligés, chaque hiver, de mettre en attente dans les services d'urgence des patients qui, parfois, partent en réanimation deux, trois ou vingt-quatre heures plus tard. Entretemps, leur état s'est dégradé : cela s'appelle une perte de chance.
Les questions sont nombreuses. Je vais reprendre deux points évoqués auparavant.
L'exemple cité, dans lequel un choix a été effectué entre une personne jeune et une personne âgée, me met assez mal à l'aise. L'organisation a été mise en place au vu des connaissances médicales qui existaient à un moment donné. Or nous avons tous pu constater que ces connaissances avaient évolué au fur et à mesure du temps.
C'est vrai, on nous a tous expliqué au début de la crise que la mortalité était quasiment de 100 % pour les patients âgés atteints de la covid. Je ne ferai pas de commentaires sur cet aspect-là. Nous avons donc appliqué, collectivement, ce qu'on nous disait. Dans le mode de fonctionnement normal et quotidien - aujourd'hui, ce matin, cette nuit comme demain -, un tri est fait pour déterminer quels patients doivent aller en réanimation. Au vu de nos connaissances de la maladie, nous avons tous fait collectivement, avec l'immense bienveillance dont nous pouvions faire preuve, un tri d'accès en réanimation.
L'état de nos connaissances a changé brutalement, en raison des visites que nous-mêmes et certains collègues médecins de ville avons effectuées dans les Ehpad. Lorsque vous expliquez à une équipe d'urgentistes : « Cet après-midi, il faut arrêter la médecine d'urgence et le SMUR, et faire des visites en Ephad parce qu'il se passe des choses que l'on ne comprend pas », il y a des réactions de surprise, et il faut accompagner ces équipes. Le retour que nous avons eu était le suivant : « On est très étonnés parce que cela ne s'y passe pas tout à fait comme on l'avait prévu. » Il a donc fallu s'adapter. Ce constat ayant été partagé, nous avons écrit des recommandations, au début locales, qui sont devenues régionales puisque nous les avons transmises à l'ARS et à l'ensemble des partenaires. Cela s'est fait selon un process assez vertueux de prise en charge.
Il n'y a jamais eu, à ma connaissance, de décision de refus au motif que « ce n'était pas possible ». Lorsque nous étions amenés à dire à un patient qu'on ne l'enverrait pas en réanimation et qu'on allait plutôt le laisser dans son Ehpad, en l'accompagnant pour qu'il aille mieux, nous le faisions au vu de la connaissance scientifique dont nous disposions à ce moment-là, et de ce qui était considéré collectivement comme étant la meilleure solution. J'insiste sur cette démarche parce qu'elle est vraiment importante et permet de répondre, certes longuement, à la question posée.
Un changement étant intervenu dans l'état des connaissances, nos pratiques ont changé et nous avons envoyé aux urgences et accepté en réanimation davantage de patients. Y a-t-il eu un décalage entre deux périodes ? La réponse est oui. Ce décalage était-il lié à un changement d'avis de notre part ? La réponse est non. Simplement, les niveaux de connaissances n'étaient pas les mêmes.
Concernant la pénurie de matériel, je suis un mauvais expert. On en a beaucoup parlé : oui, nous avons manqué globalement de respirateurs et il n'a pas été simple d'en obtenir. Oui, nous avons demandé à des sociétés installées à proximité des hôpitaux et disposant d'imprimantes 3D de nous fabriquer des raccords, notamment, et cela fut assez compliqué. Avons-nous utilisé toutes les drogues auxquelles nous avons recours habituellement, au quotidien, pour tous les patients ? La réponse est non. Nous avons utilisé des drogues anesthésiques qui permettaient d'obtenir des sédations de qualité.
Est-ce que nous étions proches des limites acceptables ? Oui, sûrement ! Néanmoins, les réserves opérationnelles, localisées dans quelques établissements de la région, étaient disponibles pour les services de réanimation et les SAMU ; elles ont été mises à notre disposition, mais n'ont pas été touchées.
Les nombres des morts et des arrêts cardiaques sont deux sujets différents. Le fait qu'il y ait davantage d'arrêts cardiaques est un sujet, le fait qu'il y ait eu des morts par déficit de prise en charge en est un autre. Je préfère le dire, parce que ce n'est pas la même discussion.
