Merci pour cette invitation. Je vous présenterai les choses du point de vue d'un directeur de SAMU et d'un chef de service des urgences. Je suis également conseiller médical auprès du GCS Sesan d'Île-de-France, qui déploie tous les systèmes d'information de santé régionaux, et directeur médical de la première école d'assistants de régulation médicale de la région d'Île-de-France auprès de l'Assistance publique.
Nous avons vite compris la nature de cette crise. L'ARS assurait le pilotage avec des réunions quotidiennes auprès des directeurs d'établissements auxquels étaient associés les présidents de commission médicale d'établissement (CME). Du côté des SAMU, nous avions une réunion journalière des huit SAMU afin de nous coordonner, de mettre en place les moyens dont nous disposions et, surtout, de bénéficier de l'expérience de chacun. Dans chaque établissement, une cellule de crise a été mise en place. En tant qu'opérateur local, j'estime que cette organisation était claire et qu'elle nous a permis de mettre en oeuvre un certain nombre de solutions, que j'évoquerai plus tard.
Nous avons fait face à une crise tout à fait inhabituelle, avec des volumes de prise en charge, que ce soit téléphonique ou de patients à l'hôpital en réanimation, qui ont surpris tout le monde. Comme le faisait remarquer le colonel Allione, que ce soit le standard du SAMU ou des pompiers, les volumes étaient tels qu'il a bien fallu s'adapter. Ce n'est pas la couleur du standard téléphonique qui était en jeu ; nous devions nous organiser et mettre en oeuvre des innovations techniques, ce qui a été fait.
Pour la partie que je représente, le SAMU, nous avons été en quelques jours en capacité d'absorber un volume d'appels qui, dans certains départements, étaient multipliés par dix - dans mon département, par sept. Nous avons « upgradé » nos autocoms et mobilisé très largement nos personnels. À titre d'exemple, 90 personnes - médecins, assistants de régulation médicale (ARM) et autres personnels - travaillent au SAMU ; nous avons eu recours à de l'aide extérieure, et plus de 250 personnes se sont mobilisées. Au lieu d'être à 15 en salle de régulation, nous étions entre 45 et 50. Tous ces personnels ont été intégrés en moins d'une semaine. Imaginez le défi et les prouesses organisationnelles qu'il a fallu déployer !
La solidarité a été très importante. Nous avons eu la chance d'avoir des outils techniques qui nous ont permis de disposer en temps réel du nombre de places disponibles en réanimation dans toute la région. Au moment le plus dur de la crise, il ne restait plus que 14 lits de réanimation dans la région. Les évacuations qui ont eu lieu vers la province ont soulagé les services de plus de 250 lits, ce qui n'est pas rien. Il aurait fallu faire encore des efforts locaux pour augmenter les capacités, lesquelles étaient déjà extrêmement élevées : elles ont été multipliées par quatre ou cinq selon les établissements. L'hôpital de Melun, qui a 20 places de réanimation, a pris plus de 110 patients en charge et s'est retrouvé à la cinquième ou sixième place des établissements qui ont accueilli le plus de malades.
Les Ehpad ont été un sujet majeur de discussion pendant la crise. De nombreux établissements et acteurs de santé ont mis en place des organisations très innovantes. Dans mon établissement, nous avons constaté, en nous rendant dans les établissements, que les patients pouvaient décéder de la covid évidemment, mais également de l'isolement et du confinement. On connaît les problèmes d'effectifs des Ehpad auxquels s'est ajouté le fait que de nombreux personnels et médecins de ces établissements étaient malades, ce qui a pu conduire à une forme de « déshérence ».
Une initiative a été prise, celle de constituer des groupes multidisciplinaires gériatres-urgentistes-hygiénistes-infectiologues-secouristes qui se sont déplacés dans toutes les Ehpad, ce qui a brutalement fait baisser la mortalité, en apportant des soins simples, habituels, pour des problématiques de pneumopathie ou de réhydratation liée au confinement. Nous sommes revenus à des taux de mortalité équivalents à une période normale. La rupture a été nette : le nombre de morts par jour dans les 27 Ehpad dont nous nous occupions est passé de 47 à 5, à partir du moment où nous sommes intervenus.
