D'accord. Mais il y a, lors d'un transfert vers un lit de réanimation, un risque lié au retard de prise en charge.
Des retards, je l'ai dit et je le répète, il y en a eu, lorsque nous devions prendre en charge un patient et que nous étions en difficulté pour trouver un lit de réanimation, en dépit de la mise en place d'une cellule dédiée. Le fait que ledit patient doive s'arrêter dans un service d'urgence en attendant que la place soit libre en réanimation, laquelle pouvait se trouver à 50 kilomètres de distance, a entraîné des risques pour ce malade. Statistiquement - des données françaises et internationales ont été publiées sur ce sujet, notamment une étude pilotée par le CHU de Poitiers -, on sait que tout retard de prise en charge en réanimation d'un patient nécessitant ce type de technicité représente une surmortalité de 30 %. Il faut être clair, nous avons travaillé en mode dégradé en faisant ce que nous pouvions.
Pour ce qui concerne les Ehpad, nous nous sommes arrêtés au fil de l'eau. Mais initialement, il y avait peu de places en réanimation. Nous avons donc eu tendance, en observant le rapport bénéfice/risque, à laisser un certain nombre de personnes dans ces établissements qui disposent d'oxygène et peuvent faire des prescriptions, plutôt que de les transférer à l'hôpital. Nous étions en effet en surcharge.
Ensuite, comme l'a dit mon collègue, heureusement qu'un certain nombre de collègues médecins de ville et hospitaliers se sont rendus dans les Ehpad ! Grâce à eux, la médicalisation n'y a jamais été meilleure. C'était fantastique : des médecins examinaient les patients et faisaient de la vraie médecine. Il était ainsi décidé, lorsqu'il existait des directives anticipées et parce que c'était le choix de la famille, de soulager tel patient et de le laisser en Ehpad ; tel autre était envoyé en réanimation... Voilà comment nous avons travaillé. Mais, dans un premier temps, nous avons dû freiner la prise en charge des patients en Ehpad parce que nous n'avions pas assez de lits de réanimation. Ce retard à la prise en charge est grevé d'une surmortalité.
S'agissant des médicaments, vous avez pu lire les directives adressées nationalement. Sur les sédatifs, nous étions en difficulté ; nous les avons donc remplacés par d'autres médicaments, certes moins maniables, mais cela n'a pas entraîné une dégradation catastrophique de la prise en charge. Nous avons essayé de faire comme nous pouvions, en bricolant avec les moyens du bord.
Nous étions à la limite pour les respirateurs. Un respirateur de secours d'urgence ou disponible dans les véhicules du SAMU, que l'on utilise pour ventiler un patient, n'est pas un respirateur de réanimation idéal lorsque les poumons sont très dégradés.
Je ferai une petite incise, à propos d'une autre opération médiatique. Dans mon service, nous mettons aujourd'hui au rebut les respirateurs qui ont été construits pour servir de matériel de secours, car ils sont obsolètes. On a beaucoup communiqué en disant qu'on allait fabriquer 10 000 respirateurs ; or ceux-ci ne sont pas faits pour équiper des lits de réanimation...
Lors d'un retour d'expérience, il peut y avoir controverse sur un certain nombre d'éléments et on peut ne pas être d'accord. Mais il faut avoir la volonté d'aller jusqu'au bout de la controverse pour, à un moment donné, trancher. Je ne dis pas que j'ai raison sur tout ; je suis pour que l'on mette sur la table l'ensemble des dysfonctionnements qui se sont produits pendant cette période, afin que l'on puisse s'améliorer par la suite.
Je terminerai sur le problème des lits de réanimation. Monsieur Jomier, chaque hiver dans mon SAMU d'Île-de-France, j'ai du mal à trouver des places de réanimation pour les personnes âgées qui viennent des Ehpad. Cela ne se produit pas seulement durant la crise ! Des collègues réanimateurs me disent : « Cette personne de 85 ans, mets-la aux urgences et puis on verra. » Quant à moi, en tant que médecin, je considère qu'au regard de son dossier et d'une analyse de la situation, il faut la placer en réanimation, même si l'on doit voir par la suite comment évoluera son état. Or nous n'avons pas suffisamment de lits de réanimation ! Nous sommes donc obligés, chaque hiver, de mettre en attente dans les services d'urgence des patients qui, parfois, partent en réanimation deux, trois ou vingt-quatre heures plus tard. Entretemps, leur état s'est dégradé : cela s'appelle une perte de chance.