Je me permets de terminer mon propos en disant que je suis un peu choqué de points de vue qui ont été exprimés vis-à-vis de certains de mes collègues. Je vis certainement un quotidien d'une autre nature - je crois que nous ne devons pas personnaliser les difficultés, quand nous évoquons la gestion de cette crise nationale.
Je remercie les uns et les autres pour leur franchise. En ce qui me concerne, je n'ai pas noté de personnalisation particulière dans les remarques ou les critiques qui ont été faites. Je suis membre d'une commission d'enquête et il est normal que nous approfondissions nos questions au fur et à mesure de nos auditions. En tout cas, cette table ronde est moins « ronronnante » que celle d'hier avec les directeurs généraux de l'AP-HP et de l'ARS d'Île-de-France - il n'y avait aucun esprit critique, aucune remise en cause !
J'ai d'ailleurs apprécié ce qui a été dit à l'instant sur les transferts ; j'ai moi-même posé une question hier sur le risque de perte de chance qu'ils pouvaient entraîner dans certaines situations et je me suis fait tancer pour avoir osé poser une telle question, alors que c'est évidemment une question très importante pour l'avenir. Nous devons éviter que des erreurs ne soient commises - tel est aussi notre rôle. Chaque région a connu des réalités différentes, mais il existait des solutions alternatives, le docteur Prudhomme en a parlé, comme la possibilité d'utiliser d'autres locaux pour accueillir des patients.
Vous avez beaucoup parlé les uns et les autres des tensions qui existaient à l'hôpital en termes de personnels et de lits, notamment en réanimation. Pour tirer les enseignements de ce que nous avons vécu et faire face aux tensions qui ne manqueraient pas de réapparaître en cas de rebond de la pandémie, rebond que je ne souhaite évidemment pas, ne faudrait-il pas anticiper et rouvrir des lits ? J'ai posé cette question hier à M. Hirsch qui m'a répondu de manière moins agressive que d'habitude que cela pouvait s'envisager d'un point de vue médical - en ce qui me concerne, je trouve que ce type de question devrait toujours s'envisager d'un point de vue médical, pas d'un point de vue comptable... Qu'en pensez-vous ?
Ensuite, vous avez parlé, docteur Dolveck, des groupes multidisciplinaires qui sont intervenus dans les Ehpad. C'est effectivement une réponse intéressante. Ne pourrions-nous pas élargir cette idée en dehors de tout contexte de crise ? Lorsqu'un établissement ou un service est fermé, on nous avance souvent l'argument du manque de personnel et de la nécessité de « fédérer les énergies ». Des équipes multidisciplinaires comme celles qui sont intervenues dans les Ehpad durant la crise ne pourraient-elles pas pallier ce fameux manque de personnel dans l'attente de l'embauche de nouveaux agents, ce qui éviterait des fermetures d'hôpital ou de service ? En tout cas, il me semble que cela pourrait améliorer les choses.
Ma troisième question s'adresse plutôt au colonel Allione, qui a parlé d'un commandement unique. Jusque-là, nous avons plutôt eu l'impression que, durant la crise, soit il n'y avait pas de pilote dans l'avion, soit il y en avait trop ! Du coup, l'avion a eu du mal à prendre son envol... Vous avez pris comme référence la crise de 2011, c'est-à-dire un commandement sous l'autorité du ministre de l'intérieur, donc du Premier ministre. Pouvez-vous préciser votre pensée sur ce sujet ?
Beaucoup de personnes âgées vivent seules chez elles et n'ont peut-être pas compris correctement les consignes. Est-ce que les sapeurs-pompiers ont reçu des appels de leur part durant la crise, lorsqu'elles ressentaient des symptômes ou se sentaient en situation de détresse ? Il me semble que nous n'avons pas mesuré cet aspect du problème.
En ce qui concerne le numéro d'appel unique pour les urgences, je partage ce qui a été dit. J'ai d'ailleurs déposé une question écrite à ce sujet.
J'aimerais avoir des précisions concernant les Ehpad. Vous nous avez indiqué que le taux de mortalité avait été élevé dans certaines circonstances, jusqu'à 47 décès par jour d'après ce que vous nous avez dit. Au bout de combien de temps interveniez-vous ? N'aurait-il pas été possible d'anticiper davantage ? Tout le monde pouvait imaginer dès le début de l'épidémie et sans être un professionnel qu'il y aurait un problème dans les Ehpad en raison du nombre de personnes fragiles qu'ils hébergent. Ces structures nécessitent donc évidemment une vigilance particulière.