Chaque établissement a essayé de mettre en place à l'échelle de son département des mesures de ce type, et chacun a pu le faire à la hauteur de ses moyens.
C'est évidemment en temps de crise qu'on améliore les relations avec ses partenaires. En Seine-et-Marne, les relations avec les associatifs étaient historiquement inexistantes ; elles ont été reconstruites durant la crise, et sont bonnes.
Il y a eu aussi une mobilisation intéressante des ambulances privées. Les interactions avec les sapeurs-pompiers sont réelles au quotidien. Les quatre départements de la grande couronne parisienne sont interfacés avec les sapeurs-pompiers - et les trois départements de la petite couronne sont en cours : nous transférons les dossiers informatiquement pour récupérer les informations, et cela fonctionne bien. Cela n'a pas empêché d'avoir des officiers sapeurs-pompiers, à ma demande, qui sont venus en régulation du SAMU pour faciliter le lien : le lien informatique est une chose, le lien organisationnel et présentiel est autre chose, mais les deux étaient possibles. Je n'ai pas été le seul à le faire. Les sapeurs-pompiers participaient au tri à l'entrée des établissements. Les relations sont polymorphes d'un département à l'autre, donc je ne ferai pas de généralité. Dans certains départements, les collaborations ont été efficaces, dans d'autres elles ont été plus difficiles.
L'enjeu médical par rapport à la régulation est très fort. La régulation sert à avoir une entrée commune pour tous les patients ayant une nécessité de soins, notamment non programmés. Elle sert à trier et à essayer de faire rentrer au mieux le patient dans un parcours de soins. Ces métiers se sont développés depuis 20 à 30 ans. - actuellement, onze écoles d'ARM ont ouvert sur tout le territoire, dont une à Paris. Les trente premières secondes sont fondamentales pour pouvoir faire ce tri, essayer de bien faire rentrer les patients dans les bons parcours de prise en charge. C'est ce qui a été fait pendant cette crise. Nous avons eu des armées de « décrocheurs », qui ont été formées et ont été mises en place. Ils peuvent réadresser l'appel en fonction des besoins : arrêt cardiaque, accident, covid... Cette idée du sas a fonctionné et a permis d'absorber des volumes d'appel quatre à sept fois plus importants.
Autre élément intéressant : le SAMU et le téléphone ne sont qu'un hub dans les services de santé. Nous nous sommes organisés pour faire venir des infectiologues et des gériatres en régulation. La régulation est multidisciplinaire, et ne repose pas uniquement sur des urgentistes. Cette pluridisciplinarité se fait dans un contexte de santé.
Il nous a fallu quelques jours pour passer de 1 500 à 7 000 appels par jour. Néanmoins, cette organisation n'a pas conduit à un système dégradé. Nos taux d'appels ne nous satisfaisaient pas, et nous y travaillions depuis de longues années. Or nous avons atteint le 100 % de taux de décrochage, et 0 % de perte d'appel. Nous nous sommes adaptés avec des renforts, et avons atteint un niveau de service jamais obtenu auparavant.
Nous demandons donc de conserver ces moyens pour avoir cette efficacité. Tous mes collègues des autres SAMU vous le diront : les renforts et l'organisation à l'hôpital ont été fondamentaux pour traiter les volumes de patients.
Nous avons eu des échanges avec l'ensemble de nos partenaires dans cette crise de santé. Les SAMU ne sont pas seuls au monde et ne voudront jamais l'être, mais si cette expérience permettait de consolider les effectifs pour rendre le service actuel, nous tirerions un grand bénéfice de la situation. Cela correspond, au maximum, à 10 à 20 % d'effectifs supplémentaires, pour un service de très grande qualité.