Intervention de le médecin-colonel Patrick Hertgen

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 16 juillet 2020 à 13h30
Audition commune du colonel grégory allione président de la fédération nationale des sapeurs-pompiers de france fnspf des docteurs françois dolveck directeur des urgences du centre hospitalier de melun — Marc jacquet et christophe prudhomme porte-parole de l'association des médecins urgentistes de france amuf

le médecin-colonel Patrick Hertgen, vice-président chargé du secours d'urgence aux personnes et du service de santé et de secours médical :

J'apporterai un complément sur la surmortalité en raison d'arrêts cardiaques. Je n'ai, pas plus que M. Dolveck, de réponse objective sur les chiffres. Mais nous observons que dès lors qu'on construit un système de gestion des appels d'urgence , qui depuis des décennies - les années 1980 - entend recevoir des appels d'extrême urgence et de situations vitales, et que dans le même temps on prend le même numéro, le 15, pour des motifs liés à des chiffres d'activité, on s'attend à recevoir de plus en plus de sollicitations pour des demandes de soins non programmés et on s'expose à une saturation de la réponse. On peut s'autosatisfaire en se disant qu'on s'est débrouillés, et je ne doute pas que tous les sapeurs-pompiers et les professionnels de santé ont travaillé du mieux qu'ils ont pu, de toutes leurs forces, avec la plus grande conviction. Je suis à la fois sapeur-pompier et médecin, j'ai ces deux qualités et refuse de les opposer dos à dos.

Mais le système qui amène au 15 à la fois des urgences vitales et une demande de soins conduit à sa surcharge. Et c'est ce que nous avons observé tous les jours, tous les ans, en temps normal. Les délais de décrochage du 15 sont le plus souvent incompatibles avec le traitement d'une détresse immédiate. Pour une telle détresse immédiate, il faudrait décrocher au maximum dans les 30 secondes : c'est l'American Health Association qui l'indique pour la prise en charge de l'arrêt cardiaque. Un bon système, c'est décrocher en 15 secondes ; la pire performance acceptable, c'est 30 secondes. Si on prétend recevoir des appels pour les urgences immédiates ou vitales, typiquement pour l'arrêt cardiaque ou d'autres détresses immédiates, on se met en capacité de tenir ces performances. Soit on prétend faire un travail beaucoup plus large d'accès aux soins, et alors il faut avoir d'autres prétentions. Mais on ne peut pas faire les deux à la fois. Cela a été démontré. Nous avons observé des délais moyens extrêmement élevés, comme un délai maximum d'attente de 12 minutes et 40 secondes à Paris durant le mois de mars. Nous ne prétendons pas que les personnes s'amusent à laisser sonner, mais le système a conduit à cela. Ce système a été construit par des personnes qui étaient déjà aux affaires dans les années 1980. La doctrine des SAMU en France est conduite par d'éminentes personnalités, aux affaires depuis 40 ans. Il ne faut pas s'étonner qu'aujourd'hui nous ayons un système obsolète ou une concentration de la doctrine qui reste figée dans les années 1980 pour des motifs qui tiennent à une volonté d'entre-soi plutôt qu'à une volonté de travailler ensemble. Partout où il y a eu des plateformes communes, où les moyens ont pu être mutualisés, les performances étaient meilleures.

On entend souvent dire qu'on ne peut pas donner aux citoyens la responsabilité de qualifier la gravité de leur situation, et que les conduire à choisir, ce serait les exposer au risque de passer à côté d'un infarctus avec une douleur atypique ou de l'accident vasculaire cérébral avec un signe qui semblerait bénin. Il est tout à fait faux d'affirmer que ce serait une perte de chance. Le professionnel de santé connaît son métier et saura réorienter si quelque chose de suspect l'intrigue. C'est fait tous les jours par les standards de SOS Médecins et bien d'autres.

Je ne sais pas dénombrer la surmortalité, mais il y a eu des délais totalement incompatibles avec la prétention à recevoir des appels pour des urgences immédiates, et non pas un jour ou deux, mais durant plusieurs semaines. Il y a une forte responsabilité non pas de ceux qui ont décroché en mars ou en avril, mais de ceux qui, depuis des décennies, maintiennent ce système, je pense, en toute connaissance de cause, pour des raisons d'entre-soi.

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