Est-ce que quelque chose dans une doctrine quelconque dit qu'on ne peut plus rien faire pour une personne de plus de 85 ans ? Il faut tenir compte du fait que la population vieillit et qu'elle vieillit en meilleure santé qu'auparavant. Certaines personnes âgées ou très âgées sont toujours en pleine forme ! Ne faudrait-il pas modifier notre regard et nos attitudes à l'aune de ces évolutions ?
Qui plus est, nombre de personnes âgées ont survécu à l'épidémie - il me semble même qu'une centenaire a survécu au covid. Dans mon département, le Lot, il y a eu un cluster : la moitié des occupants d'une résidence autonomie a été testée positive au covid ; malheureusement, certains sont décédés, mais une majorité a survécu. Je crois vraiment que nous devons nous interroger globalement sur la manière dont la société considère les personnes âgées.
Il semble, d'après ce que vous avez indiqué, que pour les crises sanitaires les postes de commandement opérationnel ne sont pas coordonnés. Faudrait-il hiérarchiser différemment les postes de commandement pour les crises sanitaires ?
Concernant les plans de continuité d'activité (PCA), avez-vous des plans différents ? Sont-ils partagés ? Comment rendre ces dispositifs plus pertinents et efficients ? Chacun sait qu'il peut exister des discordances et des incohérences à certains moments entre les différents services engagés dans la gestion d'une crise.
Enfin, faut-il selon vous modifier la loi de modernisation de la sécurité civile ? Pour le moment, les crises sanitaires ne sont pas forcément incluses dans cette loi. Comment faciliter les prises de décision ? Cette loi est l'une des seules qui évoquent l'importance des voisins. Or c'est un aspect qui s'est révélé important dans cette crise.
À force d'utiliser des termes guerriers, on en vient souvent à des crispations. Vous nous avez dit qu'il n'y avait pas de guerre entre les blancs et les rouges. Heureusement, parce qu'elle serait sûrement terrible !
Monsieur Dolveck, votre service serait revenu à un niveau quasi normal d'activité. Avez-vous aussi retrouvé les difficultés de fonctionnement que vous connaissiez auparavant ?
Monsieur Prudhomme, avez-vous déjà eu l'occasion d'évoquer tous vos griefs sur l'organisation et la régionalisation avant cette audition ? Je dois d'ailleurs dire que je les partage largement.
Enfin, colonel, que va devenir le document sur le retour d'expérience dont vous nous avez parlé ?
Madame Cohen, il ne faut pas s'étonner que certaines auditions soient ronronnantes, comme vous dites, puisque, selon le Président de la République lui-même, notre pays n'a pas à rougir de la façon dont la crise a été gérée... Fermez le ban !
Sur le fond, j'ai été très surpris quand j'ai entendu la déléguée départementale de l'ARS nous dire que le fait qu'une personne soit en Ehpad justifiait qu'elle ne soit jamais envoyée en réanimation du fait d'un rapport bénéfice-risque systématiquement défavorable. Je voulais vous demander votre sentiment sur ce point. Surtout, je voudrais savoir qui édicte une telle doctrine et qui prend concrètement la décision dans un cas précis. Quelle est la chaîne de décision, que ce soit lorsque les pompiers interviennent au domicile d'une personne âgée ou dans un service d'urgence à l'hôpital ? La doctrine a-t-elle évolué en la matière ?
On voit bien qu'il y a eu des retards en début de crise, comblés par la bonne volonté des uns et des autres. J'ai deux questions.
Premièrement, forts de cette expérience, estimez-vous que nous sommes prêts en cas de rebond du virus, qui continue à être bien présent ? Deuxièmement, que pensez-vous de l'annonce du Président de la République de rendre le masque obligatoire le 1er août prochain ?
Concernant les Ehpad, comme l'a dit mon collègue Dolveck, il n'y a pas de doctrine prédéfinie. On a couru après la crise et notre stratégie a évolué, en particulier eu égard à la question de la disponibilité des lits de réanimation. Dans la première période de la crise, on a intubé tout le monde. Et ensuite, on s'est rendu compte qu'il y avait d'autres techniques qui nous permettaient de retarder, voire de se passer de l'intubation, qui a des conséquences et qui peut générer des séquelles importantes. On a découvert cette maladie au fil du temps.
