Les questions sont nombreuses. Je vais reprendre deux points évoqués auparavant.
L'exemple cité, dans lequel un choix a été effectué entre une personne jeune et une personne âgée, me met assez mal à l'aise. L'organisation a été mise en place au vu des connaissances médicales qui existaient à un moment donné. Or nous avons tous pu constater que ces connaissances avaient évolué au fur et à mesure du temps.
C'est vrai, on nous a tous expliqué au début de la crise que la mortalité était quasiment de 100 % pour les patients âgés atteints de la covid. Je ne ferai pas de commentaires sur cet aspect-là. Nous avons donc appliqué, collectivement, ce qu'on nous disait. Dans le mode de fonctionnement normal et quotidien - aujourd'hui, ce matin, cette nuit comme demain -, un tri est fait pour déterminer quels patients doivent aller en réanimation. Au vu de nos connaissances de la maladie, nous avons tous fait collectivement, avec l'immense bienveillance dont nous pouvions faire preuve, un tri d'accès en réanimation.
L'état de nos connaissances a changé brutalement, en raison des visites que nous-mêmes et certains collègues médecins de ville avons effectuées dans les Ehpad. Lorsque vous expliquez à une équipe d'urgentistes : « Cet après-midi, il faut arrêter la médecine d'urgence et le SMUR, et faire des visites en Ephad parce qu'il se passe des choses que l'on ne comprend pas », il y a des réactions de surprise, et il faut accompagner ces équipes. Le retour que nous avons eu était le suivant : « On est très étonnés parce que cela ne s'y passe pas tout à fait comme on l'avait prévu. » Il a donc fallu s'adapter. Ce constat ayant été partagé, nous avons écrit des recommandations, au début locales, qui sont devenues régionales puisque nous les avons transmises à l'ARS et à l'ensemble des partenaires. Cela s'est fait selon un process assez vertueux de prise en charge.
Il n'y a jamais eu, à ma connaissance, de décision de refus au motif que « ce n'était pas possible ». Lorsque nous étions amenés à dire à un patient qu'on ne l'enverrait pas en réanimation et qu'on allait plutôt le laisser dans son Ehpad, en l'accompagnant pour qu'il aille mieux, nous le faisions au vu de la connaissance scientifique dont nous disposions à ce moment-là, et de ce qui était considéré collectivement comme étant la meilleure solution. J'insiste sur cette démarche parce qu'elle est vraiment importante et permet de répondre, certes longuement, à la question posée.
Un changement étant intervenu dans l'état des connaissances, nos pratiques ont changé et nous avons envoyé aux urgences et accepté en réanimation davantage de patients. Y a-t-il eu un décalage entre deux périodes ? La réponse est oui. Ce décalage était-il lié à un changement d'avis de notre part ? La réponse est non. Simplement, les niveaux de connaissances n'étaient pas les mêmes.
Concernant la pénurie de matériel, je suis un mauvais expert. On en a beaucoup parlé : oui, nous avons manqué globalement de respirateurs et il n'a pas été simple d'en obtenir. Oui, nous avons demandé à des sociétés installées à proximité des hôpitaux et disposant d'imprimantes 3D de nous fabriquer des raccords, notamment, et cela fut assez compliqué. Avons-nous utilisé toutes les drogues auxquelles nous avons recours habituellement, au quotidien, pour tous les patients ? La réponse est non. Nous avons utilisé des drogues anesthésiques qui permettaient d'obtenir des sédations de qualité.
Est-ce que nous étions proches des limites acceptables ? Oui, sûrement ! Néanmoins, les réserves opérationnelles, localisées dans quelques établissements de la région, étaient disponibles pour les services de réanimation et les SAMU ; elles ont été mises à notre disposition, mais n'ont pas été touchées.
Les nombres des morts et des arrêts cardiaques sont deux sujets différents. Le fait qu'il y ait davantage d'arrêts cardiaques est un sujet, le fait qu'il y ait eu des morts par déficit de prise en charge en est un autre. Je préfère le dire, parce que ce n'est pas la même discussion.
Je me permets de terminer mon propos en disant que je suis un peu choqué de points de vue qui ont été exprimés vis-à-vis de certains de mes collègues. Je vis certainement un quotidien d'une autre nature - je crois que nous ne devons pas personnaliser les difficultés, quand nous évoquons la gestion de cette crise nationale.