Nous avons bricolé. Nos jeunes étudiants se sont mobilisés, ils ont beaucoup appris, en ont été satisfaits. C'était une expérience, mais elle s'est faite aussi sur le dos des patients, malgré la formation et l'encadrement. Nous avons propulsé en première ligne, brutalement, des gens de bonne volonté, plus ou moins jeunes. Ainsi, nos collègues biologistes affectés en régulation étaient d'abord un peu inquiets. Puis ils se sont rendu compte que c'était beaucoup de bon sens parce qu'il y avait un tri des appels. Ils prenaient les appels peu graves, et ils bénéficiaient de nombreux conseils. Ils ont donc repris confiance.
La centralisation par les ARS est une catastrophe au niveau régional : la médecine de ville n'a pas été utilisée. Actuellement, dans mon département, il y a un foyer de covid à Saint-Ouen. C'est l'ARS qui veut tout organiser. J'étais de garde au SAMU, en salle de régulation à Bobigny, au moment du problème, et personne ne nous a prévenus ! Alors qu'il existe un « bruit de fond » avec de nouveaux malades, dont quelques-uns en réanimation, il faut s'appuyer sur nos collègues de la ville, et non sur un système administratif centralisé. Il faut leur donner les moyens de faire les tests et les dépistages. Ce sont eux qui connaissent les familles qui sont dans les quartiers. Je suis assez direct : dans les ARS, ils remplissent un tableau Excel, mais une fois étudié, l'épidémie est déjà passée à un stade plus avancé... Cela nous a mis en colère. Sur la gradation de l'orientation des patients, je vous le dis clairement : vous avez entendu M. Rousseau et M. Hirsch, mon directeur général. Ils n'étaient pas sur le terrain. Nous étions en rupture : nous avons retardé la prise en charge de patients. Or tout retard à la prise en charge entraîne une surmortalité. Nous n'avions pas la capacité de mettre les patients immédiatement en réanimation, donc on les amenait dans les services d'urgence, en attendant de voir comment ils évoluaient, alors qu'ils auraient été beaucoup mieux dans un lit de réanimation.
Ensuite, on nous a imposé de manière autoritaire les TGV sanitaires. Il fallait le faire dans le Grand Est, mais l'Île-de-France est une des plus grandes métropoles mondiales ; nous avions des locaux vides dans les hôpitaux. Il aurait été intéressant de discuter avec nous de la stratégie : faut-il faire des TGV sanitaires, ou plutôt transférer du personnel et du matériel dans des locaux qu'on peut aménager très rapidement, que ce soit à l'Hôtel-Dieu, ou à l'hôpital Jean-Verdier dans mon département ? L'Assistance publique a voulu accélérer l'ouverture d'un nouveau bâtiment à l'hôpital Henri Mondor, mais c'était trop tard, il n'a pas servi. Durant une situation de crise, il faut faire confiance aux professionnels sur le terrain. Nous nous sommes organisés entre nous, avec les collègues de la ville et les pompiers localement. Nous savions ce que nous avions à faire.
Je m'inscris en faux avec un élément du rapport de la Fédération des sapeurs-pompiers. Nous avons utilisé les moyens du secteur privé à but lucratif. Le problème de ce secteur, n'en déplaise au président de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHF), M. Lamine Gharbi, c'est qu'ils ont fait le choix de concentrer leur activité sur l'ambulatoire. Il y avait donc très peu de lits de réanimation, et ceux-ci ont été vite pleins. Nos collègues ont ouvert des lits dans leurs salles de réveil ou leurs blocs opératoires, mais dans un environnement et avec des techniques souvent limités. Ils ont donc été utilisés pour des malades intermédiaires.
J'insiste sur le manque d'anticipation en raison d'une chaîne de décision très longue. Les ARS sont très loin du terrain, et les délégations territoriales ont très peu de pouvoir de décision et de moyens. Bien sûr, certains délégués territoriaux nous ont beaucoup aidés parce qu'ils étaient débrouillards, mais le mode de fonctionnement et d'organisation des ARS fait que tout remonte vers le directeur général, qui décide de tout, alors qu'il est très loin du terrain. Nous avons toujours été en retard d'un TGV, toujours été en difficulté.
Nous sommes inquiets pour la suite des événements. Il y a quinze jours, j'ai reçu une note de l'équipe d'hygiène de mon établissement m'indiquant que, alors que nous sommes en période d'activité normale, il y a des tensions sur les gants. On nous indique donc que les gants doivent être utilisés pour tel type de gestes, et pour le reste, on se lave les mains... Fin janvier, l'équipe opérationnelle d'hygiène expliquait que les soignants devaient porter systématiquement les masques FFP2. Un mois après, on nous disait que le masque chirurgical suffisait... Cela nous a fortement irrités. Il ne faut pas rosir la situation ; nous avons fait des choses fantastiques, certes, mais l'hôpital n'a pas tenu, contrairement à ce que certains collègues en responsabilité disent. Notre pays a eu une mortalité aussi élevée parce que nous avons toujours été en retard pour mener cette bataille.