Dans les Ehpad, il y a eu un énorme retard, mais qui était prévisible. Depuis deux ans, les personnels des Ephad réclament du personnel supplémentaire. Les personnes qui sont en Ehpad aujourd'hui ne relèvent pas de l'hébergement. Ce sont des personnes qui sont pour la plupart en fin de vie : après être restées chez elles, elles passent les deux dernières années de leur vie en Ehpad, et la grande majorité d'entre elles nécessitent des soins.
Dans mon établissement, qui fait partie de l'AP-HP, avec un nombre de lits de gériatrie très important - on est d'ailleurs en train de les fermer, ce qui est dommage -, les services de longs séjours, peut-être moins confortables en termes d'hébergement et d'hôtellerie, ont eu à déplorer très peu de décès parce qu'ils étaient très médicalisés. Au contraire, dans les Ehpad, fortement sous-médicalisés - on dénonce depuis des années cette sous-médicalisation -, la mortalité a été effroyable.
Quand on a pu médicaliser - en bricolant : en Seine-et-Marne, les équipes du SAMU se sont rendues sur place ; chez nous, les équipes de médecins de ville ont travaillé en lien avec le SAMU -, on a pu prendre en charge ces personnes de manière adaptée médicalement. J'y insiste, ce n'est pas l'âge qui compte. Une personne de 90 ans à domicile, qui a un bon état général et peu de pathologies chroniques, doit être prise en charge comme une personne de 50 ans si un seul organe, comme le poumon ou le coeur, est atteint, car on sait que le pronostic est le même. C'est l'addition des pathologies qui fait que le pronostic est mauvais. Si l'on est polypathologique à 50 ans, le pronostic peut être très mauvais, alors qu'une personne de 80 ans qui a un peu d'hypertension et peut-être un peu de cholestérol rentrera chez elle, en cas d'infarctus, rapidement après avoir été traitée. Ce n'est donc pas l'âge qui compte.
Ce qui est difficile pour nous, médecins, c'est que chaque cas est particulier. Il n'y a pas de doctrine unique, on doit discuter. Le fait qu'on n'ait eu ni le temps ni les moyens de discuter a rendu la chose plus compliquée. Quand on n'a pas d'interlocuteur en Ehpad ni de collègue médecin, comment discuter du cas d'un patient, dont le dossier était souvent vide ? Il était difficile d'apprécier la situation avec une aide-soignante au téléphone. Comment, dans ces cas-là, prendre la bonne décision, sachant que chaque cas est particulier ? C'est ce qui nous a posé problème. La sous-médicalisation des Ehpad et la carence de la présence médicale et paramédicale en début d'épidémie ont entraîné cette surmortalité, qui a été absente dans d'autres pays menant d'autres stratégies. Certains collègues ont pu ne pas vouloir traiter des personnes de 85 ans, mais ce sont des cas individuels, après discussion. On essaie toujours de faire au mieux. On ne se laisse pas imposer des doctrines en vertu desquelles on prendrait toujours le même chemin en allant du point A au point B.
En ce qui concerne les personnes âgées seules, c'est un vrai problème. La téléconsultation avec une personne de 85 ans s'avère un peu compliquée. Et si ces personnes âgées sont à domicile, c'est qu'elles ne vont pas si mal que cela. Et se pose aussi un problème culturel : elles appellent plus tardivement parce qu'elles ne veulent pas déranger. Et quand elles le font, c'est souvent déjà parfois trop tard, et c'est dommage.
Vous m'avez interrogé sur le retour à la normale et à notre capacité future. Oui, l'activité redevient normale, mais avec moins de lits et moins de personnels. On ne pourra donc pas tenir, et c'est là une grande insatisfaction eu égard au Ségur de la santé. Bien sûr, les quelques avantages financiers au regard des salaires de mes collègues sont toujours bons à prendre, mais il n'y a rien sur les effectifs ni sur l'organisation, dont les lits de réanimation.
De plus, on connaît aujourd'hui une polémique entre deux catégories de médecins : les anesthésistes-réanimateurs et les réanimateurs médicaux. Il y a une guerre de pouvoir entre eux : les premiers font maintenant beaucoup d'anesthésies et peu de réanimation alors qu'existe une nouvelle spécialité, les réanimateurs médicaux.
