Intervention de Christophe Prudhomme

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 16 juillet 2020 à 13h30
Audition commune du colonel grégory allione président de la fédération nationale des sapeurs-pompiers de france fnspf des docteurs françois dolveck directeur des urgences du centre hospitalier de melun — Marc jacquet et christophe prudhomme porte-parole de l'association des médecins urgentistes de france amuf

Christophe Prudhomme, porte-parole de l'Association des médecins urgentistes de France :

Concernant les Ehpad, comme l'a dit mon collègue Dolveck, il n'y a pas de doctrine prédéfinie. On a couru après la crise et notre stratégie a évolué, en particulier eu égard à la question de la disponibilité des lits de réanimation. Dans la première période de la crise, on a intubé tout le monde. Et ensuite, on s'est rendu compte qu'il y avait d'autres techniques qui nous permettaient de retarder, voire de se passer de l'intubation, qui a des conséquences et qui peut générer des séquelles importantes. On a découvert cette maladie au fil du temps.

Dans les Ehpad, il y a eu un énorme retard, mais qui était prévisible. Depuis deux ans, les personnels des Ephad réclament du personnel supplémentaire. Les personnes qui sont en Ehpad aujourd'hui ne relèvent pas de l'hébergement. Ce sont des personnes qui sont pour la plupart en fin de vie : après être restées chez elles, elles passent les deux dernières années de leur vie en Ehpad, et la grande majorité d'entre elles nécessitent des soins.

Dans mon établissement, qui fait partie de l'AP-HP, avec un nombre de lits de gériatrie très important - on est d'ailleurs en train de les fermer, ce qui est dommage -, les services de longs séjours, peut-être moins confortables en termes d'hébergement et d'hôtellerie, ont eu à déplorer très peu de décès parce qu'ils étaient très médicalisés. Au contraire, dans les Ehpad, fortement sous-médicalisés - on dénonce depuis des années cette sous-médicalisation -, la mortalité a été effroyable.

Quand on a pu médicaliser - en bricolant : en Seine-et-Marne, les équipes du SAMU se sont rendues sur place ; chez nous, les équipes de médecins de ville ont travaillé en lien avec le SAMU -, on a pu prendre en charge ces personnes de manière adaptée médicalement. J'y insiste, ce n'est pas l'âge qui compte. Une personne de 90 ans à domicile, qui a un bon état général et peu de pathologies chroniques, doit être prise en charge comme une personne de 50 ans si un seul organe, comme le poumon ou le coeur, est atteint, car on sait que le pronostic est le même. C'est l'addition des pathologies qui fait que le pronostic est mauvais. Si l'on est polypathologique à 50 ans, le pronostic peut être très mauvais, alors qu'une personne de 80 ans qui a un peu d'hypertension et peut-être un peu de cholestérol rentrera chez elle, en cas d'infarctus, rapidement après avoir été traitée. Ce n'est donc pas l'âge qui compte.

Ce qui est difficile pour nous, médecins, c'est que chaque cas est particulier. Il n'y a pas de doctrine unique, on doit discuter. Le fait qu'on n'ait eu ni le temps ni les moyens de discuter a rendu la chose plus compliquée. Quand on n'a pas d'interlocuteur en Ehpad ni de collègue médecin, comment discuter du cas d'un patient, dont le dossier était souvent vide ? Il était difficile d'apprécier la situation avec une aide-soignante au téléphone. Comment, dans ces cas-là, prendre la bonne décision, sachant que chaque cas est particulier ? C'est ce qui nous a posé problème. La sous-médicalisation des Ehpad et la carence de la présence médicale et paramédicale en début d'épidémie ont entraîné cette surmortalité, qui a été absente dans d'autres pays menant d'autres stratégies. Certains collègues ont pu ne pas vouloir traiter des personnes de 85 ans, mais ce sont des cas individuels, après discussion. On essaie toujours de faire au mieux. On ne se laisse pas imposer des doctrines en vertu desquelles on prendrait toujours le même chemin en allant du point A au point B.

En ce qui concerne les personnes âgées seules, c'est un vrai problème. La téléconsultation avec une personne de 85 ans s'avère un peu compliquée. Et si ces personnes âgées sont à domicile, c'est qu'elles ne vont pas si mal que cela. Et se pose aussi un problème culturel : elles appellent plus tardivement parce qu'elles ne veulent pas déranger. Et quand elles le font, c'est souvent déjà parfois trop tard, et c'est dommage.