Les anesthésistes-réanimateurs disent qu'ils ont réussi à mettre en place des réanimations éphémères et qu'il n'y a pas besoin d'augmenter le nombre de lits de réanimation : en cas de crise, ils rouvriront les lits de réanimation, comme cela s'est fait. Sauf que la prise en charge n'a pas été optimale.
La situation est la suivante : la population est vieillissante, le nombre de lits de médecine a diminué, le nombre de lits de réanimation n'a pas, à proprement parler, diminué, mais on ferme des unités de réanimation et on concentre les lits dans les grosses unités, ce qui pose problème quand il faut doubler le nombre de lits dans une unité : moins il y a d'unités, moins on peut doubler le nombre de lits. Dans certaines régions, comme la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA), on ferme toutes les petites unités de réanimation des hôpitaux de proximité, mais, pour autant, on ne peut pas concentrer tous les malades à Marseille, indépendamment de la polémique sur cette ville.
Le nombre de lits de réanimation a très peu évolué au cours ces vingt dernières années, alors que la population vieillit. En outre, les techniques de réanimation font qu'on prend en charge des personnes de plus en plus âgées, avec de bons résultats. Aujourd'hui, le nombre de lits de réanimation est sous-dimensionné en comparaison avec un certain nombre de pays étrangers. Par ailleurs, il ne faut pas laisser les anesthésistes-réanimateurs et les réanimateurs médicaux se faire la guerre entre eux.
J'ai entendu parler de la réhabilitation du Plan. Oui, il faut programmer : quels sont les besoins ? On consulte les experts et les médecins, on prend les décisions et on se donne les moyens.
Une polémique a porté sur le nombre de lits des réanimation en Allemagne, qui serait trois, quatre ou cinq fois supérieur. Rapporté à la population, il y avait trois fois plus de lits qu'en France. Cela leur a permis de ne pas vivre la crise comme nous, en particulier comme dans le Grand Est ou en Île-de-France, et d'éviter les problèmes de tension pour trouver des lits. En somme, le nombre de lits permet de soulager le personnel.
Il est clair que le dimensionnement du système de soins est important. C'est sur ce point que portent les fortes critiques de l'ensemble du personnel, en particulier à l'égard des ARS. Un hôpital ne peut pas fonctionner à flux tendus, puisqu'il est confronté à des crises, qu'il s'agisse de la grippe saisonnière ou les coups de chaud estival. Il faut une marge de manoeuvre de 20 % de lits libres dans un hôpital - des publications en témoignent. Si on ne les a pas, on ne respire pas correctement. On ne sait pas, d'une année ou d'une saison à l'autre, quels seront les besoins. Avant même la crise de la covid, nos collègues réanimateurs pédiatriques avaient tiré la sonnette d'alarme : nous avions été obligés de transférer des jeunes enfants d'Île-de-France en province, ce qui est catastrophique pour les familles. Il importe de faire le point sur cette question, et, malheureusement, pour l'instant, le Ségur de la santé ne l'a pas abordée.
Être prêt, c'est être psychologiquement prêt. Aujourd'hui, je peux vous dire que, de l'aide-soignant au médecin, mes collègues ne vont pas bien. Les médailles et le défilé, s'ils sont un plus, sont valorisants, mais s'ils sont substitutifs aux besoins qui ont été fortement exprimés, ils sont de nature à créer de la déception. Et la déception diminue la capacité de mobilisation.
Pour répondre à la question posée au sujet des équipes multidisciplinaires, il s'agit d'une voie de travail et d'orientation extrêmement intéressante. Des expérimentations entre des établissements référents et de plus petits établissements sont en cours ; on essaye d'avoir des conventions et des collaborations de ce type. Ces essais sont en nombre probablement insuffisant pour avoir une meilleure visibilité de la manière dont on va pouvoir s'occuper d'établissements en difficulté. Toutefois, dans les endroits où cela est mis en oeuvre, les résultats sont plutôt prometteurs.
Quand on entre dans ce type de démarche, on a envie d'avoir un cadre, une valorisation - je ne parle pas ici que d'argent, une valorisation des équipes - pour pouvoir mettre les choses en place et les conforter. J'adhère donc à cette démarche qui reste encore aujourd'hui un peu balbutiante.
Qui déclenche les visites dans les Ehpad. La problématique est simple : c'est le nombre de décès. Lorsqu'on a vu que le nombre de décès augmentait, on a réagi. Globalement, c'est ce que tout le monde a fait.
Quant aux stratégies de prise en charge pour les personnes âgées, elles dépendaient de l'état de santé réel du patient, qui n'est pas forcément lié à l'âge. Et ce sont les sociétés savantes qui travaillent sur un certain nombre d'indicateurs, de codifications, d'éléments objectifs, qui ne sont pas seulement liés à l'âge, qui sont les référentiels. Cela permet normalement d'avoir une stratégie de prise en charge et d'acceptation du patient âgé assez homogène sur le territoire. Comme l'expliquait mon collègue Christophe Prudhomme, les chemins pour aller du point A au point B sont parfois variés, mais il n'empêche que les recommandations des sociétés savantes nous permettent d'avoir des éléments assez homogènes.
Concernant la hiérarchisation des postes de commandement, la question est entière. Selon mon ressenti, la structuration nous a permis, à l'échelle du département, d'avoir une réaction coordonnée avec un poste de commandement, qui était à la préfecture, et des éléments de recommandation et d'organisation en provenance de l'ARS. Je ne veux pas faire le béni-oui-oui, mais je n'ai assisté à aucune forme d'opposition entre les deux circuits, mais plutôt à une vraie complémentarité. En tout cas, pour ce qui me concerne, j'ai constaté cette organisation a été vraiment bénéfique.
Le retour au fonctionnement habituel dans les Ehpad constitue, bien évidemment, la grande inquiétude. La situation a conduit à des embauches de docteurs, ce qui a entraîné une petite dynamique. Je vous le rappelle, on est le département le plus pauvre de France en professionnels de santé, donc avec des ressources limitées. On reste loin du compte, bien évidemment, et la situation a mis en évidence les tensions qu'on peut connaître dans les Ehpad, dans les services d'urgence et dans les SAMU. Sans dresser un auto-satisfecit, j'essaie d'être le plus objectif possible. On connaissait nos fragilités dès avant la crise et les organisations qui ont été mises en place nous ont donné des vraies pistes pour avoir l'action la plus fonctionnelle possible.
Comment décide-t-on de toute la chaîne de prise en charge de nos patients ? Ce sont des décisions médicales, quels que soient le vecteur et l'acteur de terrain sur place. Que ce soit un VSAV des sapeurs-pompiers, une ambulance privée ou une équipe médicale, il y a toujours un lien avec la régulation médicale qui, au regard des éléments qui lui sont donnés et de sa connaissance, va prendre une décision médicale, qui doit être accompagnée. La décision peut être de rester en Ehpad si l'on dispose de l'accompagnement nécessaire à la prise en charge correspondant au référentiel et à la qualité de confort qu'on peut donner au patient. Si ce n'est pas le cas, il sera hospitalisé, et la décision sera prise de concert avec le réanimateur pour savoir si le patient doit aller en réanimation ou pas. C'est toute une chaîne de décision qui est utilisée, bien évidemment dans la crise du Covid, mais aussi en fait dans notre quotidien. En somme, on se repose sur des modes de fonctionnement du quotidien.
L'état de préparation pour la suite ?
Je rejoins mon collègue, la période du déconfinement a été dure. Les équipes se sont vraiment trouvées dans une situation difficile. Il faut récupérer, remettre les esprits à l'endroit, et je crois que les professionnels, comme la population, ont eu peur. J'ai le sentiment que nous sommes dans une phase de récupération - la crise n'est pas tout à fait finie, mais on essaie d'avancer le mieux possible. On a connu des situations de tension alors que la charge d'activité n'était pas si grande, parce que les équipes avaient vraiment été mises à rude épreuve. Je crois que c'est naturel et j'espère que les équipes auront récupéré si une deuxième vague apparaissait.