Vous m'avez interrogé sur le retour à la normale et à notre capacité future. Oui, l'activité redevient normale, mais avec moins de lits et moins de personnels. On ne pourra donc pas tenir, et c'est là une grande insatisfaction eu égard au Ségur de la santé. Bien sûr, les quelques avantages financiers au regard des salaires de mes collègues sont toujours bons à prendre, mais il n'y a rien sur les effectifs ni sur l'organisation, dont les lits de réanimation.

De plus, on connaît aujourd'hui une polémique entre deux catégories de médecins : les anesthésistes-réanimateurs et les réanimateurs médicaux. Il y a une guerre de pouvoir entre eux : les premiers font maintenant beaucoup d'anesthésies et peu de réanimation alors qu'existe une nouvelle spécialité, les réanimateurs médicaux.

Les anesthésistes-réanimateurs disent qu'ils ont réussi à mettre en place des réanimations éphémères et qu'il n'y a pas besoin d'augmenter le nombre de lits de réanimation : en cas de crise, ils rouvriront les lits de réanimation, comme cela s'est fait. Sauf que la prise en charge n'a pas été optimale.

La situation est la suivante : la population est vieillissante, le nombre de lits de médecine a diminué, le nombre de lits de réanimation n'a pas, à proprement parler, diminué, mais on ferme des unités de réanimation et on concentre les lits dans les grosses unités, ce qui pose problème quand il faut doubler le nombre de lits dans une unité : moins il y a d'unités, moins on peut doubler le nombre de lits. Dans certaines régions, comme la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA), on ferme toutes les petites unités de réanimation des hôpitaux de proximité, mais, pour autant, on ne peut pas concentrer tous les malades à Marseille, indépendamment de la polémique sur cette ville.

Le nombre de lits de réanimation a très peu évolué au cours ces vingt dernières années, alors que la population vieillit. En outre, les techniques de réanimation font qu'on prend en charge des personnes de plus en plus âgées, avec de bons résultats. Aujourd'hui, le nombre de lits de réanimation est sous-dimensionné en comparaison avec un certain nombre de pays étrangers. Par ailleurs, il ne faut pas laisser les anesthésistes-réanimateurs et les réanimateurs médicaux se faire la guerre entre eux.

J'ai entendu parler de la réhabilitation du Plan. Oui, il faut programmer : quels sont les besoins ? On consulte les experts et les médecins, on prend les décisions et on se donne les moyens.

Une polémique a porté sur le nombre de lits des réanimation en Allemagne, qui serait trois, quatre ou cinq fois supérieur. Rapporté à la population, il y avait trois fois plus de lits qu'en France. Cela leur a permis de ne pas vivre la crise comme nous, en particulier comme dans le Grand Est ou en Île-de-France, et d'éviter les problèmes de tension pour trouver des lits. En somme, le nombre de lits permet de soulager le personnel.

Il est clair que le dimensionnement du système de soins est important. C'est sur ce point que portent les fortes critiques de l'ensemble du personnel, en particulier à l'égard des ARS. Un hôpital ne peut pas fonctionner à flux tendus, puisqu'il est confronté à des crises, qu'il s'agisse de la grippe saisonnière ou les coups de chaud estival. Il faut une marge de manoeuvre de 20 % de lits libres dans un hôpital - des publications en témoignent. Si on ne les a pas, on ne respire pas correctement. On ne sait pas, d'une année ou d'une saison à l'autre, quels seront les besoins. Avant même la crise de la covid, nos collègues réanimateurs pédiatriques avaient tiré la sonnette d'alarme : nous avions été obligés de transférer des jeunes enfants d'Île-de-France en province, ce qui est catastrophique pour les familles. Il importe de faire le point sur cette question, et, malheureusement, pour l'instant, le Ségur de la santé ne l'a pas abordée.

Être prêt, c'est être psychologiquement prêt. Aujourd'hui, je peux vous dire que, de l'aide-soignant au médecin, mes collègues ne vont pas bien. Les médailles et le défilé, s'ils sont un plus, sont valorisants, mais s'ils sont substitutifs aux besoins qui ont été fortement exprimés, ils sont de nature à créer de la déception. Et la déception diminue la capacité de mobilisation.

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