L'autre point sur lequel je souhaitais rebondir, c'est celui de la préparation. Évidemment, on n'avait pas tout prévu dans le détail pour cette crise. Évidemment, on s'est fait déborder du fait des gros volumes d'activité, mais on a réagi. Nous partageons ces positions. Néanmoins, il n'y avait pas non plus d'impréparation - ce n'est pas vrai. Des plans blancs sont écrits, des plans de continuité d'activité existent, des exercices sont faits, des mises en situation sont menées. Certes, les équipes n'ont pas été à la hauteur de ce qu'on a vécu - on n'avait pas deviné une telle situation. Elles avaient été préparées et prévenues, mais on ne connaissait pas les limites de cette montée en charge. On a essayé d'y faire face de la façon la plus adaptée possible.
Arrivera-t-on à répondre encore mieux à la deuxième phase ? Je l'espère, mais elle peut ne pas ressembler à la première, ce qui peut nous réserver encore quelques surprises, notamment avec des effets qui ne sont pas que des pics, mais peut-être des augmentations d'activité en plateau par exemple. On verra alors quelle sera notre capacité d'adaptation. Plus ce sera long, plus ce sera difficile dans la mesure où nos volumes de personnels et de professionnels sont limités - et ils ont déjà donné. En tout cas, je pense que l'on pourra être un petit peu plus réactifs. Nul ne peut prédire combien de temps cela durera.
Enfin, pour la question du masque, je suis content que cette décision ait été prise et je me réserverai bien de faire tout commentaire sur les dates.
En réponse à Mme Cohen, le ministère de l'intérieur dispose des outils de gestion, avec un centre interministériel de crise qui réunit l'ensemble des ministères et qui permet de faire des propositions au Premier ministre. Il peut être un outil intéressant, avec des forces à disposition. Ce commandement unique nous a manqué. Alors que la cellule interministérielle de crise avait été ouverte le 17 mars, le ministère de la santé a conservé son centre de crise qui venait à la cellule interministérielle de crise une fois par semaine donner quelques éléments. Il aurait été plus intéressant que tout le monde travaille ensemble.
Même si cela s'est bien passé dans le 77, il n'en a pas été de même dans tous les départements. Si le centre opérationnel départemental, sous l'autorité du préfet, avait pu être déclenché dans l'ensemble des départements, cela se serait bien passé.
En réponse à Mme Préville, la question des personnes seules a été notre inquiétude au quotidien. En Haute-Savoie, une plateforme unique reçoit l'ensemble des appels de détresse : appels d'urgence, demandes de soins, détresse sociale de nos anciens, etc. Tout se passe bien : les blancs, les rouges, les acteurs sociaux, tout le monde répond aux sollicitations. Cela vaudrait la peine de faire un retour d'expérience sur cette plateforme. C'est une mutualisation de proximité entre des acteurs qui travaillent ensemble au quotidien.
Lors de la canicule, en 2003, mon prédécesseur avait déjà souligné que le nombre de morts en Ehpad avait conduit les services publics à réagir. En 2020, le nombre de morts a, de nouveau, constitué un élément déclencheur de la réaction des services publics. N'attendons pas qu'il y ait des morts : il faut anticiper et réagir avant !
En réponse à Mme Jasmin, des plans existent, comme le plan Pandémie grippale de 2011, qui aurait pu permettre de gérer cette crise. Le covid-19 n'était certes pas une simple grippette, mais ce plan aurait pu permettre de gérer cette situation de crise de bien meilleure manière.
Chaque service a élaboré son plan de continuité d'activité : malheureusement, nous travaillons tous en tuyaux d'orgue et ne partageons pas nos plans qui sont pourtant en interaction opérationnelle.
Nous appelons à une nouvelle ambition en protection civile. À la suite des travaux d'un groupe d'étude de l'Assemblée nationale, une proposition de loi est en cours d'examen. On ne parle de sécurité civile qu'à l'occasion de drames, alors que la protection civile est un sujet du quotidien. Le citoyen doit d'abord être acteur de sa propre résilience : c'est un élément central.
En réponse à Mme Meunier, il n'y a pas de volonté de guerre entre les rouges et les blancs, même si notre langage est parfois viril. Médecins, sapeurs-pompiers, nous sommes tous engagés pour la protection et la vie de nos concitoyens. Il y a de l'engagement, donc certainement un peu de passion, mais pas de guerre. N'oublions pas que les blancs et les rouges ont sauvé des vies !
La semaine prochaine, je remettrai au ministre de l'intérieur la synthèse de nos retours d'expérience. Ce document a vocation à faire évoluer les choses. Nous n'avons pas de langue de bois. Nous avons l'habitude de pratiquer le retour d'expérience dans nos SDIS : cela permet d'améliorer notre réponse au quotidien.
En réponse à M. Bazin, nous sommes convaincus que la régulation est une richesse, mais elle doit être opportune et concerner les cas qui nécessitent un apport médical avec un plateau technique adapté - environ 5 % des cas. Elle ne doit pas être bloquante.
En réponse à M. Savary, tous les SDIS de France ont travaillé avec des méthodes de commandement quasi militaires. Nous avons mis en place des cellules de coordination et de suivi dans nos SDIS respectifs ; sous l'autorité des préfets, nous avons anticipé une situation de rebond de l'épidémie ; nous avons construit nos stocks stratégiques d'équipements individuels. Mais si la crise est gérée comme en mars, nous bricolerons à nouveau des systèmes non performants, fondés sur la bonne volonté des acteurs. Or nous pourrions être prêts si nous appliquions le plan Pandémie grippale rédigé par nos prédécesseurs : il n'est pas à mettre au rebut. Nous avons connu la grippe H1N1 ; la grippe saisonnière doit aussi être prise en compte, car elle fait chaque année des victimes et met les centres hospitaliers sous tension.
Sur le sujet du port obligatoire du masque, je ne commenterai pas la date retenue. Les sapeurs-pompiers utilisent le masque pour toute intervention sanitaire dans presque tous les départements et imposent le port du masque dans les casernes. La résilience de la population et de la réponse à la crise passera par le port du masque.
Je souhaite réagir à ce que je viens d'entendre concernant les plans. La ligne Maginot était un plan, cela n'a pas empêché qu'elle soit franchie. Il faut un plan qui définit une hiérarchisation et des priorités et que l'on adapte ensuite selon la nature du risque, qu'il soit épidémiologique, bactériologique ou nucléaire. C'est l'approche de la Federal Emergency Management Agency (FEMA) aux États-Unis, avec laquelle j'ai travaillé sur plusieurs plans. On doit surtout définir une structure et la chaine de commandement et ensuite l'adapter à la situation.
J'ai ensuite une question plus généraliste. J'ai beaucoup fréquenté l'aéroport de Paris Charles de Gaulle. Même si les contrôles s'améliorent, les aéroports sont de véritables passoires. Avez-vous eu des interventions et des cas d'urgence sur des zones aéroportuaires ? Quel est votre point de vue sur la passoire que représente l'aéroport de Roissy ?
Enfin, je vous poserai la question qui est le titre de l'ouvrage du professeur Christian Perronne : Y a-t-il une erreur qu'ils n'ont pas commise ?
Il n'y a pas de contrôle systématique des passagers à leur arrivée dans les aéroports, ce qui pose problème, notamment à Marseille, et il n'y a pas d'organisation de la traçabilité des passagers. Malgré le port du masque, il y a des situations de promiscuité qui posent problème, par exemple dans les transports en commun. Sur le port du masque, nous avons le même problème que pour la gestion de la crise en général : il faut faire dans la dentelle. Il y a des clusters dans des abattoirs, ou dans de grands entrepôts de colis. Nous savons dorénavant que ce sont des zones à risque donc il faut s'adapter en sachant où sont les foyers potentiels. Or, on se focalise sur ce qui est le plus médiatique comme les écoles mais ce n'est pas le plus préoccupant médicalement. Au moment où l'on a rouvert les écoles, les médias se sont focalisés sur les symptômes de la maladie de Kawasaki, alors qu'en nombre de personnes concernées, c'est très faible. Il faut s'adapter à chaque type de situation et de population car il faut convaincre que le port du masque est utile, notamment chez les plus jeunes. On aurait besoin de dire qu'il n'y a pas de vérité absolue et de mieux orienter les messages selon les modes de vies et les populations.
M. Regnard a évoqué l'agence américaine FEMA. Je voulais préciser que plusieurs cadres de la sécurité civile française sont formés à l'incident command system (ICS). Le directeur général de la sécurité civile a projeté une équipe en Australie pour aller voir comment cela fonctionne. La plupart des SDIS ont des cadres formés aux techniques de management de crise. Ces techniques permettent d'anticiper et d'adapter les plans à la situation tactique qui se présente. Il n'y a rien d'écrit en gestion de crise. Il y a des fondamentaux et il faut s'adapter.